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2 - Innovation professionnelle

Prescrire de l’archéologie en milieu humide. L’expérience néo-aquitaine

Prescribe archaeology in a wet environment. Experience from Neo-Aquitaine
Prescrbir arqueología en zonas húmedas. La experiencia de Nueva Aquitania
Hervé Gaillard, Fabien Loubignac, Ewen Ihuel, Raphaël Gestreau et Luc Detrain
p. 318-327

Résumés

La restitution de la continuité écologique des cours d’eau définie par la loi-cadre de 2016 a amené les services régionaux d’archéologie (SRA) à inventer un protocole d’étude sur les vestiges archéologiques menacés des milieux humides conforme aux procédures d’archéologie préventive. L’Inrap s’est adapté à ces nouvelles exigences, et le travail a été amorcé avec les nouveaux partenaires que sont les gestionnaires des cours d’eau. Dans ce contexte particulier, le potentiel archéologique reste mal évalué dans l’ensemble, et son atteinte mal mesurée. L’expérience de Nouvelle-Aquitaine relève d’une longue pratique en archéologie programmée et d’une organisation nouvelle incluant des personnels formés pour les interventions de terrain, du matériel et le recours à la détection sonar et à la géomatique.

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Texte intégral

1Les milieux humides, qu’ils soient immergés, submergés ou simplement dans un environnement saturé en eau, ne représentent pas un terrain d’emblée favorable à la recherche archéologique. Dangereux, peu accessibles, difficilement lisibles selon la turbidité des eaux ou la plasticité des sols, l’approche en est le plus souvent techniquement compliquée. Pour autant, ce type d’environnement constitue un conservatoire formidable, ne serait-ce que pour la culture matérielle, à l’éventail largement plus divers que sur les sites terrestres. En outre, les espaces à appréhender sont pour le moins divers : lacs, rivières, berges, paléochenaux, vasières, marais… autant d’environnements aquatiques ou humides distincts qui nécessitent des approches méthodologiques variables, de l’usage de la plongée à celui de matériel spécifique comme la « pelle marais » ou les traditionnels sabots à planche. Le terme de « milieu humide » dans le présent article est ainsi un vocable englobant qui couvre des réalités physiques diverses.

2Le riche potentiel de ces milieux, depuis longtemps connu, n’a pas engendré de prise de compte sérieuse des enjeux de de l’archéologie préventive dans l’encadrement des aménagements survenant dans les eaux intérieures. Depuis 2016 surtout, l’atteinte potentielle que constitue la restitution de la continuité écologique des cours d’eau (RCE) oblige dorénavant les services régionaux de l’archéologie (SRA) à inventer un protocole adapté conforme à la réglementation et à établir une stratégie en concertation avec les acteurs : les gestionnaires des cours d’eau d’abord, les opérateurs d’archéologie ensuite, et au premier chef l’Inrap. C’est l’expérience développée en Nouvelle-Aquitaine, non exempte de tâtonnements, qui est exposée dans les lignes qui vont suivre.

La carte et le territoire des eaux

3Comme ailleurs en France, la plupart des rivières en Nouvelle-Aquitaine ont adopté des hydronymes d’origine prélatine, témoins pérennes dans le paysage de marqueurs de limites ou de vecteur de flux. Parmi eux, les noms des cours d’eau du sud de la région comportent une multitude de suffixes en « -onna » (Dronne, Lizonne, Garonne, Boutonne, Maronne…) ou encore des préfixes en « Dord/Dour » (Dordogne). Certains fossilisent le nom de peuples autochtones anciens (l’Adour des Aturenses), et l’on retrouve l’importance de l’eau dans ceux de villes antiques (Dax/Aquae Tarbellicae). On attribue même dans la littérature érudite l’origine du nom « Aquitaine », étymologiquement « territoire d’eau », à cette présence abondante. Un lien étroit existe donc entre la construction de ce territoire et le réseau hydrographique qui l’irrigue.

4La Nouvelle-Aquitaine est parcourue par 74 000 kilomètres de cours d’eau, ce qui représente 17 % du linéaire total français. Ce réseau est distribué sur trois grands domaines géologiques (sédimentaire, plutonique et pyrénéen). Deux grands bassins versants dominent : celui dépendant du complexe ligérien (Vienne, Creuse, Clain, Sèvre nantaise) ; la magnifique ramification de l’ensemble garonnais (Lot, Isle, Vézère, Dordogne, Dropt, Garonne, Baïse). Ensuite apparaissent des bassins plus modestes, ceux de la Charente (Charente, Boutonne, Seugne) et de l’Adour (Adour, Gaves de Pau et d’Oloron, Midouze). Encore plus discrets figurent la Leyre, en tête de l’ancien complexe estuarien du bassin d’Arcachon, la Seudre et la Sèvre niortaise, ces deux dernières trouvant leur exutoire direct dans l’océan. L’arrivée à la mer s’ouvre sur cinq grands estuaires : ceux de l’Adour, de la Charente, de la Sèvre niortaise, de la Seudre et surtout de la Gironde, le plus vaste d’Europe occidentale avec ses 450 km². À cela, il faut ajouter la diversité des autres masses d’eau qui caractérisent le réseau hydrographique régional : à l’ouest, les marais littoraux, de part et d’autre de la Gironde ; au nord, le marais Poitevin, qui constitue la deuxième zone humide de France, et le marais de Rochefort ; au sud-ouest, les étangs et lacs aquitains d’arrière-dune (Cazaux-Sanguinet, Lacanau, Léon, Hourtin) ; à l’est, en Limousin, les nombreux plans d’eau et étangs (plus de 42 000), lacs naturels et artificiels (Vassivière ou Bort-les-Orgues) et tourbières de moyenne montagne.

5D’un point de vue administratif, on distingue deux espaces, délimités chacun par le domaine public maritime et respectivement gérés par deux services de l’État distincts : le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), chargé de l’archéologie sous-marine, et les directions régionales des affaires culturelles (Drac), missionnées pour l’archéologie des eaux intérieures. L’Inrap intervient indistinctement dans ces deux espaces avec une unité spécialisée dans le domaine hyperbare. Le dispositif de l’Inrap est complété à l’échelon interrégional par une équipe d’archéologues « terrestres » en mesure d’intervenir dans un diagnostic en milieu humide. Les domaines publics fluviaux sont depuis peu gérés par des établissements à l’échelle des bassins versants, réduisant opportunément le nombre d’interlocuteurs.

Un potentiel archéologique sous-estimé par l’État

6La RCE est censée apporter une réponse au dérèglement climatique, qui appauvrit la ressource en eau du domaine fluvial et par extension sa qualité biologique. La mission revêt donc un caractère vertueux compris de tous, tout en se confrontant à la préoccupation de la conservation du patrimoine, lequel est lui-même fortement affecté par ce dérèglement (retrait de la ligne de côte, impact de fortes sécheresses sur les vestiges jusque-là immergés, réchauffement des eaux…). La dégradation du milieu s’est en outre intensifiée en raison des activités humaines : artificialisation des sols, stabilisation des berges (reprofilage, consolidation), prélèvement de la ressource en eau (bassines).

  • 1 Des enquêtes menées avec des brigades de gendarmerie sont en cours, notamment dans le secteur expos (...)

7L’État a en charge la détection, l’inventaire, la conservation et à défaut la sauvegarde de ce patrimoine au potentiel important lorsque celui-ci se trouve menacé. La question du pillage en milieu immergé s’invite également depuis peu, à l’heure où les plongeurs amateurs sont nombreux et où une certaine démocratisation du matériel performant (par exemple des détecteurs immergeables ou de puissants aimants) le rend très abordable1. Il est donc impératif de mener des actions de sensibilisation à la fragilité de l’information archéologique en direction des plongeurs amateurs, dans un esprit de prévention.

8Concernant la connaissance de ces milieux, la première difficulté réside dans une focale étroite dirigée sur les ouvrages hydrauliques réputés anciens dans les archives et dont les traces subsistent encore depuis l’époque moderne. Ce sont ces occurrences qui sont privilégiées pour l’essentiel dans la carte archéologique nationale. Partie émergée d’un iceberg colossal, les installations meunières sont venues masquer les autres enjeux de connaissance fondamentaux que sont la circulation immémoriale des biens et personnes, incluant la navigation, les franchissements, le contrôle, les infrastructures en rivière, mais aussi d’autres usages dans les domaines agraire, domestique, artisanal, halieutique (pêcheries) voire symbolique ou religieux (dépôts, offrandes, aménagements). Il y a un déficit d’expertise des services patrimoniaux pour évaluer l’intérêt scientifique de ces catégories de vestiges, a fortiori sur les rivières « ordinaires ». Le régime des plans de gestion des cours d’eau de moyenne importance et leur effet sur la diversité des approches dans les politiques publiques relatives à cet objet sont bien exposés dans un article récent (Paysant et al. 2021). Plus largement, la rivière ne peut pas être le seul objet d’intérêt, la mise en relation avec les sites terrestres riverains étant impérative, comme la compréhension de la formation des hautes et basses terrasses qu’elle a façonnée avec le temps. En témoigne la carte d’indices de site placés à moins de 25 mètres d’un cours d’eau [ill. 1].

1. Indices de sites archéologiques répertoriés à moins de 25 mètres d’un cours d’eau en Nouvelle-Aquitaine.

1. Indices de sites archéologiques répertoriés à moins de 25 mètres d’un cours d’eau en Nouvelle-Aquitaine.

Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.

2. Acquisitions sonar réalisées par le SRA de Nouvelle-Aquitaine : bathymétrie et imagerie.

2. Acquisitions sonar réalisées par le SRA de Nouvelle-Aquitaine : bathymétrie et imagerie.

Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.

  • 2 Prospection entre la Fontaine et la Boissière, responsable d’opération : Fabien Loubignac, ministèr (...)

9La navigabilité des cours d’eau, notion très discutée, est largement sous-estimée puisque établie à l’aune des critères définis par les intendants à l’époque moderne. Le Moyen Âge a contribué à segmenter les cours d’eau par le développement en rivière moyenne de l’activité meunière, qui a suscité l’appétit des seigneurs péagers. Pour les périodes plus anciennes, les cours d’eau les plus modestes ont très certainement permis une activité de batellerie régulière, lorsque la pente est douce et le profil du talweg peu accentué. Ainsi, il n’est plus rare aujourd’hui de trouver des épaves ou fragments d’épave dans de petits cours d’eau, comme un probable fragment d’épave daté de la période mérovingienne découvert dans la Vonne à Sanxay2. Pour l’Antiquité, par exemple, on estime que les débits tolérables à la navigabilité sont établis à partir de 8 m³ ∕ s, avec une activité de rythme saisonnier (Sillières 1992, p. 433 ; Serna 2013). Ce seuil peut même être élargi si l’on pense à l’utilisation d’embarcations plus légères, par exemple une pirogue monoxyle (Kerloch 2021). Faute d’être navigable, le cours d’eau amont peut en outre se révéler flottable à la descente.

Une lente prise de conscience des enjeux

  • 3 La dette à Pierre-Gil Salvador et à Jean-Pierre Bravart est à ce sujet importante.

10À l’échelle nationale, le sujet a été enrichi par le travail de plusieurs chercheurs pilotes dans cette discipline, qui sont parvenus, au-delà de la recherche pure autour de cet objet, à proposer des outils méthodologiques, qu’ils ressortissent de l’archéologie des lacs alpins (Billaud et al. 2006) ou de celle de la rivière (Dumont 2015). En outre s’est imposée comme une évidence la convocation des sciences de la terre pour comprendre sur le temps long la genèse et la mouvance perpétuelle de ces milieux et le caractère évolutif des implantations humaines qui en dépendent3 (Salvador et al. 2005).

11L’archéologie préventive, inscrite dans la loi en 2001, n’a été construite réglementairement que pour répondre aux besoins de sauvegarde par l’étude dans les domaines de l’urbanisme et des travaux agricoles et sylvicoles, placés sous le régime de la déclaration et échappant le plus souvent à la saisine de l’État. Avec la définition des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) dans les documents d’urbanisme, les milieux humides ne se trouvaient pas concernés au premier titre, les zonages archéologiques les excluant pratiquement de tout enjeu concernant l’aménagement du territoire. La carte archéologique nationale se révélait de toute façon bien indigente quant aux vestiges en cours d’eau, faute de recherche développée à une large échelle dans ce contexte. Ces milieux bénéficient néanmoins de la définition du patrimoine archéologique élargie en 2016 (art. L. 510-1 du Code du patrimoine), ce qui ouvre la possibilité de prescriptions archéologiques dans le milieu naturel, sous la condition que celui-ci soit en lien avec les vestiges des sociétés passées. Pour autant, la traduction concrète de l’activité archéologique dans un contexte préventif, définissant des protocoles adaptés, ne s’est véritablement établi que très récemment.

12En Nouvelle-Aquitaine et ailleurs en France, l’intervention en milieu humide a donc été longtemps le terrain d’exercice de l’archéologie programmée. À ce sujet, l’activité du SRA de Poitou-Charentes a ouvert ce champ depuis les années 1980 en démontrant la pluralité des milieux immergés en termes de vestiges. La recherche sur le fleuve Charente a été de ce point de vue très éloquente : embarcations, franchissements, aménagements de berge, dispositifs halieutiques de toute nature, utilisation artisanale du cours d’eau. Le contexte était appuyé par l’implication de chercheurs pionniers de la discipline : Éric Rieth sur Orlac et Port-Berteau II en Charente-Maritime, et dans son prolongement Annie Dumont et Jean-François Mariotti autour de Taillebourg et Port-d’Envaux (Chapelot, Rieth 1995 ; Rieth et al. 2001 ; Dumont, Mariotti dir. 2013).

13Ainsi, jusqu’à une période récente, l’aménagement du territoire ne menaçait qu’à la marge ces milieux si particuliers, et l’on évaluait mal la qualité et la fragilité des vestiges que ceux-ci pouvaient conserver. Ainsi, aucune opération de sauvetage, même avant la loi sur l’archéologie préventive, n’avait été menée sur des dragages de rivière : la collecte systématique d’objets tirés de la rivière restait de l’ordre de l’exception ou du hasard, comme lors de la rocambolesque trouvaille du trésor dit « de Garonne » lors de dragages à Quinsac, Cadaujac et Camblanes-et-Meynac entre 1965 et 1970 (Étienne, Rachet 1984). Dès les années 1990, souvent de fait de leur propre initiative, plusieurs agents du SRA ont acquis des compétences spécifiques relatives à l’exploitation scientifique de ce potentiel. D’abord développées au sein de l’archéologie programmée, les méthodologies inhérentes aux milieux immergés devaient pouvoir être adaptées au cadre d’une archéologie préventive. À partir de 2011 et surtout de 2016 en contexte de régions fusionnées, la RCE, par son ambition d’aménager à marche forcée les cours d’eau, a constitué un choc : Quelles conséquences sur la ressource archéologique étaient à prévoir ? Quelle réponse ciblée fallait-il produire ?

14Ces enjeux étant déjà étudiés dans chacun des SRA (Limousin, Poitou-Charentes, Aquitaine), il est apparu judicieux, à l’issue de la fusion régionale en 2016, que la Drac de Nouvelle-Aquitaine se dote d’une mission subaquatique, sous l’autorité directe du conservateur régional de l’archéologie. Les premières concertations à l’échelle régionale ont commencé en 2017 pour dessiner un nouveau dispositif. La mission compte aujourd’hui cinq agents : trois plongeurs certifiés, un agent en formation et un géomaticien. L’espace opérationnel est défini par les limites du domaine public maritime et correspond essentiellement aux eaux intérieures (cours d’eau, lacs) et à certains estuaires, dont celui de la Gironde. La question réglementaire et institutionnelle a déjà fait l’objet de nombreuses réflexions. À ce titre, une importante restructuration de la pratique des activités en milieu hyperbare a été réalisée en 2019-2020, en association étroite avec le ministère du Travail et l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC).

  • 4 Remotely operated underwater vehicle, véhicule sous-marin téléguidé.

15Dans cette dynamique d’organisation, il a semblé fondamental de formaliser un diagnostic spécifiquement adapté aux milieux humides et subaquatiques, en lien avec l’opérateur historique, les services de collectivité n’ayant pas souhaité se saisir de cette compétence. La mission subaquatique revêt plusieurs champs d’activité et domaines de compétence : milieux humides, milieu hyperbare (lacs et cours d’eau, estuaire), correspondant le plus souvent chacun à un corpus de méthodes communes, notamment en ce qui concerne l’acquisition des données numériques (bathymétrie, sonar mono- ou multifaisceaux, orthophotographie, photogrammétrie par ROV4, etc.). Si nécessaire, des approches plus classiques en milieu terrestre (information chronostratigraphique, géolocalisation des vestiges, évaluation qualitative, prélèvement…) ne sont pas non plus négligées.

Les objectifs et attendus méthodologiques

16Cette démarche doit aller au-delà de l’ambition habituelle pour laquelle le diagnostic est édicté. En effet, ce dernier se cantonne généralement aux travaux induits par le projet, ciblant la destruction potentielle de vestiges. Dans les contextes d’intervention en milieu fluvial ou en zone humide, les aménagements ont également des impacts indirects, parfois sous-estimés : érosions de berge et/ou du lit mineur, assèchement des fondations de construction en rive, baisse du niveau d’eau en amont et en aval des travaux pouvant mettre au jour des épaves… On citera le précédent, au xxe siècle, de l’assèchement partiel du marais de Lillemer (Ille-et-Vilaine), qui a compromis à terme la conservation de la quasi-totalité des vestiges organiques (pieux, bois, fibres, cuirs…) d’un habitat du Néolithique moyen (Guyodo et al. 2018). Le diagnostic ne peut donc pas se contenter de noter uniquement la présence ou l’absence de vestiges. Sa mise en œuvre, complexe, exige d’acquérir de l’information diversifiée et qualitative.

17Le rôle du SRA est d’éclairer ses interlocuteurs, le plus souvent des organismes parapublics, sur la conception large que l’on peut avoir de l’environnement, en intégrant les enjeux archéologiques en amont des projets d’aménagements. La seule porte d’entrée du moulin ou du seuil à effacer ne peut suffire. Dans cette perspective, des études documentaires préalables et un récolement de la donnée existante permettent de motiver, de formater et parfois même d’alléger les prescriptions que le SRA pourrait émettre. En accord avec le porteur de projet, ces études sont menées à l’échelle d’un segment du cours d’eau et en lien avec les sites terrestres qui le bordent. Une fois le rapport d’étude préalable remis, le SRA détient une base beaucoup plus solide en vue d’orienter la stratégie de prescription (phase de diagnostic, voire fouille directe). L’échange d’informations entre le SRA et le gestionnaire de cours d’eau est profitable aux deux parties et ce, que ces éléments soient produits par l’un ou l’autre (carte archéologique, données bathymétriques, etc.). Les techniciens de rivière connaissent parfaitement le cours d’eau dont ils ont la charge, et il est fréquent qu’ils apportent des données archéologiques inédites lors des enquêtes de terrain. En outre, l’orientation de l’étude sur les dynamiques de rivière et l’occupation du sol qui en découle peuvent éclairer le maître d’ouvrage sur un présupposé état de référence écologique arrêté trop tôt.

  • 5 Le travail mené autour du projet de remise en navigabilité de la portion aval de la vallée du Lot ( (...)
  • 6 Responsable : Chantal Leroyer (ministère de la Culture et de la Communication, UMR 6566 «  CReAAH   (...)
  • 7 La publication a été centrée sur le Néolithique et l’âge du Bronze, mais le PCR a couvert également (...)

18Quand le SRA n’a pas été sollicité en amont, par exemple par le biais d’une demande d’étude préalable, la procédure d’archéologie préventive est enclenchée dans le cadre de l’autorisation environnementale (AE). La phase initiale de la prescription de diagnostic archéologique repose alors sur les études documentaires adaptées à la spécificité des fonds. Le travail en archives, notamment sur la série S (règlement d’eaux, ponts et chaussées, curages…), doit être systématique. Le temps d’instruction limité fait privilégier les documents graphiques : carte de Cassini, carte de la Guyenne de Belleyme (fin du xviiie s.), cadastre napoléonien, cartes d’état-major de 1820-1866. On peut également mettre à profit les missions de l’inventaire régional qui ont traité du patrimoine en lien avec une vallée ou un cours d’eau5. La Nouvelle-Aquitaine dispose de référentiels paléoenvironnementaux dans certaines zones, développés lorsque le laboratoire de palynologie du Centre national de Préhistoire de Périgueux (Dordogne) œuvrait à une échelle régionale en appui à la recherche archéologique. Le projet collectif de recherche (PCR) « Relations homme-milieu dans les fonds de vallées du Périgord durant l’Holocène : l’exemple du bassin moyen de la Dronne »6 constitue ainsi un socle de connaissances pour ce secteur (Leroyer et al. 2006)7.

  • 8 Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), direction régionale de l’environnement, de l’a (...)

19Il est capital de travailler auprès des instances de gestion de l’eau8 pour recueillir les listes des projets de suppression d’ouvrage en cours d’élaboration. Ainsi, lors de la phase des études préalables, le syndicat ou l’aménageur d’un cours d’eau pourra, en lien avec le SRA, anticiper des recherches documentaires liées entre elles à l’échelle d’un versant ou d’une rivière et intégrées dans la demande d’AE. Enfin, il est aussi d’usage de récupérer les documents d’étude environnementale générés en vue de préparer la suppression des obstacles, souvent sources d’informations précieuses.

20L’acquisition de données peut aussi se faire directement grâce au sondeur sonar. Dans le cadre de la carte archéologique et en accompagnement de l’archéologie programmée, des campagnes d’acquisition lancées par le SRA dans les secteurs archéologiques sensibles [ill. 2] apportent des renseignements opportuns lors de l’instruction des dossiers d’archéologie préventive. C’est particulièrement vrai à propos de plans de gestion portés par les syndicats de rivières ou différents aménageurs (hydroélectricité, RCE, etc.). Ces opérations sont conduites à l’aide de barques légères à fond plat et de sondeurs. Deux types d’informations sont ainsi recueillis : des relevés bathymétriques sous forme de modèles numériques de terrain (MNT) et de l’imagerie sonar, permettant un diagnostic visuel sur des enregistrements par bandes de 20 à 60 mètres de large géoréférencées. Cette procédure est assez rapide et permet de couvrir des linéaires assez importants (jusqu’à 10 km par jour selon la largeur du cours d’eau). L’intérêt de la bathymétrie est de détecter les hauts-fonds, lesquels forment de potentiels supports de structures immergées (franchissements, ponts, pêcheries, embarcadères, péages, plateformes…). L’imagerie sonar, quant à elle, permet un premier travail d’identification visuelle de la nature des anomalies détectées (blocs équarris, objets, pieux, épaves…) [ill. 3]. Cette prospection est un préalable au déploiement de ROV pour le relevé photogrammétrique et à la mise en œuvre d’opérations hyperbares où des plongeurs autonomes peuvent caractériser la nature de ces anomalies. Ces deux approches sont articulées puisque les plongeurs ne sont déployés que sur des anomalies préalablement géoréférencées.

3. Bathymétrie d’un tronçon de la Dordogne à hauteur de Castillon-la-Bataille (Gironde), imageries sonar et détection de vestiges.

3. Bathymétrie d’un tronçon de la Dordogne à hauteur de Castillon-la-Bataille (Gironde), imageries sonar et détection de vestiges.

a. En complément de la bathymétrie présentée ici, les imageries sonar permettent de détecter des anomalies susceptibles d’être des vestiges. b, c. Ancre antique (?) collectée après la caractérisation d’une anomalie. d. Imagerie sonar. Exemple d’anomalie : épave probable.

Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.

La mise en œuvre du diagnostic

21Bien que spécifique, le diagnostic archéologique en milieu humide ou subaquatique a le même objectif que celui réalisé en milieu sec. Au sens de l’article L. 521-1 du Code du patrimoine, il s’agit de vérifier si les espaces touchés par les différents travaux publics ou privés concourant à l’aménagement (y compris les effacements) présentent des traces d’anciennes occupations humaines susceptibles d’être détruites. Cette démarche doit intégrer pleinement les éléments qui renseignent sur la relation de ces occupations avec l’environnement naturel [voir encadré ci-dessous].

  • 9 Responsable d’opération : Serge Salvé, Inrap, 2020.
  • 10 Beta 569046 : 3159-2954 BP.

Une intervention en diagnostic à Mareuil-en-Périgord
La Belle est un affluent de la Lizonne qui appartient au bassin versant de la Dronne, au nord du département de la Dordogne. Au droit de la commune de Mareuil, un rescindement « sévère » fut réalisé à la fin des années 1970, conférant à son cours une configuration rectiligne. Le Syndicat des rivières du bassin de la Dronne (SRDB) a donc décidé de procéder à un reméandrage de la rivière afin de diminuer les crues et de restaurer un biotope adapté à la faune piscicole. L’opération d’archéologie préventive menée au lieu-dit « Chez Maillé »9 a consisté en la réalisation de sondages d’emprise modeste perpendiculairement au projet de méandre, en une surveillance du creusement, en une prospection en amont et aval et, enfin, en la réalisation de carottages [ill. 4]. Les sondages n’ont pas donné de résultats archéologiques. Les carottes ont permis en revanche de préciser la séquence des dépôts alluviaux : une terrasse pléistocène potentiellement affectée par des phénomènes karstiques et une plaine alluviale holocène. Des datations réalisées sur des restes ligneux, au sommet de dépôts grossiers, ont donné deux dates de la fin de l’âge du Bronze10. Si le résultat de cette opération n’a pas livré de résultats extraordinaires, elle a permis de prendre contact avec le SRDB et ses techniciens de rivière et de dédramatiser l’intervention des archéologues quant à l’avancement des travaux projetés. En outre, cela a demandé une adaptation méthodologique face à des cas de figure très variés sur le chantier, ce qui reste très stimulant pour les équipes.

4. Mise en œuvre de carottages en diagnostic à Mareuil, lieu-dit Chez Maillé.

4. Mise en œuvre de carottages en diagnostic à Mareuil, lieu-dit Chez Maillé.

a. Cours de la Belle à Mareuil, lieu-dit Chez Maillé. b. Carottier mécanique sur le tracé du reméandrage. c. Prélèvement des carottes et analyse des faciès sédimentaires.

Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.

22Classiquement, cette procédure vise à évaluer l’impact sur les vestiges et, si la réponse est positive, de permettre l’élaboration d’un cahier des charges pour accompagner une sauvegarde par l’étude de vestiges archéologiques.

  • 11 Light Detection And Ranging, détection et télémétrie par la lumière.

23Les notions d’échelle ont leur importance dans la mise en œuvre d’un diagnostic. Ainsi, à petite échelle, celle de l’ouvrage en rivière, le diagnostic peut se résumer à une intervention directe sur le seuil qui doit disparaître. Il doit pouvoir établir l’ancienneté d’un déversoir tout en définissant ses différents états d’aménagement. La puissance des sédiments retenus en amont de l’ouvrage doit également être évaluée, l’ancienneté de leur dépôt établie, la présence d’éléments piégés détectée. À plus grande échelle, celle de l’environnement de l’ouvrage, les terrains affectés indirectement par l’effacement comme le remodelage des berges par enrochement ou l’ouverture du chemin d’accès par des engins mécaniques sont examinés par le diagnostic. Par exemple, la découverte d’un bief colmaté, de voies de circulation ou bien encore d’éléments bâtis connexes au déversoir est tout à fait envisageable dans ces circonstances. Dans le but de mieux contextualiser les observations, il est possible de procéder à des études de contexte géomorphologique, à des prospections géophysiques ou à l’exploitation de données LiDAR11, ce qui peut être l’occasion de détecter des anomalies, probables indices parfois assez éloignés de l’actuel cours d’eau. À ce stade d’intervention en revanche, les études paléoenvironnementales ne peuvent être sollicitées en raison du délai et du coût pris en charge par l’opérateur. Ce domaine n’est souvent malheureusement intégré que dans la prescription de fouille.

24Les opérations subaquatiques en milieu hyperbare sont encore assez rares. Mais, au-delà de 90 centimètres de hauteur d’eau, ces opérations s’inscrivent logiquement dans la continuité des acquisitions bathymétriques en amont des diagnostics en milieu humide. Leur mise en œuvre nécessite pour l’opérateur – et les SRA eux-mêmes dans le cadre du contrôle scientifique et technique (CST) – le respect de la réglementation relative aux activités hyperbares : formation, équipements de protection individuelle et collective (EPI et EPC), procédures, suivi médical, etc. Ces opérations doivent intervenir avant les premiers aménagements de chantier (pose de batardeau terrassé, enrochement). Bien entendu, la prescription de ces opérations est subordonnée à la question de la sécurité des agents. On retiendra par exemple qu’il est très souvent impossible d’aborder le périmètre immédiat des déversoirs, sauf en cas d’exondation contrôlée des structures (batardeau, palplanches).

25La dévalaison de la rivière (en deçà de 90 centimètres de hauteur d’eau) permet d’observer les berges, les ouvrages, le lit de la rivière, de collecter du mobilier, etc. Cette prospection pédestre donne l’occasion d’enrichir considérablement la carte archéologique et de remettre en contexte les travaux menés dans le périmètre immédiat des aménagements. Dans le cadre des plans pluriannuels de gestion portés par les syndicats de rivière, cette approche anticipe parfois un certain nombre de problématiques d’archéologie préventive et de modification de consistance de projet.

26L’approche traditionnelle à la pelle mécanique facilite également la collecte des informations d’ordre sédimentaire et stratigraphique ainsi que les prélèvements en bloc, tout en permettant une approche visuelle des structures colmatées par les dépôts fluviatiles. Elle peut s’appliquer sur les berges, les plages exondées ou des zones immergées. Au sujet de la sécurité, l’utilisation de la pelle mécanique autorise des interventions à distance, sans mettre en danger l’opérateur. Elle permet également de se prémunir contre les différentes émanations de gaz, issues de la décomposition des végétaux humides en milieu anaérobie, ou les autres sources de pollution propres à ce milieu. Sa mise en œuvre est toutefois compliquée par la nécessité de créer un cheminement pour les engins et souvent de travailler en sécurité derrière un batardeau. Les délais habituels de remise du rapport par l’opérateur sont souvent en inadéquation avec le calendrier opérationnel de l’aménagement, se déroulant dans la même période d’étiage (juillet-septembre). En outre, ces interventions temporaires dans le lit de la rivière sont coûteuses et font l’objet d’un régime très contraignant d’autorisations préfectorales au titre du Code de l’environnement.

  • 12 L’approche par carottage est d’ailleurs également envisageable sur les structures telles que des pu (...)

27Le carottage est particulièrement adapté aux milieux humides, à condition toutefois de disposer de carottiers adaptés (tarière à clapet). Il permet d’aborder et traiter de grandes étendues difficiles d’accès (prairies humides, marais, vasières, tourbes…). Cette option offre des échantillons géoréférencés pour les séquences stratigraphiques et les études paléoenvironnementales, qui constituent la plus-value fondamentale de ces milieux et documentent les dynamiques fluviales passées, ces données étant importantes pour interpréter les vestiges (des vestiges autrefois en contexte terrestre peuvent se retrouver aujourd’hui sous l’eau, et inversement). Ces informations intéressent également l’hydromorphologie et la géomorphologie holocènes. Le carottage permet aussi d’explorer les ouvrages eux-mêmes, notamment les seuils, avec un carottier plus puissant à rotation mécanisée. Il s’agit de localiser à la fois les dispositifs d’étanchéité (apports d’argile) et les différentes strates de maçonnerie, fruits des multiples réfections des ouvrages dans la durée. Cette opération permet parfois d’apporter des renseignements quant à la partie basale des seuils, notamment en détectant la présence de structures de bois à la base des ouvrages ; c’est particulièrement vrai dans le cas de seuils inscrits dans une terrasse graveleuse. Lors d’une investigation de ce type, il est impératif de ne pas déstabiliser ou fragiliser la structure du déversoir12.

28La question des prélèvements est centrale en raison de la nature anaérobie du milieu humide, qui autorise la découverte d’éléments organiques particulièrement bien conservés. Le diagnostic doit donc intégrer un volet dédié à la conservation préventive de ces restes et à leur stabilisation le temps de l’étude, souvent limitée dans son périmètre (datation). La contrainte du conditionnement doit permettre d’anticiper une véritable stratégie de prélèvement, intégrant si nécessaire du matériel adapté comme une scie ou une tronçonneuse. Rappelons que, lors des manipulations de prélèvement, un bois lâché dans une eau turbide est à coup sûr définitivement hors contexte.

La mise en œuvre de la fouille

29Généralement, la fouille préventive directe est prescrite en dernier recours dans ce type de contexte. C’est effectivement la solution à éviter puisque ni les données scientifiques ni les moyens d’étude n’ont été finement évalués, ce qui pose problème dans la conduite de l’opération, notamment dans la formulation des choix opérationnels. Les conditions de mise en œuvre sont généralement d’abord contraintes par les impératifs du calendrier des basses eaux. La durée de l’opération est ensuite fortement conditionnée par le dispositif du chantier d’aménagement. La prescription prend donc souvent la forme d’un suivi de travaux, ce qui permet de profiter des dispositifs de sécurité (batardeaux, chemin d’accès), mais impose la coactivité en périmètre restreint et en contexte souvent dangereux. Tous ces aléas influent sur les temps d’observation et la qualité de l’enregistrement, avec des sessions de travail généralement fractionnées selon le rythme de l’aménageur et en fonction de la sécurité. Dans ce cas de figure, les terrassements préparatoires des batardeaux peuvent difficilement faire l’objet d’une surveillance archéologique, car ils ne laissent pas l’occasion d’examiner de potentiels aménagements antérieurs, ceux-là mêmes qui parfois justifiaient le déclenchement de la procédure.

30La fouille préventive après diagnostic est indubitablement le scénario à retenir, car les éléments recueillis dans le cadre du diagnostic permettent de définir des objectifs maîtrisés : cote basse, nature de l’ouvrage, chronologie à rechercher, type d’intervention, moyens adaptés… Les questions à poser au site et à son environnement sont précisément ciblées en fonction des résultats partiels du diagnostic. En outre, les interventions des archéologues sont mieux comprises par les entreprises cotraitantes.

31La fouille ne peut pas être le seul moyen de répondre à l’atteinte aux vestiges. Comme en milieu terrestre, l’État dispose de moyens réglementaires pour assurer protection et conservation. Conçues comme une procédure d’alerte, les zones de présomption de prescription archéologique (ZPPA) associent désormais les rivières à l’espace terrestre qui les bordent, mais leur périmètre implique la saisine de l’État uniquement en matière d’archéologie préventive, avec les aléas de transmission de tel ou tel type de travaux. Le SRA pourrait édicter des prescriptions archéologiques de conservation en vue de la préservation des sites archéologiques individualisés ou intégré à des ensembles, en invoquant les dispositions du livre VI (classement au titre des monuments historiques). Cela suppose de bien connaître le ou les objets à protéger, d’en promouvoir la singularité. Faute d’utiliser cette arme ultime, d’autres types de protection peuvent être invoquées. Sur le fleuve Charente récemment, plusieurs segments de rivière entre Angoulême et Tonnay-Charente, fortement soumis à la navigation fluviale de loisirs, ont été inscrits dans le règlement particulier de police d’itinéraire (RPPi), qui interdit sur ces sites d’épaves l’ancrage, y compris en utilisant un corps mort.

Les compétences nécessaires pour une mission innovante

32Pour mener à bien ces missions, les agents du SRA doivent s’appuyer sur des compétences variées et des formations adéquates. Il est fondamental en effet qu’ils soient en capacité d’évaluer la pertinence et la qualité des données fournies par les partenaires, prestataires et opérateurs à l’issue de l’acquisition des données numériques (bathymétrie, photogrammétrie, imagerie sonar multifaisceaux) ; le SRA doit produire lui-même des données de ce type dans le cadre de ses missions de cartographie archéologique [ill. 5 ; ill. 6], pour les mettre à disposition des opérateurs et plus largement des chercheurs.

5. Site de la Pendelle, sous quelque 20 mètres d’eau dans le lac de Biscarrosse (Landes) : acquisition du MNT par multifaisceaux.

5. Site de la Pendelle, sous quelque 20 mètres d’eau dans le lac de Biscarrosse (Landes) : acquisition du MNT par multifaisceaux.

On observe une double enceinte, possiblement datée du deuxième âge du Fer.

Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.

6. Identification d’une occupation médiévale découverte en 1978 au fond du lac de Biscarrosse (Landes).

6. Identification d’une occupation médiévale découverte en 1978 au fond du lac de Biscarrosse (Landes).

Après ombrage, le MNT fait apparaître les structures en bois. Les résultats obtenus par monofaisceau et multifaisceaux sont sensiblement différents, le sondeur monofaisceau pénétrant plus profondément les sédiments. a. Sondeur acoustique multifaisceaux (prospection). b. Sondeur acoustique monofaisceau (prospection). c. On peut constater sur le MNT que ce site immergé sous quelque 6 mètres d’eau a été altéré par des fouilles clandestines. d. Relevé effectué en 1978.

Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.

33L’exercice de ces compétences correspond à 80 % environ de l’activité subaquatique en Nouvelle-Aquitaine. Cette dynamique est appelée à s’amplifier, notamment du fait des avancées technologiques, comme l’usage du ROV, qui permet de limiter le nombre des plongées. À terme, les plongées concerneront uniquement le CST et des vérifications ponctuelles. L’avantage principal de cette évolution est la diminution du risque hyperbare, à quoi s’ajoute le gain de temps, notamment en termes de préparation.

34Aujourd’hui, les agents ont l’obligation d’être qualifiés dans la manipulation, la mise en œuvre, l’analyse et le traitement (système d’information géographique [SIG], progiciel, etc.). En outre, ils sont tenus dans le cadre de la formation permanente à des recyclages réguliers (certificat d’aptitude à l’hyperbarie [CAH], permis bateau, habilitation à conduire des remorques). Un suivi médical annuel spécifique par un médecin hyperbare est obligatoire, et des formations de sécurité (premiers secours en équipe de niveau 1 [PSE1]) ou de remise à niveau technique (remontée assistée) sont imposées par le manuel hyperbare de la Drac, la question de la sécurité étant au centre de ce dispositif. Chaque agent dispose de son matériel personnel fourni par la Drac (EPI : gilet stabilisateur, détendeur, combinaison).

35La conduite de ces opérations nécessite des équipements importants (bateaux, remorques, véhicules dédiés) et adaptés à la mission (moteurs, pompes, aspirateurs à sédiments, GPS, sondeur). Tout ce matériel implique une logistique, un entretien régulier et un suivi réglementaire annuel, pour certains d’entre eux avec des requalifications consignées dans un registre (compresseurs, blocs, détendeurs, combinaisons étanches, Zodiac). Cela suppose donc un budget et du temps dédiés.

36En corollaire, une part non négligeable de cette mission est également la promotion de l’archéologie subaquatique auprès des acteurs de la discipline, dans le respect du Code du patrimoine. Plusieurs agents coordonnent l’encadrement des bénévoles plongeurs, permettant de garantir la persistance et le renouvellement de ces compétences rares.

37Le savoir-faire de la Drac de Nouvelle-Aquitaine dans le domaine des milieux humides porte sur quelques expériences de terrain mais principalement sur l’enrichissement de la carte archéologique. Les entités renseignées diffèrent des données terrestres, en raison notamment de la conservation de la matière organique, tout en en constituant le prolongement. Il apparaît que les destructions des xixe et xxe siècles, fruits de l’adaptation au gabarit Freycinet et aux dragages en rivière, laissent encore la place à de nombreuses découvertes de premier plan. La richesse archéologique des milieux humides et submergés a jusque-là été largement sous-évaluée, offrant encore l’occasion d’un renouvellement important de la connaissance scientifique. Cette pratique apparaît particulièrement propice aux investigations paléoenvironnementales, qui visent prioritairement à documenter les dynamiques fluviales passées, importantes pour interpréter les vestiges, leur position, leur lien avec les milieux adjacents mais aussi l’évolution du milieu. Ces informations intéressent la recherche archéologique mais doivent entrer dans un champ plus large. Au-delà des missions de médiation que portent les maîtrises d’ouvrage concernées par le cours d’eau, il nous incombe de proposer une vision plus dynamique des formations alluviales et de faire prendre conscience de l’anthropisation ancienne du milieu. L’archéologie et l’ensemble des sciences connexes mobilisées sont le moyen de sortir du fantasme d’un état « naturel » à restituer.

38L’expertise de ces milieux a permis au service de proposer un diagnostic et de mesurer l’étendue des menaces pesant sur la ressource archéologique du fait de la conduite de la RCE. La réponse à l’urgence du recensement est apportée par les moyens d’acquisition numérique, qui permettent de couvrir des espaces plus importants, avec des gains qualitatifs sans précédent. La coopération avec des géomaticiens en appui sur une veille scientifique paraît ici un point fondamental.

39Pour autant, il ne faut pas ignorer les contraintes fortes : temps de déplacement dans la grande région fusionnée et de préparation des opérations de terrain ; réglementation hyperbare pesant sur les effectifs à mobiliser en conditions opérationnelles (deux ou trois agents par opération de CST). Rappelons également que le milieu fluvial est un environnement difficilement prédictible et fortement contraint. Tous ces éléments impliquent que la généralisation de ces missions à l’échelle des Drac ne saurait s’improviser. Elle doit s’accompagner d’un soutien du Drassm et des différents agents en charge de ces missions dans les SRA. L’implication des Drac ne peut être que graduelle et privilégier dans un premier temps les acquisitions pour la carte archéologique, ce qui représente un objectif plus accessible en termes de formation et de mise en œuvre. La présence d’agents qualifiés (CAH) au sein de toutes les Drac est inenvisageable actuellement, compte tenu de la rareté des profils d’archéologue-plongeur. Des collaborations entre institutions et Drassm sont à rechercher dans cette optique pour pallier ponctuellement la défaillance de compétences. La base de cette mutualisation reste à définir (humain, matériel, investissement), mais elle doit être portée par une promotion des interactions et une multiplication des collaborations entre les différentes Drac.

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Bibliographie

Pour les opérations archéologiques citées dans cet article, les références, notices et documents liés des rapports sont consultables sur le catalogue des fonds documentaires de l’Inrap : https://dolia.inrap.fr/ ou dans les SRA.

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Chapelot J., Rieth É. 1995 : Navigation et milieu fluvial au XIe s. : l’épave d’Orlac, Charente-Maritime, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme (coll. Documents d’archéologie française, 48), 165 p.

Dumont A. 2015 : La prospection systématique d’un fond de rivière : l’exemple du Doubs, in Rey P.-J., Dumont A. (dir.), L’homme et son environnement : des lacs, des montagnes et des rivières. Bulles d’archéologie offertes à André Marguet, Dijon, Société archéologique de l’Est (coll. Suppl. à la Revue archéologique de l’Est, 40), p. 429-450.

Dumont A., Mariotti J.-F. (dir.) 2013 : Archéologie et histoire du fleuve Charente : Taillebourg-Port d’Envaux, Dijon, Éditions universitaires de Dijon (coll. Art, archéologie & patrimoine), 316 p.

Étienne R., Rachet M. 1984 : Le Trésor de Garonne : essai sur la circulation monétaire en Aquitaine à la fin du règne d’Antonin le Pieux (159-161), Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest (coll. Études et documents d’Aquitaine, 6), 465 + lxxviii p.

Guyodo J.-N., Laporte L., Bizien-Jaglin C. 2018 : À Lillemer, une butte habitée au milieu des marais, in Aubin G., Roux C.-T. L., Marcigny C. (dir.), Sur le terrain avec les archéologues. 30 ans de découvertes dans l’Ouest de la France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 58-59.

Kerloc’h G. 2021 : Pirogues de l’Adour, Bulletin de la Société de Borda, 542, p. 109-134.

Leroyer C., Fouéré P., Reynet J.-M., Tixier C., Allenet G. 2006 : Évolution climatique et impact anthropique durant le Tardiglaciaire et l’Holocène dans le bassin de la Dronne (Périgord), in Fouéré P., Chevillot C., Courtaud P. (dir.), Paysages et peuplements, Actes des VIes rencontres méridionales de Préhistoire récente de Périgueux, Périgueux - Cabrerets, Association pour le développement de la recherche archéologique et historique en Périgord - Préhistoire du Sud-Ouest (coll. Suppl. à Préhistoire du Sud-Ouest, 11), p. 33-54.

Paysant G., Caillault S., Carcaud N., Barraud R. 2021 : Dynamiques socio-écologiques des rivières ordinaires de l’ouest de la France, M@ppemonde, 132.

Rieth É., Carrierre-Desbois C., Serna V. 2001 : L’épave de Port Berteau II (Charente-Maritime) : un caboteur fluvio-maritime du haut Moyen Âge et son contexte nautique, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme (coll. Documents d’archéologie française, 86), 154 p.

Salvador P.-G., Berger J.-F., Fontugne M., Gauthier E. 2005 : Étude des enregistrements sédimentaires holocènes des paléoméandres du Rhône dans le secteur des basses terres (Ain, Isère, France), Quaternaire, 16-4, p. 315-327.

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Notes

1 Des enquêtes menées avec des brigades de gendarmerie sont en cours, notamment dans le secteur exposé de La Tremblade (Charente-Maritime).

2 Prospection entre la Fontaine et la Boissière, responsable d’opération : Fabien Loubignac, ministère de la Culture, 2019. La Vonne possède un débit hivernal de 4,5 à 7,5 m³∕s, pour un asséchement quasi complet en été.

3 La dette à Pierre-Gil Salvador et à Jean-Pierre Bravart est à ce sujet importante.

4 Remotely operated underwater vehicle, véhicule sous-marin téléguidé.

5 Le travail mené autour du projet de remise en navigabilité de la portion aval de la vallée du Lot (Lot-et-Garonne) en est un bon exemple.

6 Responsable : Chantal Leroyer (ministère de la Culture et de la Communication, UMR 6566 «  CReAAH  »), 1996-2000.

7 La publication a été centrée sur le Néolithique et l’âge du Bronze, mais le PCR a couvert également les périodes historiques.

8 Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), agence de l’eau et comité de bassin Adour-Garonne, missions interservices de l’eau et de la nature (MISEN), directions départementales des territoires (DDT).

9 Responsable d’opération : Serge Salvé, Inrap, 2020.

10 Beta 569046 : 3159-2954 BP.

11 Light Detection And Ranging, détection et télémétrie par la lumière.

12 L’approche par carottage est d’ailleurs également envisageable sur les structures telles que des puits anciennement colmatés pour documenter la séquence de remplissage et prélever des échantillons tests pour des études de faisabilité paléoenvironnementale ou prélever des bois de cuvelage (Villeneuve-sur-Lot, chemin de Rouquette).

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Table des illustrations

Titre 1. Indices de sites archéologiques répertoriés à moins de 25 mètres d’un cours d’eau en Nouvelle-Aquitaine.
Crédits Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/13953/img-1.png
Fichier image/png, 521k
Titre 2. Acquisitions sonar réalisées par le SRA de Nouvelle-Aquitaine : bathymétrie et imagerie.
Crédits Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/13953/img-2.png
Fichier image/png, 546k
Titre 3. Bathymétrie d’un tronçon de la Dordogne à hauteur de Castillon-la-Bataille (Gironde), imageries sonar et détection de vestiges.
Légende a. En complément de la bathymétrie présentée ici, les imageries sonar permettent de détecter des anomalies susceptibles d’être des vestiges. b, c. Ancre antique (?) collectée après la caractérisation d’une anomalie. d. Imagerie sonar. Exemple d’anomalie : épave probable.
Crédits Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/13953/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 633k
Titre 4. Mise en œuvre de carottages en diagnostic à Mareuil, lieu-dit Chez Maillé.
Légende a. Cours de la Belle à Mareuil, lieu-dit Chez Maillé. b. Carottier mécanique sur le tracé du reméandrage. c. Prélèvement des carottes et analyse des faciès sédimentaires.
Crédits Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/13953/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 957k
Titre 5. Site de la Pendelle, sous quelque 20 mètres d’eau dans le lac de Biscarrosse (Landes) : acquisition du MNT par multifaisceaux.
Légende On observe une double enceinte, possiblement datée du deuxième âge du Fer.
Crédits Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/13953/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 497k
Titre 6. Identification d’une occupation médiévale découverte en 1978 au fond du lac de Biscarrosse (Landes).
Légende Après ombrage, le MNT fait apparaître les structures en bois. Les résultats obtenus par monofaisceau et multifaisceaux sont sensiblement différents, le sondeur monofaisceau pénétrant plus profondément les sédiments. a. Sondeur acoustique multifaisceaux (prospection). b. Sondeur acoustique monofaisceau (prospection). c. On peut constater sur le MNT que ce site immergé sous quelque 6 mètres d’eau a été altéré par des fouilles clandestines. d. Relevé effectué en 1978.
Crédits Drac Nouvelle-Aquitaine / SRA.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/13953/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 402k
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Pour citer cet article

Référence papier

Hervé Gaillard, Fabien Loubignac, Ewen Ihuel, Raphaël Gestreau et Luc Detrain, « Prescrire de l’archéologie en milieu humide. L’expérience néo-aquitaine »Archéopages, Hors-série 6 | -1, 318-327.

Référence électronique

Hervé Gaillard, Fabien Loubignac, Ewen Ihuel, Raphaël Gestreau et Luc Detrain, « Prescrire de l’archéologie en milieu humide. L’expérience néo-aquitaine »Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 03 août 2023, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/13953 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.13953

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Auteurs

Hervé Gaillard

Drac Nouvelle Aquitaine, SRA, UMR 5607 « Ausonius »

Fabien Loubignac

Drac Nouvelle Aquitaine, SRA, UMR 5607 « Ausonius »

Ewen Ihuel

Drac Nouvelle Aquitaine, SRA, UMR 8068 « TEMPS »

Articles du même auteur

Raphaël Gestreau

Drac Nouvelle Aquitaine, SRA, EA 1001 « CHEC »

Luc Detrain

Inrap, UMR 5199 « PACEA »

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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