Site
Église Saint-Martin de Peyrelade
Saverdun
Ariège
Date
2014 et 2015
1Le prieuré Saint-Martin de Peyrelade, dépendant de l’abbaye de Lézat, a été fondé au xie siècle, sur un site déjà occupé durant l’Antiquité [ill. 1]. Au début du xiiie siècle, l’église du prieuré-cure est reconstruite. Sa fonction funéraire se développe jusqu’à la destruction de l’édifice vers 1574 par les protestants, qui occupent la ville voisine de Saverdun jusqu’en 1579 (Tranier, 2012). Parmi les tombes découvertes à l’intérieur du bâtiment [ill. 2], la sépulture 43 a particulièrement attiré l’attention. Il s’agit d’un lot d’ossements humains brûlés, déposé sur la face concave d’une tuile canal et couvert par une autre tuile [ill. 3].
1. Plan de la quatrième et dernière phase d’occupation du site (xive-xvie siècles), les tombes qui apparaissent en bleu correspondent à cette dernière.
© F. Callède, D. Paya, Inrap.
2. Localisation de la découverte dans l’église.
© D. Paya, Inrap.
3. La sépulture 43 après un premier nettoyage.
© J. Rouquet, Inrap.
2La présence d’une sépulture à crémation surprend dans ce contexte, pour deux raisons. La première est que l’incinération a disparu au cours du Bas-Empire car, comme les derniers païens, les premiers chrétiens pratiquaient l’inhumation. L’église n’a cependant interdit l’incinération qu’en 1887 (interdiction durant jusqu’en 1963). Avant cette date, seul le Capitulaire saxon, en 785, avait condamné la crémation des corps sous peine de mort ; il s’agissait alors de forcer les populations païennes conquises à adopter des pratiques considérées comme chrétiennes. La seconde raison est que, si la condamnation au bûcher a eu cours pendant les périodes médiévale et moderne, on imagine mal les restes d’un condamné inhumé dans une église.
3Une tentative de datation par le radiocarbone s’étant avérée infructueuse, il est impossible de dater le décès du sujet. La datation de cette tombe est donc établie en fonction du contexte archéologique et historique. L’aménagement du dépôt de crémation doit être contemporain de deux autres tombes, situées à proximité : la sépulture d’un homme mort d’avoir reçu trois coups taillants à la tête et une autre contenant une monnaie d’Henri III, émise à partir de 1575 (étude V. Geneviève, Inrap).
4Certaines caractéristiques de l’individu dont les os ont été incinérés sont identifiables. Il s’agit d’un sujet adulte, robuste, dont le sexe n’a pu être déterminé, et qui souffrait d’une atteinte infectieuse au niveau des côtes. La perte ante mortem des prémolaires et molaires inférieures gauches et les remodelages arthrosiques observés sur le corps d’une vertèbre cervicale semblent indiquer un âge avancé.
5Pour interpréter ce dépôt surprenant, il était important de tenter de déterminer si la crémation a été effectuée sur un corps frais, complet, décharné, ou sur des os anciens. Les os découverts, très fragmentés, sont d’une coloration variant du noir au blanc [ill. 4]. La majeure partie d’entre eux présentent des fractures rectilignes et peu de déformations, ce qui est plutôt lié à une calcination d’os secs ; la variété de coloration des os, les fractures curvilignes et les microfissurations indiqueraient, en revanche, une crémation d’os frais, possiblement entourés de chair. Cependant, la coloration des os majoritairement grise à gris-bleu caractérise une exposition à des températures basses (de 300 à 600 °C) qui s’accordent mal avec ce que l’on rencontre lors de crémations de corps. Quant au poids total d’ossements recueillis, il s’élève à 568,1 g, ce qui est très inférieur au poids moyen de l’incinération d’un corps adulte (entre 1761,1 g et 2242 g). Si la sépulture provient d’une crémation à vocation funéraire, seule une petite partie des restes osseux aurait donc été prélevée sur le bûcher funéraire. La grande fragmentation des ossements nuit à leur identification, mais on constate quand même une surreprésentation, certes modérée, de la tête et du tronc. Les os de ces zones sont plus facilement reconnaissables, ce qui rend impossible d’affirmer qu’il s’agisse là des effets d’un ramassage préférentiel.
4. Vue générale du premier décapage, avant prélèvement.
© J. Rouquet, Inrap.
6L’absence du moindre fragment de charbon dans le dépôt est une donnée remarquable, dans la mesure où la crémation d’un corps frais nécessite une quantité de bois considérable. Cette absence implique un prélèvement particulièrement précautionneux et/ou un nettoyage des vestiges prélevés sur le bûcher.
7Bien que ces données ne permettent pas une interprétation incontestable, nous pensons que ce dépôt peut être mis en relation avec des pratiques en cours lors des guerres de Religion et relatées dans les textes. Il s’agit de la destruction par les protestants des « ossa sacra », symboles d’idolâtrie, et de la récupération par les catholiques de ce qui pouvait être sauvé des reliques (Crouzet, 2009). Des corps ayant été inhumés dans l’église en partie détruite, n’a-t-on pas voulu replacer très précautionneusement dans ce bâtiment des reliques qui auraient été jetées sur un bûcher ?