- 1 Responsable d’opération : É. Mare, Inrap.
1Une fouille réalisée en 2019 au lieu-dit la Conillère à Aron (Mayenne) a permis d’étudier une petite exploitation agricole de La Tène C21. Trois bâtiments et une douzaine de greniers (diachroniques) ont été reconnus au sein de ce que l’on appelle habituellement un « espace ouvert », mais qui en réalité devait être divisé et protégé par d’épaisses haies [ill. 1]. Trois creusements alignés, désaxés par rapport à la construction, ont été observés au sein de l’un de ces bâtiments dont il ne subsiste que les trous de poteau de la façade. Il s’agit d’une fosse centrale contenant un lot de pesons en terre cuite, encadrée de deux trous de poteau équidistants, considérés comme les vestiges d’un métier à tisser [ill. 2]. Le but de ce court article, plutôt que d’enrichir le corpus des types de métier à tisser — car d’autres découvertes devront confirmer cette proposition —, est d’attirer l’attention sur l’une des possibilités d’interprétation de ces fosses à pesons.
1. Plan du site de La Tène C2 de la Conillère à Aron (Mayenne).
P. Leblanc, É. Mare/Inrap.
2. Le bâtiment B.3 et l’atelier de tissage.
a et b : vue et plan de l’entrée du bâtiment B.3, de la fosse à pesons et des trous de poteau latéraux ; c : coupe de la fosse à pesons et des trous de poteau latéraux.
É. Mare/Inrap.
2Des fosses ayant livré des pesons en quantité significative dans le Nord-Ouest de la France ont été étudiées par Yann Lorin (Lorin et al. 2019). Certaines sont tout à fait similaires à celle d’Aron, mais il s’agit de dépôts dans des trous de poteau de construction, et l’auteur s’interroge quant à l’intention du dépositaire.
3Bien que le principe d’un métier à tisser avec une fosse réceptacle pour les pesons soit illustrée (ou du moins le semble-t-il) à la période hallstattienne sur la situle de Sopron en Hongrie (Gallus 1934), les exemples archéologiques semblent rares. On connaît des métiers à tisser avec une fosse réceptacle formant une tranchée entre les deux poteaux pour la fin de l’âge du Bronze (Prunn 1, Allemagne ; Engelhardt, Weickmann 1990) ou pour l’âge du Fer (Wallwitz, Allemagne ; Stahlhofen 1978), mais nous n’avons trouvé aucun exemple de fosse réceptacle circulaire. Toutefois, la forme d’une fosse réceptacle n’ayant d’autre intérêt que de se conformer à la largeur du tissu souhaitée, une fosse circulaire peut tout à fait convenir pour un tissu peu large et a l’avantage de garder une contention satisfaisante pour les montants du cadre.
4D’un diamètre de 82 centimètres et d’une profondeur conservée de 26 centimètres, la fosse centrale présente les traces d’un curage ayant réduit son diamètre à 54 centimètres et vraisemblablement augmenté sa profondeur par rapport à l’état initial. Le comblement contenait un lot constitué d’une quinzaine de pesons dont la disposition atteste d’un dépôt primaire en amas. Ce groupement compact ne semble pas correspondre à un rejet mais plutôt à un dépôt organisé ou, plus vraisemblablement, à des pesons s’étant détachés d’un métier.
5Le lot des pesons se divise en deux groupes [ill. 3]. Le premier comprend neuf pesons tronc-pyramidaux archéologiquement complets. Leur poids restitué varie de 510 à 642 grammes, sauf pour un exemplaire qui atteint 900 grammes. Le poids des fragments résiduels suggère la présence d’un peson supplémentaire. Le second comprend 23 fragments de pesons piriformes à pâte très peu cuite, parmi lesquels seuls deux pesons ont pu être remontés. Leur poids est de 878 grammes (estimation à ± 1 kg) et de 1 118 g (estimation à 1,2 kg). Il est possible d’estimer à quatre ou cinq le nombre de pesons représentés par le reste des fragments.
3. Disposition des pesons dans la fosse 1054.
É. Mare/Inrap.
6Les deux trous de poteau qui encadrent la fosse 1054 ont un écart entraxial de 1,51 m. Le trou de poteau nord présente un diamètre de 34 centimètres et une profondeur conservée de 26 centimètres. Le trou de poteau sud, d’un diamètre de 45 centimètres, est nettement moins excavé et ne mesure que 4 centimètres de profondeur. Cette différence de profondeur n’est pas véritablement significative, elle peut tout à fait résulter de l’adaptation des trous à la longueur des montants, l’opérateur ayant pu considérer plus facile d’approfondir un trou que d’harmoniser la longueur du montant.
7La fosse destinée à recevoir les pesons mesurant 80 centimètres de diamètre, la largeur du tissu ne peut en excéder la dimension. Même si les fils sont regroupés et l’attache du peson en retrait par rapport à l’aplomb de la lisière, la largeur du peson à sa base la compense. On peut donc considérer que le diamètre de la fosse correspond sensiblement à la largeur du tissu réalisé, moins l’écart nécessaire pour que les pesons au niveau des lisières ne butent pas contre la paroi de la fosse. Le diamètre de la fosse n’ayant vraisemblablement pas été plus important au niveau du sol d’occupation du site, au risque de déstabiliser les montants dont les trous de poteau sont proches, on peut estimer que la largeur du tissu produit atteignait au maximum 75 centimètres [ill. 4]. Si l’on considère des poteaux d’environ 15 centimètres de diamètre (un diamètre de moins de 12 centimètres entraînerait probablement une légère flexibilité du cadre lors des manipulations), l’écart entre les poteaux serait d’environ 1,35 m. Avec un tissu de 75 centimètres de largeur, l’écart entre celui-ci et les montants serait de (135 − 75) ∕ 2 soit 30 centimètres, un espace suffisant pour travailler avec aisance au niveau des lisières.
4. Estimation de la largeur maximale du tissu réalisé.
NGF : nivellement général de la France.
É. Mare/Inrap.
8L’option d’une aire de rejet étant écartée, les pesons mis au jour dans la fosse attestent la présence d’un métier vertical à poids. Les données de la fouille portent par ailleurs à s’interroger sur la stricte verticalité du dispositif ou son inclinaison. Le rapport entre la largeur des trous de poteau et leur profondeur permet en effet une inclinaison comprise entre 8,5° et 11°. L’hypothèse d’une barre de lisses en appui contre le cadre lorsque la moitié des fils de chaîne passent à l’arrière du métier montre que les pesons qui les lestent se trouveraient hors de la fosse à ce moment précis de la manipulation [ill. 5]. Il semble donc bien s’agir d’un métier strictement vertical, ce que suggérait déjà la profondeur des trous de poteau [ill. 6].
5. Restitution de la variable d’inclinaison et de la disposition des pesons dans la fosse.
a. Variable d’inclinaison suivant le diamètre des montants (12 et 16 cm) ; b. Disposition des pesons dans la fosse 1054 pour un cadre à 8,5° projeté de profil et dans l’axe des trous de poteau.
É. Mare/Inrap.
6. Proposition de restitution du métier à tisser.
B. Clarys.
9Si la présence d’un atelier de tissage est envisagée dans un grand nombre de sites, elle est beaucoup plus rarement attestée. En outre, dans la très grande majorité des cas, il s’agit d’installations dans un espace excavé. Les aménagements réalisés dans un espace non excavé sont donc extrêmement rares. Dans le cas d’un métier à poteaux plantés au niveau du sol d’occupation comme cela semble être le cas à Aron, cela peut être expliqué par la difficulté d’interprétation des indices lorsque le site est arasé, ce qui est le cas pour une large majorité d’entre eux. Par exemple, en l’absence de pesons en amas et si le site avait été arasé ou décapé de 5 centimètres de plus, le trou de poteau sud aurait disparu et nous aurions simplement considéré être en présence de deux trous de poteau de tailles différentes, sans pouvoir en proposer d’interprétation. Même avec la présence des pesons, nous n’aurions, faute d’un deuxième montant, sans doute pas interprété cette structure de cette manière.