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Dossier

Restes textiles et pièces vestimentaires en contexte funéraire. Les cercueils en plomb de la rue Guynemer à Nîmes (IIe-IVe s.)

Textile remains and pieces of clothing in a funerary context. Lead coffins from rue Guynemer in Nîmes (2nd-4th c.)
Restos textiles y prendas de vestir en un contexto funerario. Ataúdes de plomo de la calle Guynemer de Nîmes (s. II-IV)
Elsa Desplanques, Julie Grimaud, Marie Rochette et Benjamin Thomas
p. 40-47

Résumés

La fouille réalisée au 1 rue Guynemer à Nîmes a livré une quarantaine de tombes à inhumation datées entre le IIe et le IVe siècle, réparties sur les 330 m² étudiés. Réparties au sein de six concessions, elles sont pour la plupart constituées d’un contenant en bois, en tuiles ou en pierres installé dans une fosse. Certaines se distinguent par l’emploi de cercueils en plomb déposés dans des fosses ou dans des tombes auxquelles on accède par un puits vertical et dont les parois sont flanquées d’une à deux niches latérales. L’usage du plomb a favorisé la conservation de nombreux restes textiles. Ainsi, dans quatre cercueils en plomb parmi les huit mis au jour, environ 250 fragments textiles ont été retrouvés. Il s’agit de tissus variés qui se distinguent par les matériaux utilisés, les armures, la présence de franges, etc. Ils rendent compte de la présence de textiles dans la tombe, peut-être portés par le défunt, déposés près de lui à l’instar de chaussures en cuir ou bien utilisés dans l’aménagement de la sépulture (coussins, litières).

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Texte intégral

  • 1 1 rue Guynemer, responsable d’opération : M. Rochette.

1La fouille en 2016 d’une petite parcelle de 330 m² dans l’est de la ville de Nîmes1 a permis la découverte de 129 tombes dont les datations s’échelonnent entre la fin de l’Antiquité et le Moyen Âge, ainsi que de l’abside d’une église paléochrétienne datant de la deuxième moitié du IVe siècle (Rochette et al. 2018). Le site se situe à la périphérie de la ville, au sud d’une voie antique reliant deux portions de la voie Domitienne. Les plus anciennes tombes, au nombre d’environ 40, occupent des parcelles établies entre le IIe siècle et le milieu du IVe siècle. Elles sont constituées d’un creusement dont les parois peuvent être doublées avec des coffrages de pierres et de tuiles. Les défunts, quant à eux, sont majoritairement inhumés dans des contenants en bois, cloués et non cloués, et parfois dans des cercueils en plomb. Dans quatre de ces cercueils, des restes de tissus et de cuir ont été préservés, les propriétés biocides de ce métal ayant pu ralentir les décompositions biologiques ainsi que les destructions bactériennes qui conduisent, à terme, à la disparition des matériaux organiques.

2Les quatre tombes concernées se trouvent dans des concessions différentes. Deux tombes sont celles d’enfants, l’un très jeune (entre 1 et 4 ans) et l’autre d’une dizaine d’années. Les cercueils sont placés dans des fosses orientées ouest-est pour la première et nord-sud pour la seconde. Les deux autres tombes étaient destinées à des sujets féminins d’une trentaine d’années. L’une est faite d’un simple creusement orienté nord-sud. L’autre est une chambre orientée nord-sud à laquelle on accède par un puits et qui est pourvue d’une niche latérale fermée par des tuiles après le dépôt du cercueil (Grimaud et al. 2022) [ill. 1].

1. Trois tombes contenant des cercueils en plomb en cours de fouille.

1. Trois tombes contenant des cercueils en plomb en cours de fouille.

À droite, le creusement d’une simple fosse recevant le cercueil calé par des pierres ; les deux autres sont des tombes à niche latérale.

J. Grimaud/Inrap.

3Les restes textiles conservés sont de petits fragments. Au nombre de 250, ces petits morceaux de tissu et de cuir ne représentent certainement qu’une partie restreinte de ce que pouvait contenir la tombe à l’origine. Les plus gros fragments de tissu mesurent environ 60 × 15 millimètres et 50 × 27 millimètres. À cela s’ajoutent des restes très dégradés, souvent des fils encore mélangés à la terre infiltrée dans le cercueil. L’état de conservation de ces fragments textiles est très variable. Tous sont fragiles et pulvérulents, la plupart ont été préservés dans un état sec, calcifié ou encore partiellement organique. Parfois, les fibres ont disparu, il n’en reste alors que le pseudomorphe de celles de l’enveloppe externe, conservé par la gaine des produits de corrosion. La quasi-totalité des fragments présente un dépôt d’une couleur blanchâtre qui n’en interdit cependant pas la lisibilité. Ce dépôt peut être le fait de l’utilisation de chaux ou de gypse dont la présence est, par ailleurs, attestée dans un autre cercueil en plomb. L’usage des tissus retrouvés demeure malheureusement le plus souvent inconnu. La rareté des découvertes textiles en Narbonnaise ne permet pas l’insertion de ces fragments dans un corpus établi ; de ce fait, les comparaisons disponibles sont issues de contextes plus ou moins contemporains répartis dans toute la Gaule. Outre ces fragments de tissus, une dizaine de fragments de cuir ont été préservées dans le cercueil en plomb d’une des tombes d’enfant. Ces restes appartiennent très vraisemblablement à une chaussure déposée près du défunt. La surface du cuir est sèche et se désagrège facilement. Si les fragments sont peu nombreux et trop détériorés pour pouvoir identifier la forme de la chaussure, l’analyse montre des perforations et la présence de fils évoquant la confection de l’objet.

Présentation des caractéristiques techniques des textiles

4Les fragments de tissu étudiés sont tous d’armure toile ou des dérivés de toile, à l’exception d’un seul fragment qui pourrait présenter une configuration d’armure sergé. La toile est l’armure de tissage la plus simple. Elle peut avoir été confectionnée sur n’importe quel type de métier à tisser connu au Haut-Empire. Le fil de trame passe sur puis sous un fil de chaîne, et réciproquement. Une toile est dite « équilibrée » lorsque le nombre de fils par centimètre est égal dans le sens de la chaîne et dans celui de la trame. Ce type de toiles est majoritaire dans deux des tombes de la rue Guynemer et n’a pas été identifié dans les deux autres. D’autres toiles, de type dit « face trame » (c’est-à-dire que le nombre de fils par centimètre est supérieur dans le sens de la trame), sont présentes dans toutes les tombes au moins en un exemplaire [ill. 2]. Pour varier ces paramètres de l’armure de tissage, les fils doivent être plus ou moins tassés. Les tissus les plus tassés ont un rendu dense et serré, tandis que les moins tassés sont plus lâches et plus souples. Un seul exemple de dérivé toile, appelé « natté », est attesté. Le natté est réalisé selon le même schéma que la toile, mais les fils fonctionnent deux par deux : deux fils de trame passent sous puis sur deux fils de chaîne, et réciproquement.

2. Exemple de toile dite « face trame ».

2. Exemple de toile dite « face trame ».

Les fils de chaîne ne sont presque pas visibles.

E. Desplanques/Plemo 3D.

5La réduction des fils (soit le nombre de fils par centimètre) est comprise entre 8 et 18 pour les toiles équilibrées, entre 10 et 25 pour les toiles face trame. On distingue plusieurs catégories de réduction des fils pour chaque type de toile. Les toiles équilibrées les plus épaisses ont une réduction comprise entre 8 et 12 fils par centimètre ; elles sont présentes en un seul, deux ou trois exemplaires dans trois des tombes. Les toiles dont la réduction est comprise entre 13 et 15 fils par centimètre ne sont présentes qu’en un exemplaire dans deux tombes. Enfin, les toiles équilibrées dont la réduction est la plus élevée (18 fils/cm) ne sont présentes qu’en deux exemplaires dans une tombe.

6La réduction des toiles face trame est remarquablement régulière : en effet, à l’exception d’un seul fragment présentant une réduction de 20 fils par centimètre dans un sens et de 25 fils par centimètre dans l’autre sens, toutes les autres toiles présentent une réduction moyenne de 11 fils par centimètre dans un sens et de 25 fils par centimètre dans l’autre sens. Cet usage exclusif des toiles résulte probablement d’un choix de production ou d’une sélection parmi les pièces de tissu disponibles ; en effet, à la même époque, d’autres types de tissu, tel que le sergé, sont très répandus en Gaule (Carrié 2005, p. 17).

7Les fils utilisés sont principalement des fils simples de torsion z. Seules deux pièces de toile sont constituées de fils simples de torsion s et constituent des pièces relativement fines par rapport à ce corpus textile. Certains fragments étudiés montrent que des fils simples de torsion z ont été retordus pour former des franges [ill. 3]. La caractérisation de certains fils est difficile en raison de leur conservation ; il n’est pas exclu que des fils retors de torsion Sz aient été utilisés en trame ou en chaîne dans une des tombes (T1).

3. Fils de frange de torsion Sz.

3. Fils de frange de torsion Sz.

E. Desplanques/Plemo 3D.

8Le diamètre des fils employés est compris entre 0,3 et 1 millimètre, mais les fils de chaîne et de trame assemblés présentent des diamètres équivalents. On remarque trois catégories d’assemblages de fils, qui se distinguent par le diamètre de ces derniers : les toiles les plus fines, présentant des fils dont le diamètre est compris entre 0,3 et 0,5 millimètre ; les toiles moyennes, pour lesquelles le diamètre des fils est compris entre 0,55 et 0,8 millimètre ; les toiles plus épaisses, dont le diamètre est compris entre 0,8 et 1 millimètre. Les fils retors mesurent jusqu’à 1,2 millimètre de diamètre.

9Une des pièces de tissu (T2) présente une association de fils dont le diamètre est irrégulier [ill. 4]. Cela pourrait être dû à des irrégularités lors du filage : le diamètre du fil est alors variable, notamment aux extrémités. La réduction relativement basse (11 fils/cm) associée à des fils au diamètre irrégulier pourrait signaler un tissu relativement peu travaillé. Il est également possible que le tisserand ait combiné des fils de diamètres différents pour animer la surface de la toile.

4. Exemple de toile pour laquelle le diamètre des fils utilisés varie entre 0,45 et 0,9 millimètre.

4. Exemple de toile pour laquelle le diamètre des fils utilisés varie entre 0,45 et 0,9 millimètre.

E. Desplanques/Plemo 3D.

10Les toiles moyennes sont présentes en un ou deux exemplaires dans chaque tombe, à l’exception de la tombe d’un des sujets immatures (T3), qui a par ailleurs livré le seul exemple de toile épaisse.

Les restes de chaussure

11Une chaussure en cuir a été retrouvée dans une des tombes d’enfant, non portée mais déposée près du pied droit du jeune défunt. Des traces de perforation de forme ronde sont visibles sur certains fragments [ill. 5]. Les diamètres de ces trous sont compris entre 0,7 et 1,5 millimètre. Par ailleurs, la surface de l’un des fragments présente la trace d’une trame textile très dégradée. Il est impossible de déterminer les caractéristiques techniques du tissu : seul le diamètre des fils peut être mesuré, il est compris entre 0,38 et 0,7 millimètre. Parmi les dépôts variés, des restes de bois ont été identifiés. Ce bois peut provenir de la chaussure elle-même ou d’un objet qui aurait été en contact avec elle.

5. Fragment de cuir conservant trois éléments en relief et en creux qui suggèrent des traces des perforations nécessaires à la confection de la chaussure.

5. Fragment de cuir conservant trois éléments en relief et en creux qui suggèrent des traces des perforations nécessaires à la confection de la chaussure.

E. Desplanques/Plemo 3D.

12Les chaussures étaient un signe de reconnaissance sociale, il en existait une grande variété de modèles qu’il reste difficile de classer. La qualité des cuirs, les teintes et les finitions étaient choisies en fonction du rang occupé par leur propriétaire. Le dépôt de chaussure dans les tombes est bien attesté aux IIIe et IVe siècles, notamment à Jaunay-Clan et à Naintré (Vienne) (Segard et al. 2019), ainsi qu’aux Martres-de-Veyre (Puy-de-Dôme) (Roche-Bernard, Ferdière 1993, p. 14). Toutefois, même les chaussures bien conservées sont difficiles à identifier et à mettre en lien avec les rares descriptions textuelles, toujours trop allusives (Leguilloux 2004).

Les matériaux utilisés : lin, laine, cuir

13Les matériaux utilisés sont la laine et des fibres libériennes. Ces dernières sont identifiables grâce à leur morphologie polygonale et facettée ainsi qu’aux plis de flexion (appelés « genoux »). Leur diamètre est aussi un critère de différenciation important : dans le cas des fils étudiés, le diamètre des fibres (10-12 µm en moyenne) laisse supposer qu’il puisse s’agir plus précisément de fibres de lin.

14La production de lin en Gaule romaine est attestée par les sources littéraires (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XIX, 8). Les sources épigraphiques indiquent que, dans le Sud de la France actuelle, le lin était cultivé chez les Ruthènes (Rodez) et les Cadurques (région de Cahors). Plusieurs inscriptions du Haut-Empire indiquent la présence de linarii (ouvriers travaillant le lin) et de lintarii (ouvriers tissant le lin) à Nîmes, Narbonne et Lyon. Le lin est moissonné à différents stades de sa croissance (à partir de trois mois et demi à quatre mois après les semailles) suivant l’usage que l’on souhaite en faire : les tiges vertes donnent des fibres assez molles, adaptées à l’obtention de fils fins, tandis que les tiges jaunes, plus solides, permettent de confectionner des vêtements plus épais. Le processus opératoire d’acquisition des fibres de lin est attesté par les sources antiques, notamment par Pline, qui décrit précisément chaque étape : labour et semis, égrenage, rouissage, broyage, teillage et peignage (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XIX, 17). Ce témoignage suggère qu’aucun changement majeur n’est intervenu dans les différentes phases du processus d’extraction entre l’Antiquité et le XIXe siècle. Les tissus de lin sont appréciés pour leur solidité, leur toucher, leur pouvoir d’absorption de l’humidité et l’importance de leur pouvoir isolant.

15Les fibres de laine sont reconnaissables par la présence d’écailles à la surface des fibres, qui permettent également la détermination de l’animal utilisé. La conservation remarquable des écailles dans une des tombes étudiées laisse penser qu’il s’agit de laine de mouton. Au cours de la Protohistoire puis durant l’Antiquité, la laine est rendue la plus uniforme possible afin de bénéficier d’une matière première textile facile à utiliser, solide, élastique, imperméable et efficace contre le froid. Les travaux tels que la tonte et les premières étapes de nettoyage sont réalisés dans les domaines d’élevage. Les inscriptions de la Narbonnaise témoignent de la présence d’ouvriers spécialisés (les lanarii ou ouvriers en laine) pour des étapes précises de transformation de la matière première, voire le tissage (Bonsangue 2002 ; 2010 ; Vicari 2001).

16Il est impossible d’affirmer une préférence pour l’un des deux matériaux, bien que la quantité de tissus constitués de fibres libériennes soit plus importante (sur 20 tissus, 12 sont en fibres libériennes, 5 en fibres de laine et 3 en fibres de nature indéterminée). Si l’on considère la répartition des types de fibre par tombe, les proportions sont très variées : en effet, les fibres libériennes sont les seules utilisées dans une des tombes ; une seule pièce de laine contre sept pièces de fibres libériennes (et deux pièces dont la nature des fibres utilisées n’a pas pu être déterminée) a été répertoriée dans une autre ; une pièce constituée de fibres libériennes et deux pièces constituées de laine ont été découvertes dans la troisième ; enfin, seules des pièces constituées de laine ont été repérées dans la quatrième tombe (mais le matériau de l’un des tissus n’a pas pu être identifié).

  • 2 Cf. l’article de Benoit Dercy, p. 18.

17Les Gaulois étaient très réputés dans l’Empire romain pour leur habileté à travailler les peaux. Les activités et processus de fabrication des tanneurs sont cependant très mal connus, en raison de la rareté des sources iconographiques et littéraires2. Le métier de tanneur est beaucoup moins représenté (peinture, statuette, bas-relief) que celui du tisserand, du foulon ou des cordonniers.

18Les matières premières utilisées dans la confection du cuir étaient variées : toutes les espèces dont la peau comporte un derme pouvaient être utilisées. Les animaux domestiques qui fournissaient la matière première principale pour la préparation des cuirs étaient les bovins et les petits ruminants (moutons, chèvres). Il est donc probable que le cuir utilisé pour la chaussure découverte soit du cuir de telles espèces. Le cuir de bovin était utilisé notamment pour les lanières et les semelles de sandales, les chaussures de marche ou les semelles de chaussures cloutées nécessitant des épaisseurs importantes (jusqu’à 3 ou 4 cm). Le cuir des jeunes bovins, solide mais souple, ou celui des bovins adultes, plus robuste, était particulièrement utilisé à cet effet. Le cuir des petits ruminants (chèvre, mouton) est composé d’environ 50 % de fleur et 50 % de chair : ses propriétés permettaient la réalisation d’objets nécessitant des épaisseurs comprises entre 1 et 2 millimètres, comme les vêtements, les empeignes de chaussures fermées, les outres et les gourdes.

Éléments de confection des produits finis identifiés

19Des éléments de confection de produits finis ont été remarqués. Ce sont d’une part des franges obtenues en conservant une certaine longueur de chaîne à la fin du tissage. Elles ornent très fréquemment des tuniques, des ceintures, des voiles ou des linges utilisés pour l’ameublement. Il s’agit d’autre part d’une possible boutonnière. En effet, un fragment présent dans la tombe de l’un des enfants pourrait présenter un aménagement de fixation (pour un bouton ou une autre attache) : il s’agit d’un trou en forme d’amande (17 × 8 mm) et aux contours réguliers. On distingue un bourrelet probablement aménagé tout autour du trou, mais l’état de conservation du fragment ne permet pas l’identification certaine d’une structure. La présence de ce type d’aménagement suggère l’usage du tissu comme vêtement.

20L’état calcifié des fragments n’a pas permis l’identification de décorations ou de teintures.

Quantité et usages des textiles dans les tombes

21Le nombre de pièces de tissu différentes recensées dans chacune des tombes est compris entre deux et neuf. S’il faut rester prudent concernant le nombre de tissus identifiés (leur dégradation a modifié l’aspect et les données qualitatives de certains fragments), il est toutefois certain que plusieurs types de toiles, d’épaisseurs différentes, étaient disposées dans les tombes. L’analyse technique ne peut suffire à l’identification de la forme originale du tissu, d’autant que les comparaisons structurelles et les techniques disponibles pour ce contexte chronoculturel ne constituent pas une typologie fiable relative aux tissus.

  • 3 Leur étude biochimique est en cours.

22La documentation témoigne de l’importance des textiles au sein des rituels funéraires, notamment dans les cas d’exposition des corps avant les funérailles proprement dites. L’exposition pouvait durer jusqu’à sept jours : pour cela, les corps devaient être préparés (Toynbee 1996, p. 44-45). À cette occasion, des produits tels que l’encens, l’ambre pilée ou les graisses animales et végétales pouvaient être mis en relation avec le corps. Les dépôts présents sur certains fragments des tombes de Nîmes pourraient correspondre aux résidus de ces matériaux3.

  • 4 Il s’agit d’un relief découvert à quelques kilomètres au sud de Rome, via Labicana, appartenant au (...)
  • 5 Un relief en marbre a été découvert à Amiternum : il présente une couche funéraire composée de deux (...)
  • 6 Cf. l’article de Catherine Breniquet et al., p. 28.

23Il est impossible de distinguer la forme originale et l’usage des tissus, mais on peut supposer la présence de vêtements. En effet, les sources littéraires, iconographiques et archéologiques indiquent qu’il était d’usage d’habiller le corps pour son exposition et son transport jusqu’au lieu de l’inhumation. Deux représentations sculptées dans le marbre, une exposition4 et une procession5, montrent la place accordée aux matériaux textiles (Cumont 1942, pl. 19). La découverte exceptionnelle datée du IIe siècle aux Martres-de-Veyres (Puy de Dôme)6 a révélé un vêtement de laine portée par la défunte de la tombe D (une tunique), une écharpe, des chaussettes et des chaussures appartenant à une femme d’une vingtaine d’années (Breniquet et al. 2017). Par ailleurs, le gypse ou la chaux parfois versés sur les corps dans les sarcophages en plomb antiques conservent les traces des tissus qui habillaient ou couvraient les défunts.

  • 7 Communication personnelle de Christophe Moulherat, docteur en archéologie textile et chargé d’analy (...)

24L’iconographie témoigne aussi de l’usage des textiles comme éléments de literie ou pour meubler la tombe. À Anché, dans l’un des deux cercueils datés du Bas-Empire, le défunt était déposé sur un matelas d’étoffe, et sa tête reposait elle aussi sur un tissu7. Un matelas en tissu est également attesté dans le cercueil en plomb de la femme de Naintré (Bédat et al. 2005).

25À Nîmes, dans un des cercueils, la tête du défunt est posée sur un coussin dont la forme et la disposition ont été relevées au cours de la fouille [ill. 6]. L’analyse des anomalies taphonomiques tend à prouver, en outre, l’installation des corps sur des aménagements souples. En effet, les squelettes présentent de nombreuses dislocations et des déplacements de grande amplitude, sans toutefois opérer de rupture nette ou de cisaillement au niveau des segments anatomiques. Ces aménagements souples devaient être assez épais et constitués de matériaux suffisamment résistants pour s’être décomposés postérieurement au corps. Il est possible que la proximité du plomb ait favorisé la conservation d’un matelas textile par rapport à celle du corps. Il pourrait également s’agir de tissus employés pour un usage spécifiquement funéraire : éponger les fluides corporels, caler le défunt ou l’envelopper dans un linceul, par exemple.

6. Reste de coussin en tissu présent dans la tombe d’un enfant.

6. Reste de coussin en tissu présent dans la tombe d’un enfant.

J. Grimaud/Inrap.

26Les aménagements funéraires les mieux conservées attestent souvent des usages multiples des textiles dans les tombes. À Jaunay-Clan, les deux corps inhumés avaient été emballés ou vêtus de tissus de lin imprégnés d’onguents. D’autres tissus visiblement superposés et provenant de tuniques et de pièces dont la fonction n’a pas été identifiée ont également été observés (Segard et al. 2019). À Nîmes, certains fragments montrent l’existence de superpositions, parfois sur au moins six épaisseurs : celles-ci peuvent être le résultat des mouvements naturels de pliage du tissu déposé sur le défunt ou autour de lui. Le tissu a également pu être déposé plié sur plusieurs épaisseurs. Certains fragments montrent des superpositions de deux ou trois tissus : le nombre de tissus (9) identifiés dans une des tombes témoigne du grand soin dédié à l’installation du corps. Dans cette sépulture, la superposition d’une toile relativement fine et d’une toile plus épaisse pourrait suggérer la disposition d’un linceul assez fin couvrant un vêtement ou d’un vêtement plus fin couvert par un vêtement plus épais.

Conclusion

27La régularité des caractéristiques techniques de cet ensemble textile invite à s’interroger sur les modes de production et de diffusion des tissus. Tandis que la production textile est documentée par des reliefs et des inscriptions dans le Nord de la Gaule et dans la région de Lyon (Deniaux 1995 ; Caruel 2016)8, les productions de la Narbonnaise sont mal connues. La production textile d’époque préindustrielle est un secteur manufacturier très complexe dont la connaissance nécessite d’être approfondie.

28Les pièces de tissu contemporaines disponibles précédemment citées, dont la qualité est souvent exceptionnelle, présentent des caractéristiques techniques bien différentes de celles des fragments nîmois. À Nîmes, la régularité des types d’armure utilisés et de la mesure des réductions et des diamètres indiquent des qualités de tissu assez moyennes pour la période gallo-romaine. Ces éléments techniques pourraient indiquer des productions organisées de toiles dont les caractéristiques techniques variaient au sein d’une gamme de qualité relativement restreinte.

29De manière générale, la découverte de vêtements dans les tombes concerne les traditions funéraires plutôt que le costume et l’habillement (Rast-Eicher 2009). Les exemples de la rue Guynemer à Nîmes soulignent la diversité des gestes et des dépôts. À partir des restes mis au jour par la fouille, il apparaît souvent délicat de vouloir préciser l’usage du textile (vêtement, drap, matelas, etc.) ; il est tout aussi ardu d’identifier des traditions de production ou de diffusion. La multiplication des études de cas permettra de caractériser plus précisément les choix techniques et les gestes précédant le dépôt des tissus dans les tombes, ainsi que d’établir des données plus précises concernant l’artisanat textile et son importance dans les échanges.

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Bibliographie

Source antique

Pline l’Ancien, Histoire naturelle, trad. É. Littré, Paris, Les Belles Lettres (coll. Classiques favoris), 2016 [1re éd. Paris, Dubochet, 1848-1850], 2 vol., 2 150 p.

Littérature scientifique

Bédat I., Desrosiers S., Moulherat C., Relier C. 2005, Two Gallo-Roman graves recently found in Naintré (Vienne, France), in Pritchard F., Wild J. P (dir.), Northern archaeological textiles, Proceedings of NESAT VII, textile symposium in Edinburgh, 5th-7th May 1999, Oxford (Royaume-Uni), Oxbow Books, p. 5-11.

Bonsangue M. L. 2002, Aspects économiques et sociaux du monde du travail à Narbonne, d’après la documentation épigraphique (Ier s. av. J.-C. - Ier s. ap. J.-C.), Cahiers du Centre Gustave Glotz, 13-1, p. 201-232.

Bonsangue M. L. 2010, L’apport de la documentation épigraphique à la connaissance de l’artisanat à Narbonne (fin Ier s. av. J.-C. - Ier s. ap. J.-C.), in Chardron-Picault P. (dir.), Aspects de l’artisanat en milieu urbain : Gaule et Occident romain, Actes du colloque international d’Autun, 20-22 septembre 2007, Dijon, Société archéologique de l’Est (coll. Suppléments à la Revue archéologique de l’Est, 28), p. 183-194.

Breniquet C., Bèche-Wittmann M., Bouilloc C., Gaumat C. 2017, Une collection exceptionnelle : les textiles gallo-romains des Martres-de-Veyre (Puy-de-Dôme) conservés au musée Bargoin de Clermont-Ferrand, Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines, 6, p. 197-207.

Carrié J.-M. 2005, Vitalité de l’industrie textile à la fin de l’Antiquité : considérations économiques et technologiques, Antiquité tardive, 12, p. 13-43.

Caruel M.-S. 2016, L’attitude des artisans gallo-romains à l’égard du travail manuel. Étude de l’iconographie lapidaire funéraire, Kentron. Revue pluridisciplinaire du monde antique, 32, p. 113-134.

Cumont F. 1942, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, Paris, P. Geuthner (coll. Bibliothèque archéologique et historique, 35), 543 p.

Deniaux E. 1995, L’artisanat du textile en Gaule : remarques sur quelques inscriptions, Cahiers du Centre Gustave Glotz, 6, p. 195-206.

Grimaud J., Rochette M., Thomas B. 2022, Les tombes à niche latérale contenant des cercueils en plomb du 1 rue Guynemer à Nîmes (Gard), in Blanchard P., Chimier J.-P., Gaultier M., Verjux C. (dir.), Rencontre autour des typo-chronologies des tombes à inhumation, Actes de la 11e rencontre du Gaaf, 3-5 juin 2019, Tours, Tours, FERACF (coll. Suppl. à la Revue archéologique du Centre de la France/Publications du Gaaf, 82/11), p. 213-218.

Leguilloux M. 2004, Le Cuir et la Pelleterie à l’époque romaine, Paris, Errance (coll. Hespérides), 185 p.

Rast-Eicher A. 2009, La fouille de textiles et de cuir, in Bizot B., Signoli M. (dir.), Rencontre autour des sépultures habillées, Actes des journées d’étude organisées par le Groupement d’anthropologie et d’archéologie funéraire et le service régional de l’archéologie de Provence - Alpes - Côte d’Azur, Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône), 13-14 décembre 2008, Gap, Éd. des Hautes-Alpes, p. 97-102.

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Notes

1 1 rue Guynemer, responsable d’opération : M. Rochette.

2 Cf. l’article de Benoit Dercy, p. 18.

3 Leur étude biochimique est en cours.

4 Il s’agit d’un relief découvert à quelques kilomètres au sud de Rome, via Labicana, appartenant au tombeau de la famille Haterii et daté du IIe siècle. La défunte (à en juger par ses vêtements) est allongée sur le dos dans un atrium, sur deux matelas superposés sur un lit sculpté. Elle est drapée du coup jusqu’aux pieds, et une grande partie du socle de la couche est dissimulée par un rideau.

5 Un relief en marbre a été découvert à Amiternum : il présente une couche funéraire composée de deux matelas superposés et d’oreillers, sur lesquels l’homme est allongé. Il est couronné et vêtu d’une tunique et d’une toge.

6 Cf. l’article de Catherine Breniquet et al., p. 28.

7 Communication personnelle de Christophe Moulherat, docteur en archéologie textile et chargé d’analyses au musée du quai Branly - Jacques Chirac.

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Table des illustrations

Titre 1. Trois tombes contenant des cercueils en plomb en cours de fouille.
Légende À droite, le creusement d’une simple fosse recevant le cercueil calé par des pierres ; les deux autres sont des tombes à niche latérale.
Crédits J. Grimaud/Inrap.
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Titre 2. Exemple de toile dite « face trame ».
Légende Les fils de chaîne ne sont presque pas visibles.
Crédits E. Desplanques/Plemo 3D.
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Titre 3. Fils de frange de torsion Sz.
Crédits E. Desplanques/Plemo 3D.
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Fichier image/jpeg, 424k
Titre 4. Exemple de toile pour laquelle le diamètre des fils utilisés varie entre 0,45 et 0,9 millimètre.
Crédits E. Desplanques/Plemo 3D.
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Fichier image/jpeg, 396k
Titre 5. Fragment de cuir conservant trois éléments en relief et en creux qui suggèrent des traces des perforations nécessaires à la confection de la chaussure.
Crédits E. Desplanques/Plemo 3D.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/15866/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 540k
Titre 6. Reste de coussin en tissu présent dans la tombe d’un enfant.
Crédits J. Grimaud/Inrap.
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Fichier image/jpeg, 946k
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Pour citer cet article

Référence papier

Elsa Desplanques, Julie Grimaud, Marie Rochette et Benjamin Thomas, « Restes textiles et pièces vestimentaires en contexte funéraire. Les cercueils en plomb de la rue Guynemer à Nîmes (IIe-IVe s.) »Archéopages, 49 | 2023, 40-47.

Référence électronique

Elsa Desplanques, Julie Grimaud, Marie Rochette et Benjamin Thomas, « Restes textiles et pièces vestimentaires en contexte funéraire. Les cercueils en plomb de la rue Guynemer à Nîmes (IIe-IVe s.) »Archéopages [En ligne], 49 | 2023, mis en ligne le 09 janvier 2024, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/15866 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.15866

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Auteurs

Elsa Desplanques

Sorbonne Université

Julie Grimaud

Inrap

Marie Rochette

Inrap, UMR 5140 « ASM »

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Droits d’auteur

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