1De création ex-nihilo, Cahors-Divona est fondée à la fin du règne d’Auguste, au moment du rattachement de son peuple à l'Aquitaine primitive, sur une surface dégagée de 210 ha. Le choix d’implantation est l’intérieur d’un méandre du Lot, rivière bordée de collines abruptes et de falaises, reliefs qui limitent l’expansion de la ville. On suppose que ses nouveaux habitants sont ceux transférés, au moins pour partie, depuis les oppida cadurques environnants (Murcens, Saint-Crépin, l’Impernal…) sur lesquels les traces de présence humaine disparaissent à la fin de l’indépendance. Au cœur de son territoire, la civitas gallo-romaine des Cadurques est également positionnée à un carrefour de routes la situant, avec des relais intermédiaires, à une centaine de kilomètres des chefs-lieux de cité voisins : au nord-ouest Périgueux-Vesunna, à l’ouest Agen-Aginnum, à l’est Rodez-Segodunum et, en direction du sud, Toulouse-Tolosa. Resserré au nord, à l’emplacement qu’occuperont les fortifications médiévales des xiiie-xive siècles, l’isthme présente un pendage très marqué dans sa plus grande longueur. C’est ainsi qu’il domine de près de 30 m le Lot dans la partie nord, tandis qu’au sud, le niveau de la rivière se confondait avec les berges avant la réalisation des quais à la fin du xixe siècle. En dépit de ces travaux, on assiste régulièrement, encore de nos jours, à des crues du Lot dans ses parties basses, au sud et à l’ouest.
- 1 Les données plus récentes ne sont pas accessibles.
2Sur cet espace contraint par des caractéristiques morphologiques fortes, il nous a semblé particulièrement intéressant d’initier la réflexion sur le rapport entre les espaces bâtis et ceux laissés vides. Cette première ébauche se fonde sur les opérations archéologiques menées dans la ville entre 1990 et 20061.
3Si quelques monuments publics étaient connus anciennement, l’interprétation de leur fonction a été revue, pour certains, et leur liste a été fortement augmentée par les fouilles programmées, sur l’aqueduc, puis préventives, menées par l’Afan puis l’Inrap qui ont permis, notamment, de découvrir le temple monumental et son portique (Rigal, 2004, 2008a), l’amphithéâtre, le forum (Rigal, 2008b), la probable schola (Grimbert, 2011) et le castellum du Bas-Empire (Boudartchouk, Rigal, 2013). Cet ambitieux programme architectural de la capitale des Cadurques est mis en place en moins d’un siècle. Il débute autour du changement d’ère avec l’aqueduc (Rigal, 2011), et prend fin avec l’amphithéâtre deux décennies avant la fin du ier siècle de notre ère [ill. 1] (Rigal, 2016, 2017). La plupart de ces monuments (la fontaine de Divona, le temple, le portique, le forum et l’amphithéâtre) ont la particularité de former un alignement continu d’est en ouest constituant une exceptionnelle scénographie monumentale faisant face aux routes de Tolosa et de Lugdunum. Le choix d’implantation du castellum, des thermes et du théâtre repose sur l’exploitation de caractères topographiques favorables (présence du relief rocheux favorisant l’acoustique et l’entaille des gradins pour le théâtre, par exemple).
1. Principaux sites antiques répertoriés et éléments majeurs de la ville médiévale sur fond cadastral actuel.
© D. Rigal, M. Vidal, CAG-46, 2010, fig. 39.
4L’habitat se développe surtout au nord de cet axe monumental, sur 125 ha. Il est connu par près de 80 pavements mosaïqués qui sont bien souvent les uniques témoignages des domus, aucune d’elles n’ayant été fouillée à ce jour. Cet état de fait trouve en partie son origine dans le fait que la majeure partie du Cahors médiéval est sanctuarisé et donc peu susceptible de faire l’objet de prescriptions archéologiques.
- 2 La mention ancienne de deux mosaïques en bordure de rivière, à l’ouest de la ville près du decumanu (...)
5Au sud, l’espace compris entre la façade monumentale et les berges de la rivière couvre 400 m x 1000 m, soit 40 ha. Les observations y ont été peu nombreuses, mais y ont été repérés principalement des épandages de matériaux de démolition et des ateliers de production de terre cuite en bordure de la rivière ; deux types d’usages habituels à la périphérie d’une ville antique, en zone inondable. La volonté de stabiliser ces terrains limoneux instables, fréquemment sujets aux débordements de la rivière, est évidente. Il s’agit d’un terrain non cultivé, non arboré, non bâti2, sinon de structures légères, mais utilisé et fréquenté. Sans doute faudrait-il rechercher sur les berges un port, ou à défaut des appontements, permettant le déchargement des marchandises transportées sur la rivière, ainsi que des entrepôts dont la présence semble incontournable, mais qui restent à découvrir.
6Nous ignorons encore à quelles utilisations était vouée la grande surface au nord de la ville. On pourrait s’attendre à ce que ces zones hors la ville, en bordure de voies, soient dédiées aux nécropoles. Cet emplacement paraissait, de plus, favorable à la mise en place de cultures vivrières ; toutefois, les premières analyses polliniques et carpologiques n’ont pas été probantes sur ce sujet. Il semble que les thermes délimitent l’extension urbaine au nord, au départ des voies en direction de Bordeaux-Burdigala et de Limoges-Augustoritum. Quant à la partie ouest, elle accuse une forte déclivité avec des barres rocheuses présentant des à-pics interdisant toute urbanisation.
7Les ultimes grands chantiers ont sans doute entraîné des changements de fonction de certains terrains. C’est notamment le cas avec la construction de l’amphithéâtre qui est installé, à proximité du forum, sur un terrain accusant une forte déclivité en direction de la rivière, au sud et à l’est. Il s’agit là d’un choix délibéré qui a permis une réelle économie de matériaux dans la mesure où la partie nord de l’édifice est encaissée dans le relief. La conséquence s’est traduite par l’apport, au-devant de la face sud et en fin de chantier, d’un remblai puissant de 3,5 m avec une forte proportion de rejets de déchets afin de niveler le pourtour du monument. Cet espace sera par la suite transformé en esplanade participant à la monumentalisation et offrant à la fois un lieu de passage et de rassemblement. On n’a pu déterminer si l’amphithéâtre avait été édifié sur une réserve foncière.
- 3 Le temple de Cahors est l’égal de celui de la cité voisine de Périgueux-Vesunna.
8Ils sont particulièrement difficiles à identifier, notamment à cause des bouleversements dus aux aléas fluviatiles sur les niveaux de sols. Mais dans le cas d’une ville antique construite ex-nihilo, on peut s’attendre à ce qu’elle suive une planification. Lors de la fouille préalable à l’extension du centre hospitalier, trois phases successives ont été identifiées [ill. 2]. Pour la première phase, dont n’est connue que la bordure est, sur une largeur de 5 m, nous avons privilégié au moment de la fouille l’hypothèse d’un habitat, ce qui peut être maintenant remis en cause par la nouvelle perception que nous avons de l’alignement des monuments publics, mais sans qu’il soit possible de faire une nouvelle proposition plus étayée. La phase suivante correspond à un portique qui sera abandonné en raison de crues successives de la rivière, clairement perceptibles à la fouille avec des effets de battement de la nappe. C’est à la phase ultime, dans les années 60 de notre ère, qu’appartient le temple circulaire édifié sur un podium le mettant à l’abri des inondations. Cette construction correspond au transfert à l’intérieur de la ville du lieu de culte primitif fréquenté depuis la fin de l’indépendance. Sa construction était-elle prévue de longue date ? Ou bien correspond-elle à une utilisation opportuniste d’un emplacement de faible densité de bâti ? Hormis une bande d’habitat sur sa bordure ouest, cet espace était dépourvu de tout aménagement antérieur et nous émettons l’hypothèse qu’il était en attente d’une construction prestigieuse3.
2. Temple de Cahors.
Phase 1 : habitat ; phase 2 : portique ; phase 3 : temple de la divinité tutélaire.
© J.-L. Boudartchouk, D. Rigal, 2014.
9Les observations réalisées lors de la fouille partielle du forum n’ont pas démontré de vestiges antiques qui lui soient antérieurs, ce qui incite à penser qu’il a été construit dans un espace réservé.
10Les observations réalisées aux thermes, au forum et sur l’amphithéâtre vont toutes dans le sens d’une désaffection de ces monuments dans la seconde moitié du ive siècle et de la transformation de ces terrains en friches (Rigal, 2009). Les pièces d’apparat des bains sont subdivisées pour un usage d’habitat, le forum est démantelé et l’un des vomitoires de l’amphithéâtre est utilisé pour le parcage des animaux et comme lieu d’inhumation. Le cardo maximus perd sa fonction d’axe majeur de l’ordonnancement de la trame urbaine et ne subsiste plus que sous la forme d’une ruelle étroite, sinueuse et discontinue en raison d’aménagements privatifs qui empiètent progressivement sur la voirie. Un mausolée du Haut-Empire dominant la ville depuis le mont Saint-Cyr est également démantelé mais sa transformation répond à la volonté de créer un castellum sur cet emplacement hautement stratégique, en surplomb du pont et des routes du sud.
11Il devient manifeste que la partie ouest de la ville est abandonnée au profit d’une restructuration de la partie est. De plus, même s’il n’existe pas de mentions historiques antérieures au viie siècle, et si les traces archéologiques sont contemporaines des fortifications du xiiie siècle fermant le méandre au nord, ce nouvel espace urbain est protégé par une fortification dès l’Antiquité tardive, comme d’autres villes-capitales romaines dont l’enceinte est connue. L’amphithéâtre conservait suffisamment d’élévations pour imposer une inflexion au rempart, tel que nous pouvons encore l’observer dans la trame urbaine de la ville qui présente une nette ondulation à l’emplacement restitué du petit côté est du monument. Cette ligne de rempart mettra à profit le premier cardo est, ce qui va lui donner son orientation rectiligne nord-sud, la partie orientale étant sur la rivière.
12Des incertitudes subsistent quand aux abords extérieurs du rempart. Dans cette ancienne zone urbaine abandonnée dont les matériaux de construction sont récupérés, les indices d’occupation sont bien présents et révèlent des usages divers. Ces terrains servent à mener les animaux et à développer des pratiques culturales, usage qui aurait pu persister jusqu’au début du xxe siècle, où il est attesté, comme le suggère le toponyme les Hortes [ill. 3] (Rigal et al., 2011). On y dénombre aussi quelques sépultures isolées.
3. Cartographie de Cahors sur fond cadastral ancien avec localisation des principaux monuments antiques et médiévaux.
© Atlas historique des villes de France, Ch. Higounet, J.-B. Marquette et Ph. Wolff, Cnrs, Bordeaux, 1983.
13C’est durant l’Antiquité tardive et surtout le haut Moyen Âge que le programme d’urbanisation de l’évêque Didier (reconstruction ou confortement de l’enceinte supposée du Bas-Empire, édifices religieux, adduction…) s’inscrit en priorité dans la partie est du méandre, à l’abri du rempart délimitant un espace de 29 ha, mais également dans les Hortes avec le monastère dédié à saint Amans, future paroisse Saint-Géry. C’est ainsi que Divona, chef-lieu de la cité romaine, deviendra ville épiscopale au Moyen Âge.
14Il a été démontré que le lieu-dit les Hortes englobant une vaste superficie n’est plus urbanisé durant le Bas-Empire. La présence humaine y est néanmoins présente de façon assez soutenue jusqu’au début du ve siècle, puis de façon plus aléatoire jusqu’en l’an Mil, mais se pose là, pour pondérer ce constat, le problème de la reconnaissance du mobilier qui influe certainement sur notre réflexion. C’est à partir du xiiie siècle que des hôpitaux et de nombreux ordres mendiants (chartreux, capucins, cordeliers, chanoines réguliers, clarisses, petits et grands carmes, lazaristes, minorettes…) vont s’installer dans cette zone de cultures offrant de grands espaces disponibles, s’octroyant de vastes enclos abritant tout à la fois les édifices et les jardins (Rigal, Rousset, 2007).