- 1 Chargé par la direction des Beaux-Arts de la restauration du Mont-Saint-Michel, Édouard Corroyer (1 (...)
1Attestée à la fois par les sources écrites et par les données archéologiques et architecturales, l’occupation du rocher sur plus d’un millénaire, notamment depuis l’implantation des premiers moines ermites dès le haut Moyen Âge, a aussi et tout autant forgé l’identité patrimoniale du site. Son caractère monumental est affirmé dans la silhouette dominante de l’abbaye médiévale et le développement du village, accroché sur les flancs du relief les plus abrités de l’étendue maritime. La durée de cette occupation et les fortes contraintes du milieu naturel, qui n’offre que des surfaces utiles relativement réduites et non extensibles, tout comme l’enchevêtrement et les adaptions successives des constructions au fil des siècles, supposent l’existence d’un potentiel de données archéologiques préservées à l’échelle du site, chaque partie d’élévation ancienne ou portion du sous-sol étant alors susceptible de livrer des éléments de connaissance de l’histoire du Mont-Saint-Michel, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979. Il est classé à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1874. L’abbaye, marquée par son histoire pénitentiaire et par l’incendie de 1834, a dès lors connu plusieurs campagnes de restauration1. La prise en compte progressive de l’apport indéniable de l’archéologie au sein d’une réflexion croisée entre les différents acteurs des services publics patrimoniaux a naturellement abouti à une politique de prescription reposant sur des objectifs scientifiques élaborés en commun et sur l’investissement d’une équipe dédiée aux compétences ciblées. Pour le Mont-Saint-Michel, ces prescriptions sont d’autant plus nécessaires que les origines et l’évolution de l’ensemble monastique comme celles du village restent pour partie méconnues ou reposent parfois sur d’anciennes hypothèses mal étayées.
- 2 Fouille de sauvetage sous la responsabilité de Daniel Levalet, 1984.
- 3 Thèse de doctorat de Philippe Pelgas : « Évolution du bourg monastique et des fortifications du Mon (...)
- 4 Démarche conjointe des services de l’État : service régional de l’archéologie (SRA), conservation r (...)
- 5 Voir notice « Mont-Saint-Michel. Cour des Écoles » dans le Bilan scientifique régional de la région (...)
2La prise en compte de cette richesse patrimoniale, au moins dans sa dimension architecturale, transparaît réglementairement à partir du milieu du xixe siècle. C’est dans ce contexte que quelques chantiers de restauration fournissent de premières observations archéologiques, principalement centrées sur l’abbaye et conduites à l’initiative d’architectes, tels qu’É. Corroyer et Paul Gout, dans la seconde moitié du xixe et le premier tiers du xxe siècle (Corroyer 1877 ; Gout 1910). La réalisation de véritables opérations archéologiques ne fait une timide apparition que dans les années 1980-1990 [ill. 1]. Il s’agit alors d’interventions très occasionnelles et d’ampleur limitée (sondages au sol), motivées soit par des découvertes en cours de travaux dans l’abbaye2 et le village (fouille de l’hôtel Saint-Pierre), soit par la recherche programmée3, ou encore par la volonté d’élaborer un projet de valorisation patrimoniale (sondages dans le bois du Nord). Après le tournant des années 2000, avec l’émergence de nouveaux projets de restauration, associés ou non au rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel4, plusieurs opérations ont porté sur la frange périphérique du village et l’étude de ses fortifications (sondages du rempart sud, études de bâti), et moins sur le cœur du tissu urbain (cour des Écoles)5 ou dans d’autres secteurs relevant plus directement de l’abbaye (terrasse aux Canons). Cette prise de conscience du potentiel archéologique, croisée avec les recherches universitaires (jardin du Tripot) et les études documentaires, conduit à formuler des hypothèses neuves sur l’évolution du village (fouille et études de bâti des tours et remparts).
1. Localisation des interventions archéologiques.
E. Cadiou, Inrap, et A. Ropars, SRA Normandie.
3Le contexte monumental de ces interventions, les enjeux de restauration et la multiplicité des acteurs (archéologues, services patrimoniaux de la Drac, architectes, bureaux d’études techniques, entreprises de maçonnerie…) nécessitent, dès lors, la mobilisation sur le terrain de compétences archéologiques pointues et complémentaires pour réaliser tant l’analyse du sous-sol que celle des élévations. Un premier phasage des façades de l’Hostellerie est ainsi proposé à l’occasion d’une étude préalable de l’architecte en chef des monuments historiques. L’observation rigoureuse des maçonneries de Notre-Dame-sous-Terre, intégrant l’archéométrie (datations par la thermoluminescence et le radiocarbone), fut déterminante pour asseoir définitivement l’attribution au xe siècle du premier état de cette construction (Sapin et al. 2008).
- 6 Étude de la consolidation des remparts est, responsable d’opération : F. Delahaye, Inrap.
- 7 SRA, CRMH, unité départementale de l’architecture et du patrimoine (Udap).
- 8 Les archéologues ont été formés et encadrés sur le terrain par des cordistes.
4L’apport indéniable de toutes ces opérations à l’enrichissement du contenu historique et patrimonial du Mont, ainsi que la poursuite d’interventions sur les fortifications du village jusqu’en 20156 (Caligny Delahaye 2015), suivie du démarrage d’importants travaux en cœur de village puis dans l’abbaye, ont conduit ces dernières années, dans le cadre de l’archéologie préventive, à mieux concilier les impératifs d’étude des vestiges avec les nécessités de restauration ou d’aménagement du site. La réglementation en vigueur, la vigilance croisée des différents services patrimoniaux de la Drac7 et les liens tissés avec différents acteurs de l’aménagement du rocher donnent la possibilité de saisir, parfois, d’autres types d’aménagement susceptibles d’affecter la ressource archéologique. Les modalités techniques d’intervention sur le terrain imposant le plus souvent aux archéologues de travailler en coactivité avec d’autres entreprises ont justifié, ces dernières années, toute une série de prescriptions de fouille immédiate [ill. 2]. C’est le cas des travaux de rénovation des voiries du village et du mur de soutènement du cimetière paroissial ([Cadiou] Esnault 2021b), ainsi que des restaurations du cloître de l’abbaye ([Cadiou] Esnault 2021a), de la chambre du Suisse et de ses abords, ou encore des façades de la Merveille. Dans tous ces secteurs, l’existence d’éléments architecturaux ou d’aménagements anciens affectés par les travaux s’est imposée comme une évidence au moment de l’instruction réglementaire des demandes d’autorisation, et à plus forte raison en présence d’élévations anciennes à restaurer. Seul le dégagement d’une partie de l’enrochement occidental dans le secteur du Petit Bois (en contrebas de la terrasse de l’Ouest de l’abbatiale et des logis de Robert de Torigni) a donné lieu à la réalisation d’un diagnostic d’archéologie préventive8.
2. Rue Lecampion, intervention en coactivité.
Un archéologue de l’Inrap (en veste orange de dos) suit les travaux de réfection.
E. Esnault, Inrap.
5Parmi les compétences ciblées par la prescription, la part accordée à l’archéologie sur le bâti demeure centrale du fait de l’omniprésence du patrimoine monumental et de la spécificité du lieu (contraintes naturelles et enchevêtrement des constructions). Lors d’une restauration sur monument historique, il est souvent indispensable d’allier rigueur et rapidité d’analyse et d’enregistrement des données dans un contexte de coactivité de chantier, d’où l’intérêt d’y associer une équipe archéologique en continu, combinant expertise et rapidité d’intervention. Les relevés par acquisition d’images (photogrammétrie, orthophotographies, scanner), maintenant systématiquement demandés, n’excluent toutefois pas la pratique des relevés manuels, souvent utiles pour compléter les captures numériques. L’étude de bâti mobilise, de plus, un champ de connaissances propre à l’histoire des techniques de construction et à celle des formes architecturales. Les données stylistiques constituent également une source d’informations, discutée à la lumière de l’analyse stratigraphique du bâti et, le cas échéant, de l’archéométrie. Le recours à celle-ci est aujourd’hui incontournable. Des échantillonnages de matériaux sont prescrits, entre autres, à des fins de datation (radiocarbone, dendrochronologie…).
- 9 Anthropologues, archéologues spécialistes de l’étude de mobiliers.
6La fouille de vestiges enfouis dans les rues du village, qui se déroule sur plusieurs années (2015-2022), a également montré qu’il pouvait être utile de prévoir, dans ce type de prescription aussi, la présence d’un spécialiste du bâti. Cela permet d’intégrer des observations sur des parties en élévation de bâtiments existants en lien avec les structures ou remblais dégagés. La lecture croisée du sous-sol et des élévations contribue, en outre, à éclairer ou à poser des hypothèses sur l’évolution du parcellaire ancien. Lors d’une opération de fouille en contexte sédimentaire, cette compétence en archéologie monumentale ne fait, bien sûr, que s’additionner à l’intervention d’autres spécialistes9.
7L’abbaye du Mont-Saint-Michel, telle qu’elle nous est parvenue aujourd’hui, est un édifice extrêmement complexe à plusieurs égards. Bien que mondialement connue, elle nécessite une étude fine pour en comprendre les multiples enchevêtrements [ill. 3]. Victime de destructions régulières et d’effondrements récurrents, monument singulier issu de la juxtaposition voire de la rencontre de projets aussi multiples que variés, l’abbaye souffre difficilement la comparaison avec d’autres sites. À cela s’ajoutent des remaniements importants réalisés lors de la transformation en prison, repris ensuite pour gommer cette période pénitentiaire. Les approches archéologiques et archéométriques qui se déploient depuis une vingtaine d’années au Mont et, plus récemment encore, celles qui se font en parallèle des restaurations apportent des connaissances voire conduisent à rectifier des postulats émis par les érudits du début du xxe siècle. Donnons-en un rapide rappel historique.
3. Phasage général de l’abbaye.
E. Cadiou, Inrap, d’après un fond de plan d’AGP.
- 10 Vestiges dégagés par P. Gout en 1907 lors de la fouille de la nef.
8L’implantation sur le rocher pourrait remonter au viie siècle avec la construction de deux oratoires. Cependant, un premier sanctuaire est également attribué à saint Aubert, évêque d’Avranches, en 708. Rattaché en 933 à la Normandie, le Mont connaît des changements majeurs. Sur l’initiative du duc de Normandie Richard Ier, les premiers chanoines cèdent la place à l’abbaye bénédictine fondée en 966, pendant la grande réforme monastique. À sa tête, l’abbé Maynard Ier de Saint-Wandrille est probablement à l’origine de la construction de Notre-Dame-sous-Terre, dont le premier état est attribué à la seconde moitié du xe siècle et prolonge l’église du haut Moyen Âge10. Touchée par un incendie en 992, la charpente est démontée et remplacée par une voûte.
9Durant le premier quart du xie siècle, la bonne entente entre les abbés du Mont, Hildebert Ier et Hildebert II, et le duc de Normandie Richard II conduit à la construction de la grande abbatiale romane (1023-1085). En parallèle, l’abbé Ranulphe fait édifier un ensemble de bâtiments ceinturant le front ouest. En 1094 puis en 1103, la partie nord de l’église s’effondre, emportant avec elle le dortoir situé au-dessus de la salle de l’Aquilon. Elle est reconstruite une première fois par Roger II, mais la seconde reconstruction ne sera entreprise que trente ans plus tard par Bernard du Bec. Entre-temps, en 1112, un nouvel incendie provoqué par la foudre détruit les charpentes de l’abbaye. Roger II serait également à l’origine des premières constructions à l’emplacement de la Merveille.
10En août 1138, l’abbaye est encore une fois touchée par un incendie, qui épargne l’église. Le nouvel abbé, Robert de Torigni, avec l’accord d’Henri II d’Angleterre, entreprend alors de nouvelles constructions. En pleine expansion, la communauté compte alors soixante moines. Lors du siège de 1204, lorsque Philippe Auguste et ses alliés bretons s’emparent de la Normandie, la partie nord de l’abbaye est touchée. En réparation, le roi de France fait une donation qui permet de reconstruire la Merveille.
11En pleine guerre de Cent Ans, l’abbé Pierre Le Roy fait renforcer, en 1393, la protection de l’abbaye et édifier une grande partie des logis abbatiaux (Huynes 1872). Les parties anciennes de l’abbatiale sont fragilisées, et le chœur roman s’écroule en 1421. La reconstruction, entamée en 1446-1452, ne s’achève qu’en 1521. Les travaux suivants se concentrent davantage sur les logis abbatiaux, à l’initiative de Guillaume de Lamps.
12Malgré son expansion régulière, le monastère est en déclin depuis le xvie siècle, et l’abbaye n’est pas suffisamment entretenue. À l’arrivée des douze moines mauristes le 27 octobre 1622, il n’y a sur place que dix-sept religieux. Les mauristes restructurent les lieux, cloisonnent des espaces et modifient leurs fonctions. Leurs aménagements sont visibles sur le plan-relief de 1690 [ill. 4]. L’abbaye subit de nouveau des incendies et des effondrements. Très dégradées, les trois premières travées de l’église sont abattues en 1780, et l’hôtellerie sud s’effondre en 1817. Les bénédictins quittent le Mont en 1790.
4. Détail du plan-relief de 1690 qui montre l’importance des travaux effectués par les mauristes : surélévation de bâtiments, percement d’ouvertures, ajout de cheminées, construction de galerie en porte-à-faux, restructurations intérieures des espaces.
Musée des Plans-Reliefs, cl. F. Caligny-Delahaye, Inrap.
13Depuis 1465, l’abbaye était un lieu de réclusion, les mauristes avaient ensuite réaménagé la partie ouest en cachots. L’abbaye est reconvertie en prison pour les prêtres réfractaires à la Révolution puis devient prison d’État jusqu’à sa fermeture par décret du 20 octobre 1863, sous Napoléon III. En 1820, on installe une roue servant à ravitailler les détenus.
14Les travaux de restauration des logis abbatiaux construits sur le flanc sud de l’abbaye ont offert une réelle occasion de réaliser une étude exhaustive de cet ensemble. La chronologie des différents bâtiments et les évolutions dont ils ont été l’objet ont pu être précisées au regard des connaissances apportées par les archives de l’abbaye [ill. 5]. Conçus comme un véritable palais, les logis abbatiaux ne faisaient pas partie de la clôture monastique et étaient liés au pouvoir temporel de l’abbé, à une époque où ses fonctions de seigneur avaient pris le pas sur sa vocation religieuse. Le logis de l’Abbé, situé au milieu de cet ensemble, en constitue l’édifice le plus remarquable. Faisant saillie au sud, il était initialement plus haut que les bâtiments voisins et dominait le village, s’apparentant ainsi à une véritable tour, symbole du pouvoir féodal de l’abbé.
5. Derniers travaux, destructions et restaurations de l’abbaye.
E. Cadiou, Inrap.
15À l’opposé des logis abbatiaux, la Merveille constitue un des ensembles les plus remarquables de l’abbaye. Édifiée sur le flanc nord de l’église abbatiale, elle est constituée de deux corps de bâtiments se développant sur trois niveaux sur une hauteur d’environ 50 mètres, le tout stabilisé par de puissants contreforts. Cet ensemble de bâtiments conventuels est resté inachevé : un troisième bâtiment projeté à l’ouest n’a jamais été réalisé [ill. 6]. La chronologie communément admise depuis P. Gout indiquait une reconstruction totale de la Merveille au xiiie siècle, à la suite de la prise du Mont en 1204 (Gout 1910). Cette reconstruction totale fut contestée en 1965 par Michel Nortier, qui proposa une nouvelle chronologie après avoir constaté que « les archéologues modernes ont été induits en erreur par les historiens ; ceux-ci, en affirmant sans réserve que l’incendie de 1204 avait entièrement détruit les bâtiments, entravaient en quelque sorte leur liberté de jugement » (Nortier 1965). Les études archéologiques actuelles affinent la chronologie des constructions. Une partie de la Merveille reprend bien d’anciennes constructions, détruites seulement en partie lors du siège de 1204. Le manuscrit De Abbatibus mentionne d’ailleurs des bâtiments au niveau de la Merveille actuelle dès le milieu du xiie siècle (Lecouteux 2017 ; Lecouteux 2018 ; Bouet et al. 2020). L’étude en cours sur les façades de la Merveille confirme cette hypothèse. Les observations sur l’ensemble des parements, la comparaison des modes constructifs et des matériaux employés ainsi que la mise en évidence d’anomalies de construction ou de reprise de maçonnerie permettent réellement de souligner des phases de travaux. Ces données ont été reportées sur le relevé en trois dimensions complet commandé par le Centre des monuments nationaux (CMN) et réalisé par Art graphique et Patrimoine en 2015 [ill. 7.a], qui sera précisé par les relevés photogrammétriques en cours et par des relevés manuels enregistrant des éléments significatifs [ill. 7.b].
6. Les deux bâtiments formant la Merveille : à gauche, l’aumônerie, la salle des Hôtes et le réfectoire ; à droite, le cellier, la salle des Chevaliers et enfin le cloître.
E. Cadiou, Inrap, d’après le relevé d’AGP.
7a. Relevé photogrammétrique de la façade sud du réfectoire.
À gauche, une copie d’écran du logiciel Métashape. On devine le travail important de nettoyage du nuage de points. En effet, si elle permet une acquisition très rapide des données sur le terrain, la photogrammétrie nécessite un important travail de nettoyage pour supprimer les éléments intrus : échafaudage, outils, matériaux, etc.
F. Boumier, Inrap, fond de plan AGP.
7b. Relevé manuel des baies nord du cellier.
E. Cadiou, M. Lallauret et F. Lecampion, Inrap.
- 11 Précisons que la très récente datation dendrochronologique de la charpente du réfectoire, certes de (...)
16Établir une chronologie relative constitue une base solide pour préciser la datation. Mais obtenir des datations absolues est une vraie gageure. Les différentes campagnes de restauration ont bien souvent effacé des indices précieux : il n’existe en effet plus de charpentes antérieures au xixe siècle qui auraient permis de faire de la dendrochronologie pour connaître des phases de construction anciennes11. Les mortiers ne contenant pas de charbon, aucune datation au radiocarbone ne peut être envisagée. Les fragments de terre cuite étant trop rares et disséminés dans les maçonneries et la possibilité de réemplois étant forte, on ne peut envisager une datation fiable par thermoluminescence. Face à ce constat, une tentative de datation des nucléides cosmogéniques est en cours. Il s’agit d’une méthode expérimentale qui consiste à mesurer le bombardement cosmique — produisant de l’isotope 10 du béryllium (10Be) — perçu par les quartz présents dans le granite depuis l’extraction des blocs de la carrière. Bien entendu, cela sous-entend que la pierre a bien été extraite pour une phase de travaux particulière. Les prélèvements sont par conséquent réalisés en tenant compte de plusieurs paramètres : le phasage relatif ; l’examen de blocs dont il est quasiment certain qu’ils ont été taillés pour une phase particulière afin d’éviter des réemplois possibles (encadrements d’ouverture, larmier, etc.) ; enfin, de manière à ne pas porter atteinte au monument, des prélèvements pratiqués uniquement sur les blocs destinés à être remplacés lors de la restauration. On le voit, cette méthode expérimentale peut ne pas donner de résultats exploitables. Il faudra donc se donner les moyens de renforcer la chronologie relative.
- 12 La datation au radiocarbone la plus ancienne est 776. Il est cependant nécessaire de rester prudent (...)
17Implanté au sud-est du rocher, à l’abri des vents dominants, le village est intimement lié à l’abbaye. La découverte dans la Grande Rue d’un large mur conservé sur une longueur de 10 mètres pose la question d’une possible fortification primitive [ill. 8]. Celle-ci ayant été détruite avant l’an 1000, sa datation ancienne peut la rapprocher de sites protohistoriques ou des premières installations des moines ermites sur le Mont. Dans tous les cas, un bourg est bien attesté dès le xe siècle : l’Introductio monachorum, rédigée en 1060, fait état d’un incendie qui ravage plusieurs maisons en 992 avant de se propager à l’abbaye (Bouet, Desbordes dir. 2009, p. 147-225). La fouille du cimetière paroissial autour de l’église Saint-Pierre conforte ces données [ill. 9]. Les sépultures ont en effet livré trois phases d’inhumations principales, dont la plus ancienne offre une fourchette entre l’extrême fin du viiie siècle et le milieu du xe siècle12, prouvant qu’un bourg structuré existe déjà en parallèle de l’installation de l’abbaye bénédictine. Il est fort possible que ce noyau ancien, dont il n’existe plus de vestiges, ait été doté d’une protection, au moins au cours de la période ducale. Lorsque, en 1204, le roi de France et ses alliés bretons détruisent le village, il n’aurait été protégé que par une palissade sommaire de paillis de bois (Le Roy 1878).
8. Une première enceinte maçonnée ?
La partie du mur encore en place associée à l’éboulement qui s’étend au nord donne une indication sur l’extension possible de la maçonnerie.
Photogrammétrie : P. Leblanc, Inrap ; relevé : L. Arnaud, M. Lebrun, S. Clément-Sauleau, E. Esnault, F. Lecampion, R. Lefebvre, M.-P. Saunier et C. Thévenet, Inrap ; DAO : E. Esnault, Inrap.
9. Extension possible du cimetière.
Le cadastre actuel (tracé gris clair) est positionné à titre indicatif, le plan divergeant des relevés topographiques de l’Inrap et des géomètres mandatés pour l’opération de rénovation des réseaux.
Photogrammétrie : P. Leblanc, Inrap ; relevé : L. Arnaud, M. Lebrun, S. Clément-Sauleau, E. Esnault, F. Lecampion, R. Lefebvre, M.-P. Saunier et C. Thévenet, Inrap ; DAO : E. Esnault, Inrap.
- 13 Mémoire de maîtrise de P. Pelgas : « Évolution du bourg monastique et des fortifications du mont Sa (...)
18En 1256, l’abbé Richard Turstin reçoit une donation qui lui permet d’édifier une enceinte de pierre. Si celle-ci a en grande partie disparu aujourd’hui, le parcellaire actuel et plusieurs tronçons de murs de terrasse permettent d’en restituer le tracé. Une porte devait être aménagée à proximité du chevet de l’église paroissiale, hypothèse qui semble confirmée par la découverte d’une chicane dans le tracé du rempart mis au jour en 2017. Il pourrait y avoir également un accès à l’ouest à mi-pente du rocher pour rejoindre les Fanils. Le Mont serait desservi par deux chemins : le premier à l’est pour les pèlerins venant du bec d’Andaine et de Tombelaine ; le second depuis le sud, flanqué de plusieurs constructions. Le village, qui s’est resserré dans cette enceinte, compterait trente-huit maisons en 122813.
- 14 La guerre de Cent Ans oppose les Valois et les Plantagenêts entre 1337 et 1453.
19Tout au long du xive siècle, l’histoire du Mont-Saint-Michel est émaillée de plusieurs incendies qui se propagent de l’abbaye vers le village, comme en 1300 ou en 1374. Les maisons sont reconstruites avec le soutien financier des abbés. Le pouvoir royal met en place une garnison pour assurer la protection du Mont et confie rapidement, en 1364, la charge de capitaine aux abbés. L’enceinte construite au xiiie siècle s’avère insuffisante contre la menace anglaise14. En 1368, Charles V autorise l’abbé Geoffroy de Servon à démanteler les maisons qui s’étaient développées au-delà de la muraille, sur la grève, afin d’édifier une nouvelle ligne de défense. Les travaux de consolidation des fortifications réalisés en 2015 ont permis de mettre au jour les soubassements de plusieurs de ces maisons. Protégées du ressac de la mer par un talus empierré, elles disposaient d’un ponton en bois dont plusieurs poutres en chêne ont été retrouvées. C’est cet état du village de la fin du xive siècle qui est représenté sur la miniature des frères de Limbourg [ill. 10]. Les traces d’une porte monumentale sont aujourd’hui conservées dans les sous-sols d’un établissement hôtelier.
10. « La Fête de l’Archange ».
Miniature des frères de Limbourg (fo 195 r) réalisée dans les années 1390 pour Les Très Riches Heures du duc de Berry. On y voit un bourg largement développé vers l’ouest, auquel on accède depuis le sud par un chemin bordé de maisons en pans de bois flanquant le nouveau rempart. Certaines sont construites en encorbellement sur ce dernier. Trois portes sont visibles, deux au sud permettant un accès direct sur la grève, et une troisième à l’est, légèrement surélevée et formant le pendant de la porte de l’enceinte du xiiie siècle. L’étude en cours sur le village permet d’envisager une quatrième porte possible au sud.
Musée Condé, Chantilly (Ms. 65).
20Si, dans les premières décennies de la guerre de Cent Ans, le Mont-Saint-Michel n’a pas eu à subir d’opération militaire de grande ampleur, la situation devient plus délicate à compter de 1415, après le débarquement du roi d’Angleterre Henri V en Normandie et la défaite des Français à Azincourt. Le Mont reste cependant fidèle au roi de France. Dès 1417, l’abbé Jolivet renforce les fortifications par un épaississement des remparts et la construction de tours. Face à l’installation des troupes anglaises sur Tombelaine au début des années 1420, Louis d’Estouville, capitaine des fortifications, restructure fortement l’enceinte à partir de 1425 en condamnant les deux entrées principales, qu’il remplace par un nouvel accès au pied du Mont, doublé d’un boulevard. En 1434, les Anglais profitent d’un incendie dans le village pour créer en vain une brèche dans la tour Béatrix. Ils partent, abandonnant plusieurs pièces d’artillerie sur la grève. Les travaux de fortification se poursuivent quant à eux avec la construction de la porte du Roy en 1475 et l’édification de deux bastillons en 1481 et 1493. La consolidation et la restauration des fortifications ont permis la redécouverte de plusieurs canonnières et archères. Quant aux fouilles réalisées au pied des remparts, elles ont révélé les vestiges des anciennes tours Cholet et Denis, détruites respectivement en 1493 et 1732, ainsi que les fondations de l’ancien bastillon de la tour Basse, ruiné par l’action des courants marins [voir encadré Les fortifications du Mont-Saint-Michel].
21Le village bénéficie grandement des avantages accordés par le monastère et du développement important des pèlerinages à saint Michel, dont le sanctuaire devient l’un des lieux les plus célèbres de l’Occident médiéval. À la multitude d’établissements assurant l’accueil des pèlerins s’ajoutent des boutiques d’objets de piété. La production se faisait sur place, sous le contrôle de l’abbé, comme l’atteste l’étude archéologique d’un important atelier d’enseignes dans la partie haute du village (Labaune-Jean 2016) [voir encadré Les fortifications du Mont-Saint-Michel]. Les îlots s’organisent en terrasses, desservis par des venelles qui vont progressivement disparaître au profit d’une artère principale, la Grande Rue. Le village s’est de nouveau étendu au pied du rocher au xve siècle. Il semble que les maisons les plus anciennes encore en élévation ne soient pas antérieures à cette période. Parmi elles, on peut citer le logis Saint-Pierre, la Sirène, le logis Saint-Sébastien ou encore la maison de l’Éperon, dont les façades ont peu évolué depuis le plan-relief de 1690. Cette maquette, relativement précise, fait état d’une soixantaine de maisons, soit presque le double du village du xiiie siècle. En sus des quelques interventions ponctuelles sur des parcelles spécifiques, l’intervention au long cours menée dans les rues et venelles (réseaux et conduites) est le seul moyen de documenter les transformations du village. Cependant, les niveaux étudiés étant ceux détruits par les travaux actuels, les vestiges apparaissent très lacunaires et souvent sans lien entre eux. La chronologie est difficile à établir, car le mobilier archéologique est relativement pauvre et très mélangé. Ce n’est donc que par l’accumulation de données au fil des interventions que s’esquissent de nouvelles connaissances.
22Au cours de ces vingt dernières années, les recherches archéologiques menées tant sur l’abbaye que dans le village et sur ses fortifications sont riches d’informations inédites pour l’histoire complexe du Mont-Saint-Michel. Les recherches menées sur le village, un lieu jusqu’ici peu étudié, apparaissent majeures. L’abbaye a fait l’objet de nombreuses recherches qui ont conduit parfois à des affirmations abusives, lesquelles se voient rectifiées peu à peu par l’approche scientifique. En l’absence de mobilier archéologique et de possibilité d’obtenir des datations fines sur les phases principales, avec un édifice à la fois très remanié par des aménagements successifs et ayant fait l’objet de nombreuses restaurations, il paraît indispensable de rester prudent sur la chronologie de la construction de l’abbaye ou de l’évolution du village et de multiplier les indices pouvant corroborer les hypothèses. C’est pourquoi une intervention sur le temps long est largement profitable à un site tel que le Mont-Saint-Michel : depuis vingt ans, les nouvelles technologies de relevé par photogrammétrie ou scanner en trois dimensions ont contribué à améliorer efficacement l’acquisition des données, et les méthodes de datation ont acquis une fiabilité et une précision toujours plus fine. Un site d’une telle ampleur est également le lieu pour tester des méthodes innovantes et expérimentales, telles que celle des nucléides cosmogéniques. Quelles que soient les opérations archéologiques, on se rend compte que si l’on sait beaucoup de choses à propos du Mont, on en ignore sans doute davantage, mais on ne cesse de progresser dans la compréhension et l’interprétation scientifiques des chronologies et des évènements.
Les fortifications du Mont-Saint-Michel
François Caligny Delahaye
Le Mont-Saint-Michel a connu une histoire mouvementée à partir du xie siècle et plus encore aux xive et xve siècles, où la vocation exclusivement intellectuelle et religieuse du sanctuaire va progressivement laisser place à une vocation militaire en raison de l’importance stratégique du rocher. Si les grandes étapes de ce processus peuvent être dressées grâce aux données historiques et archivistiques disponibles, les découvertes archéologiques effectuées au cours des deux dernières décennies à la faveur des chantiers de restauration liées au rétablissement du caractère maritime du site ont permis de préciser les différentes phases de construction et les remaniements des fortifications du xiiie au xive siècle [ill. 11]. Ces interventions, réalisées de 2001 à 2015 en collaboration étroite avec l’architecte en chef des monuments historiques (ACMH), ont livré de nombreuses informations susceptibles de conforter ou de modifier les choix de restauration, notamment pour assurer la sauvegarde d’éléments archéologiques et, dans certains cas, leur mise en valeur.
Le tracé de l’enceinte du village du xiiie siècle, en grande partie disparue aujourd’hui, a fait l’objet de diverses restitutions. Les premières observations archéologiques réalisées en 2001 sur les murs de terrasse ou dans les caves des maisons, associées à l’analyse du parcellaire, ont permis de proposer une nouvelle restitution, avec une enceinte se développant de part et d’autre de l’église paroissiale [ill. 12]. En 2011, une fouille a été menée sur les vestiges de la tour Denis (détruite en 1732), conservés depuis sous une épaisseur de tangue. À l’issue du chantier, les vestiges ont été partiellement restitués afin que l’ouvrage puisse rester visible même lors des grandes marées [ill. 13]. Partiellement détruite en 1434, la tour de la Liberté a été reconstruite en 1479. En 2011, l’étude du bâti a permis de mettre en évidence les dispositions d’origine conservées, en partie, sur l’élévation. Les travaux de restauration se sont attachés à rendre lisible les maçonneries de l’ouvrage d’origine et ses dispositifs de défense. En outre, l’étude a montré que la reconstruction de 1479 préfigurait les tours bastionnées édifiées à la fin du xve siècle.
La tour du Nord était considérée comme appartenant à l’enceinte du xiiie siècle. L’étude exhaustive de l’ouvrage en 2012 a conduit à revoir sa datation en se basant sur la typologie des dispositifs de défense et sur l’absence de traces de reprise, observation confirmée par les radiographies des élévations montrant une grande homogénéité des maçonneries. En outre, un fragment de céramique pouvant être attribué à des productions du milieu du xive siècle et surtout du xve siècle a été recueilli dans le blocage de la maçonnerie. Ainsi, la tour du Nord a pu être rattachée aux ouvrages de défense édifiés à partir des années 1425, pendant la guerre de Cent Ans. Cette tour était associée à un échiffe aménagé dans la courtine adjacente, dont les traces ont été reconnues lors de l’étude archéologique et mis en valeur dans le projet de restauration [ill. 14]. L’étude réalisée sur la tour Gabriel, également en 2012, a conduit à revoir le projet de restauration qui proposait une restitution du parapet selon les dispositions visibles sur le plan en relief du Mont-Saint-Michel conservé aux Invalides [ill. 4]. L’étude du bâti a montré que le parapet existant appartenait bien aux dispositions d’origine, conduisant à l’abandon du projet de l’architecte.
En 1368, plusieurs maisons construites sur la grève ont été détruites pour permettre la construction d’un rempart rudimentaire protégeant la partie du village qui s’était développée en dehors de l’enceinte du xiiie siècle. Lors des fouilles réalisées en 2015 dans le cadre des travaux de stabilisation de la grève, les soubassements de plusieurs maisons ont été mis au jour, associés aux vestiges d’un ancien quai en bois dont plusieurs pieux ont été retrouvés. Ces aménagements étaient protégés du ressac de la mer par un glacis empierré [ill. 15]. À proximité des soubassements des maisons, les fondations d’une tour ont été mises au jour. Celle-ci peut être rattachée aux premiers ouvrages de flanquement construits à partir de 1417. Selon toute vraisemblance, il s’agit de la tour Cholet, mentionnée dans plusieurs textes du xve siècle et dont la localisation était sujette à caution, la plupart des auteurs estimant qu’elle avait été remplacée par un ouvrage bastionné à la fin du xve siècle [ill. 16].
11. Plan phasé des fortifications du Mont-Saint-Michel.
F. Caligny Delahaye, Inrap.
12. Propositions de restitution de l’enceinte du XIIIe siècle.
F. Caligny Delahaye, Inrap.
13. Fouille de la tour Denis.
D. Gliksman, Inrap.
14. La tour du Nord et la courtine nord avec les traces de l’échiffe.
F. Caligny Delahaye, Inrap.
15. Les maisons et le quai mis au jour au pied des remparts en 2015.
F. Caligny Delahaye, Inrap.
16. Les vestiges de la tour Cholet.
F. Caligny Delahaye, Inrap.
Les ateliers d’objets de dévotion
Françoise Labaune-Jean
Suite à l’effondrement d’un pan de maçonnerie médiévale lors de la tempête de 1999, une fouille a été entreprise en 2004-2005 cour des Écoles, près de l’abbaye, dans une très petite parcelle de 60 m² [ill. 17]. Cette intervention, dans un site très densément occupé, relève de l’exception. Elle s’est avérée très précieuse pour la compréhension des activités liées aux pèlerinages médiévaux et l’histoire archéologique du Mont.
Le dégagement de cette rare zone du village restée inexploitée depuis longtemps a révélé la succession de deux ateliers où l’on façonnait les alliages non ferreux (l’étain, le plomb et sans doute des métaux précieux), un à la fin du xive siècle et l’autre dans la seconde moitié du xve siècle. À l’heure actuelle, ce type d’atelier de production d’objets de dévotion, essentiellement des enseignes de pèlerinage, constitue le seul et unique exemple découvert en Europe. Grâce aux vestiges des structures, et surtout aux 262 blocs lithiques mis au jour (moules, ébauches, déchets et pièces d’outillage), le site procure des données de première main nécessaires à la connaissance des procédés technologiques médiévaux, de la conception à la mise en œuvre [ill. 18 et 19]. Une véritable aubaine pour appréhender cet artisanat méconnu du Moyen Âge.
Cette opération éclaire aussi de manière indirecte les pratiques socio-économiques propres à un grand lieu de pèlerinage. En bonne place parmi les sanctuaires emblématiques de la vie religieuse du Moyen Âge, le lieu proposait des souvenirs, preuves de l’accomplissement du pèlerinage, et profitait ainsi de la manne financière générée par l’afflux des pèlerins. Religieux et artisans se sont rapidement organisés pour proposer à la vente une large gamme d’objets, une partie des bénéfices revenant à l’abbaye. La production était optimisée pour pouvoir produire rapidement et en un minimum de geste, des objets à prix modique ou de grande qualité : à chacun selon sa bourse et son sentiment de piété !
Dès le terrain, et encore plus après l’exploitation des apports inédits de cette fouille, il est très vite apparu que chaque possibilité, même modeste, de pouvoir aborder concrètement par l’archéologie ce lieu emblématique permettait de faire évoluer son histoire avec des données dont les sources écrites et historiques ne gardent pas forcément trace. Après cette découverte, l’archéologie est apparue comme un complément indispensable de la recherche historique et a été le déclic pour enclencher une surveillance plus systématique de chaque remaniement dans le Mont actuel.
17. Vue générale du site de la cour des Écoles.
Sa profondeur et l’instabilité des maçonneries médiévales ont nécessité la mise en place d’un système de blindage et d’échafaudage contraignant pour la circulation des personnes et l’évacuation des déblais.
H. Paitier, Inrap.
18. Relevé des deux faces d’un moule gravé d’une enseigne à l’effigie de l’archange et de battants de clochette à l’arrière.
M. Dupré, Inrap.
19. Vue d’une valve de moule à l’effigie de l’archange en armure, vainqueur du démon.
H. Paitier, Inrap.