- 1 Voir l’article « Le secteur de Pontcharaud à Clermont-Ferrand. Anthropisation de la Grande Limagne (...)
1Sur une surface de plus d’un hectare dans le cadre de l’élargissement de l’A75 à l’est de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le site de Pontcharaud a livré près d’un millier de structures qui retracent environ 6 000 ans d’occupation, entre la fin du Mésolithique et le deuxième âge du fer1.
- 2 Responsable d’opération : Gérard Vernet, Afan, 1997.
- 3 Responsable d’opération : Gilles Loison, Afan, 1985-1986.
- 4 Responsable d’opération : Frédéric Prodéo, Inrap, 2019-2020.
2Une fréquentation au Néolithique ancien (Épicardial) est bien documentée par les diagnostics et les fouilles réalisés dans le secteur, notamment au Brézet2 (Vernet 2004). Une vaste nécropole néolithique était connue depuis une fouille de l’Afan3 (Loison, Gisclon 1991). Son extension a pu être explorée à l’occasion de la dernière campagne de fouilles4. Un monument funéraire circulaire du Néolithique récent ainsi que des sépultures associées à un habitat du Néolithique final et du Bronze ancien prolongent l’occupation du site. Au sein de l’agglomération laténienne (iiie-iie s. av. n. è.), reconnue de longue date comme le plus grand habitat groupé des Arvernes, les sépultures sont également associées à l’habitat (Deberge et al. 2007 ; 2019).
3Au total, près de 130 tombes ont été dégagées sur le site. C’est dans ce domaine que le recours à la photogrammétrie a été le plus efficient. Sur le terrain d’abord, où chaque sépulture a été modélisée pour en obtenir une orthophotographie zénithale utilisée par les anthropologues pour réaliser leurs relevés et y porter leurs observations de démontage [ill. 1]. En laboratoire ensuite, où toutes les céramiques d’accompagnement néolithiques ont été restituées en trois dimensions (3D) pour en dresser des planches normalisées destinées au rapport et aux publications. [ill. 2]
1. Deux modes de représentation possibles de la sépulture 5085, d’après un relevé photogrammétrique.
En haut : orthophotographie zénithale du modèle texturé ; en bas : modèle numérique d’élévation ombré.
F. Prodéo, Inrap.
2. Vase de la sépulture 5085 d’après une modélisation par photogrammétrie, représenté en modèle texturé et en ombrage sans texture.
F. Prodéo, Inrap.
- 5 Voir l’article « Acquisition numérique des données archéoanthropologiques et spatiales. Le projet “ (...)
4Avant même le début de la fouille, le choix d’utiliser la photogrammétrie comme technique de relevé a été un parti pris explicite, proposé par le responsable d’opération et volontiers accepté par le service régional de l’archéologie (SRA). Comme démontré par de nombreux travaux récents, le recours à cette méthode ou à d’autres techniques d’acquisition en 3D présente beaucoup d’avantages pour l’archéo-anthropologie (Sachau-Carcel 2012)5. Par conséquent, à la manière dont il était autrefois enseigné aux fouilleurs comment se servir d’une « grille de relevé », tous les techniciens ont reçu la formation nécessaire pour la modélisation 3D des structures, avec une précision de l’ordre du millimètre. Cet enseignement s’est déroulé de façon continue, par des mises en pratique accompagnées à partir de cas concrets.
5Au terme de la fouille, les prises de vue sont réalisées, en soignant les éclairages pour éviter les ombres portées et en assurant une couverture de tous les détails, avec les recouvrements nécessaires entre chaque photo (entre 100 et 300 selon la complexité du sujet). L’installation d’amers relevés par le topographe autour de la structure permettent le géoréférencement des modèles obtenus pour leur exploitation dans un système d’information géographique (SIG). Grâce à un bureau établi sur la base vie du chantier, muni d’un ordinateur et d’une imprimante, les calculs sont lancés dans la foulée et achevés quelques heures plus tard (logiciel Agisoft MetaShape), donnant notamment une orthophotographie généralement imprimée au 1∕5, au format A3. Ce document est alors confié aux anthropologues, qui l’utilisent pour réaliser un calque supportant la prise de notes pour le démontage. Par ailleurs, le géoréférencement autorise la prise directe de mensurations et d’altitudes à l’écran. Cette pratique a été mise en œuvre pendant les dix mois qu’a duré la fouille, et plus de 700 relevés 3D ont été réalisés, à la fois sur les tombes et sur les autres structures (puits, fosses, silos, autres). Certaines structures ont justifié plusieurs relevés compilés dans le même document, ce qui permet de revoir les différents états de fouille (jusqu’à 25 pour un puits et plus de 60 dans le cadre du cercle funéraire et ses structures connexes).
- 6 La mise en œuvre de cette application est prévue pour 2023 au musée Bargouin de Clermont-Ferrand.
6Outre les minutes de terrain produites par décalque, il en résulte des documents numériques très riches, exploitables à plusieurs fins. En premier lieu, en utilisant des logiciels de visualisation des modèles 3D le plus souvent gratuits (MeshLab, CloudCompare), la position des os et des objets peut être vérifiée rétrospectivement. Dans les versions numériques des rapports, l’intégration de PDF 3D enrichit avantageusement les descriptions et les démonstrations proposées par l’archéologue, moyennant l’utilisation d’ordinateurs suffisamment puissants, dotés de cartes graphiques adaptées (affichage de vues en section, métrologie). Ces logiciels servent aussi à des présentations pour le grand public, et le recours spectaculaire aux vues en anaglyphes est généralement apprécié (utilisation de lunettes à filtres rouge et bleu restituant le décalage stéréoscopique nécessaire pour la vision en relief). Enfin, les modèles issus de la photogrammétrie peuvent être imprimés en 3D à différentes échelles pour une exploitation muséographique6.
7De façon expérimentale sur ce site, la volonté de produire des documents graphiques fidèles pour les vases néolithiques découverts dans les tombes a conduit à explorer de nouvelles fonctionnalités du logiciel MetaShape. Au lieu de réaliser des photographies en tournant autour du sujet, comme dans le cadre d’une photogrammétrie habituelle, ce logiciel autorise à faire tourner le sujet sur lui-même alors que l’appareil demeure immobile sur son pied. Un cliché du support et du fond seuls est paramétré comme « masque » dans le traitement des images. C’est une fonctionnalité particulièrement adaptée à la modélisation d’objets de dimensions réduites. Une mesure reportée sur le modèle obtenu sert à le mettre à l’échelle, et de nouveau, différentes exploitations sont possibles avec le résultat du calcul photogrammétrique. Au premier chef, avec ou sans texture et en paramétrant un ombrage virtuel, différentes vues extraites et assemblées servent à bâtir une planche graphique destinée à la publication [ill. 2]. Les vues en coupe sont directement obtenues à l’échelle d’après le modèle 3D et intégrées à la planche sous la forme d’un dessin vectoriel avec quelques menus amendements (projections des lacunes en pointillés, axe de symétrie, etc.).
8Appliqué à une trentaine de vases, ce procédé atteint les limites d’un « rapport qualité-prix » raisonnable. Les temps de prise de vue, de calculs et de post-traitement sont en effet importants (de l’ordre d’une demi-journée par vase) et peut-être moins « rentables » que des dessins au trait traditionnels, qui demeurent toutefois moins précis. Paradoxalement cependant, les dessins au trait réalisés manuellement, en dépit de leur imprécision assumée, conservent la faveur de la plupart des chercheurs, qui ont l’œil habitué à certains standards graphiques qu’ils jugent nécessaires à leurs comparaisons et références bibliographiques. Le recours à la photogrammétrie offre pourtant l’avantage de présentations fidèles des couleurs de surface, des reliefs et de la nature des cassures, qui sont révélatrices des méthodes de montage et des bris parfois intentionnels, dans le cadre de sacrifices liés aux pratiques funéraires, comme cela s’est présenté à Pontcharaud.
9Si cette technique procure davantage de précision et permet divers développements (métrologie, exploitation multimédia, impression 3D), un effort de formation des agents reste à faire ainsi qu’un accroissement des espaces de stockage numérique dédiés. En effet, plus de 60 000 clichés ont été réalisés à Pontcharaud, pour 700 sujets modélisés, et le poids des modèles 3D obtenus est également considérable. La photogrammétrie est aujourd’hui une méthode à la portée de tous grâce à l’amélioration des logiciels et des ordinateurs. Dans le cadre de problématiques scientifiques bien définies, il serait très dommage de ne pas l’utiliser. Son efficience sur le terrain et en laboratoire incite à reléguer les grilles de relevé et les conformateurs au rang des outils surannés, tout en élargissant le champ de compétence des agents et leur goût du travail bien accompli.
Logiciels cités et utilisés :
CloudCompare (version 2.12) [GPL software]. (2022). Retrieved from http://www.cloudcompare.org/
P. Cignoni, M. Callieri, M. Corsini, M. Dellepiane, F. Ganovelli, G. Ranzuglia. MeshLab: an Open-Source Mesh Processing Tool. Sixth Eurographics Italian Chapter Conference, p. 129-136, 2008.
Agisoft MetaShape Professional, copyright 2019 Agisoft (LLC).