1Le site de la zone d’aménagement concerté (Zac) du Moutot à Lavau (Aube) se trouve dans la périphérie nord-est de l’agglomération troyenne, secteur reconnu pour sa densité en occupations anciennes et fenêtre d’étude privilégiée de l’archéologie de sauvetage puis préventive (Riquier 2018). Dans l’environnement proche de la fouille en question, diverses opérations archéologiques permettent de percevoir une succession d’occupations funéraires, s’étalant du sud-ouest et de la Seine vers le nord-est et la plaine crayeuse. Le site de Lavau, positionné sur la pointe d’une petite langue de plateau, s’insère vraisemblablement sur un axe de circulation connectant la plaine à la Champagne crayeuse et dont l’origine remonte au moins au Bronze final, période de la première occupation du site.
- 1 Responsable d’opération : B. Dubuis, Inrap.
- 2 Responsable d’opération : Arthur Guiblais-Starck, Inrap.
2Menée du 14 octobre 2014 au 13 avril 2015, la fouille du Moutot1 succède à un diagnostic mené deux ans plus tôt2, à l’occasion duquel avaient été trouvées plusieurs sépultures de l’âge du Bronze et de l’Antiquité, ainsi qu’un réseau complexe de fossés monumentaux mal datés, enserrant pour partie une élévation centrale artificielle. Dès la réponse initiale à l’appel d’offre, il a été question de proposer la meilleure solution technique et financière afin de répondre à la prescription et en particulier au tamisage des 7 000 m³ de sédiment constituant le remplissage des grands fossés. Une mécanisation importante de cette phase de fouille a alors été proposée.
3Le tout premier tumulus est installé vers la fin du xiie siècle avant notre ère en compagnie d’une douzaine d’incinérations. Une seconde occupation monumentale intervient aux viie-vie siècles avant notre ère. L’ensemble de ces aménagements sera recouvert par ou inséré dans le monument du prince, inhumé vers le milieu du ve siècle avant notre ère. Si, à travers les indices observés lors du diagnostic, la nature funéraire des vestiges mis au jour était clairement attendue, l’importance de la tombe à char découverte demeurait insoupçonnée. À travers l’assemblage et la qualité du viatique découvert, la tombe du prince de Lavau apparaît de fait sans commune mesure avec les autres tombes à char de la région de Troyes (Estissac, Bouranton) et se hisse au rang des plus riches sépultures de la fin du premier âge du Fer (Vix, Hochdorf). Quant au monument associé, constitué notamment des grands fossés vus au diagnostic, il atteint des proportions sans précédent (près d’un hectare).
4Sans revenir dans les détails sur l’histoire et les caractéristiques des occupations découvertes (voir Dubuis et al. 2015a ; 2015b ; Dubuis 2017a ; Dubuis, Millet 2017 ; Dubuis et al. 2021), cet article propose un retour d’expérience sur cette opération de deux hectares fortement médiatisée, les enjeux et les contraintes, les choix opérés, les moyens techniques appliqués, en focalisant le propos sur la fouille de la tombe princière et de son monument.
5La présence d’un vaste tertre vu au diagnostic, déjà identifié auparavant en prospection aérienne (Bienaimé 1969), au sein d’un réseau de fossés monumentaux (ens. 5) dont le tracé était restitué à partir des données du diagnostic, avait conduit à positionner avant le décapage deux larges bermes se croisant au centre du tertre, formant une croix simple [ill. 1 : axes A-B et C-D]. Ces bermes devaient permettre d’appréhender la stratigraphie au cœur du site, notamment dans un espace délaissé par le diagnostic.
1a. Près de 250 mètres linéaires de coupe relevés au moyen d’un réseau de bermes.
Ils documentent le complexe funéraire monumental sur trois axes principaux, recoupant pas moins de six monuments et illustrent l’ensemble de la chronologie du site.
B. Dubuis, Inrap.
1b. Modèle numérique de terrain (MNT) après décapage, obtenu en couplant relevé robotisé (moitié sud) et manuel (au nord).
B. Dubuis, Inrap.
1c. MNT en vue oblique obtenu à partir de la photogrammétrie calculée avec des photos prises au ballon.
B. Dubuis, Inrap.
- 3 L’emploi du détecteur de métaux a permis sur le moment la récolte de monnaies orientant vers cette (...)
6Le décapage, amorcé le 14 octobre, a été mené au moyen de deux pelles mécaniques, du sud vers le nord. Une première difficulté est apparue dans la gestion de la stratigraphie. Au centre du site, les vestiges protohistoriques et antiques étaient scellés par un épandage d’époque médiévale3 de sédiment sombre allant jusqu’à un mètre d’épaisseur, qui fut systématiquement dégagé. Il recouvrait un paléosol antique riche en matériel et surtout plusieurs élévations monumentales, en terre sombre ou en craie, telles que le tertre principal (ens. 5) [ill. 2]. C’est ainsi que les vestiges inattendus de deux talus externes en craie sont apparus à l’est puis au nord, ceinturant pour l’un le fossé circulaire d’un grand monument hallstattien (ens. 2), pour l’autre la tranchée palissadée d’un monument contemporain de l’horizon « princier » (ens. 4) [ill. 3].
2. Vue générale du secteur le plus stratifié, au niveau du tertre princier.
Le tumulus du Bronze final (masse sombre au centre) est posé sur le paléosol ; un fin niveau crayeux s’est formé lors du creusement de la sépulture à incinération et scelle les traces, exceptionnellement documentées, du bûcher associé. Il est recoupé à la fin du premier âge du Fer par un enclos quadrangulaire abritant une sépulture à inhumation. Au tout début du second âge du Fer, la « plate-forme » en craie du tertre princier vient recouvrir les flancs du tumulus ancestral ; après inhumation du prince, le tertre proprement dit est construit et supplante le monument hallstattien en bois.
B. Dubuis, Inrap.
3. Coupes pratiquées dans les talus externes de deux monuments en élévation (ens. 2 et ens. 4).
Elles révèlent le décapage préalable de la terre végétale, sans doute pour constituer le tertre. Ainsi non seulement l’exemple de Lavau documente-t-il deux cas très rares de talus externes conservés en élévation (en général, ils sont seulement restitués par l’examen du remplissage du fossé), mais il permet aussi d’attester de la postériorité de ces monuments sur l’inhumation ou l’incinération associée : la sépulture intervient en premier, dans un espace encore non enclos, le fossé ou la palissade étant installé(e) après le tertre.
B. Dubuis, Inrap.
- 4 L’étude micromorphologique de ces deux élévations, menée au moyen de prélèvements en colonne pratiq (...)
7Improvisée sur le moment et motivée par ces découvertes inattendues, une troisième berme a été ménagée sur un axe coupant au centre ces deux nouveaux monuments [ill. 1 : axe E-F]. Il n’a pas été possible de laisser en place leur élévation tumulaire centrale, s’agissant de terre noire scellée par les épandages médiévaux de même nature, reposant sur un paléosol sombre également. C’est donc après coup, à travers le relevé des coupes sauvegardées par cette nouvelle berme, qu’ont pu être documentés les vestiges des tertres, sans doute constitués de « mottes de gazon » prélevées dans l’environnement immédiat4.
8Le suivi attentif du décapage, dans un contexte local où les sites sont généralement arasés et où l’on se contente de facto de décaper jusqu’à la craie, a donc été décisif dans la préservation et l’étude de la stratigraphie du site. La forme finale en « croix de Lorraine » du réseau de bermes est la somme d’une approche anticipée et d’une forme d’improvisation heureuse, de choix réflexe contraint par la mauvaise lisibilité de vestiges non attendus. Le réseau ainsi constitué a été bénéfique à la circulation de l’équipe sur le terrain dans les premières semaines de l’opération : jusqu’à la fouille mécanisée des fossés, un soin particulier a été donné à la lisibilité des vestiges, et le piétinement du décapage a été réduit au minimum.
9À l’issue du décapage, le 29 octobre, l’équipe a quitté le terrain le temps d’une série de prises de vues aériennes, lesquelles ont révélé de manière époustouflante l’organisation et l’ampleur des vestiges. Ces clichés ont été suffisants pour une acquisition photogrammétrique du décapage. Au sol, un levé topographique a permis la constitution d’un modèle numérique de terrain (MNT) documentant les élévations tumulaires conservées [ill. 1 : B et C].
10L’ensemble des bermes sera ensuite fouillé progressivement (février 2015), ce qui permettra de mettre au jour quelques sépultures complémentaires. L’ensemble des vestiges a été fouillé intégralement, hormis quelques trous de poteaux non datés et toute une série de fosses de plantation de vigne modernes.
11Les fossés de l’ensemble 5, c’est-à-dire du monument « princier », représentent 450 mètres linéaires. Ils partagent le complexe funéraire monumental en deux enclos, l’un au sud-ouest accueillant le tumulus principal et la tombe princière, l’autre (le plus vaste) au nord-est délimitant et mettant en valeur plusieurs monuments, certains remontant au Hallstatt ancien-moyen. La fouille mécanisée de ces fossés a été exhaustive [ill. 4]. Le relevé des coupes de structures aussi larges et profondes (près de 6 mètres de large et jusqu’à 3 mètres de profondeur) n’était pas sans poser quelques problèmes de sécurité : il a imposé une approche en paliers, avec acquisition photogrammétrique, relevé de terrain « à distance » sur impression photo puis report des observations en post-fouille sur l’orthovue recalée via QGIS ; vingt-six coupes ont ainsi été relevées au total.
4. Fouille mécanisée des fossés monumentaux.
Elle s’est déroulée au cœur de l’hiver. Les engins mécaniques ont opéré depuis l’extérieur des enclos, ménageant l’espace interne pour la fouille manuelle des sépultures et des petits monuments.
B. Dubuis, Inrap.
12La prescription de fouille prévoyait le tamisage intégral du remplissage de ces fossés monumentaux. En dépit des capacités développées en région (prélèvements en big bags, tamisés dans la station de Pont-à-Mousson), le volume à traiter, évalué à 7 000 m³, excluait toute solution autre qu’un traitement sur place. C’est pourquoi fut mise en place une cribleuse autoportée, directement alimentée par la pelle et suivant celle-ci tout au long du tracé des fossés : passant dans des grilles, le sédiment fin (infracentimétrique) était rejeté d’un côté, les gros éléments (pierres, tessons…) de l’autre. De cette manière, la fouille et le tamisage intégral des fossés, comme le relevé des coupes entrepris en parallèle, furent menés du 12 janvier au 23 février. Le bilan de cette opération demeure mitigé. Utilisée dans les premiers jours en conditions météorologiques sèches, la cribleuse a parfaitement fonctionné et permis une sélection fine du mobilier. Très vite, par temps humide, la grille vibrante s’est colmatée, et l’efficacité du tri s’en est trouvée réduite, sauf à stopper régulièrement la machine pour gratter la grille. De même, on reprochera à ce système la nécessité de placer un archéologue devant le point de chute du refus de tamis, qui peut tomber en abondance (cas des couches riches en débris crayeux au fond des fossés) et sans discontinuer : il n’y a pas de possibilité de stopper le flux, le rythme suit celui de l’alimentation par la pelle. Enfin, il faut reconnaître que les lots de matériel récoltés ainsi sont moins bien contextualisés.
13La quasi-totalité du matériel issu des fossés, récolté devant la pelle ou à la sortie de la cribleuse, relève contre toute attente de l’Antiquité, seuls quelques tessons renseignant une fréquentation discrète des lieux dans les décennies succédant à l’inhumation du prince : les fossés étaient donc encore largement ouverts quelque cinq siècles après leur creusement.
14L’un des principaux enjeux de la fouille de ces fossés, devenu évident dès lors que la tombe princière fut reconnue, consistait dans la recherche de statuaire, dont on sait aujourd’hui que ces grands monuments des vie et ve siècles avant notre ère étaient généralement parés, comme en témoignent les cas bien connus de Hirschlanden et du Glauberg en Allemagne ainsi que celui de Vix – bien que les deux statues découvertes soient en position secondaire dans un enclos voisin du tumulus princier (Chaume, Reinhard 2011). Finalement, la fouille intégrale de ces vastes enceintes n’a pas permis de récolter de fragments de statue en pierre, pas plus d’ailleurs que la fouille de l’ensemble du site. Sauf à envisager un déplacement ou une récupération (comme dans le cas de Vix ?), la piste de statues-piliers en bois est aujourd’hui privilégiée. Cohérente avec l’emploi des ressources locales (pas de roches dures dans l’environnement proche), elle permettrait d’interpréter une paire de « trous de poteaux » jouxtant l’entrée monumentale de l’enclos sud dédié à la tombe du prince.
15Perçu dès le diagnostic, le caractère artificiel du relief situé dans l’enclos sud du réseau de fossés monumentaux s’est vu confirmé à la fouille : il s’agissait d’un vaste tertre d’une quarantaine de mètres de diamètre, constitué d’une partie basse en craie (nommée « podium » ou « plate-forme »), construite sur le paléosol et affleurant sous la terre végétale au centre, recouverte sur les côtés d’apports de terre sombre. L’élévation conservée était inférieure à 80 centimètres.
16La tombe, légèrement excentrée par rapport au point de croisement des bermes, apparaissait sous la forme d’une tâche sombre allongée se démarquant nettement des niveaux crayeux de l’élévation tumulaire. Le remplissage de l’aménagement, homogène, correspondait manifestement à l’effondrement de la masse tumulaire, et aucune trace de pillage n’était perceptible, gage d’augustes découvertes à venir. Vers le 10 novembre, le nettoyage de surface révélait la présence de négatifs de trois poutres de bois installées longitudinalement : les restes – exceptionnellement préservés – d’un plafond, un cas rarement documenté en Europe protohistorique. Le niveau d’apparition de ce plafond, au sommet de la plate-forme en craie, et le tassement observé en surface de cette dernière permirent d’identifier fort probablement le niveau de circulation de la cérémonie funéraire : la partie basse du tumulus servait donc de podium lors de l’inhumation du prince.
- 5 L’usage du détecteur de métaux a été généralisé sur la fouille ; l’opération n’a eu à souffrir d’au (...)
17Le 12 novembre, un premier sondage mécanisé était pratiqué dans le tertre, le long de la berme centrale, depuis le centre vers le nord-est [ill. 5]. Recoupant très partiellement la structure centrale, ce sondage a permis de constater que cette dernière se prolongeait plus bas que le paléosol piégé sous le tumulus et qu’elle était donc semi-excavée. Un sondage manuel localisé, prolongeant le sondage mécanique, a permis ensuite de détecter5, sans l’atteindre toutefois, un gros objet métallique non ferreux situé très en profondeur. Il s’avérera, plus tard, qu’il s’agissait du grand chaudron en bronze à têtes d’Achéloos et de félins. L’identification de ces vestiges à une chambre funéraire ne faisait évidemment plus de doute ; à peine un mois s’était écoulé depuis le début du décapage.
5. Vue générale du premier sondage mécanisé réalisé dans le tertre princier.
Il révèle l’existence d’une plate-forme en craie, posée sur le paléosol, et documente le remplissage supérieur de la tombe princière (à droite). Le sédiment effondré dans la sépulture mêle une matrice sombre à des paquets plus clairs (mottes de gazon ?) : ces matériaux ont été apportés après fermeture de la chambre funéraire. Le tertre est donc constitué en deux étapes privilégiant chacune un matériau différent.
B. Dubuis, Inrap.
- 6 De telles traces ont bien été observées, mais bien plus bas dans la stratigraphie, en partie au con (...)
18Trois autres sondages mécaniques sont intervenus ensuite, de manière à documenter au moyen des bermes en place deux coupes se croisant au centre du tertre. L’une d’elle a recoupé les vestiges, plus anciens et scellés par le tumulus princier, de deux monuments superposés, le plus ancien correspondant à l’évènement fondateur de la nécropole au Hallstatt A1 [ill. 2]. La fouille mécanisée des niveaux supérieurs de la sépulture a été menée également le 12 novembre, jusqu’au niveau du substrat, sans rien rencontrer d’autre que du sédiment sombre stérile. Cette fouille à plat était demandée par les services de l’État pour rechercher d’éventuelles traces de bois effondré, issu du plafond6. De ce fait, il n’existe pas de relevé en coupe complet de la moitié supérieure de la tombe. L’acquisition photogrammétrique de cet état de fouille est complété de relevés en plan et de profils. Trois autres sondages mécaniques se sont succédé entre le 12 et le 13 novembre, le long des bermes, de manière à obtenir deux coupes générales se croisant tout près de la tombe. Ces coupes ont été relevées manuellement et doublées d’une acquisition pour photoredressement ; elles permettent également la réalisation de divers prélèvements à visée micromorphologique.
- 7 Un arrêté de prescription modifiant la tranche conditionnelle est émis le 22 décembre 2014, afin de (...)
- 8 Plate au sommet et au contact de la tombe, elle s’achève au nord et au sud par des pentes prononcée (...)
19Le 13 novembre, les niveaux sombres du tumulus sont entièrement fouillés, mécaniquement, de manière à dégager l’ensemble de la plate-forme de craie, dont l’acquisition photogrammétrique est menée dans la foulée. Les préparatifs de la fouille de la tombe sont entrepris dès cette étape7. L’importance supposée de la sépulture motivait l’emploi d’un abri de fouille, mais sa profondeur – constatée lors du sondage manuel –, la forme de la plate-forme de craie8 comme la présence de plusieurs sondages mécaniques et des bermes dissuadaient une installation en l’état. L’ensemble de la stratigraphie environnant la tombe a donc été fouillée mécaniquement, le 14 novembre, jusqu’au substrat, de manière à ménager l’espace nécessaire à l’installation de l’abri [ill. 6]. Ces quelques jours de fouille et de relevés divers, entre le 10 et le 17, ont donc été décisifs dans la compréhension et la documentation de ces vestiges exceptionnels, de lecture fort simple heureusement. La stratigraphie subsistant à l’issue de cette étape, autour de l’abri de fouille, sera étudiée progressivement dans les deux mois qui suivront.
6. Vue générale des travaux d’aménagement de l’abri de fouille.
Nécessité par la perspective d’une fouille longue de la tombe en plein hiver, la mise en place de cet abri a obligé à documenter et fouiller rapidement les vestiges du tertre à son emplacement, sa mise en place nécessitant un sol plan et donc un décapage jusqu’au substrat ; en arrière-plan, la coupe illustre la forme particulière de la plate-forme de craie.
B. Dubuis, Inrap.
- 9 Lieu-dit la Sauce, responsable d’opération : Bertrand Roseau, conseil départemental des Ardennes - (...)
20Effectuée le 17 novembre, la mise en place de l’abri nécessaire à la protection des vestiges comme des archéologues – l’hiver approchant – ne résolvait cependant pas la question de la méthode de fouille. De fait, la taille et la profondeur de la tombe excluaient d’opérer depuis les bords ou au moyen de planches transversales, et il n’était évidemment pas question de piétiner les vestiges. L’expérience toute récente de la fouille de la tombe à char de Warcq (Ardennes)9 a alors été mise à profit. Pour mener à bien l’étude de cette vaste sépulture de la fin du second âge du Fer, une infrastructure constituée de plateaux suspendus coulissant longitudinalement sur des rails et verticalement au moyen de chaînes et poulies avait été créée de toute pièce (Millet et al. à paraître, p. 132). Ce matériel démontable a fort opportunément été réutilisé à Lavau. Excentré vers le nord, l’abri ménageait un espace de travail et de stockage pour le matériel, la fouille de la tombe se déroulant côté sud. Autour de la tombe, il subsistait peu de place pour circuler.
21Débutée le 19 novembre, la fouille a d’abord été menée en quarts opposés, par passes successives d’environ 20 centimètres, sans utiliser les plateaux suspendus : 60 centimètres sont fouillés ainsi. Le 26 novembre, une des têtes d’Achéloos ornant le chaudron est dégagée [ill. 7]. La fouille sur plateaux suspendus se met alors en place, avec une nouvelle équipe spécialisée constituée d’É. Millet (spécialiste du mobilier métallique des âges du Fer), de Céline Villenave (anthropologue), de David Josset (responsable d’opération expérimenté, topographe) et du responsable d’opération B. Dubuis. Un théodolite est octroyé à demeure et permettra de procéder à des relevés sans délai et en fonction des besoins. La fouille est globalement menée en quatre carrés découpés selon les axes de relevé, transversal et longitudinal. Une berme centrale est maintenue jusqu’au dégagement du squelette, découvert en position centrale : elle permettra le prélèvement d’une colonne centrale à visée micromorphologique.
7. Découverte d’une des anses du cratère grec, À Vix, en 1953, au bout de quelques heures de recherches hasardeuses.
À Lavau, plus d’un mois s’est écoulé depuis le début de l’opération quand on dégage la première anse, ornée d’une tête du dieu-fleuve grec Achéloos, du grand chaudron de bronze.
B. Dubuis, Inrap.
22Apparaissant le plus haut dans la stratigraphie, le chaudron focalise d’abord les recherches. Menée par É. Millet, la microfouille permet de dégager d’abondants restes de bois au contact du récipient, puis, à l’intérieur, de mettre en évidence une concentration de vaisselle et de petits objets précieux (œnochoé, passoire, cuillère perforée, pied de coupe, pince à épiler, scalptorium, pyxide). La présence, contre la paroi interne du chaudron, de matière organique noirâtre et jaunâtre adhérente a très vite motivé la réalisation de prélèvements. Ceux-ci ont été exploités en post-fouille, pour des analyses de chimie organique et de pollen, révélant la présence d’un badigeon de poix et de restes de vin rouge aromatisé, sans doute miellé (Dubuis et al. 2020). Au pied du chaudron sont retrouvés dès janvier deux bassins en bronze, une bouteille en céramique cannelée vixéenne et son couvercle en bronze.
- 10 Le fond de la fosse est trouvé dès le 10 décembre dans l’angle nord-ouest, à près de 1,15 m de prof (...)
23Les angles nord-ouest et sud-est de la tombe, exempts de mobilier10, ont été rapidement dégagés. Dans les premières semaines de janvier, la berme centrale est progressivement démontée. Au sud-ouest, la fouille est ralentie par l’état de délabrement de la roue gauche du char, qui apparaît essentiellement sous la forme de centaines de fragments ferreux de taille millimétrique à centimétrique. La fouille fine et le tamisage systématique du sédiment prélevé dans ce secteur s’étalent sur le mois de février.
- 11 Le gardiennage du site, mis en place dès la fin de l’année 2014, sera renforcé dans les derniers mo (...)
24Le 4 mars, seuls le dépôt de vaisselle et la roue droite du char sont déjà dégagés. Le prélèvement de la vaisselle « précieuse » découverte dans le chaudron (œnochoé grecque, accessoires en or et en argent) intervient le soir même [ill. 8] : la crainte d’une intrusion et d’un vol motivent de les mettre au coffre sans attendre la fin de la fouille11. Le couteau de cérémonie en fer, inséré dans son fourreau composite et retrouvé écrasé contre la paroi orientale courant janvier, fut également prélevé précocement, le 12 mars, en raison de son état de conservation. Tous ces objets n’apparaissent donc pas sur les vues générales du dépôt funéraire et le relevé en trois dimensions (3D) de l’état final de fouille.
8. Différentes étapes de fouille du chaudron vues vers l’est.
a. 4 déc. 2014 : chaudron scellé par un effondrement latéral. b. 30 janv. 2015 : ciste à cordon au centre du chaudron. c. 24 fév. 2015 : dépôt de vaisselle dans le chaudron. d. 30 mars 2015 : ciste en cours de fouille avec apparition d’une œnochoé en bronze. e. 3 avril 2015 : chaudron consolidé et portion ouest prélevée pour accéder à la ciste. f. 7 avril 2015 : apparition du plancher en chêne. g. 7 avril 2015 : apparition de la vannerie. h. 9 avril 2015 : fin de la fouille, ultimes vestiges des parois en chêne contre le creusement à l’est.
É. Millet, Inrap.
- 12 « Manger, boire, offrir pour l’éternité en Gaule et en Italie préromaines », financé par l’Agence n (...)
- 13 Réalisé par l’École des mines de Paris et l’Umr 8546 « AOrOc ».
- 14 Réalisation : Alexis de Favitski, 2017 ; coproduction : Arte France, Eleazar Productions, Inrap, C2 (...)
25La position du défunt est connue dès la seconde semaine de mars. Allongé au centre de la chambre, la tête au sud, il porte un torque en or, découvert dès le 10 mars. Les prélèvements de sédiment à son contact ont été multipliés. Le 19 mars, une délégation du programme Magi12 vient procéder à divers prélèvements, de matière organique d’une part (dans le chaudron et la bouteille vixéenne), de restes osseux du défunt d’autre part, pour une future analyse ADN. Le 24 mars, le dépôt funéraire est enfin entièrement mis au jour. Le relevé précis de la sépulture est alors mené dans la foulée par une série d’acquisitions photogrammétriques, doublées d’un scanner 3D Faro13 le 26 mars. Différentes prises de vues ont également été réalisées à cette étape pour le film L’Énigme de la tombe celte14.
- 15 Doté d’un timbre en vannerie, il dispose d’un cimier en fer, or et corail, de deux agrafes en fer e (...)
- 16 Celle-ci n’a finalement pas abouti.
26Le prélèvement du mobilier s’est étalé du 30 mars au 9 avril [ill. 9], sous la houlette de Renaud Bernadet, conservateur-restaurateur expérimenté, intervenu déjà pour les prélèvements du dépôt de Warcq. Lors des démontages complexes, des impressions sur papier de clichés zénithaux ont permis de reporter les points topographiés et les numéros d’isolat : ces archives serviront de support pour le programme de restauration des bronzes prévu en 2022, qui nécessite par exemple pour le chaudron le remontage d’une centaine de fragments. De nombreux objets ont été consolidés au moyen d’applications de cyclododécane et de bandes de gaze (Bernadet, Millet 2020, p. 14, fig. 2). Certains des prélèvements en bloc ont été essentiels, en post-fouille, à la compréhension du dépôt : par exemple le bloc prélevé au niveau du torse du défunt, lieu de déposition d’un exceptionnel couvre-chef composite15 ; ou encore les restes d’une ceinture couvrant les os du bassin, en cuir et ornée de fils d’argent, dont la radiographie et la tomodensitométrie ont révélé dès 2016 la nature et le décor, exceptionnels. Intégralement consolidé, le chaudron est prélevé le 7 avril. Découverte en dessous, une vannerie fine couverte de tissus a été plâtrée et fouillée de manière différée au laboratoire ARC-Nucléart. Une portion du plancher de chêne, conservé sous un des deux bassins en bronze, a été consolidé avec du primal et prélevé en bloc dans l’espoir d’une datation dendrochronologique16. Le prélèvement du squelette, très altéré par l’effondrement de masses importantes de sédiment, s’est avéré délicat et a nécessité plusieurs prélèvements en bloc consolidé. Des prélèvements micromorphologiques complémentaires seront réalisés sous le crâne et sous la caisse du char. Le 9 avril, l’ensemble du fond de la tombe est gratté finement afin de s’assurer de l’exhaustivité de la fouille.
9. Étape de démontage dans la tombe.
L’équipe a pu poser le pied dans la tombe en profitant des espaces vides de mobilier. Le chaudron est ici en cours de consolidation pour démontage, tandis que le contenu des bassins en bronze est fouillé. Le dégagement complet du squelette nécessitait le prélèvement du bandage de la roue droite du char effondrée sur l’épaule droite du défunt.
Da. Josset, Inrap.
27Étalée sur presque quatre mois, la fouille manuelle du comblement inférieur de la tombe a donc nécessité l’appréhension d’un volume de près de 15 m³. Si l’étude des données est encore en cours aujourd’hui, on constate de manière générale trois principales étapes de remplissage : infiltration de sédiment d’abord, éboulis latéraux ensuite – d’ampleur limitée et charriant surtout la craie constituant la plate-forme cérémonielle –, effondrement massif enfin, à l’issue de la rupture de la poutre centrale dont la trace a pu être relevée.
- 17 Fouille du contenu du chaudron (une centaine de litre), fouille du quart sud-ouest où la roue gauch (...)
- 18 Fouille programmée, responsable d’opération : B. Dubuis, Inrap et UMR 6298 « ARTEHIS », 2019.
28Tout au long de la fouille fine, les acquisitions photogrammétriques ont été multipliées (à l’occasion de chaque étape de fouille en plan, et presque systématiquement lors du dégagement du mobilier). Aucun relevé manuel autre que les coupes n’a été réalisé sur place. Le tamisage à sec des sédiments a été systématisé directement dans l’abri de fouille, à certaines étapes17. En post-fouille, près de 140 litres de sédiments supplémentaires ont été tamisés (remplissage des récipients, sédiment au contact du défunt, etc.). Ces derniers n’ont livré que très peu d’éléments inédits : un micro-anneau en bronze, quelques rivets en fer du couvre-chef, un très petit fragment de la fibule en fer. Comparativement aux résultats obtenus à Vix à partir du tamisage de 70 m³ des remblais de la fouille ancienne (près de 2 000 restes inédits)18, ce traitement démontre de fait la finesse suffisante de la fouille de 2014-2015.
29Le raccordement électrique a permis l’emploi d’un système d’éclairage et de chauffage soufflant (nuit et jour) garantissant la stabilité thermique à l’intérieur de l’abri, nécessaire à la préservation du mobilier et des restes organiques. Le chauffage, par ailleurs bruyant, a cependant à la longue participé à l’assèchement du sédiment et des vestiges mobiliers, ce qui ne leur était pas forcément bénéfique ; très souvent, les vestiges découverts ont été protégés par un film plastique. La lumière artificielle, parfois insuffisante, n’a pas facilité la prise de clichés. Si à Warcq le temps passé entre l’identification de la tombe à char et sa fouille avait permis d’adapter la structure aux dimensions de la fosse, à Lavau, face à un besoin immédiat, il a fallu « faire avec ». Concrètement, si la sépulture était à peu près aussi large qu’à Warcq, sa longueur était moindre, et l’emploi simultané des deux plateaux ne laissait finalement que peu de place à la fouille : assez souvent, le travail a été mené avec un seul plateau supportant deux personnes et un aspirateur. Le mouvement vertical des plateaux, effectué manuellement au moyen de chaînes et de poulies, était très lent, et leur caractère suspendu et donc mobile obligeait à les boulonner systématiquement une fois en place. Accéder ou sortir de la fosse nécessitait également une certaine gymnastique (le fond de la fosse atteint près de 1,15 mètres sous le « sol » de l’abri). L’exiguïté des espaces de circulation autour de la tombe ainsi que la présence au sol des tubes de la structure supportant les plateaux mobiles et de ceux liés au système de fermeture obligeaient à une vigilance de tous les instants, pour ne pas chuter ou faire tomber quoi que ce soit dans la fosse. Lors d’un épisode pluvieux particulièrement intense, il a également fallu creuser à la hâte une tranchée autour de l’abri, l’inondation menaçant la tombe. Les conditions de fouille étaient donc loin de celles connus quelques années plus tôt pour le Keltenblock project (tombe princière du Bettelbühl en Allemagne, prélevée en bloc et fouillée sur plusieurs années en laboratoire : Krausse et al. 2017).
- 19 Un hôtel a pris place récemment sur le terrain, le long de la voie du Prince créée en bordure nord (...)
30Parvenus au stade où la présence d’une sépulture exceptionnelle était identifiée, devions-nous poursuivre la fouille ou au contraire geler le terrain, le réserver à une opération programmée pluriannuelle ? La question s’est évidemment posée et a donné lieu à une concertation entre la sous-direction de l’archéologie (SDA), le service régional de l’archéologie (SRA) et l’Inrap. Le choix d’aller au bout de l’opération l’a emporté, bien qu’il se soit agi d’une fouille préventive dont la tranche exceptionnelle obligeait à un financement de l’État, limitée dans la durée et sans possibilité de revenir au terrain puisque donnant lieu à un aménagement19. L’état d’avancement des travaux en décembre 2014, les moyens déjà mis en place, la dynamique et l’élan pris par l’équipe ont sans doute pesé dans la balance. Surtout, la configuration de l’opération permettait une vision large, instantanée et inespérée du contexte dans lequel s’insérait cette tombe princière, avec une ouverture qui aurait nécessité, en fouille programmée, de nombreuses années de travaux. Cette fenêtre d’observation est d’ampleur inégalée : même à Hochdorf, la fouille programmée de 1978-1979 (Biel 1985), dotée de moyens importants, n’a conduit qu’à examiner une partie du tumulus princier. À Vix, c’est à peine si l’opération de 1953 a relevé la présence de vestiges d’un tertre (Joffroy 1962) : la priorité était donnée au « trésor », et il a fallu attendre 2019 pour qu’une opération d’envergure s’intéresse à l’insertion de la tombe dans son monument (Dubuis 2020). La nécessité, lors de l’appréhension d’une tombe princière, d’étudier son environnement (non seulement le monument associé mais aussi l’histoire plus large du site, les aménagements funéraires antérieurs et postérieurs, etc.) n’était et n’est toujours pas une option évidente. Il suffit ainsi de citer le cas du Keltenblock, où la tombe a été sortie de son contexte en 2010 pour une fouille différée en laboratoire (Krausse et al. 2017). En cela, la fouille de Lavau constitue un exemple de référence pratiquement sans comparaison.
31La fouille concomitante de la tombe princière et de l’ensemble de la nécropole a constitué un vrai défi, avec des investissements humains et techniques relativement lourds (mobilisation de l’attention du responsable d’opération sur la fouille dans l’abri et au-dehors, expérimentation de la cribleuse, relevé stratigraphique des longueurs démesurées des bermes et des fossés monumentaux, etc.). D’une certaine manière, c’est en ne privilégiant pas la fouille de la tombe sur celle de son environnement mais en plaçant l’ensemble des vestiges sur un même plan que l’opération constitue, sur le plan scientifique, un succès. Ainsi, on perçoit aujourd’hui de manière fine certaines corrélations, entre la forme, la position de la tombe, son organisation interne et l’architecture externe environnante (Dubuis dir. à paraître) : un cheminement est perceptible sur le podium, depuis la porte monumentale au nord-ouest jusqu’à la tombe. Au-delà, à l’est, un monument en bois antérieur, installé sur le tumulus fondateur de l’âge du Bronze, était encore en élévation lors de la cérémonie funéraire : or on comprend aujourd’hui le rôle central qu’il joua dans la géométrie et la planification du complexe princier (ibid.).
32Par bien des égards, l’étude de la tombe princière a constitué une véritable « fouille dans la fouille », limitée aux quelques mètres carrés du système d’intervention sous abri. L’intervention de deux personnes expérimentées, ayant participé à la fouille de Warcq, a sans doute participé à la réussite de cette fouille parallèle, nécessairement improvisée puisque imprévue dans le projet scientifique d’intervention (PSI) initial. Face à une situation non anticipée, les moyens mécaniques et techniques en général ne font pas tout, et en définitive, c’est le temps donné à une équipe qui lui permet de faire face. L’expérience, le savoir-faire acquis en d’autres occasions, mais aussi une part de réussite et d’instinct, la prise de conscience de l’importance du site dans son entièreté, la réactivité dans la mise en place des moyens techniques adaptés dès les premiers indices relevés, l’investissement personnel et physique ont été des ingrédients nécessaires. Plus que tout, l’action collective a permis de surpasser les contraintes d’une opération menée à la mauvaise saison avec des moyens techniques importants mais pas toujours adaptés.
33Indépendamment des résultats scientifiques acquis, les choix opérés, les méthodes employées sont-ils pour autant suffisants à faire de cette opération un exemple de référence sur le plan méthodologique ? Avant l’arrêté de prescription modifiant la tranche conditionnelle, le rythme rapide de l’intervention était nécessité par le caractère serré des délais. Jusqu’en décembre 2014, la fouille a donc été menée tambour battant, et certains vestiges auraient mérité une plus grande attention : c’est le cas par exemple du paléosol antique, riche en mobilier mais rapidement décapé. Les choix opérés ont bien entendu été souvent dictés par la logistique (libération des espaces nécessaires à la circulation de la pelleteuse et de la cribleuse, date d’installation de l’abri de fouille, etc.).
34Si l’on met de côté la longue durée de l’opération (6 mois et 1 jour, contre 7 semaines initialement prévues), la fouille de Lavau demeure par bien des aspects une fouille préventive comme une autre, fortement mécanisée, menée par tous les temps, donnant lieu à un rapport complet paru 18 mois après la fin de la fouille. Le temps passé depuis la fin de l’opération permet aujourd’hui d’esquisser un regard critique sur les choix opérés et de dresser ce « retour d’expérience » d’une opération nationale emblématique, dont les résultats sont aujourd’hui en cours de publication au moyen d’un projet collectif de recherche (PCR) dirigé par le responsable d’opération (Dubuis dir. à paraître).