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3 - Enrichissement du patrimoine national

Le quartier funéraire antique de la Robine à Narbonne

Narbonne’s funerary quarter of La Robine
El antiguo barrio funerario de la Robine en Narbona
Valérie Bel
p. 366-372

Résumés

À Narbonne, une fouille préventive a mis au jour un important ensemble funéraire du Haut-Empire qui se singularise par son exceptionnel état de conservation et par une occupation particulièrement dense et stratifiée. Exposés aux inondations de l’Aude toute proche, les sols successifs ont été recouverts par des limons qui ont préservé les tombes et des aménagements de surface liés aux activités funéraires. Implanté à un carrefour de voies, l’espace funéraire apparaît d’emblée structuré par des chemins et un parcellaire régulier, progressivement colonisé par des tombes, des enclos maçonnés et des espaces collectifs dévolus à la crémation, évoquant un quartier peut-être aménagé par la colonie. S’appuyant sur les acquis et les questionnements de la recherche sur les pratiques funéraires à l’époque romaine, l’enquête de terrain a tenté, par ses choix, de préserver ce potentiel informatif exceptionnel : par une appréhension globale, exhaustive et stratigraphique de l’ensemble funéraire, de manière à en saisir le « fonctionnement » et l’évolution, et par une attention aux gestes et aux structures liées aux différentes étapes du rituel funéraire. Il s’agissait de constituer un référentiel susceptible de repérer, en croisant les études archéologiques et biologiques, les composantes sociales, culturelles et chronologiques de la variabilité des dispositifs et des façons de faire, afin de mieux connaître la population ayant fréquenté la nécropole.

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Texte intégral

1Non loin du nouveau musée régional de la Narbonne antique (Narbo Via) qui restitue au public le riche patrimoine de la colonie romaine de Narbo Martius, les recherches archéologiques préventives ont mis au jour un ensemble funéraire du Haut-Empire qui se singularise par son exceptionnel état de conservation, par son organisation en quartier structuré par des chemins et des enclos et par une occupation particulièrement dense et stratifiée. Considéré comme un site majeur pour la connaissance des pratiques funéraires à l’époque romaine, il a fait l’objet d’une fouille préventive de grande ampleur dont l’enjeu est de restituer le formidable potentiel informatif de cet ensemble d’exception. Devant composer avec les inévitables contraintes de l’archéologie préventive, l’enquête de terrain s’est attachée à construire un référentiel cohérent, élaboré en fonction des questionnements actuels de l’archéologie funéraire. Il s’agit notamment de cerner le mode de « fonctionnement » de l’ensemble sépulcral appréhendé dans sa globalité ; d’identifier les gestes en relation avec les différentes étapes du rituel ; et au-delà, grâce au croisement des études archéologiques et biologiques, de repérer les composantes sociales, culturelles et chronologiques de la variabilité des dispositifs et des façons de faire, afin de mieux connaître la population ayant fréquenté la nécropole.

Renouvellement des recherches sur la Narbonne antique

  • 1 Projet collectif de recherche (PCR) « Les ports antiques de Narbonne » (responsable : Corinne Sanch (...)
  • 2 Fouille archéologique programmée du collège Victor-Hugo (responsable : Véronique Canut, Inrap).
  • 3 Programme de recherche sur les inscriptions latines de Narbonnaise (responsable : Sandrine Agusta-B (...)

2Cette découverte s’inscrit dans un contexte de développement des études sur la Narbonne antique. Capitale de la province de Narbonnaise et centre économique florissant, l’un des plus grands ports de Méditerranée occidentale, celle-ci fait l’objet de plusieurs programmes de recherches : notamment sur le système portuaire1, sur le temple dit du Capitole2 ou sur le riche corpus épigraphique3 (Agusta-Boularot, Courrier dir. 2021). Quant aux connaissances sur les ensembles funéraires périurbains, elles reposent sur des données disparates et dispersées, issues pour une large part de découvertes anciennes dont la documentation reste à exploiter (Dellong 2002) et de quelques opérations préventives plus récentes. Le site de la Robine est situé au sein d’une des zones funéraires repérées le long des principales voies d’accès à la ville. Plus précisément, il a été implanté à 600 mètres à l’est des limites de l’agglomération du Haut-Empire, à un carrefour de voies menant aux ports antiques, l’une d’elle se dirigeant notamment vers le site de la Nautique. Cette situation particulière pose la question d’un possible lien entre le recrutement de la nécropole et l’activité portuaire. Si d’autres tombes ont été repérées le long de la voie se dirigeant vers l’agglomération (l’actuelle avenue de Gruissan), les diagnostics archéologiques réalisés dans ce secteur paraissent témoigner d’une occupation discontinue, avec de larges espaces vides ou dévolus à d’autres activités (carrières, espaces cultivés) entre les différents points de découverte. Se dessine ici un mode d’implantation polynucléaire et éclaté, conforme au modèle dominant dans les contextes périurbains ou ruraux durant l’Antiquité (Tranoy et al. dir. 2009, p. 290-294). La fouille des berges de la Robine apporte un nouvel éclairage, laissant envisager l’existence d’un schéma d’implantation bien différent.

Un contexte géomorphologique favorable à la conservation des vestiges

3Établi à proximité d’un bras de l’Aude (l’actuel canal de la Robine), le site a été en partie préservé des destructions postérieures par les limons de débordement du fleuve accumulés au fil des siècles sur près de 3 mètres d’épaisseur. Au cours des 250 ans d’occupation funéraire (ier-iiie s. de n. è.), des apports sédimentaires réguliers ont recouvert et protégé les tombes, les sols successifs et les aménagements de surface liés aux activités rituelles et à l’entretien de la mémoire des morts. Cette configuration n’a pas d’équivalent en France, les ensembles funéraires ne conservant au mieux que quelques lambeaux de sols et la partie supérieure des structures funéraires ayant bien souvent irrémédiablement disparu. L’exhaussement progressif des sols permet aussi d’individualiser les étapes de l’occupation et de suivre dans le détail son évolution et celle des pratiques. Les vestiges funéraires n’ont cependant pas été entièrement épargnés : lors de la période qui a suivi l’abandon de la nécropole, les constructions ont souvent été épierrées jusqu’aux fondations, à l’exception de quelques maçonneries conservées en élévation. Par ailleurs, en certains endroits, les structures funéraires ont été impactées par des fosses et des fossés liés à la réoccupation du site dans l’Antiquité tardive. Néanmoins, ces remaniements ne sont pas de nature à remettre en question la possibilité d’une appréhension globale de l’espace sépulcral.

La fouille préventive : les objectifs et les choix

  • 4 Responsables des opérations : Maxime Guillaume, Inrap (2007) ; Olivier Ginouvez, Inrap (2014).
  • 5 Responsable d’opération : V. Bel, Inrap.
  • 6 Réalisée par l’Inrap sous la responsabilité de V. Bel, l’opération a bénéficié d’un important finan (...)

4Repérée en 2007 et 2014 lors de diagnostics préalables à l’aménagement d’un nouveau quartier à l’est de la ville (zone d’aménagement concerté [ZAC] des berges de la Robine)4, l’occupation funéraire antique n’est apparue dans toute son ampleur qu’à l’occasion de la fouille préventive réalisée de novembre 2017 à février 20185 sur une parcelle de 5 000 m². Le décapage de cette vaste surface a permis de reconnaître la zone funéraire sur plus de 2 000 m², de mettre hors d’eau les vestiges antiques immergés dans la nappe phréatique et de prendre la mesure de la densité des structures funéraires (parfois près d’une par mètre carré) étagées sur plusieurs niveaux superposés. Son exploration a été poursuivie dans le cadre d’une fouille pour découverte d’importance exceptionnelle, prescrite par le service régional de l’archéologie (SRA) d’Occitanie afin de mener à bien la fouille de l’ensemble des structures funéraires [ill. 1]. Cette opération de grande envergure effectuée de juillet 2019 à novembre 20206 a été motivée par l’intérêt patrimonial du site et par son potentiel scientifique pour l’étude des pratiques funéraires durant l’Antiquité. Ce champ de recherche bénéficie d’importantes avancées méthodologiques et théoriques (Scheid dir. 2008 ; Scheid 2012), stimulées par l’accroissement de la documentation archéologique issue des fouilles préventives (par exemple : Blaizot dir. 2009 ; Van Andringa dir. 2012) et programmées (Van Andringa et al. 2013).

1. Vue générale de la fouille, avec le musée Narbo Via en arrière-plan.

1. Vue générale de la fouille, avec le musée Narbo Via en arrière-plan.

Cl. V. Lauras, GlobDrone.

  • 7 Comité d’expert constitué en lien avec la commission territoriale de la recherche archéologique (CT (...)
  • 8 À l’exception des vestiges situés sous le talus de sécurité en limite nord de la parcelle. Des disp (...)

5Suivant la prescription du SRA et l’avis des experts7, il est apparu essentiel de procéder à l’exploration exhaustive et continue de la zone funéraire dégagée dans l’emprise8. Cet objectif s’inscrit dans une double perspective : celle d’une approche spatiale, dynamique et stratigraphique globale, qui permet de repérer les éléments structurants et la différenciation fonctionnelle des espaces (cheminements, activités rituelles, aires de crémation…) ; celle de l’étude comparée (et diachronique) des structures, des gestes et des individus inhumés ou incinérés, entre les diverses unités spatiales et les enclos. La fouille ayant été calibrée pour 1 150 structures funéraires, il a été nécessaire en fin d’opération d’adapter le protocole de fouille et d’enregistrement afin de pouvoir étudier la totalité des vestiges (soit 1 650 structures funéraires), tout en maintenant un minimum de cohérence dans la qualité et la nature des informations recueillies. Des impasses ont été faites, notamment sur certains type d’analyse (micromorphologie, parasitologie par exemple). Le décapage fin des sols, souvent difficiles à individualiser les uns des autres, a été limité aux secteurs présentant des vestiges de mobilier ou restes fauniques témoins éventuels des activités rituelles. Ces choix délicats ont été facilités grâce à un dialogue constant entre l’équipe, le SRA et les experts. Ainsi, une attention particulière a été portée à la fouille d’une aire de crémation collective et notamment aux restes osseux brûlés issus des remblais constitués de résidus de crémation. L’étude des liaisons ostéologiques est en effet susceptible de mettre en évidence des relations entre l’aire de crémation et les tombes situées dans les enclos (Duday 2018). On peut légitimement penser que l’analyse de la masse considérable de données recueillies permettra de tester nos modèles interprétatifs et fera naître de nouvelles problématiques de recherche pour l’avenir.

Un espace funéraire particulier

6La fouille concerne la partie sud-ouest d’un ensemble centré sur le croisement de deux voies, l’une située au nord sous l’avenue de Gruissan et l’autre, d’axe nord-sud, partiellement dégagée dans l’emprise [ill. 2]. La zone funéraire se développe de manière classique le long de ces axes, mais selon deux modalités bien différentes. On distingue ainsi une concentration des tombes au sein d’une bande étroite (4 mètres de largeur) sur la rive ouest de la voie nord-sud. Cette bande est délimitée par un fossé dans sa partie sud, et au nord par un long mur qui la sépare d’un vaste espace qui se déploie sur 35 mètres de largeur le long de la voie nord. Délimité au sud par un fossé et un chemin, cet espace est structuré, dès l’origine semble-t-il, par une série de chemins de desserte parallèles à l’avenue de Gruissan. La présence de sépultures est attestée sous le talus le long de l’avenue, mais il n’a pas été possible de les fouiller. Ces deux ensembles semblent se mettre en place à la même époque (courant de la première moitié du ier s. de n. è.). L’intensification des enfouissements à partir de la seconde moitié du Ier siècle conduit à une extension de la nécropole hors du cadre initial : au-delà des fossés au sud-ouest, une carrière d’extraction d’argile est remblayée avec des gravats pour laisser place à un grand enclos qui a livré 75 structures funéraires, puis par d’autres implantations. À l’est, l’extension se fait le long de l’avenue de Gruissan.

2. Plan simplifié de l’ensemble funéraire de la Robine.

2. Plan simplifié de l’ensemble funéraire de la Robine.

DAO : V. Vaillé et A. Fabre, Inrap.

7Les indices dont on dispose suggèrent la mise en place, dès le début de l’occupation funéraire, d’un parcellaire régulier, matérialisé à l’origine par des chemins et des bornes ainsi que par de petits fossés ou palissades dont certains seront remplacés par des enclos maçonnés. On pourrait être en présence d’un secteur réservé aux tombes par la colonie, organisé à la manière d’un lotissement dont les parcelles sont progressivement occupées au gré de leur acquisition. Ce modèle peu attesté trouve un possible parallèle à Nîmes (Bel dir. 2018). Un vaste espace aux sols rubéfiés associés à des bûchers en fosse semble avoir été affecté aux crémations selon un usage collectif. On suit les réaménagements successifs du quartier funéraire : des enclos sont agrandis au détriment d’enclos voisins ou mêmes des chemins de desserte ; l’aire de crémation collective est colonisée par des tombes. L’ensemble de ces indices suggère qu’une partie de l’organisation de la nécropole, tout au moins sa mise en place, est le fait de décisions de la puissance publique. Des prélèvements malacologiques et palynologiques ont été effectués (en colonne ou dans les colmatages des réceptacles funéraires), afin de suivre l’évolution du paysage à l’échelle de la nécropole et pour déterminer la place du végétal au sein des parcelles funéraires.

8Ce qui subsiste des enclos fait penser qu’ils étaient constitués de hauts murs dotés de portes. Ces constructions soignées comportent de nombreux blocs remployés issus d’anciens monuments funéraires ou de stèles. Comme ces blocs, les épitaphes conservées ont été trouvées en remploi dans des constructions ou des tombes, ou encore dans les couches de démolition. Elles ont le plus souvent été gravées sur des plaques de marbre qui devaient être apposées sur les murs des enclos. La petite série disponible émane d’affranchis ou d’esclaves pour la plupart d’origine italienne (Bonsangue et al. 2019). À l’image de cette population plébéienne (mais pas démunie), les monuments funéraires retrouvés sur une partie des tombes sont des constructions maçonnées de petites dimensions revêtues d’enduits peints [ill. 3]. Ces modestes édicules ont fait l’objet de réaménagements ou de restaurations. La nécropole apparaît comme un espace de vie où se déroulent les activités liées à la construction et à l’entretien des édifices mais aussi bien sûr aux diverses opérations rituelles.

3. Petit monument au sein d’un enclos maçonné.

3. Petit monument au sein d’un enclos maçonné.

Cl. V. Archimbeau, Inrap.

Diversité des dispositifs et des pratiques funéraires

9La crémation est le mode de traitement funéraire le plus répandu au sein de cet espace. L’inhumation (des enfants et des adultes) est néanmoins attestée tout au long de l’occupation du site. Les deux modalités coexistent en fait dans la plupart des enclos, mais selon des proportions qui diffèrent d’un enclos à l’autre. Les bûchers sont dressés dans l’aire de crémation collective ou au sein même des parcelles funéraires, sur le sol ou dans de grandes fosses creusées à cet effet. Ces structures conservent des résidus de crémation dont le tamisage systématique permet de documenter l’identité biologique du défunt, les objets personnels qui l’ont accompagné, l’approvisionnement en bois du bûcher, l’appareil funéraire (comme les restes de lit à décors d’ivoire ouvragée), le type d’aliments consommés lors du repas des funérailles (dattes, figues, noix…), les vases utilisés pour le service du repas funéraire.

10On est frappé par la très grande diversité des tombes, dans lesquelles on retrouve cependant souvent les mêmes constituants, qui paraissent essentiels à la réalisation du rituel : ce sont notamment les restes brûlés osseux du défunt, généralement placés dans une urne en céramique ou en pierre (dont un exceptionnel exemplaire en marbre décoré) ou dans un simple sac. La fouille systématique de ces récipients permet de repérer des dépôts en sac ou des apports successifs. L’ossuaire est entouré de récipients liés aux rites de libation (cruches, gobelets, vases à parfum…), de lampes ainsi que de restes charbonneux provenant du bûcher. Certains vases ont été brisés volontairement avant leur dépôt, ou ont été disposés à l’envers [ill. 4], selon des pratiques bien attestées dans les contextes funéraires d’époque romaine. Installés dans la fosse du bûcher ou dans une fosse distincte, ces éléments ont été protégés, avec beaucoup de soin mais selon des modalités très variées, par des dispositifs de couverture ou des coffrages faits de matériaux divers, souvent en remploi.

4. Tombe en coffrage de tuiles avec conduit à libation et cruches placées à l’envers.

4. Tombe en coffrage de tuiles avec conduit à libation et cruches placées à l’envers.

Cl. C. Guillot de Suduiraut, Inrap.

11Les individus inhumés ont été placés dans des cercueils (dont le bois gorgé d’eau était en partie conservé) ou dans des coffrages. Comme dans les crémations, les restes du défunt sont accompagnés de dépôts de vases mais aussi, parfois, d’objets personnels. C’est le cas notamment des tombes de très jeunes enfants dans lesquelles on a découvert de nombreuses amulettes (pendentifs phalliques, perles, dents animales…), souvent associées en colliers, qui étaient censées protéger les nourrissons des démons ou des maladies.

12Parce qu’on dispose d’un grand nombre de sépultures et que celles-ci s’inscrivent dans des parcelles aux limites bien définies, il est possible de mieux comprendre la variété des pratiques et des dispositifs : quelle est la part des choix individuels, des pratiques liées à la place dans le groupe (notamment en fonction de l’âge), des façons de faire propres à chacun des groupes ou encore des usages communs à une époque ? Cette enquête passe par la combinaison des observations anthropologiques et archéologiques, notamment par l’étude des mobiliers.

Une documentation unique sur les pratiques mémorielles

13La préservation des sols a favorisé la conservation de dispositifs, appelés « conduits à libation », qui permettaient d’introduire à l’intérieur de la tombe, jusque sur les restes du défunt, des offrandes destinées à honorer sa mémoire. De tels aménagements ont été reconnus dans nombre de sites funéraires en Gaule romaine, mais souvent de manière ponctuelle (Blaizot et al. 2009a, p. 172 ; 2009b, p. 236-239). Fabriqués avec des morceaux d’amphore remployés ou des éléments de canalisation en terre cuite, les conduits équipent une grande partie des crémations du site de la Robine, mais pour une raison qui nous échappe, ils sont quasiment absents des inhumations. Une attention particulière a été portée à leur fouille, qui a permis de repérer des dépôts divers, notamment des coupelles ayant pu servir aux libations [ill. 5] ainsi que des coquillages et des objets (miroir, bracelet…). Des prélèvements ont été effectués de manière systématique dans ces vases à libation, mais aussi à la base des conduits (sur les os ou les couvercles des ossuaires) afin de constituer une banque de données pour la caractérisation, par analyse de chimie organique, des produits déversés lors des rites commémoratifs. Le nombre de conduits mis au jour offre en effet l’occasion unique d’étudier des pratiques essentielles pour comprendre les rapports que les vivants ont entretenu avec leurs morts dans la société antique.

5. Coupelles empilées dans un conduit à libation.

5. Coupelles empilées dans un conduit à libation.

Cl. Y. Guerrero, Inrap.

14De petits foyers ont parfois été aménagés aux côtés des tombes. Ils pourraient avoir été utilisés pour brûler les offrandes (notamment des coquillages) en l’honneur des dieux mânes du défunt. On rencontre également, sur les sols des enclos, des concentrations de fragments de vases ou de coquillages qui pourraient correspondre aux déchets des rites alimentaires effectués auprès des sépultures. Les témoins les plus éloquents de ces pratiques sont les lits de table maçonnés (triclinia) qui équipent trois des enclos mis au jour [ill. 6]. Deux d’entre eux sont associés à un puits à eau. Ces constructions de plan semi-circulaire ou quadrangulaire témoignent des banquets partagés par la famille des défunts lors des funérailles ou à l’occasion des fêtes funéraires en l’honneur des dieux mânes.

6. Triclinium (au centre du cliché) constitué d’une banquette semi-circulaire en terre délimitée par un muret en pierre, disposée autour d’une petite pièce maçonnée quadrangulaire au sol et aux murs décorés.

6. Triclinium (au centre du cliché) constitué d’une banquette semi-circulaire en terre délimitée par un muret en pierre, disposée autour d’une petite pièce maçonnée quadrangulaire au sol et aux murs décorés.

Cl. A. Boisson, Inrap.

15Le site de la Robine offre ainsi une documentation exceptionnelle qui nous permet d’évoquer de manière très concrète les rituels qui étaient effectués au sein des espaces sépulcraux. Cette documentation est bien sûr dépendante des choix qui ont présidé à la fouille réalisée dans les conditions de l’archéologie préventive. Néanmoins, la somme des données recueillies est considérable et susceptible d’alimenter de nombreuses recherches qui vont permettre d’approfondir notre connaissance de la société narbonnaise antique à travers ses pratiques funéraires.

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Bibliographie

Pour les opérations archéologiques citées dans cet article, les références, notices et documents liés des rapports sont consultables sur le catalogue des fonds documentaires de l’Inrap https://dolia.inrap.fr, ou au SRA.

Agusta-Boularot S., Courrier C. (dir.) 2021 : Inscriptions latines de Narbonnaise IX. 1. Narbonne, Paris, CNRS Éditions (coll. Suppl. à Gallia), 932 p.

Bel V. (dir.) 2016 : Deux ensembles funéraires d’époque romaine, Montpellier, Éditions de l’Association de la Revue archéologique de Narbonnaise (coll. Supplément à la Revue archéologique de Narbonnaise, 46), 427 p.

Blaizot F. (dir.) 2009 : Dossier : Pratiques et espaces funéraires dans le Centre et le Sud-Est de la Gaule durant l’Antiquité, Gallia, 66-1.

Blaizot F., Bel V., Bonnet C., Georges P., Richier A. 2009a : Les pratiques postcrématoires dans les bûchers, Gallia, 66-1, p. 151-174.

Blaizot F., Bel V., Bonnet C., Wittmann A., Georges P., Gisclon J.-L., Tranoy L., Vieugué J. 2009b : Structures secondaires et structures accessoires, Gallia, 66-1, p. 175-251.

Bonsangue M.-L., Bel V., Guillaume M. 2020 : Nouvelles inscriptions de la nécropole de la Robine à Narbonne, Revue archéologiquede Narbonnaise, 52, p. 149-180.

Dellong É. 2002 : Narbonne et le Narbonnais, Paris, Académie des inscriptions et belles-lettres - ministère de l’Éducation nationale ministère de la Recherche - ville de Narbonne - Maisons des sciences de l’Homme (coll. Carte archéologique de la Gaule, 11-1), 704 p.

Duday H. 2018 : Les restes humains et la définition de la tombe à l’époque romaine, in Nenna M.-D., Huber S., Van Andringa W. (dir.), Constituer la tombe, honorer les défunts en Méditerranée antique, Alexandrie (Égypte), Centre d’études alexandrines (coll. Études alexandrines), p. 403-429.

Scheid J. (dir.) 2008 : Pour une archéologie du rite : nouvelles perspectives de l’archéologie funéraire, Rome, École française de Rome (coll. de l’École française de Rome, 407), 358 p.

Scheid J. 2012 : Iusta facere. Le culte des morts dans l’Italie antique et dans les provinces septentrionales de l’empire, Cours du Collège de France, octobre 2011 - janvier 2012, [URL : https://www.college-de-france.fr/site/john-scheid/course-2011-2012.htm].

Tranoy L., Bel V., Georges P., Blaizot F. (dir.) 2009 : Les espaces funéraires, Gallia, 66-1, p. 253-310.

Van Andringa W. 2012 : Dossier : Nécropoles et sociétés : cinq ensembles funéraires des provinces de Gaule (Ier-Ve s. apr. J.-C.), Gallia, 69-1.

Van Andringa W., Duday H., Lepetz S., Creissen T., Larminat S. de, Gailliot A. 2013 : Mourir à Pompéi : fouille d’un quartier funéraire de la nécropole romaine de Porta Nocera (2003-2007), Rome, École française de Rome (coll. de l’École française de Rome, 468), 2 vol., xx + 1 465 p.

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Notes

1 Projet collectif de recherche (PCR) « Les ports antiques de Narbonne » (responsable : Corinne Sanchez, CNRS, UMR 5140 « ASM »).

2 Fouille archéologique programmée du collège Victor-Hugo (responsable : Véronique Canut, Inrap).

3 Programme de recherche sur les inscriptions latines de Narbonnaise (responsable : Sandrine Agusta-Boularot, université Paul-Valéry Montpellier 3, UMR 5140 « ASM »).

4 Responsables des opérations : Maxime Guillaume, Inrap (2007) ; Olivier Ginouvez, Inrap (2014).

5 Responsable d’opération : V. Bel, Inrap.

6 Réalisée par l’Inrap sous la responsabilité de V. Bel, l’opération a bénéficié d’un important financement public (État, région Occitanie, département de l’Aude, agglomération du Grand Narbonne, ville de Narbonne) ainsi que la part du maître d’ouvrage du projet (Alenis, société d’aménagement du Grand Narbonne).

7 Comité d’expert constitué en lien avec la commission territoriale de la recherche archéologique (CTRA), composé de John Scheid, Henri Duday, William Van Andringa et Jean-Pierre Brun.

8 À l’exception des vestiges situés sous le talus de sécurité en limite nord de la parcelle. Des dispositions ont été prises par le SRA pour qu’ils soient préservés.

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Table des illustrations

Titre 1. Vue générale de la fouille, avec le musée Narbo Via en arrière-plan.
Crédits Cl. V. Lauras, GlobDrone.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/14370/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 748k
Titre 2. Plan simplifié de l’ensemble funéraire de la Robine.
Crédits DAO : V. Vaillé et A. Fabre, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/14370/img-2.png
Fichier image/png, 597k
Titre 3. Petit monument au sein d’un enclos maçonné.
Crédits Cl. V. Archimbeau, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/14370/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 650k
Titre 4. Tombe en coffrage de tuiles avec conduit à libation et cruches placées à l’envers.
Crédits Cl. C. Guillot de Suduiraut, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/14370/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 629k
Titre 5. Coupelles empilées dans un conduit à libation.
Crédits Cl. Y. Guerrero, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/14370/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 364k
Titre 6. Triclinium (au centre du cliché) constitué d’une banquette semi-circulaire en terre délimitée par un muret en pierre, disposée autour d’une petite pièce maçonnée quadrangulaire au sol et aux murs décorés.
Crédits Cl. A. Boisson, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/14370/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
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Pour citer cet article

Référence papier

Valérie Bel, « Le quartier funéraire antique de la Robine à Narbonne »Archéopages, Hors-série 6 | -1, 366-372.

Référence électronique

Valérie Bel, « Le quartier funéraire antique de la Robine à Narbonne »Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 03 août 2023, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/14370 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.14370

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Auteur

Valérie Bel

Inrap, UMR 5140 « ASM »

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Droits d’auteur

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