- 1 Sous la direction de Sébastien Chevrier.
1Si la fouille de tout ou partie de pars urbana de villae antiques n’est pas inhabituelle, la découverte d’un lot de mobilier homogène constituant un ensemble clos illustrant les activités d’un tel établissement à un instant T demeure exceptionnelle. C’est ce qui est pourtant arrivé lors de la fouille1 d’un bâtiment de la pars urbana d’une villa située à Saint-Clément (Yonne), lieu-dit la Pointe Molot, à la périphérie nord-est de Sens Agedincum, le chef-lieu de la civitas Senonum (Chevrie, 2018). Alors que la fouille s’achevait, l’équipe a pu mettre au jour, dans le comblement d’une cave du bâtiment de la pars urbana [ill. 1], un lot composé de près de 200 objets métalliques, en sus de la clouterie. La cause de la destruction du bâtiment dans le courant de la première moitié du iiie siècle de notre ère semble être un incendie. L’effondrement rapide d’une partie du bâtiment a scellé bon nombre d’éléments dans la cave (céramique, enduits peints, objets métalliques). Il ne s’agit pas d’un dépôt car ces objets, mêlés à des matériaux de démolition, ont été retrouvés dans la partie inférieure de la cave sous un niveau de tuiles et de gravats résultant de l’écroulement de la pièce supérieure.
1. Emprise de la fouille et plan du bâtiment 1 de la villa de Saint-Clément.
Levé : J. Berthet, DAO : C. Capdeville et B. Fort, Inrap.
2Le lot d’objets recueillis dans le comblement de la cave, très homogène du point de vue de sa composition, permet de caractériser la pièce surmontant la cave et dans laquelle il était stocké et de proposer ainsi une fonction de resserre à cet espace. La découverte d’objets identiques, mais de modules différents comme c’est le cas pour les haches, les pièces de char ou les hipposandales, indique que nous avons affaire à des panoplies liées à des utilisations différentes, du type de nos boîtes à outils, et/ou à des pièces de rechange. La mise au jour d’éléments de meuble est vraisemblablement liée à la présence dans la cave d’un meuble de type armoire (traces au sol) et peut-être à d’autres contenants situés dans la cave, dans la resserre voire dans la pièce surmontant la resserre elle-même, à l’étage du bâtiment. Par ailleurs, le comblement de la cave, scellé par un niveau de démolition, constitue un « ensemble clos ». Il n’a fait l’objet d’aucun traitement ou prélèvement postérieur à son enfouissement ; il offre ainsi une sorte d’image instantanée du mobilier présent dans le bâtiment vers le milieu du IIIe siècle de notre ère. Bien que l’on puisse citer l’ensemble de la villa d’Oberndorf en Autriche (Picker 2015), il existe peu de comparaisons pour des corpus aussi conséquents et dans des contextes similaires.
3Le lot métallique découvert dans la cave et dans son escalier est composé de 725 artéfacts dont 482 clous, 4 indéterminés et 54 accessoires de quincaillerie (pitons, crochets, anneaux, plaques). Le reste du mobilier, soit 185 objets [ill. 2], est constitué de pièces entières ou d’éléments appartenant à des ensembles plus complexes comme ceux d’au moins deux meubles. Typologiquement, on décompte 45 objets liés à la production, soit un quart du corpus hors clouterie ; 47 qui peuvent être rattachés au domaine des transports ; 6 éléments appartenant à 2 objets, que nous pensons en lien avec des activités commerciales. Les objets domestiques constituent une autre part importante du corpus (57). Enfin, quelques objets se rapportant à la sphère des objets personnels complètent le lot.
2. Les objets à la sortie de la fouille.
Cl. Ph. Gerbet, Inrap.
4Parmi les objets liés à la production, 34 sont d’usage exclusivement agricole, 6 relèvent du travail du bois, 4 sont d’usage mixte et le dernier, un épieu, est à mettre en lien avec la pratique de la chasse. La plupart sont connus par des comparaisons individuelles (Huitorel 2020) mais c’est leur assemblage qui fait l’intérêt du corpus [ill. 3] (Fort, Tisserand N. à paraître).
3. L’outillage agricole découvert dans le comblement de la cave.
F. Gauchet, N. Tisserand, Inrap.
5Les 38 objets à vocation agropastorale ou associée peuvent être dénombrés et classés en grands groupes fonctionnels, on compte 11 outils liés à la mise en culture, 3 à la récolte, 13 à la taille et à l’entretien, 3 à l’élevage et moins d’une dizaine de fragments d’outils agricoles dont on ne peut préciser la fonction. La variété de ces outils agricoles permet un classement fonctionnel lié au cycle des cultures : mise en culture (préparation de la terre avec le petit soc, la bêche ou les binettes), récolte (faux, lames agricoles), taille et entretien (binettes, serpes, faux recyclée). Lorsqu’on parle de préparation de la terre, nous envisageons aussi bien les instruments de labour que ceux destinés à des travaux plus légers, la finalité restant la même. Les pratiques liées à l’élevage sont, par comparaison, bien moins représentées, uniquement par quelques rares fragments de lames de forces et une sonnaille. Cependant, les outils de fenaison ont pu servir tant à la récolte du chaume qu’à la récolte du fourrage pour les animaux. Les autres outils sont tous en lien avec le travail du bois : haches, scies, lime, ciseaux et gouges. Certains sont strictement liés à la menuiserie (ciseaux, gouges) alors que d’autres (scies, haches) sont d’usage mixte (abattage, charpente, menuiserie…) mais tous peuvent néanmoins participer à l’activité agricole du domaine, au sens large. À l’exception des outils liés à la menuiserie, aucun autre indice d’activité artisanale n’a été mis au jour, alors que les établissements ruraux livrent généralement des indices forts d’activités variées telles que la métallurgie (forges de production et surtout de petites réparations d’outils sur place), le travail du textile ou du cuir témoignant d’une économie presque autosuffisante où l’on répare, entretient et fabrique peut-être certains outils et où l’on transforme les produits de l’exploitation. Même si on ne peut évidemment pas exclure que la pars rustica, non fouillée, recelait d’autres lieux de stockage d’outils voire peut-être des installations de type forge, la présence d’un espace contenant des outils et des pièces de rechange dans la pars urbana ou a minima dans un lieu servant également d’habitation (présence de thermes dans le bâtiment) indique clairement que ces objets devaient être conservés au plus près de leur propriétaire-régisseur (Columelle, De l’Agriculture, I, 6.)
6Les objets liés au domaine des transports peuvent être répartis entre ceux liés aux attelages et véhicules, les ferrures animales et les éléments de harnachement [ill. 4]. Dans une exploitation rurale, la question du transport est fondamentale ; l’équipement en charrette est d’ailleurs une des premières choses listées comme nécessaires par les agronomes antiques (Caton : De l’Agriculture, Palladius, Traité d’agriculture). Au-delà du transport des personnes, les véhicules servent surtout au transport des marchandises à l’extérieur mais également à l’intérieur du domaine agricole ainsi qu’aux des travaux des champs dans des portions non quantifiables.
4. Les objets liés au transport découverts dans le comblement de la cave.
F. Gauchet, N. Tisserand, Inrap.
7Dans le cas de Saint-Clément, les pièces recueillies ne correspondent pas à celles d’un char démonté ou stocké mais plutôt à un ensemble de pièces détachées de remplacement qui devaient correspondre aux pièces les plus fragiles ou les plus soumises à l’usure sur les véhicules. L’image renvoyée est donc celle d’un stock permettant de pallier les besoins courants puisqu’on recense des renforts de moyeu, des frettes et cages de moyeu, une clavette de moyeu et des renforts de timon. Ce qui est également intéressant et que l’on peut observer pour d’autres catégories d’outils du corpus (les haches, par exemple) est le fait que certaines séries sont présentes en différents modules, probablement pour pouvoir réparer des véhicules de différentes tailles. Ce phénomène de série de rechange s’observe également pour la catégorie des ferrures animales. Les neuf hipposandales sont toutes de tailles et de morphologies différentes.
8Les autres pièces sont des éléments de mors et des boutons ou appliques de harnais. Cette fois encore, on peut penser qu’il s’agit d’un petit stock de pièces détachées destinées à pallier des pertes ou des casses accidentelles, fréquentes avec ce type d’objets.
9On classe ici les six pièces de deux balances dites romaines, l’une en alliage cuivreux, l’autre en fer. [ill. 5]. Ces balances, dont les fléaux en bois ont disparu, sont néanmoins complètes et bien que réalisées en matériaux différents, identiques et de dimensions comparables. Leur mode de fabrication et leur morphologie, avec un fléau en bois et une gaine métallique à laquelle les crochets de suspension et les plateaux sont attachés, les qualifient pour un modèle bien connu à l’époque romaine, la statera, rarement découvert en aussi bon état. Sur ces deux balances, la partie métallique du fléau est dotée de crochets situés de chaque côté de ce dernier, permettant après retournement de la balance d’effectuer des pesées à deux échelles différentes ; les graduations inscrites sur le fléau en bois devaient donc être différentes de chaque côté elles aussi.
5. Les éléments de deux statera.
F. Gauchet, N. Tisserand, Inrap.
10Les objets domestiques constituent une part importante du corpus. Néanmoins, les 45 éléments se rapportant à l’ameublement (cornières, éléments de serrurerie et agrafes) n’appartiennent qu’à deux meubles distincts. On peut restituer un petit coffre et un meuble plus gros, soit de type armoire à deux portes, soit de type coffre-malle. La présence de ce dernier est d’ailleurs confirmée par l’observation sur le sol de la cave d’une zone charbonneuse rectangulaire mesurant 120 cm × 75 cm et correspondant vraisemblablement à son emplacement. Si la découverte de garnitures de meuble est plutôt fréquente, la mise au jour de tous les éléments métalliques d’un même meuble est plus rare, a fortiori celle de deux meubles.
11Les autres objets domestiques sont liés aux activités culinaires, à l’éclairage et au puisage de l’eau : trois couteaux dont une feuille de boucher ; un chaudron en fer, objet assez rare durant l’époque romaine ; un crochet de crémaillère ayant peut-être fonctionné avec le chaudron ; une casserole en alliage cuivreux ; deux chandeliers en fer ; quatre éléments métalliques de seau.
12Ils appartiennent uniquement au domaine des soins puisqu’on identifie une cuillère-sonde, une pince à épiler et un strigile, auxquels il convient d’ajouter des plaques en schiste qui peuvent être utilisées pour le mélange de poudres à onguents. Si les cuillères-sondes et les pinces à épiler sont des objets communs au iiie siècle, la découverte d’un strigile, en fer qui plus est, est tout à fait exceptionnelle. En effet, cet instrument d’origine étrusque, qui sert à racler et nettoyer la peau après un effort physique, est un objet caractéristique du monde romain et d’un mode de vie à la romaine. Le strigile de Saint-Clément, encore accroché à son crochet de suspension, devait être pendu au mur du bâtiment surmontant la cave et sa découverte au sein d’un ensemble non domestique nous pose question. Sa présence est-elle liée à la proximité de bains puisque ce type d’objet de toilette est souvent découvert dans les thermes ? Mais dans ce cas, le matériau est surprenant puisque le fer rouille très facilement. Ce strigile servait-il plutôt à un nettoyage rapide consécutif aux travaux agricoles ? Ou bien serait-il dévolu à un usage vétérinaire tel une étrille, comme peuvent l’être d’ailleurs les autres objets de soin mis au jour ? L’absence d’objets de parure, habituellement fréquents dans la première moitié du iiie siècle, est un indice très intéressant qui nous incite à écarter un usage résidentiel de l’espace bâti au-dessus de la cave.
13De nombreuses interrogations demeurent quant au corpus mis au jour à Saint-Clément : s’agit-il uniquement d’outils de rechange, de l’intégralité des outils de l’établissement, d’un mixte entre outils les plus couramment utilisés et pièces de rechange stockées dans un endroit sain ? La publication exhaustive du corpus (en cours) pourra peut-être apporter quelques éléments de réponse. On peut néanmoins déjà avoir quelques certitudes. Le mobilier découvert était stocké dans une partie de la pars urbana ; il devait donc exister d’autres espaces de stockage, a minima, pour les équipements les plus volumineux. Il s’agit d’un ensemble complet, c’est-à-dire en l’état de l’assemblage d’origine et d’un stockage d’objets cassées, à recycler et/ou réparer. L’outillage est principalement dévolu aux activités agropastorales au sens large (haches et scies comprises), auquel s’ajoutent quelques rares outils pour le bois (ciseau, gouges) mais qui peuvent s’intégrer dans l’économie quotidienne du domaine excluant des activités de production artisanale ; c’est également le cas des objets de soin, qui peuvent être des objets d’usage vétérinaire. En effet, l’absence de déchets ou d’outils en lien avec d’autres artisanats, notamment du métal, est à souligner, alors que ces artéfacts sont relativement courants sur les sites ruraux. Il s’agit, à notre sens, d’un élément important, qui trouve probablement son explication dans la proximité immédiate de la capitale sénone, rendant pour partie inutile le principe d’autosuffisance habituel de ces établissements ruraux.
14En se basant sur ce corpus pour tenter d’identifier les pratiques spécifiques et les productions de la villa, on peut alors proposer, selon les critères définis par Guillaume Huitorel, qu’il s’agit d’activités spécialisées et considérer ainsi, au travers des éléments en notre possession, la vocation de la villa comme exclusivement agropastorale. En effet, cet auteur donne « trois critères qui doivent permettre de jauger la spécialisation d’une activité :
1. les assemblages : plusieurs équipements appartenant à une phase d’occupation identique sont associés à une même activité ;
2. la spécificité des équipements : un ou plusieurs équipements indiquent par leur nature que l’activité dépasse la sphère domestique ;
3. la récurrence des équipements : un ou plusieurs équipements associés à l’activité sont représentés plusieurs fois sur le site pour une même phase d’occupation […] » (Huitorel 2020, p. 300).
15Il semble donc que le modèle économique de l’établissement de Saint-Clément repose sur une économie de production agropastorale, avec un corpus d’outillage qui, même s’il est constitué de pièces de rechange, forme un des plus beaux ensembles découverts depuis des années, un instantané d’un domaine agricole au milieu du iiie siècle de notre ère.