- 1 Sous la responsabilité de Geert Verbrugghe, Inrap.
- 2 Sous la responsabilité d’Isabelle Richard, Inrap.
1Un diagnostic mené en 20181 à Saint-Memmie s’étendait sur une surface de près de 16 000 m² située sur une terrasse alluviale ancienne de la vallée de la Marne constituée de grèzes. L’année suivante, une fouille2 y fut prescrite sur 5 000 m². Le décapage extensif a permis la mise au jour d’un segment fossoyé de 3,80 m de long et 0,50 m de large en moyenne, dont l’extrémité septentrionale s’élargit en fosse, et distant de 0,30 m d’une structure ovale de 3,30 m de long et 2 m de large placée dans son axe [ill. 1]. Le nettoyage manuel de ces éléments a montré le lien entre les deux entités, induisant le plan d’une sépulture plurielle de type « hypogée » connue dans la Marne en substrat crayeux. Un test de fouille, ayant livré au niveau de la fosse principale des ossements à une profondeur de 1,20 m, a favorisé cette hypothèse. La discussion engagée au plus tôt de la découverte entre la Drac et l’Inrap, identifiant le caractère exceptionnel de cette découverte, a autorisé la fouille intégrale de la sépulture d’octobre à décembre 2019.
1. Plan topographique de la fouille réalisée en juillet 2019.
I. Richard, Inrap.
2La structure est composée d’un couloir en pente douce conservé sur une profondeur de 0,06 à 0,40 m menant à une antichambre de 1,40 m sur 0,90 m pour une profondeur de 1 m. Celle-ci permet d’accéder à la chambre funéraire par un passage étroit. Cette chambre, de forme ovalaire, couvre une surface de 5,18 m² dans laquelle aucun aménagement n’a été reconnu. La très bonne conservation de la sépulture est due, outre à sa profondeur (2 m sous la surface actuelle du sol), à l’effondrement du sommet de la voûte, qui a permis de sceller la chambre sur une hauteur maximum de 1,55 m et de protéger la couche d’inhumation et son mobilier [ill. 2]. Cette conjonction particulière a permis l’appréhension intégrale de l’hypogée – tant de son architecture que de l’amas osseux, malgré l’érosion importante du site, estimée par l’analyse géomorphologique à au moins 1 m au-dessus du niveau actuel.
2. Reconstitution 3D de l’hypogée au cinquième état de la fouille de la couche d’inhumation.
P. Huard, Inrap.
3La couche d’inhumation se répartit sur la surface de la chambre tout en laissant un espace vide d’une cinquantaine de centimètres devant l’entrée. Elle a livré plus de 7 400 os ou fragments d’os humains, dont quelque 200 portent des traces de combustion. Les corps ont été déposés successivement et majoritairement en position allongée sur le dos, les pieds en direction de l’entrée de la chambre. Les os brûlés se situent essentiellement au fond de celles-ci dans le secteur le plus densément occupé [ill. 3]. Un premier décompte a révélé un nombre minimum de 55 individus dont 33 immatures (0‑20 ans). Le sexe biologique a pu être déterminé pour 33 sujets de tout âge, à partir de la conformation des os coxaux des plus de 15 ans et de l’analyse ADN sur une sélection de crânes matures et immatures, révélant la présence d’au moins 18 sujets féminins et 15 sujets masculins.
3. Reconstitution de l’intégralité de la couche d’inhumation sous SIG.
P. Huard, C. Marcon-Buquet, S. Desbrosse-Degobertière, Inrap.
4Le mobilier retrouvé dans la couche d’inhumation comprend plus de 400 éléments. Il est composé d’une soixantaine d’outils en silex (hache, briquet, armatures tranchantes, lames…), d’un poinçon en os, d’un manche en bois de cerf et de plus de 370 pièces de parure (perles circulaires en calcaire, perles tubulaires, canines et incisives de suinés, de bovidés et de cervidés perforées, coquillages, pendentifs en bois de cerf et en pierre). Cet assemblage de mobilier est caractéristique de celui des hypogées de la Marne datés du Néolithique récent (3600‑2900 avant notre ère) [ill. 4].
4. Exemple d’objets trouvés dans la couche d’inhumation.
a. Collier de perles en calcaire situé au niveau du cou d’un adulte. b. Canine animale perforée. c. Hache polie en silex. d. Poinçon en os. e. Armature tranchante en silex. f. Lame en silex. g. Gaine en bois de cerf.
C. Thevenet, Inrap ; b, c, d, e, f, g : cl. ; dessin : E. Boitard-Bidaut, Inrap.
- 3 Relief (côte) résultant de la différence d’érosion entre roches dures et tendres dans des couches s (...)
- 4 Sous la responsabilité de Nicolas Garmond, Grand Reims.
5Les hypogées sont des monuments funéraires spécifiquement présents dans le département de la Marne, entre Épernay et Sézanne, le long d’une cuesta3 d’Île-de-France [ill. 5]. Ils sont creusés, le plus souvent, dans la craie franche et sont constitués d’un couloir et d’une antichambre munie d’un passage permettant l’accès à une ou deux chambres funéraires. La grande majorité des cent soixante-dix exemplaires connus ont été visités, vidés, la plupart depuis des siècles, mais également fouillés dès le xixe siècle. C’est en 1960 qu’André Leroi‑Gourhan fouille l’hypogée des Mournouards II (Le Mesnil-sur-Oger, Marne). Sa méthodologie de fouille fine et d’enregistrement précis de chaque élément, pratiquée ici pour la première fois, en fait aujourd’hui un site de référence (Leroi‑Gourhan et al. 1962). Depuis, six hypogées ont été fouillés, les plus récents étant les deux situés sur le site de Chouilly4 Garmond, Bouquin 2021. Actuellement, seuls cinq de ces monuments ont fourni des informations archéo-anthropologiques scientifiquement exploitables.
5. Localisation des sépultures collectives en hypogée de la Marne.
H. Bocquillon, I. Richard, Inrap.
- 5 Conservateur honoraire du musée de Châlons-sur-Marne (1850-1930).
6Cependant, plusieurs découvertes du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle évoquent la présence de ces sépultures collectives en terrain meuble, à Châlons-en-Champagne et aux alentours. Elles surviennent généralement dans les carrières exploitant les terrasses alluviales de la Marne, comme dans la ballastière de la Maltournée à Saint-Memmie (Bailloud 1979, p. 276), située à moins de 900 m du site qui nous occupe. Lorsqu’elles existent, certaines descriptions suggèrent des structures de type hypogée. Ainsi Émile Schmit5 décrit la structure de la Croix des Cosaques/l’Islet à Châlons-en-Champagne comme une fosse de 6,60 m de long et 1,80 m de profondeur, orientée nord-ouest/sud-est. Le profil montre un plan incliné appelé « ouverture et descente de la fosse » (Schmit 1892). En 1893, le même auteur accompagne sa description de la sépulture de Livry-sur-Vesle (actuellement Livry-Louvercy) d’un croquis en coupe figurant un couloir d’accès souterrain et une chambre funéraire voûtée à 2,50 m de profondeur. Les mesures de la chambre sont de 3,20 m par 1,20 m et le couloir mesure 6 m de long sur 0,60 m de large (Schmit 1893). L’ensemble est orienté au sud-ouest.
7Les termes appliqués à ces sépultures sont variés : « ossuaire », « dolmen », « puits funéraire », « grotte funéraire » ou « sépulture en fosse » sont indifféremment utilisés pour les caractériser. La mention d’« hypogée » sera utilisée par É. Schmit pour la Croix des Cosaques 16 ans après sa première relation de ce site (Schmit 1908-1909), où il avait employé d’autres termes. Un « hypogée en limon meuble » est également révélé à Tinqueux plus récemment, au lieu-dit l’Homme Mort (Bailloud, Brézillon 1968, p. 479). La chambre rectangulaire mesurait 4,10 m × 1,90 m × 1,10 m et était accessible par un couloir en forte pente ouvert à l’est, qui n’a pas été fouillé entièrement.
8Enfin, quelques découvertes récentes, dans l’Aube, de sépultures collectives en terrain meuble (Ramerupt, Cour Première, 2013 ; Bréviandes, ZAC Saint-Martin 1 ; Rosnay-l’Hôpital, les Gallérandes, 2001) prennent la forme d’une fosse arrondie ou ovale en niche présentant un rétrécissement puis une pente inclinée vers la fosse. Si leur similarité avec le plan des hypogées était pressentie, elles n’ont pas livré de couloir d’accès proprement dit ou de vestibule (Bonnabel et al. 2014, p. 414-417).
- 6 Marie Imbeaux, « Étude de l’organisation des territoires au Néolithique moyen, récent et final dans (...)
9La documentation archéologique ne permettait donc pas, jusqu’à la fouille récente réalisée à Saint-Memmie, d’assurer que des structures souterraines comparables aux hypogées dans la craie n’étaient pas uniquement creusés dans un sédiment dur. Cette découverte nous amène à reconsidérer une série de sépultures collectives précédemment fouillées en terrain meuble. Elle nous incite également à réévaluer les prescriptions préventives dans ce contexte sédimentaire particulier. Les données collectées sur ce site permettent d’envisager une dynamique de recherche interdisciplinaire. L’étude stratigraphique, la micromorphologie, l’anthracologie, la malacologie, l’étude d’un fragment de paroi relevé à l’aide de silicone, la photogrammétrie, la restitution 3D sont nécessaires pour appréhender son architecture, ses aménagements, son abandon et son éventuelle condamnation. Le mode de fonctionnement de la sépulture, les pratiques funéraires sont analysés par le biais de l’étude taphonomique des vestiges afin de saisir la chronologie et le mode de dépôts, la gestion des corps et les manipulations. L’étude du mobilier va permettre de comparer avec les corpus actuels de contextes identiques (Cottiaux et al. 2014), d’analyser la provenance des matières premières, l’ensemble lithique étant déjà intégré dans un sujet de thèse6, et d’affiner la chronologie d’utilisation de la tombe associée à des datations au radiocarbone, qui font encore largement défaut dans ce contexte.
- 7 Projet ANR ParisAncientDNA : « Étude paléogénomique des populations humaines du Bassin parisien ent (...)
10La caractérisation de la population est traitée par l’étude de sa composition et de son état sanitaire. Elle va être complétée par une analyse ADN incorporant la moitié des sujets dans le cadre d’un projet plus vaste porté par le musée de l’Homme et le Muséum national d’histoire naturelle7.
11Exemple unique de sépulture collective souterraine de type hypogée en terrain meuble, de plan complet et découvert récemment, la sépulture néolithique de Saint-Memmie va contribuer fortement au renouvellement et à l’enrichissement des connaissances sur l’architecture de ce type de sépulture comme sur la pratique funéraire associée.