- 1 Responsable des opérations : M. Frauciel, Inrap.
- 2 Nos remerciements à Jacques Guillaume pour son aide et sa collaboration.
1Les sites d’habitat de Tautecourt et de Frichamp ainsi que la nécropole mérovingienne de Bois Lasseau, situés à Prény (Meurthe-et-Moselle), ont fait l’objet de fouilles d’archéologie préventive en 2002 et 20031. Le vallon de Tautecourt a livré les vestiges de deux établissements occupés du début de la période mérovingienne jusqu’au xe siècle environ et distants de 900 mètres l’un de l’autre (Frauciel dir. 2011 ; Frauciel 2013). L’habitat de Tautecourt, fouillé sur une surface de près de 2 hectares, est occupé de manière continue de l’extrême fin du ve à la fin du ixe siècle [ill. 1]. Si la surface de celui de Frichamp évaluée lors de la phase de diagnostic dépasse les 4 hectares, seuls 5 000 m² environ en ont été fouillés. Celui-ci témoigne également d’une occupation continue, du dernier tiers du vie à la fin du ixe siècle. Située entre les deux habitats, à 100 mètres à l’est de Tautecourt sur le même versant du vallon, une nécropole de 197 tombes accueillant 230 individus a également été fouillée. Elle est utilisée de l’extrême fin du ve jusqu’à la fin du viie siècle pour les tombes datées par le mobilier, et plus tardivement pour d’autres dont on ne peut préciser les datations. Elle pourrait avoir accueilli les défunts des deux habitats. Les sites ont tous trois livré des corpus de mobilier identiques, avec, pour la nécropole, des variations liées au choix des objets déposés dans les tombes. Plusieurs de ces pièces de mobilier sont en lien direct avec les activités liées au travail du cuir et du textile. Ces dernières ont été particulièrement bien documentées pour l’habitat de Tautecourt, le mieux appréhendé ; cependant, celui de Frichamp permet d’observer des tendances comparables, notamment en ce qui concerne la chronologie2.
1. Les quatre phases principales d’occupation de l’établissement rural de Tautecourt et la répartition du mobilier lié au travail du textile et du cuir.
Pour la période mérovingienne (phases I et II), des unités d’habitat sont composées de maisons d’habitation dotées de foyers centraux et de bâtiments sur poteaux de taille moyenne, de quelques cabanes excavées et de fosses. Pour la période carolingienne (phases III et IV), les cabanes excavées sont dans leur grande majorité réparties en périphérie d’une cour bordée de bâtiments, interprétée comme une unité agricole (phase IV).
F. Verdelet/Inrap.
2L’abondant mobilier mis au jour sur les deux sites d’habitat comporte notamment un lot d’objets et d’outils dédiés au travail du textile et du cuir rassemblant 96 pièces [ill. 2]. À Tautecourt, l’ensemble d’outils permet de reconstituer la chaîne opératoire allant de la découpe et la préparation à la réalisation des assemblages par couture des différentes pièces de cuir. Les étapes précédentes, consacrées au travail des peaux, à leur nettoyage et à leur transformation au cours d’un long processus, n’ont été observées sur aucun des deux sites, ni dans le mobilier recueilli ni à travers les structures fouillées. En revanche, l’élaboration de produits manufacturés en cuir ou en fourrure est bien attestée.
2. Répartition des objets liés au travail du textile et du cuir par site, par matière et par grande phase chronologique.
De nombreux objets et outils en métal fragmentés ne pouvant être identifiés, il s’agit ici d’un corpus minimal d’outils identifiés. Les tiges appointées en fer, notamment, sont difficiles à caractériser et peuvent correspondre à des aiguilles ou à des épingles. On notera que les sites d’habitat de Prény se distinguent des sites contemporains régionaux voire extrarégionaux par l’importance du mobilier conservé, pour toute la durée d’occupation des sites, à niveau d’érosion équivalent.
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3Au nombre de ces outils dédiés au travail du cuir figure un tranchet (231-2) provenant de la cabane excavée 231 dont le comblement est attribué à la première moitié du vie siècle [ill. 3]. La finesse et la longueur du tranchant permettent une découpe nette, tant en ligne droite qu’en courbe. La main de l’utilisateur devait très vraisemblablement enserrer à la fois le manche et une partie de la lame pour augmenter la précision et la force exercée et réaliser un mouvement de bascule vers l’avant afin de trancher la peau. Cet outil pouvait également servir au parage du cuir, c’est-à-dire à désépaissir les bords avant la réalisation de l’assemblage par couture.
3. Outils liés au travail du cuir provenant de la cabane excavée 231.
Le tranchet se caractérise par une lame en quart de rond se prolongeant sur l’un de ses côtés par une plate-semelle formant l’élément de préhension. Le marque-point est un objet en forme de demi-lune équipé d’une soie disposée perpendiculairement à la lame. Celle-ci est pourvue de dents sur sa partie convexe. L’alêne associée appartient au type 4a.
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4Le second outil issu du même comblement est interprété comme un marque-point. La prise d’empreinte révèle une succession de tirets disposés en zigzag permettant une augmentation du nombre de points tout en garantissant la solidité du montage. Le marquage n’est pas traversant. Des exemplaires semblables ou très proches morphologiquement ont été découverts lors de fouilles anciennes en France en forêt de Compiègne (Champion 1916), en Allemagne (Haltern) ou en Italie (Aquilée) (Gaitzsch 1980). Ils proviennent tous de contextes antiques.
5Les deux sites d’habitat ont livré des alênes, troisième type d’outil lié au travail du cuir [ill. 4] : quinze pour celui de Tautecourt et quatre pour celui de Frichamp. L’utilisation de cet outil intervient immédiatement après le marquage dans la chaîne opératoire. L’alêne sert à ouvrir les trous marqués au préalable pour faciliter le passage de l’aiguille ou du passe-lanière. Le lot est relativement homogène et se répartit selon deux types principaux et une variante du second. Le premier correspond au type 3b de Manning et le deuxième au type 4a (Manning 1985). La troisième est une variante de cette dernière : l’excroissance centrale est plus marquée et les extensions plus fines que sur le modèle précédent. Toutes ces alênes présentent, sans exception, une tige de section ronde d’un côté et une tige de section carrée à l’opposé. Si pour certains exemplaires la question de l’emmanchement ne se pose pas en raison de la présence de traces ligneuses sur la tige de section carrée, en revanche pour d’autres, et notamment pour le troisième type, la réponse paraît moins évidente en raison de la finesse de celle-ci. L’excroissance cubique centrale servant de surface d’appui, l’outil peut être utilisé indifféremment sur la partie ronde et sur la partie carrée. Les alênes de type 3b sont issues de structures dont l’attribution chronologique n’a pu être réalisée. La plupart des exemplaires découverts à Tautecourt l’ont été dans le comblement de cabanes excavées.
4. Les différents types d’alênes.
À gauche : Manning 3b (alêne bipyramidale massive non emmanchée à arêtes fréquemment arrondies), 222-7, 540-1 ; au centre : Manning 4a (alêne emmanchée à soie pyramidale), 245-1c, 245-1b, 231-6, 220-4a, 251-2d, 640-1 ; à droite : variante du type 4a (alêne probablement emmanchée à soie pyramidale et excroissance centrale bien marquée), 239-2, 220-3, 271-1.
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6L’aiguille est le dernier outil participant au montage et à l’assemblage de pièces de cuir. Cependant, elle est très peu présente dans les assemblages liés au travail du cuir.
7La production de biens à base de matières végétales (fibres de lin, chanvre) ou animales (laine) constitue la seconde activité reconnue sur les sites de Prény. Les phases de travail identifiées correspondent à la préparation du fil, au tissage et à l’assemblage. La préparation du fil est avérée par la présence en nombre de fusaïoles. Si celles-ci sont presque exclusivement confectionnées en terre cuite (14 exemplaires), on trouve aussi un exemplaire façonné dans de l’os, un autre réalisé à partir d’un fossile d’oursin (Clypeasteroida) perforé [ill. 5 : en bas à droite] et un dernier en alliage plombifère. La typologie de ces objets est classique. Les formes tronconiques, bitronconiques, cylindriques, en forme de perle ou hémisphériques sont toutes représentées. Aucune n’est décorée. La fusaïole en plomb, connue depuis l’Antiquité, trouve un parallèle régional en Alsace sur le site de Sermersheim, où deux exemplaires ont été récoltés dans des contextes du xe au xiie siècle (Peytremann dir. 2018). Celle de Tautecourt pourrait appartenir à la période mérovingienne. Sur les deux sites, les fusaïoles proviennent principalement de cabanes excavées ou de trous de poteaux leur étant associés.
5. Sélection de pesons du site d’habitat mérovingien de Frichamp (en haut), ensemble des fusaïoles provenant de la nécropole mérovingienne de Bois Lasseau (au milieu) et sélection d’outils en os, dits « broches de tisserand », provenant de l’habitat mérovingien et carolingien de Tautecourt (en bas).
Pour les outils en os, de gauche à droite : 34-1, 1434-1, 218-1, 254-2, 245-9b, 222-1, 233-5.
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8Le tissage est illustré par la présence de poinçons en os et de pesons en terre cuite et en pierre, notamment sur le site de Frichamp. À Tautecourt, huit poinçons en os sur treize proviennent du comblement de cabanes excavées, les quatre autres sont issus du comblement de fosses ou de poteaux. Leurs caractéristiques sont homogènes, ils appartiennent tous au type I selon la typologie de Boves (Chandeveau 2002). Trois exemplaires présentent un décor incisé sur la partie supérieure du manche. L’objet 1707-11 est vraisemblablement une ébauche dont le polissage n’a pas été réalisé. Ce type d’outil, ordinairement associé au métier à tisser vertical, est éventuellement utilisé dans le cadre du travail du cuir, ce qui peut être le cas pour ceux provenant des cabanes excavées 222 et 245, où ils sont associés à des alênes. Également liés au métier à tisser vertical, dont ils caractérisent un type (Cheval 2009), les pesons sont également présents à Prény. S’ils restent anecdotiques à Tautecourt (deux exemplaires dont un aménagé dans un fragment de tegula), leur présence est nettement plus marquée à Frichamp avec treize exemplaires répartis dans deux structures principales (4087 et 4101) et dans cinq structures secondaires. Il s’agit exclusivement de pesons de forme lenticulaire en argile, à l’exception d’un fossile d’oursin aménagé. Certains auteurs font le lien entre la forme du peson et le type de fibre mis en œuvre. Ainsi, les pesons lenticulaires seraient plus adaptés aux étoffes légères. Les dimensions réduites ainsi que la masse des pièces de Prény vont dans le sens de cette observation.
9Le cas de l’aiguille est un peu particulier. Celles mises au jour sur les sites d’habitat sont de trois matières différentes : le fer, l’alliage cuivreux et l’os [ill. 6]. Paradoxalement, elles sont principalement associées à de l’outillage destiné soit au filage (fusaïole), soit au tissage (poinçon, peson). Certains exemplaires en alliage cuivreux présentent un décor guilloché en partie supérieure. L’aiguille en os à tête triangulaire trouve un parallèle à Courtedoux-Creugenat (Deslex dir. 2014).
6. Les différents types d’aiguille.
La petite aiguille en fer (25-5), un lot d’aiguilles en alliage cuivreux dont celle de la structure 3253 (Bois-Lasseau 3253-5, Tautecourt 243-1 et Frichamp 79-2) et la jolie aiguille en os (252-9).
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10Quelques outils peuvent participer au travail du textile sans être exclusifs. Il s’agit notamment des forces. Si les exemples de grande taille servent très vraisemblablement à la tonte des moutons, les modèles de moindres dimensions peuvent être utilisés dans le cadre de la toilette ou du travail du tissu. Ainsi, les trois forces ou fragments de forces du bâtiment excavé 1707 de Tautecourt ou celles de la cabane excavée 4101 de Frichamp pourraient appartenir à cette catégorie [ill. 7]. Les dimensions réduites et la finesse des lames sont adaptées à la coupe des fils au moment tant du tissage que de la couture. Enfin, d’autres outils représentés sur d’autres établissements ruraux contemporains sont absents de ce corpus : le lissoir en verre, destiné à assouplir les toiles, ainsi que les peignes à peigner et carder la laine.
7. Paires de forces de différentes tailles découvertes dans l’habitat et dans la nécropole.
À gauche : lot de trois petites forces provenant du bâtiment excavé mérovingien 1707 ; à droite : petite paire de forces découverte dans une tombe d’enfant richement dotée, déposée dans un étui en cuir décoré de lignes horizontales incisées ; au centre : autre exemplaire de forces de grande taille provenant de la nécropole.
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11Dans les études sur les établissements du haut Moyen Âge, les cabanes excavées sont le plus fréquemment désignées comme les ateliers où se pratiquent ces activités, d’une part en raison de leurs caractéristiques architecturales et d’autre part car, concentrant l’essentiel du mobilier de sites où les niveaux d’occupation ont généralement disparu, elles ont livré la plupart des outils. Cette concentration des objets dans le comblement des cabanes se retrouve à Prény, où 38 structures, dont 31 cabanes excavées, ont en effet livré de un à neuf objets liés au travail du cuir et du textile à Tautecourt, tandis que dix structures, dont six cabanes excavées, ont livré de un à huit outils consacrés à ces activités à Frichamp.
12Certains assemblages d’outils amènent effectivement à envisager que ces activités aient eu lieu à l’endroit même de leur lieu de découverte, conférant à certaines cabanes une vocation d’atelier. Ces assemblages renvoient d’ailleurs parfois à une seule activité. À Tautecourt, c’est le cas de la cabane excavée 231, où les trois objets identifiés sont exclusivement destinés au travail du cuir et en illustrent trois étapes distinctes et successives [ill. 3]. Sur le même site, le poinçon en os et le fragment de peson découverts dans la cabane 34 renvoient au tissage. Les comblements de certaines cabanes excavées ont également livré plusieurs exemplaires d’un même objet, par exemple deux alênes dans les cabanes 239 ou 220, ou deux poinçons en os dans la cabane 245. D’autres cabanes ont au contraire livré des outils correspondant à plusieurs étapes ou activités différentes du travail du cuir et/ou du textile. Une structure, le bâtiment excavé 1707, a livré neuf objets, soit quatre aiguilles à coudre en alliage cuivreux, trois petites paires de forces, une fusaïole et un possible poinçon en os, évoquant le filage mais surtout la couture ou l’assemblage des pièces textiles (datation : seconde moitié vie siècle), voire le tissage. Du comblement très riche de la cabane 4101 de Frichamp proviennent quatre pesons, deux alênes, deux fusaïoles et une paire de petites forces (datation : fin vie-début viie siècles).
13Cependant, d’autres activités sont également représentées, sur le site de Tautecourt notamment, par des outils parfois retrouvés dans les mêmes structures que ceux destinés au travail du cuir ou du textile, comme la métallurgie, le travail du bois ou les activités agricoles [ill. 2]. On citera également les déchets et objets façonnés attestant du travail du bois de cerf, en particulier la fabrication de peignes et d’aiguilles (Rodet-Belarbi, Gazenbeek 2014). L’ activité de forgeage présumée sur le site durant la période mérovingienne aurait été destinée à la réparation voire à la mise en forme d’objets de petites dimensions. La présence d’un raté de fabrication d’ardillon de boucle de ceinture laisse envisager la fabrication de ceintures complètes, du fait de la présence des outils liés au travail du cuir pour ces mêmes phases (Leroy, Cabboi dir. 2019).
14Les activités liées au travail du cuir et du textile apparaissent ainsi comme des activités parmi d’autres, voire associées à d’autres, comme cela a été maintes fois observé sur de nombreux sites du haut Moyen Âge. Elles représentent néanmoins la part la plus importante des outils et objets conservés et identifiés. La période mérovingienne apparaît clairement la mieux représentée en nombre d’objets, pour un nombre de structures et notamment de cabanes excavées équivalent à celui de la période carolingienne. Cependant, le corpus des objets toutes attributions confondues y est beaucoup plus important ; on peut donc envisager que, mécaniquement, la part des objets liés au textile le soit aussi, notamment au vie siècle.
15Le filage est attesté durant toute la durée d’occupation des sites d’habitat, tout comme le tissage. Sur les deux sites, les pesons ne sont cependant présents que durant une période très courte, au viie siècle, si bien qu’on pourrait se demander si les types de métier à tisser évoluent après cette phase, les métiers verticaux étant remplacés par des métiers à barre, ou s’il s’agit d’un problème de conservation des objets. L’architecture des cabanes se transforme à peu près à la même période sur les deux sites, puisqu’à partir du viiie siècle les cabanes rectangulaires à quatre, six ou huit poteaux sont abandonnées au profit de constructions plus petites, aux angles arrondis et ne présentant plus que deux poteaux axiaux. Ce changement est-il à l’origine ou motivé par une évolution des métiers à tisser ? Aucune des cabanes des deux sites de Prény ne présente de traces de fosse d’ancrage de métiers à tisser. Le tissage reste néanmoins attesté puisque les poinçons en os sont présents jusqu’à la fin de l’occupation et deviennent même plus nombreux à la période carolingienne. En ce qui concerne la couture et l’assemblage des pièces, les aiguilles en métal sont surtout présentes à la période mérovingienne, et celles en alliage cuivreux semblent même spécifiques du vie siècle, tandis que celles en os sont présentes durant toute la période d’occupation. Il en va de même des alênes, accréditant l’existence d’une activité liée au travail du cuir qui se maintient à la période carolingienne.
16Les activités en lien avec le travail du textile ou du cuir mis en évidence dans les sites d’habitat, notamment pour la période mérovingienne, sont également bien représentées dans la nécropole, à l’exception du tissage. Vingt-cinq individus sont inhumés avec des outils liés au travail du textile ou du cuir, pour un total de 30 objets identifiés, en tous points identiques à ceux découverts sur les sites de Tautecourt et Frichamp [ill. 6].
17La majorité des fusaïoles (10 sur 13) sont associées à un défunt accompagné d’objets de parure (fibules, collier de perles), une situation observable dans la grande majorité des nécropoles mérovingiennes. On compte néanmoins deux individus accompagnés d’armes. Toutes les phases de la nécropole sont représentées, jusqu’au deuxième tiers du viie siècle avec une prédominance du vie siècle (8 tombes sur 13). Leur emplacement, quand l’objet a été retrouvé en place, indique qu’elles pendent à la ceinture ou qu’elles s’insèrent dans une châtelaine pour cinq cas. Dans trois cas, elles ont été déposées loin du corps, à proximité d’un dépôt de vaisselle en alliage cuivreux, témoignage d’une sépulture d’une certaine qualité. Pour les sépultures plus récentes, la fusaïole est déposée sur l’abdomen dans trois cas. Le nombre de fusaïoles dans la nécropole est remarquable par rapport aux exemples régionaux et correspond plus à celui des nécropoles de Klepsau et Pleidelsheim (Allemagne) (Koch 1990 ; Koch 2001), voire d’Erstein.
18Les aiguilles (7 en alliage cuivreux, 2 en fer) sont présentes quant à elles dans les équipements de tombes représentant les deux sexes (2 féminines, 5 masculines). Elles ont systématiquement été retrouvées dans les sépultures de qualité les plus élevées de la nécropole, dont un porteur d’épée, un porteur d’angon et un immature porteur d’armes, une situation identique à celle des nécropoles de la vallée du Danube (Koch 1968), qui ne se retrouvent ni dans les autres nécropoles lorraines (Legoux 2005 ; Joffroy 1974), ni dans les exemples normands (Carré, Jimenez dir. 2008), ou picards (Legoux 2011). Certaines de ces aiguilles sont contenues dans l’aumônière accompagnant le défunt. Leur dépôt ne dépasse pas le vie siècle, comme dans les habitats, et comme cela a pu être observé dans la majorité des nécropoles de la moitié nord de la Gaule (Legoux et al. 2016).
19Sur les neuf alênes identifiées, six proviennent de sépultures ayant livré des armes et deux de contextes mal documentés (pillage), la dernière accompagnant un individu adolescent porteur d’une bague, dont le sexe n’a pas été déterminé. Contrairement aux aiguilles, les alênes ne sont pas associées aux tombes les plus riches (les porteurs d’épée n’en possèdent pas), mais plutôt à des sépultures de niveau intermédiaire. Quand les observations ont été possibles, elles sont contenues dans une aumônière. La distribution chronologique indique que toutes les phases de la nécropole sont représentées, jusqu’au deuxième tiers du viie siècle, comme pour les fusaïoles. Ces alênes appartiennent au type 4b, bien représenté dans les habitats. Relativement rares en contexte funéraire (ou mal identifiées), elles sont quasi systématiquement déposées dans des sépultures masculines. Par leur nombre, les nécropoles de Bülach (Suisse) (Werner 1953), Erstein ou Prény semblent constituer des exceptions.
20L’étude des restes textiles fossilisés (80 restes), ainsi que celle du cuir (67 restes) conservé sur certains objets métalliques de la nécropole permet enfin d’évoquer les vêtements et accessoires présents dans les tombes. Certains d’entre eux ont pu être produits dans les habitats voisins. Les analyses réalisées sur les tissus conservés attestent de pièces réalisées en fibres de laine de mouton (38 %) et en fibres textiles indéterminées. Les tissus ont des trames simples (toiles) dans 37 cas, et 19 sergés et dérivés ont également pu être observés (voir l’étude de Christophe Moulherat, « Les vestiges textiles minéralisés découverts dans la nécropole de Prény, Bois Lasseau », in Frauciel dir. 2019). Les observations fines réalisées à propos de la position du textile sur le défunt ainsi que sur les objets montrent la présence de vêtements, mais aussi de couvertures et de linges, dont certains sont destinés à emballer les objets (paires de forces, pointes de flèche). Les attestations d’objets en cuir sont également nombreuses, bien que ténues. Les aumônières, sacs, étuis [ill. 7], fourreaux et garnitures de baudrier sont réalisés en cuir, tout comme les ceintures, chaussures, jambières et lanières en tout genre.
21Les établissements de Tautecourt et de Frichamp, constitués de plusieurs unités d’habitat à la période mérovingienne et d’une seule à la période carolingienne sur le site de Tautecourt (mieux appréhendé que celui de Frichamp à cette phase), ont livré des témoignages des activités liées à la production de biens en cuir et textiles, qui se répartissent de manière homogène dans la plupart des cabanes excavées, avec quelques assemblages et concentrations permettant d’identifier des ateliers potentiels. Rien ne permet cependant de localiser une zone particulière dédiée à ces activités au sein des habitats. La répartition spatiale mais aussi chronologique du petit mobilier livre plutôt l’image d’activités réalisées dans un cadre domestique, qualifiant une consommation sur place, voire artisanal, ce qui n’interdit nullement une éventuelle commercialisation des pièces. Ces habitats ont ainsi une physionomie très différente de celle des zones d’activité spécifique, comme à Sermersheim par exemple, d’une unité économique qui serait dédiée, entre autres, au tissage, ou même de ce qui a été appréhendé à Develier-Courtételle pour la période mérovingienne (plusieurs fermes et zones d’activité dont deux dédiées à la métallurgie du fer (Peytremann dir. 2018 ; Eschenlohr et al. 2007).
22La place des activités textiles, si souvent mise en évidence dans les établissements ruraux du haut Moyen Âge, se voit également confirmée pour la période mérovingienne, non seulement par la présence des outils dans la nécropole, mais aussi par le choix opéré dans les dépôts auprès de certains défunts. Parmi l’équipement associé aux défunts, il s’agit de la seule activité identifiable, les autres outils déposés étant plus ubiquistes (fiches à bélière, forces). De plus, les activités liées au travail du textile (filage et couture) sont représentées dans les tombes les plus riches de la nécropole, contenant des hommes, des femmes voire des enfants, leur conférant ainsi une place particulière. Que leur dépôt dans la tombe soit symbolique ou non, il témoigne dans tous les cas de l’importance de cette activité. Le travail du cuir, également bien représenté, est cependant moins mis en valeur, du moins d’après les objets conservés.
Abréviations
AFAM : Association française d’archéologie mérovingienne
RAE : Revue archéologique de l’Est