1Les Arvernes apparaissent tôt dans l’histoire puisque la première mention les concernant les associe à la vaste migration vers l’Italie du Nord, placée, après relecture critique des sources classiques, à la charnière des deux âges du Fer. Les témoignages postérieurs, notamment ceux liés à la deuxième guerre punique (Tite-Live, Histoire romaine, XXVII, 39) puis à la conquête de la Transalpine (Tite-Live, Abrégés, LXI), témoignent de l’influence exercée par cette entité politique, déjà bien constituée, en Gaule centrale et du Sud au IIe siècle avant notre ère. De ce dernier épisode, marqué par la défaite de la coalition des Allobroges et des Arvernes menée par le roi Bituit, découlent une première perte d’influence manifeste et des bouleversements majeurs, politiques et socio-économiques, qui impactent le cœur même de la cité. L’ultime confrontation avec Rome, à l’occasion de la conquête césarienne (César, Guerre des Gaules, VII), offre une dernière fois l’occasion aux Arvernes de s’illustrer et de tenter de reprendre la position dominante exercée par le passé.
2Le bassin clermontois livre, quelle que soit la période concernée, des vestiges d’occupation toujours très nombreux, témoignant de l’attractivité à travers les âges de ce secteur particulier. Ils sont omniprésents pour la fin de l’âge du Fer, et ce territoire, très densément occupé, semble pouvoir être assimilé au centre de la cité des Arvernes historiques. Dans les campagnes, des établissements ruraux formant réseau se partagent la mise en valeur des secteurs de plaine particulièrement fertiles, et, sur un très petit périmètre, s’installent quatre agglomérations protohistoriques majeures. La vaste agglomération ouverte d’Aulnat, occupée du début du iiie siècle avant notre ère à la fin du iie siècle avant notre ère, prend place immédiatement en bordure sud de la plaine agricole de la Limagne. S’y ajoutent les trois oppida de Corent, de Gondole et de Gergovie, dont les occupations se succèdent de la fin du iie siècle à la fin du siècle suivant, avec des périodes de recouvrement plus ou moins importantes selon le cas (Poux 2014 ; Deberge, Pertlwieser dir. 2019, p. 443-453), ainsi que les vestiges militaires liés au siège de Gergovie mené par César au printemps de l’année 52 avant notre ère. Enfin, c’est à peu de distance de cet oppidum, quelques kilomètres à l’ouest de la première agglomération gauloise des iiie-iie siècles avant notre ère, qu’est fondée, dans les dernières années du ier siècle avant notre ère, la nouvelle capitale des Arvernes. Augustonemetum, littéralement « le sanctuaire d’Auguste », deviendra par la suite Clermont au Moyen Âge puis, par fusion avec la localité voisine de Montferrand au xviie siècle, Clermont-Ferrand.
3Ce secteur constitue donc un espace privilégié pour l’étude des mutations socio-économiques qui caractérisent la fin de l’âge du Fer et le début de la période romaine. Ce dossier est alimenté par un flot majeur d’informations non choisies lié à la tenue d’opérations d’archéologie préventive – nombreuses dans ce secteur qui est, comme il y a 2000 ans, le pôle économique de l’Auvergne – et d’opérations d’archéologie programmée. La complémentarité de ces interventions permet de structurer nos connaissances scientifiques et d’alimenter un discours patrimonial ancré autour de ce site à forte visibilité qu’est Gergovie, et bien au-delà désormais sur un vaste paysage.
4L’intérêt patrimonial porté à Gergovie, de même que sa première caractérisation typologique, chronologique et spatiale, remonte au moins au début de la Renaissance. À la suite de François Ier – qui revendiquait, à côté de ses origines bibliques et « troyennes », une ascendance gauloise, construction historique élaborée pour légitimer à la fois le pouvoir du roi de France et l’existence de son royaume encore en construction –, toute la société se trouve en effet obsédée par la question des origines. La France est alors assimilée à la Gaule des auteurs classiques et ses habitants aux Gaulois, et il y est important de prouver l’ancienneté des villes et territoires que l’on habite. Ce « mythe gaulois » originel, qui culmine dans la seconde moitié du xvie siècle, repose sur la large diffusion des écrits antiques, notamment sur celle des Commentaires sur la guerre des Gaules de César, ouvrage déjà largement diffusé sous forme manuscrite au Moyen Âge et imprimé pour la première fois en 1469. Localiser les cités gauloises mentionnées dans le récit césarien est alors un enjeu patrimonial pour les élites locales.
5Mêlant analyse littéraire et approche historique, avec souvent une bonne dose de chauvinisme, plusieurs localisations sont ainsi proposées pour Gergovie. La cité de naissance de Vercingétorix se trouve alors placée à Saint-Flour, Moulins, Clermont…, chacun voulant couvrir sa ville du lustre apporté par l’une des rares victoires gauloises de la guerre des Gaules. C’est finalement l’érudit florentin Gabriel Simeoni (Simeoni 1561) qui propose le premier, à partir d’un argumentaire toponymique solide et d’une tradition historiographique plus ancienne, et en prenant le risque de déplaire à nombre d’érudits locaux, de localiser le site de Gergovie sur une table basaltique située à quelques kilomètres au sud de Clermont [ill. 1]. Il suggère également d’identifier le site voisin de Gondole au grand camp édifié par César, définissant du même coup l’emprise du champ de bataille de 52 avant notre ère. Cette proposition, qui repose autant sur une observation fine de la topographie des lieux, lui permettant de reconnaître le caractère fortifié du lieu, que sur la volonté de plaire à Catherine de Médicis, dont l’une des possessions (le château de Dieu-y-Soit) ne se situe qu’à quelques centaines de mètres de Gondole, associe d’emblée le site de Gergovie aux camps césariens.
1. Extrait d’une xylographie représentant le bassin de Clermont-Ferrand vu depuis les hauteurs de Thiers et du champ de bataille de Gergovie, réalisée et commentée par Gabriel Simeoni en 1560.
E. Oppidum de Gondole ; F. Oppidum de Gergovie et son rempart (O) ; K, P, R. Mouvements des troupes romaines ; N. Lac de Sarliève, qui ne sera asséché qu’un siècle plus tard.
Extrait de Description du pays d’Auvergne, G. Simeoni, 1560. Bibliothèque de Clermont-Ferrand.
6Cette question de la localisation de l’oppidum et du champ de bataille de 52 avant notre ère motive pendant près de trois cents ans les recherches conduites dans ce secteur méridional du bassin clermontois. Elle donne lieu, notamment, à la réalisation des premières fouilles sur le plateau au milieu du xviiie siècle. Leur résultat est repris dans le Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises du comte de Caylus (Caylus 1762). Discipline encore balbutiante, l’archéologie ne dispose toutefois pas encore des outils permettant de retrouver les retranchements romains, et c’est donc sur la base de l’analyse topographique et de la castramétation que sont proposées des localisations très diverses pour ceux-ci, dans un environnement plus ou moins éloigné de Gergovie.
7Au xixe siècle, la localisation de l’oppidum semble faire consensus, ce qui n’est toujours pas le cas des camps installés par César pour en assurer le siège. Déjà, les travaux d’aménagement du territoire, la construction de la voie de chemin de fer Clermont-Issoire notamment, conduisent à la découverte d’autres vestiges gaulois dans un périmètre plus ou moins proche, questionnant les érudits de l’époque sur l’emprise du champ de bataille. C’est finalement sur décision de Napoléon III que sont entreprises des recherches archéologiques novatrices et d’une ampleur sans précédent dans ce secteur du bassin clermontois, avec l’objectif de localiser les camps romains (Napoléon III 1865-1866). Conduite en 1862 par le commandant Eugène Stoffel, cette vaste campagne de sondages n’a rien à envier, sur le plan méthodologique, aux diagnostics réalisés aujourd’hui dans le cadre de l’archéologie préventive. Sur plus de 300 hectares sont méthodiquement creusées, à la pelle et à la pioche, des tranchées parallèles dont les plus grandes dépassent 200 mètres de développement [ill. 2 : a et b]. Ces sondages, que l’on retrouve ponctuellement dans les fouilles conduites aujourd’hui, permettent de recouper les lignes de fortification romaines et d’en dresser, en quelques semaines, le plan d’ensemble. Ces recherches se concluent par un bornage destiné à inscrire dans le paysage ce témoignage patrimonial exceptionnel. Quatre monolithes de basalte, sur lesquels est inscrit « Camp occupé par Jules César en 52 avant J.-C. », prennent ainsi place aux angles du grand camp [ill. 2 : c], et plusieurs bornes cylindriques, de plus petite taille, sont installées à intervalles réguliers sur le tracé des différents ouvrages fossoyés romains.
2a. Plan du champ de bataille selon Napoléon III, avec les ouvrages césariens et l’extension de la zone sondée.
« Plan de Gergovia », in Napoléon III 1865, pl. 19. Bibracte. DAO : Y. Deberge, Inrap.
2b. Sondage archéologique réalisé lors des fouilles de 1862 (partiellement vidé) recoupant le fossé césarien (au premier plan).
Y. Deberge, Inrap.
2c. L’une des bornes installées aux angles du grand camp.
Y. Deberge, Inrap.
8L’achèvement de ces travaux, qui concernèrent moins Gergovie que ses abords immédiats, devait être marqué par l’érection, à l’extrémité orientale du plateau, d’une statue équestre monumentale de Vercingétorix destinée à célébrer la victoire gauloise de 52 avant notre ère. Mais c’est une version « miniaturisée » de cette statue qui est installée, au début du xxe siècle, non pas à Gergovie mais place de Jaude, en plein cœur de l’agglomération clermontoise. Un étonnant monument de basalte, formé de trois colonnes crénelées reposant sur un podium polygonal et surmonté d’un « casque gaulois », est toutefois érigé en lieu et place de l’œuvre d’Auguste Bartholdi. Si elle ne produit pas l’effet escompté, en raison de sa taille jugée trop modeste, cette construction monolithique de 26 mètres de hauteur est visible à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Elle ancre de façon définitive le site Gergovie dans le paysage physique et symbolique (Maroufin 2018).
9Paradoxalement, peu de temps après son officialisation, la localisation de Gergovie est de nouveau débattue. En réponse à l’émergence de cette hypothèse alternative qui veut rapprocher de la métropole auvergnate la cité de naissance de Vercingétorix sont conduits au cours des années 1930 et 1940 plusieurs dégagements, de taille relativement modestes, sur le plateau même et sur les camps. Sur l’oppidum, leur cumul atteint à peine 4 000 m² mais fournit la matière à une nouvelle caractérisation chronologique et fonctionnelle du site. Sur les camps romains, ils confirment la réalité matérielle des observations faites sous le Second Empire sans apporter de nouveaux arguments quant à la datation et à la fonction de l’ensemble.
10Au cours de la Seconde Guerre mondiale, et alors même que les fouilles se poursuivent, l’objet patrimonial que constitue Gergovie est autant repris par le régime de Vichy que par la Résistance. C’est en effet sur le plateau qu’est célébré, en présence du maréchal Pétain, le deuxième anniversaire de la Légion française des combattants. Il voit se dérouler une cérémonie au cours de laquelle sont physiquement réunis, sous le monument érigé en 1902 à la mémoire des combattants de 52 avant notre ère, des échantillons de terre recueillis dans toute la France métropolitaine et dans les colonies (Ehrard 2003). Parallèlement, l’université de Strasbourg « repliée » à Clermont-Ferrand installe, à Gergovie, une maison de fouille destinée à accueillir des étudiants alsaciens-lorrains exilés travaillant sur le site. Ces « Gergoviotes », qui participent réellement aux fouilles archéologiques alors conduites sur place sous la direction d’abord de Jean Lassus puis de Jean-Jacques Hatt, viennent alimenter les réseaux de Résistance qui se mettent en place à la fin de 1942. Une stèle, inaugurée en 1951 par le maréchal de Lattre de Tassigny, célèbre sur place la mémoire de neuf d’entre eux.
11Après la guerre, l’intérêt porté au plateau retombe, sûrement en souvenir des événements qui s’y sont déroulés et alors même que le développement urbain que connaît Clermont-Ferrand donne lieu à de nombreuses découvertes. C’est notamment à l’occasion des travaux d’aménagement de la base aérienne militaire que sont mis au jour pour la première fois les vestiges de l’agglomération gauloise d’Aulnat, dont l’occupation est alors pensée comme immédiatement antérieure à celle de Gergovie. D’autres découvertes plus ponctuelles et encore mal caractérisées contribuent à « peupler » la « campagne » de Gergovie.
- 1 Tracé autoroutier A710 (de Clermont-Ferrand à Lussat), responsable d’opération : Vincent Guichard, (...)
- 2 Fouille au Brézet (Clermont-Ferrand), responsable d’opération : Gérard Vernet, Afan, 2000 ; fouille (...)
- 3 Clos Clidort, responsable d’opération : Christine Mennessier-Jouannet, Afan, 1994 ; avenue de Lattr (...)
- 4 Fouille à l’Enfer (La Roche-Blanche et Orcet), responsable d’opération : François Baucheron, Inrap, (...)
- 5 Diagnostics en avant de l’oppidum de Gondole (Le Cendre), responsable d’opération : Ulysse Cabezuel (...)
- 6 Diagnostic sur l’oppidum de Gondole (Le Cendre), responsable d’opération : Y. Deberge, Inrap, 2011 (...)
- 7 Diagnostics sur les camps césariens (Orcet, La Roche-Blanche), responsables des opérations : Y. Deb (...)
- 8 Par la cellule géophysique de l’Inrap.
- 9 49 avenue de Gergovie (Orcet), responsables d’opération : Y. Deberge, Magali Heppe, Inrap, 2020 ; r (...)
12Les années 1990 marquent un saut quantitatif et qualitatif dans la nature des observations faites dans ce secteur. Des recherches structurées sont en effet de nouveau conduites, moins sur le site qu’à ses abords plus ou moins proches. Elles concernent principalement les sites voisins de Corent et de Gondole, les camps césariens et surtout la Limagne clermontoise. Cette dynamique n’a eu de cesse de s’amplifier au cours des décennies suivantes avec la réalisation de nombreuses opérations conduites dans le cadre de l’archéologie programmée et surtout préventive. Mentionnons notamment : les vastes campagnes de prospections pédestres entreprises en Grande Limagne, complétées par le suivi d’un tronçon autoroutier sur un transect continu de 7 kilomètres1 (Guichard et al. 2007) et la fouille d’un établissement rural dans le cadre d’un sauvetage programmé (Deberge et al. dir. 2007), qui documentent l’habitat dispersé en plaine ; les opérations réalisées sur le vaste site d’Aulnat, d’abord dans le cadre de l’archéologie programmée (Collis 1984) puis préventive2, avec diverses fenêtres de fouille qui documentent ce site emblématique de l’âge du Fer européen sur près de 4 hectares (Deberge et al. 2019) ; les fouilles entreprises sur le site d’Aigueperse qui révèlent, dès le milieu des années 1990, l’existence d’une autre agglomération arverne à distance du bassin clermontois3 ; les diagnostics et fouilles conduites dans la plaine de Sarliève, vaste espace agricole de plus de 700 hectares situé au pied même de Gergovie, qui montrent que celui-ci a fait l’objet d’une mise en valeur intensive dès la fin du second âge du Fer4 (Trément et al. 2007) ; les fouilles conduites sur les oppida de Corent (Poux dir. 2012 ; Poux, Demierre dir. 2016 ; Demierre 2019) et Gondole (Cabezuelo et al. 2007 ; Deberge et al. 2009 ; Foucras dir. 2019) avec, pour ce dernier, l’apport croisé des diagnostics préventifs5, des fouilles programmées et préventives, des prospections aériennes et géophysiques (Deberge à paraître) ; les recherches conduites sur les camps césariens6 (Deberge et al. 2018) mêlant, là encore, sondages programmés, diagnostics préventifs7, prospections géophysiques8 et, depuis très récemment, fouilles en aire ouverte9 [ill. 3] ; enfin, les multiples diagnostics, parfois suivis de fouilles, qui prennent place dans ce secteur particulièrement dynamique de l’agglomération clermontoise. Parallèlement, le travail de fond entrepris sur le mobilier du second âge du Fer a fourni un cadre chronologique relativement précis permettant de dater chaque occupation selon les mêmes critères et donc de retracer l’évolution du peuplement (habitat dispersé et agglomérations) dans ce secteur de l’Auvergne pour les cinq siècles avant le changement d’ère (Mennessier-Jouannet, Deberge dir. 2017). À Corent, la dynamique de fouille mise en place depuis plus de vingt ans a permis de révéler l’existence d’une agglomération complexe, réunissant quartiers d’habitation, ateliers artisanaux et équipements publics.
3. Fouille des fossés césariens à l’angle sud-est du grand camp avec, à l’arrière-plan, l’oppidum de Gergovie.
Responsable d’opération : Y. Deberge, 2020.
D. Gliksman, Inrap.
13À Gergovie, c’est 2001 qui a marqué, après plus de cinquante années d’interruption, la reprise des fouilles sur le plateau. Les dégagements réalisés depuis, presque sans interruption et en différents points du plateau (rempart, porte ouest, voie ouest, sanctuaire, porte sud, centre du plateau…), restent modestes et atteignent un peu moins d’un hectare de surface cumulée, beaucoup moins que les agglomérations voisines d’Aulnat, de Corent et de Gondole (Dacko, Garcia 2012 ; Jud 2018 ; Deberge, Pertlwieser dir. 2019) [ill. 4]. Ils sont à poursuivre afin de rééquilibrer un discours patrimonial aujourd’hui construit sur une documentation provenant essentiellement de l’extérieur du site.
4. Opérations archéologiques conduites sur le sommet du plateau de Gergovie de 1861 à 2020.
Y. Deberge, Inrap (données base Patriarche).
14Ces données riches et nombreuses, acquises sur la longue durée avec l’apport décisif des travaux du Second Empire puis de l’archéologie programmée et préventive contemporaine, ont contribué à faire évoluer et à élargir la notion de site attachée à Gergovie. Aujourd’hui, celui-ci n’est plus seulement considéré comme une entité ponctuelle mais comme un élément inscrit dans un vaste paysage. Son périmètre inclut alternativement le plateau et ses pentes, les camps romains, les oppida de Corent et Gondole, situés l’un et l’autre à moins de 7 kilomètres, les campagnes environnantes, les espaces plus lointains… Cet objet archéologique et patrimonial, en perpétuelle évolution, n’est également plus pensé de façon restrictive chronologiquement ; il s’inscrit désormais dans la diachronie, ce qui rend perceptibles les processus qui ont contribué à son émergence et ont marqué son évolution ainsi que celle du territoire environnant.
- 10 Dans le cadre du projet de loi sur la décentralisation, et à la demande du ministre de la Culture, (...)
15La construction d’un discours patrimonial autour du site de Gergovie doit prendre garde au poids symbolique du site (Maroufin 2018), d’abord jugé de faible intérêt par Prosper Mérimée en 1848, puis successivement investi par Napoléon III en 1862, par le régime de Vichy en 1942 et au générique d’un épisode des célèbres gaulois Astérix et Obélix en 1966. Il demeure aujourd’hui un monument historique propriété de l’État, appelé à le demeurer en tant que « symbole des mythes fondateurs de la nation », comme l’a souligné en 2003 le rapport de René Rémond10. L’archéologie nous permet de nous défaire du discours interprété et de le ramener aux éléments factuels.
16En prenant appui sur des résultats scientifiques de la recherche, issus de l’archéologie préventive comme programmée, le service régional de l’archéologie (SRA) a favorisé la mise en place, depuis de nombreuses années, de projets de recherches programmées sur les sites de Gergovie, de Gondole et de Corent. En parallèle, il a renforcé son attention sur les aménagements du secteur, et l’archéologie préventive apporte ainsi une part importante des connaissances. C’est, par exemple, le cas sur une partie des fortifications césariennes, qui sont insérées dans une trame urbaine en cours de densification et font l’objet de fouilles, au fur et à mesure de l’arrivée des projets individuels, alors qu’un programme de prospection thématique sur le sujet a investi le reste de ces vestiges par des méthodes non destructives [ill. 5]. Mais cette attention est surtout sensible lorsque l’on réalise une approche des surfaces investies par l’archéologie préventive. En vingt ans, dans le département du Puy-de-Dôme, plus de 4 000 hectares ont ainsi été l’objet de diagnostics, là où l’archéologie programmée s’est arrêtée à quelques milliers de mètres carrés (moins d’un hectare) pour le site de Gergovie. Les résultats sont donc ceux d’une vision extensive du territoire.
5. Relevé de la prospection magnétique réalisée par la cellule géophysique de l’Inrap sur la colline de La Roche-Blanche, révélant les vestiges fossoyés du petit camp césarien.
Responsable d’opération : Y. Deberge, 2018.
F.-X. Simon, M. Dacko et Y. Deberge, Inrap.
- 11 Remise et validation des rapports, publication des résultats dans des publications à comité de lect (...)
17L’administration de la recherche exige de porter une attention particulière à la poursuite des processus scientifiques jusqu’à leur aboutissement11. Grâce à cette mise à disposition de données validées, une véritable action de valorisation du site peut être engagée au bénéfice du public. Ainsi, à Gergovie, la mise en place d’une signalétique de visite s’est nourrie des résultats des recherches programmées comme de ceux des fouilles préventives, et le musée qui s’y est ouvert en 2019 présente des résultats qui mettent en perspective le site et son paysage, dans son évolution séculaire, en intégrant tous les résultats obtenus depuis plusieurs décennies grâce au patient travail mené par l’archéologie préventive.
18Dans ce contexte, le discours historique sur le site évolue, lentement mais sûrement. Hier, l’essentiel était de présenter des vestiges au public : des murs et des sols exhumés dont on ne savait pas assurer la pérennité autrement qu’en les reconstruisant périodiquement, entraînant ainsi leur irrévocable destruction, et en définitive la présentation d’ersatz, pour ne pas dire de faux. Aujourd’hui, nous parvenons à présenter au public des ensembles cohérents, à l’échelle d’un site comme Gergovie ou Corent, dont les limites sont facilement perceptibles, mais plus encore participant d’un paysage qui évolue sur le temps long et constitue le pays nourricier, le cadre de développement du lieu. Cela nécessite une attention soutenue au site lui-même, dont l’extrême fragilité doit sans cesse être rappelée et prise en compte dans son aménagement. La prise en considération de ces éléments dans la gestion du site de Gergovie par l’État au titre des monuments historiques s’inscrit dans une programmation de travaux minimalistes, encadrant la fréquentation avant qu’elle ne devienne un facteur de destruction, par la réduction des parkings, par l’incitation à emprunter des itinéraires balisés et entretenus, et à observer des pratiques respectueuses des lieux. À Corent, la fouille s’intègre dans le projet du département d’une approche maîtrisée du site, notamment au regard des pratiques agricoles, et la valorisation prend appui sur des restitutions architecturales.
19Notre approche de l’archéologie programmée a elle aussi évolué. La prise en considération de la nécessaire gestion raisonnée de la ressource permet de faire évoluer l’approche des chercheurs. En passant d’une archéologie extensive, peu sensible à la consommation des surfaces, à une archéologie intensive, qui limite son intervention sur des secteurs donnés dans le cadre d’une problématique précise, il est possible de traiter l’intégralité des faits archéologiques rencontrés, en mettant en œuvre une palette aussi large que possible de méthodes d’analyse et d’enregistrement, afin d’assurer une conservation par l’étude maximale, rendant ainsi les sites fouillés accessibles aux générations futures. C’est notamment le cas du projet de chantier de fouille proposé par l’Inrap à Gergovie pour 2022, qui, réinvestissant les fouilles des années 1940, va tenter de récolter les données encore disponibles sur le terrain.
- 12 Protégés au titre des sites dès 2000, labélisés « Grand site de France » en 2008 et consacrés par u (...)
20Ultime pas de cette approche multiscalaire, le projet de protection au titre des sites du paysage des oppida, traduction dans un document de planification de la spécificité de ce territoire, est désormais en bonne voie [ill. 6]. Avec plus de 4 100 hectares protégés, impliquant quatorze communes, ce projet est bien celui de la protection d’un paysage, justifiée par la présence d’un patrimoine particulier, celui des oppida. Au-delà de la sensibilité locale à la notion de paysage dans un contexte dominé par le majestueux puy de Dôme et la chaîne des Puys qui l’environne12, deux facteurs expliquent cette évolution. Le premier est que les archéologues du bassin clermontois ont été confrontés à la multiplication des oppida, d’occupation subcontemporaine, et des fortifications césariennes, dont la compréhension ne peut être assurée que par une analyse croisée des résultats, ainsi que par une comparaison minutieuse des faciès des mobiliers, notamment céramiques, métalliques et monétaires. Le second est le rôle de l’archéologie préventive, qui a montré depuis des décennies que les oppida fonctionnaient dans un contexte, dans un territoire, et que l’un et l’autre se répondent, interagissent. Ce constat est essentiel à la prise de conscience de la nécessité de protéger cette zone, soumise à une forte pression urbaine. À terme, cette protection devrait former une sorte d’écrin, protégeant l’environnement des sites, et conduire à une amélioration significative de la gestion du paysage. Elle impliquera aussi une meilleure coordination des acteurs de l’aménagement du territoire, de la protection et de la valorisation des sites et devrait dans le futur conduire à une harmonisation de cette protection et à un plan de gestion concerté, proposant au public des circuits enrichis au fur et à mesure des découvertes que ne manqueront pas de continuer à apporter archéologie préventive et archéologie programmée.
6. Cartographie générale du sud du bassin clermontois montrant les trois oppida, l’habitat dispersé (sites, indices de site et vestiges funéraires), les camps césariens ainsi que l’emprise des opérations préventives et la définition du périmètre de protection.
Y. Deberge, Inrap (données base Patriarche).
- 13 Dans le sens défini par l’article L. 510-1 du Code du patrimoine.
21Ainsi le secteur clermontois est-il pour l’archéologie une terre d’innovation. Depuis les recherches du capitaine Stoffel dans les années 1860, il y a cent soixante ans, la connaissance archéologique du territoire n’a cessé de progresser. Si Gergovie continue de capter l’attention du public et des institutions, depuis vingt ans les échanges croisés entre archéologie préventive et archéologie programmée ont démontré une fois encore les apports d’une approche multiscalaire et les résonances qui s’exercent entre ces interventions. Le site constitue bien la brique initiale de la connaissance archéologique, mais la mise en réseau des informations et l’approche du paysage en ce qu’il influence le site tout comme en ce qu’il est influencé par sa présence s’avèrent nécessaires. La présence exceptionnelle dans ce territoire de trois oppida subcontemporains et des ouvrages de siège de César a en quelque sorte obligé les acteurs de l’archéologie auvergnate à dépasser ce strict point de vue du site. À leur suite, les institutions veillent désormais à assurer une conservation de ce paysage, qui constitue un élément du patrimoine archéologique en ce qu’il compose le contexte dans lequel s’inscrivent les traces de l’existence de l’humanité13. La poursuite des fouilles et la farouche volonté de tous les acteurs de porter leurs résultats au-dehors des cercles initiés demanderont encore de nombreux efforts. Aujourd’hui, la décision de l’Inrap de s’investir dans un chantier d’archéologie programmée sur le site de Gergovie exprime combien sont devenus complémentaires, pour ne pas dire symbiotiques, les archéologies programmées et préventives.