1La tannerie de l’îlot 5 de la regio I de Pompéi, dans le quartier de la porte de Stabies mis au jour en 1873-1874, a fait l’objet de campagnes de sondages, de fouilles et d’analyses archéozoologiques entre 2001 et 2010, sous la direction de Jean-Pierre Brun et de Martine Leguilloux (Brun et al. 2010 ; Botte et al. 2011).
2La transformation de maisons bâties entre le iiie et le ier siècle avant notre ère en installations liées à des activités de tannerie remonte au plus tôt au premier quart du ier siècle de notre ère. L’étude ostéologique a montré qu’on y traite des peaux de moutons, de chèvres et de bœufs. Une première phase d’installation datant de la première moitié du ier siècle de notre ère montre la coexistence de deux zones de tannage indépendantes, dans deux domus non reliées entre elles [ill. 1 : a]. Dans la domus C, située au nord de l’îlot, trois cuves cylindriques maçonnées (diamètre : 1,30 m) destinées au tannage sont installées dans une pièce réaménagée au sud-est de l’atrium. Quelques années avant le tremblement de terre de 62-63, quatre nouvelles cuves cylindriques (diamètre : 1,50 m) prennent place dans la partie nord-est de la pièce consacrée au tannage [ill. 1 : b]. Elles sont associées à une fosse rectangulaire servant à recueillir le tan usagé, recyclable comme combustible sous forme de briques une fois séché, et à deux amphores Dressel 20 décolletées et scellées, qui ont pu servir pour le traitement à l’alun de peaux de petits ruminants, hypothèse confortée par la présence de fragments d’amphore de Lipari dans l’îlot (Botte 2005). La présence d’un atelier de broyage d’écorces est attestée par l’empreinte d’un mortier en basalte sous le pavement de mortier de tuileau. Une noria est construite au- dessus d’un puits de plan rectangulaire préexistant, à l’angle nord-ouest du portique de la cour de la domus A-B, (réunion de deux lots entre le iie et le ier s. av. n. è.) désormais reliée à la domus C par une porte et un escalier. Elle permet d’alimenter en eau deux dolia dans le portique de la cour où ont lieu le lavage et la trempe des peaux.
1. Évolution des installations de la tannerie I 5 de Pompéi, du premier quart du Ier s. de n. è. à 79 de n. è. (plans schématiques).
B. Dercy, d’après Brun, Leguilloux à paraître.
3Au sud de l’îlot, la domus E comporte dans sa partie nord-est quatre cuves cylindriques enduites de mortier de tuileau (hors plan ; diamètre : 1,30 m) (Brun J.-P., Leguilloux M. dir., à paraître). Leurs parois, dont l’analyse en laboratoire a montré qu’elles contenaient de l’écorce de chêne, sont dotées de logements permettant aux ouvriers d’y descendre pour superposer les peaux ou évacuer le tan usagé (Brun 2019, p. 276). L’extension maximale de la zone artisanale est toutefois mal connue en raison de l’installation d’une carrière de moellons de basalte après le tremblement de terre. Un sondage ouvert en 2011 montre que la tannerie s’étendait jusqu’au mur est (Botte et al. 2011, § 5). Après l’important séisme de 62-63, un vaste complexe est créé dans les anciennes domus A-B et C [ill. 1 : c]. Il s’organise rationnellement en trois zones distinctes, correspondant aux étapes de la chaîne opératoire complète de transformation des peaux en cuir : « travail de rivière », tannage, corroyage. Le « travail de rivière » s’effectue dans la cour, dans quatre des cinq compartiments que forme le portique. Trois dolia placés à l’extrémité des murs des compartiments servent de réservoirs à eau. Ce dispositif devait être complété par des chevalets de bois sur lesquels les peaux étaient raclées. Des vestiges d’outils en os et en métal issus des fouilles anciennes et récentes renvoient aux opérations d’écharnage et d’épilage des peaux fraîches. Des tuiles plates scellées dans le sol semblent correspondre aux zones de travail des ouvriers.
4Les opérations de tannage végétal ont lieu dans l’ancienne domus C, équipée désormais de huit cuves supplémentaires, plus grandes (diamètre : 1,70 m), montant l’ensemble à 15 cuves d’un volume moyen de 2,8 m³, soit une capacité totale de traitement de 42 m³, ce qui correspond à celle de tanneries de l’Époque moderne. Chacun des deux ensembles de quatre cuves est associé au même dispositif de fosse et d’amphores que lors de la phase précédente. Le mortier est déplacé dans une pièce de l’angle nord-ouest et scellé dans une banquette de maçonnerie. Une fois le tannage effectué, les peaux sont corroyées dans le compartiment central situé sous le portique. Les dolia peuvent servir à rincer les peaux tannées, qui sont ensuite battues, graissées et étirées sur un banc de pierre encore en place.
5Le triclinium aestivum, construit face au portique peut-être avant 62, est agrandi et embelli. Le propriétaire — vraisemblablement l’entrepreneur, issu de la plèbe moyenne, à l’origine des travaux — affichait sa réussite aux yeux de ses invités au sein même de l’atelier de production (Brun 2019, p. 278-279).