- 1 Responsable d’opération : C. Chauveau, Hadès, 2012.
1Dominant la plaine calcaire du sud-est du département de la Vendée, la cathédrale Notre-Dame de Luçon a fait l’objet en 2012 d’une restauration conduite par la conservation régionale des monuments historiques, afin de réhabiliter le style baroque du transept sud. Sous le sol du xixe siècle, dix sépultures et des maçonneries sont apparues en place, entraînant la prescription d’un sondage archéologique (15 m²)1. Parmi ces vestiges, deux tombes maçonnées ont été fouillées et ont livré des pièces de tissu et des ossements dans un état de conservation exceptionnel (Chauveau et al. 2013). L’originalité et la qualité des vestiges conduisent à nous interroger sur le statut des défunts.
2Apparue directement dans une couche de remblai limono-argileux brun à gravier de calcaire, chaque tombe était composée d’un couvercle bâti, scellant une cuve trapézoïdale à angles extérieurs rabattus. Cet ensemble funéraire maçonné original est constitué de petits blocs de calcaire brut issus du substrat local (10 à 12 cm de diamètre au maximum) liés dans une matrice blanche crayeuse et fine (chaux). Les parois verticales des cuves, épaisses de 10 cm, étaient mises en œuvre à l’extérieur au contact du creusement de la fosse dans le remblai ; à l’intérieur, elles ont livré les traces d’un coffrage de planches de bois cloutées délimitant l’espace dédié au corps. Au fond des cuves, l’absence de traces de coffrage suppose que les corps ont été déposés directement au contact de la matrice crayeuse qui constitue la partie inférieure de la tombe. En outre, cette dernière a piégé le volume des corps (ossements et tissus humains) ainsi que des pièces de tissu qui s’y sont enfoncées de plusieurs centimètres, signe qu’elle était encore liquide ou pâteuse au moment des inhumations [ill. 1]. Ces traces supposent une construction de ces tombes peu de temps avant l’inhumation des corps, ce qui a engendré un processus de conservation remarquable alliant une étanchéité à l’air et une forte humidité propices à la minéralisation des fibres.
1. Vue d’une sépulture en coffrage maçonné avec moulage des volumes du corps et squelette en place.
Caroline Chauveau/Inrap.
- 2 F. Médard, « Restes de tissus minéralisés en sépultures. Luçon, cathédrale Notre-Dame (Vendée), Mo (...)
3Prélevés dans chaque sépulture, les échantillons de textile ont permis d’établir l’existence d’une seule et même étoffe pour chaque défunt, bien que le processus de transformation chimique ait modifié la couleur (une teinte blanchâtre) et la consistance originelles des tissus2. Ainsi, leur texture est devenue pulvérulente, ce qui a entraîné une atrophie de leur volume d’origine. Cependant, les analyses macro- et microscopiques ont révélé l’empreinte de la matière osseuse sur les fragments les mieux conservés, témoignant du contact direct des tissus avec les corps pendant l’étape de décomposition. La couleur blanchâtre pourrait résulter aussi bien d’une caractéristique originelle que d’une perturbation chimique provoquée par les sédiments et les décompositions organiques [ill. 2]. Superposés ou enchevêtrés, les plis de tissu minéralisés forment un schéma d’armure en chaîne et trame, réalisé avec un fil d’épaisseur parfois variable suivant le sens de tissage. Malgré cette nuance, la toile reste équilibrée avec une légère ondulation des fils, parfois plus marquée dans un sens que dans l’autre. L’utilisation de fils identiques dans les deux sens du tissage correspond à un ouvrage de finesse moyenne mais homogène [ill. 3]. Le tissu a été confectionné à l’aide de fils simples de torsion Z, comme il est d’usage en Europe occidentale depuis des millénaires. Les fibres, assemblées ou isolées, présentent les spécificités du lin (Linum usitatissimum L.). Enfin, une épingle en alliage cuivreux a été retrouvée, probablement utilisée pour assembler ou maintenir les plis dans un geste rituel afin d’ajuster l’emmaillotage. L’indigence du mobilier métallique ne permet pas d’exclure que cette étape ait été réalisée à l’aide d’accessoires qui n’ont pas laissé de traces (bandeau, cordon, fils).
2. Vue macroscopique d’un reste de tissu en lin.
En haut : fils de lin désolidarisés du tissu.
F. Médard/Anatex.
3. Vue d’un échantillon de tissu en microscopie électronique à balayage.
S. Knopf/CNRS ; F. Médard/Anatex.
4Les étoffes funéraires de type linceul mises au jour dans la cathédrale de Luçon rappellent la dimension symbolique particulière de ce matériau. « Linceul » venant du latin linteum (« petite pièce de lin »), l’étymologie évoque déjà la confection du tissu pour lequel il est employé. L’utilisation fréquente de cette fibre à une telle fin puise son origine dans un symbole de pureté utilisé dans le monde des morts depuis des millénaires. Les datations au radiocarbone menées sur les ossements de Luçon ont livré une chronologie largement établie aux xvie-xviie siècles (cal AD 1520 à 1570, cal AD 1590 à 1590 et cal AD 1630 à 1670 ; cal AD 1670 à 1780). L’usage du linceul à cette période est avéré mais rarement observé. En Pays de la Loire, une seule occurrence de sépulture maçonnée est connue, dans l’église Saint-Nicolas de La Chaize-le-Vicomte, interprétée comme celle d’un prêtre (Langlois et al. 2007). En Bretagne, la sépulture récemment fouillée de Louis Bruslon du Plessis, noble breton mort en 1661, a permis d’observer un linceul utilisé pour emmailloter le corps déposé ensuite dans un cercueil en plomb (Gendrot et al. 2020). Louise de Quengo, douairière de Brefeillac († 1656), portait quant à elle plusieurs vêtements funéraires dont certains en lin (Colleter et al. dir. 2021). Contrairement à ces exemples, les tissus de Luçon n’ont pas révélé de détails particuliers (broderies, fronces, fente d’ouverture, etc.), ni même de mobilier métallique directement associé — ferrets et œillets sont absents —, ce qui illustre un procédé d’emmaillotage sobre avec des pièces de tissu simples, peut-être maintenues par pliage. Mais les analyses ne permettent pas de savoir si ces pièces de toiles ont été tissées en une fois ou si plusieurs pièces ont été assemblées pour constituer les linceuls. Par contre, les toiles enveloppaient les crânes et étaient en contact direct avec les corps pendant la phase de décomposition sans présence d’aucun autre tissu, ce qui renforce l’interprétation en faisant des draps mortuaires. Ces observations évoquent donc l’usage d’un vêtement funéraire unique, issu d’une confection des plus sobres, différente des habits liturgiques éclairant la fonction exercée par les religieux durant leur vie ou volontairement revêtus par les populations aisées afin de bénéficier d’une certaine protection vers l’au-delà (Thuaudet 2017). De manière générale, la fabrication et l’approvisionnement de ces pièces de tissu pour les communautés religieuses devaient être importants. Au Moyen Âge, les mentions du lin sont fréquentes, notamment lors de donations au profit des établissements religieux. Les sources écrites des établissements religieux de Luçon ont disparu, aussi est-il impossible de les confronter avec les résultats archéologiques. La modestie vestimentaire des défunts de Luçon a pu être volontaire, signe d’humilité des croyants qu’ils soient religieux ou laïcs.
5Renseigne-t-elle pour autant sur le statut des défunts découverts dans la cathédrale de Luçon ? L’emplacement privilégié des sépultures dans le transept sud — abritant la salle du trésor, la sacristie et une chapelle attestée dès le xiiie siècle — et le mode de construction des tombes maçonnées induisent un traitement funéraire original sinon élitaire. Les ossements ont permis d’identifier deux hommes, âgés respectivement de plus de 40 ans et entre 20 et 59 ans, inhumés suivant deux orientations différentes (l’un a la tête à l’est, l’autre à l’ouest), mais les tombes demeurent strictement alignées et perpendiculaires au mur sud du transept. Elles semblent donc bien intégrer la contrainte des élévations. Une des deux sépultures a livré un lot de 75 perles en os, constituant un chapelet disposé dans les mains du défunt, jointes au niveau du bassin [ill. 4]. Ces éléments suffisent-ils à répondre à la question de l’appartenance des défunts à la communauté religieuse ?
4. Les perles en os d’un chapelet découvertes dans la sépulture en coffrage maçonné.
J.-G. Aubert, C. Colonnier.
- 3 Voir le rapport d’étude archéologique de J. Vincent : « Luçon. La cathédrale Notre-Dame. Une crypt (...)
6En effet, les inhumations ad sanctos deviennent fréquentes entre le xive siècle et le milieu du xviie siècle dans la cathédrale de Luçon. Dans la nef, une crypte couverte en ogive abritant des caveaux funéraires est attestée au xve siècle, contemporaine du chœur à chevet plat par rapport auquel elle est centrée3. Elle aurait abrité des sépultures exceptionnelles de religieux dans un décor précieux, même si les inhumations ad sanctos de prélats prenaient place au milieu du xve siècle dans le chœur, comme le mentionnent les testaments des évêques Ladislas du Fau († 1523) et Milon d’Illiers († 1552), ou près de la sacristie, comme l’atteste l’enfeu de l’évêque Jean Fleury († 1444). De plus, les chapelles du bas-côté sud sont ajoutées dans la première moitié du xvie siècle ; elles supplantent probablement la galerie nord du cloître médiéval et abritent des sépultures. Dans le transept sud, un simple cénotaphe rappelle la mémoire de l’archidiacre Nicolas Nivelle († 1648), dont on ignore où se trouve la sépulture. Un des traits communs de ces marques funéraires est de témoigner de la pratique mortuaire dans un espace liturgique important qui matérialise le lien symbolique entre l’édifice religieux et les bâtiments de la communauté religieuse. La construction du nouveau chevet, de la crypte, des promenoirs est et sud du cloître et des chapelles sud intervient aux xve-xvie siècles, générant probablement une attractivité vers d’autres espaces liturgiques où une pratique funéraire était permise. Avant cette date, l’espace dédié aux sépultures des religieux était le cloître, ce qu’un mobilier exceptionnel a pu attester (crosse en cuivre doré et émaillé, marteau en bronze, tissus cousus de fils d’or) lors de découvertes fortuites réalisées en 1847. Ces sépultures dateraient des xiie-xiiie siècles et s’ajoutent aux inhumations en sarcophage et en pleine terre datées entre le viie et le ixe siècle qui ont été mises au jour à l’emplacement du transept sud avant la construction de ce dernier. Toutefois, la pratique des inhumations ad sanctos perdure après l’abandon de la crypte dans la deuxième moitié du xvie siècle. L’emplacement élitaire des inhumations, leur implantation cohérente au sein de la chapelle du transept sud, leur mode de construction original, la présence de linceuls au contact des corps et d’un chapelet, le fait d’être en présence d’adultes masculins et leur datation d’époque moderne constituent un faisceau de critères qui orienterait vers l’hypothèse de tombes de religieux d’époque moderne. L’emplacement du cimetière de l’évêché reste méconnu pour la fin du Moyen Âge et l’époque moderne, et ces données laissent ouverte la question du statut des défunts inhumés dans les tombes maçonnées du transept sud de la cathédrale de Luçon.