- 1 Forêts à palmiers pinots (Euterpe oleracea) sur sols hydromorphes.
1La Guyane française est un territoire sud-américain limité à l’est par la frontière brésilienne et à l’ouest par celle du Surinam. Sa surface, qui s’étend sur 83 846 km², en fait la deuxième région de France après la Nouvelle-Aquitaine. La majorité des habitants se concentre actuellement sur une bande littorale qui représente environ 10 % du territoire, avec une mosaïque de paysages spécifiques, typiques d’une plaine côtière du Quaternaire (savanes sèches, marécages boisés, forêts marécageuses et pinotières1, forêt sempervirente). Les 90 % restant sont constitués de terres hautes couvertes par la forêt tropicale humide.
- 2 Responsables des opérations : Philippe Nowacki-Breczewski et Sylvie Jérémie, Afan.
- 3 Direction de la culture, de la jeunesse et des sports (DCJS) depuis janvier 2020.
2À partir des années 1980, des projets immobiliers de grande ampleur et des infrastructures diverses commencent à se développer sur le littoral. Parallèlement, on observe une reprise de l’extraction minière dans les zones forestières, liée à l’exploitation aurifère. Ces activités, développées sur de très grandes surfaces, ont dès le début posé des contraintes en termes de coût et de moyens logistiques et humains pour la mise en œuvre d’une archéologie préventive. Celle-ci ne fait ses premières armes en Guyane qu’à partir des années 1990, avec les deux jalons principaux que sont le lancement du chantier archéologique lié à la construction du barrage de Petit-Saut (commune de Sinnamary) dès 19912, et la création du service régional de l’archéologie (SRA) au sein de la direction régionale des affaires culturelles (Drac)3 en 1992. L’opération liée au barrage fait alors figure d’exception, tant par sa localisation en forêt tropicale et sa durée que par la densité des sites découverts. Entre les années 1990 et la loi de 2001 sur l’archéologie préventive, des missions archéologiques « opportunistes », le plus souvent pluridisciplinaires, sont réalisées dans l’hinterland guyanais. Seule la mutualisation des moyens entre les services de l’État permet en effet d’accompagner les grands chantiers ouverts par les acteurs du développement du territoire (route nationale Régina - Saint-Georges, opérations minières de camp Caïman et de Dachine Palofini, mission de préfiguration du parc amazonien de Guyane sur le pic Matecho ; etc.).
3Caractéristique de la décennie qui suit la création du SRA : les archéologues travaillent plus souvent en forêt que sur le littoral, une situation qui s’inversera complètement à partir de 2001. À cette date, la création de linéaire routier (liaison Apatou - Saint-Laurent) ou l’ouverture de carrières (Sable Blanc) permettent encore d’étudier l’arrière-pays, mais dans les faits, l’archéologie préventive, désormais inscrite dans le Code du patrimoine, se limitera au suivi d’opérations immobilières plus « classiques » en termes de surface, qui se multiplient sur une bande littorale à l’urbanisation galopante [ill. 1].
1. Carte des différentes opérations archéologiques en Guyane.
La bande littorale reste la seule urbanisée et concentre la majeure partie des activités archéologiques, tandis que l’intérieur est toujours un vaste territoire quasi inexploré sur le plan archéologique.
M. Mestre, Inrap ; DAO : AridOcean / Shutterstock / m87.
- 4 Diagnostic à Maripasoula, responsable d’opération : M. Mestre, Inrap, 2006-2007.
- 5 Light Detection And Ranging (détection et télémétrie par la lumière).
4Les projets en forêt sur des superficies hors normes, essentiellement liés à l’extraction aurifère, échappent à l’application de la redevance archéologique. La contribution due étant disproportionnée par rapport à la surface financière attachée à l’activité des entreprises minières, les sites d’extraction avaient été sortis de facto du champ des opérations préventives. Cette situation marque la fin provisoire des investigations archéologiques dans les 90 % du territoire sous couvert forestier [ill. 2]. Durant cette période, une seule opération fait figure d’exception, celle du permis d’exploitation (PEX) de Yaou4, sur une emprise de 52 km² couverte par la forêt tropicale [ill. 3]. Cette intervention, rendue possible sur un site déjà connu depuis les années 1980, a permis d’entrevoir les premières utilisations concrètes du LiDAR5 appliquée à l’archéologie guyanaise.
2. Vue de la forêt guyanaise, qui couvre 90 % du territoire.
Au premier plan, on distingue une ancienne mine alluvionnaire avec sa succession de barranques (fosses d’exploitation) creusées à la pelle hydraulique dans le lit d’une crique.
M. Mestre, Inrap.
3. Vue générale de la mine aurifère de Yaou.
La base vie que l’on aperçoit en arrière-plan est implantée pour partie sur un immense site à fossé.
M. Mestre, Inrap.
5Tandis que sur la bande littorale l’archéologie préventive se développe, suivant en cela l’accroissement urbain, le reste du territoire sous couvert forestier reste directement concerné par l’extraction aurifère. Pour autant, nous l’avons vu, aucune opération archéologique préventive ne peut alors être engagée sur les différents chantiers ouverts.
- 6 Zones basses humides où la nappe phréatique est proche du sol, ou qui correspond au lit majeur d’un (...)
- 7 Étude documentaire et prospection sur la montagne de Kaw, responsable d’opération : M. Mestre, Afan (...)
6Depuis la reprise de l’activité minière dans les années 1980, les autorisations d’exploitation (AEX) délivrées couvraient 1 km². L’extraction concernait l’or alluvionnaire et s’effectuait pour l’essentiel dans les lits des cours d’eau et dans les flats6. Les zones d’extraction correspondaient à de la « repasse », c’est-à-dire des terrains déjà travaillés au xixe ou au début du xxe siècle. Bien que dans cette configuration les impacts archéologiques puissent être considérés comme relativement faibles, le SRA a toujours assuré un suivi administratif de l’industrie minière. Dès 1992, le service a eu à traiter des dossiers concernant l’orpaillage, dont l’emblématique camp Caïman (commune de Roura)7, premier grand investissement industriel minier d’envergure en Guyane. Le projet a rapidement fait l’objet d’oppositions fortes de la part de certains élus et au sein d’une partie de la société civile. Après de longues procédures, il sera définitivement rejeté en 2008 par la présidence de la République.
7Pour éviter le renouvellement de telles situations, l’engagement est pris d’établir un schéma départemental d’orientation minière (SDOM), finalisé en 2011. Ce document fixe la politique minière tout en prenant en compte les enjeux environnementaux. Les orientations qu’il inscrit visent à réorganiser l’industrie minière en Guyane. Ainsi, l’exploitation de l’or primaire est considérée comme devant représenter désormais l’essentiel de l’avenir aurifère de la Guyane, les exploitations secondaires (or alluvionnaire et éluvionnaire) étant peu à peu condamnées, soit du fait du tarissement de la ressource, soit pour des raisons environnementales. La tendance est dès lors de favoriser l’extraction primaire à ciel ouvert, sur des superficies sans commune mesure avec le type d’exploitation pratiqué jusque-là. Les processus industriels en question sont désormais susceptibles de s’appliquer sur des surfaces considérables, dans des périmètres comprenant tous les éléments topographiques de la forêt guyanaise. Ils incluent en particulier les massifs collinaires, jamais prospectés par les archéologues et propices à l’implantation humaine [ill. 4].
4. Exemple d’un secteur travaillé par les orpailleurs avec la présence d’un site à fossé.
a. La photo aérienne montre les dégâts causés par les mouvements de terre mécaniques et les bassins de décantation créés par les miniers. b. Le modèle LiDAR du même secteur permet d’observer la présence de tranchées minières exploratoires, sur une partie du massif jusque-là préservé. Dans la partie sud-est, ces tranchées ont épargné de justesse le site à fossé, visible uniquement sur la restitution LiDAR.
Altoa ; DAO : M. Mestre, Inrap.
- 8 Jules Crevaux et Henri Coudreau sont les explorateurs les plus connus à ce sujet.
8Le bouclier des Guyanes est un ensemble de montagnes et de plateaux en Amérique du Sud daté du Paléoprotérozoïque (entre 2,26 et 1,95 milliard d’années). Il est centré sur les trois « anciennes » Guyanes coloniales que sont le Guyana (britannique), le Suriname (néerlandais) et la Guyane française, et bordé à l’est par le Venezuela et la Colombie et à l’est par le Brésil (Théveniaut et al. 2011). L’histoire du peuplement du plateau des Guyanes s’inscrit sur une très longue échelle de temps qui remonte aux origines de celui de l’Amérique. Cette période précolombienne, longue et peu connue en raison de l’absence de sources écrites, s’achève avec le voyage de découverte de l’espagnol Pinzón en 1500. Si au xvie siècle cet évènement historique reste sans effet immédiat sur le mode de vie des populations de l’intérieur, un commerce de traite régulier est néanmoins mis en place avec les Amérindiens du littoral. En 1596, Walter Raleigh rattache le mythe de l’El Dorado aux Guyanes pour inciter ses pairs à la conquête du territoire (Raleigh 1848). La colonisation des Européens au milieu du xviie siècle entraîne une très forte diminution de la population autochtone, victime de maladies importées. L’espace amérindien dans son intégralité va progressivement se vider de ses habitants pour céder sa place à celui des colonisateurs, qui se bornent à occuper la plaine côtière. L’image que vont dès lors livrer les rares explorations de l’arrière-pays est celle d’une forêt quasi déserte, avec quelques villages concentrés sur les grands fleuves. Les expéditions du xixe siècle8 vont venir fixer durablement dans l’inconscient collectif l’idée d’une forêt vierge et hostile à l’homme (Crevaux 1987 ; Coudreau 1893). Enfin, la disparition de l’explorateur Raymond Maufrais en 1950, très médiatisée à l’époque en raison de l’énergie dispensée par son père pour le retrouver, contribuera encore un peu plus à attacher cette étiquette d’enfer vert à la forêt guyanaise (Maufrais 1952 ; Maufrais 1956). C’est sur la base de cette vision que va se développer dans la deuxième moitié du xxe siècle une recherche scientifique exclusivement basée sur les approches environnementales (faune, flore), excluant de fait l’Homme de ce milieu.
9Durant cette période, la recherche de terrain liée aux aménagements et les études d’impact réalisées relèvent exclusivement de disciplines ayant trait à l’environnement. Les sciences sociales telles que l’archéologie en sont absentes et n’y sont d’ailleurs pas invitées. Les missions pluridisciplinaires auxquelles participent des archéologues dans les années 1990 sont trop peu nombreuses pour que la communauté scientifique de l’époque envisage de reconsidérer la présence de l’Homme au sein d’une « forêt vierge ». Le mythe d’une forêt primaire inviolée va pourtant progressivement se fissurer pour aboutir à une vision radicalement différente, communément admise aujourd’hui. Ces dernières années, le SRA et l’Inrap ont pris une part dans ce changement de point de vue.
- 9 Une première expérience a été tentée en 1998 avec le Muséum national d’histoire naturelle (opératio (...)
- 10 Étude financée par le Cnrs concernant l’impact des occupations amérindiennes anciennes sur les prop (...)
- 11 « Long Term Impact of ancient Amerindian settlements on Guianese forests », projet stratégique du l (...)
10Des projets pluridisciplinaires associant archéologues et botanistes ont été développés en Guyane dès la fin du xxe siècle9, suivis progressivement par la mise en place effective des programmes Couac10 et LongTIme11. Ces recherches s’inscrivent dans la dynamique d’un vaste programme en écologie historique, lancé à l’échelle internationale sur le bassin amazonien (Balée 2013 ; Watling et al. 2017). En Guyane, ces études interdisciplinaires portant sur les propriétés des sols et les forêts ont considérablement réduit la frontière entre patrimoines naturel et culturel. Les résultats obtenus ont presque partout mis en évidence l’empreinte durable laissée par les occupations humaines anciennes dans ces milieux forestiers, longtemps considérés comme vierges et primaires. Ce type de recherche et les données qui en sont issues ont constitué des arguments scientifiques de poids, qui sont venus ébranler les convictions des chercheurs en sciences de l’environnement et plaider en faveur d’une nécessaire reconsidération de la place de l’humain dans la forêt (Odonne, Molino 2018).
11« Il faut avoir vu la forêt guyanaise ou amazonienne pour se faire une idée des difficultés que l’on rencontre pour tracer une piste, et de la fatigue qu’endurent tant celui qui a le sabre en main, que celui qui porte les bagages. Pour le premier, c’est scruter la pénombre du sous-bois, pour trouver dans cet encombrement de lianes, de plantes épineuses, etc., l’éclaircie qui vous conduira le plus possible en ligne droite dans la direction fixée à la boussole. Mais combien de fois dans la journée est-il obligé, à cause de ce fouillis, de prendre la direction sud ou ouest pour y arriver, alors qu’en réalité il veut aller vers le nord-est (Maufrais 1956). »
12La recherche archéologique en forêt amazonienne s’est en permanence réinventée en fonction des conditions particulières imposées par le milieu et des stratégies adoptées pour y répondre. Cette évolution en continu a été possible grâce à l’expérience acquise sur le terrain par les archéologues, associée à l’apport des nouvelles technologies, qu’ils se sont appropriées au fur et à mesure de leur apparition.
- 12 L’or et les minéraux lourds se concentrent sur certains endroits spécifiques appelés « placers allu (...)
- 13 « Terre noire » en portugais, décrit un sol archéologique sombre très fertile formé sous l’action d (...)
- 14 Groupe ethnique du Surinam issu du marronnage (descendant d’anciens esclaves africains).
13La technique de prospection employée dès les premières opérations au début des années 1990 se calque sur celle mise en œuvre à la fin du xixe siècle par les pionniers de l’orpaillage pour repérer les filons. Les prospecteurs d’alors examinaient les souches d’arbres, les terriers ou les talus pour détecter la présence de quartz aurifère ; c’est ainsi que la plupart des placers12 de Guyane ont été découverts. L’archéologue opérant dans la forêt utilise ces mêmes points d’observation mais en recherchant les indices d’anthropisation, caractérisés par des restes céramiques ou lithiques voire par la seule présence de terra preta13 [ill. 5]. Il faut rappeler ici le précieux concours apporté par les pisteurs amérindiens et saramaca14, qui ont accompagné toutes les missions au cours de cette première décennie. Les archéologues ont bénéficié de leur parfaite connaissance de la forêt amazonienne, qu’ils ont su leur transmettre. Au-delà d’une simple collaboration, les échanges opérés se sont révélés un véritable apprentissage du comportement à adopter dans ce milieu fermé.
5. Racines qui remontent du mobilier céramique en surface après la chute d’un arbre.
L’observation des mottes racinaires en forêt tropicale reste encore l’un des moyens les plus efficaces pour identifier les sites archéologiques.
M. Mestre, Inrap.
- 15 Chemin étroit ouvert en forêt.
- 16 Espace déboisé pour la mise en culture sur brûlis.
14Ce n’est qu’à partir des années 2000 que la prospection archéologique bénéficie de l’évolution et de la mise à disposition d’outils issus de la télédétection. Ces derniers remplacent progressivement et avantageusement les référentiels cartographiques IGN utilisés jusque-là. En effet, le défaut majeur des premières cartes à disposition résidait dans l’imprécision avérée des données altimétriques, particulièrement dans la représentation des courbes de niveau. Les reliefs figurés étaient susceptibles d’induire des erreurs potentiellement lourdes de conséquences dans les déplacements pédestres sous la canopée. Il était possible de passer totalement à côté de l’objectif voire de se perdre. La sécurité exigeait que les prospecteurs restent toujours en contact visuel ou à portée de voix pour éviter de s’égarer. Les déplacements se faisaient perpendiculairement à un axe préexistant tel qu’une piste, un layon15 ou un cours d’eau. Le tracé était ouvert à la boussole et au sabre d’abattis16, en prenant bien soin de matérialiser son cheminement pour le retour, au moyen d’encoches ou de marques de peinture faites sur les arbres. Il fallait ensuite trouver un espace où la canopée était moins dense, parfois très éloigné des découvertes, pour pouvoir utiliser un GPS. Le temps d’acquisition des satellites était très long et ne pouvait fonctionner que sur une plage horaire bien précise. Les sites étaient ensuite replacés approximativement sur des cartes à petite échelle. Toutes ces actions demandaient du temps et limitaient fortement le rayon d’action des prospections. In fine, le paysage restait mal compris du point de vue archéologique parce que mal représenté du point de vue graphique.
- 17 Global Positioning System.
15Deux nouvelles technologies ont complètement révolutionné les modes opératoires pour la détection des sites archéologiques en forêt amazonienne. La première concerne l’utilisation de GPS17, qui se banalise dès le milieu des années 1990, mais dont le brouillage par les militaires états-uniens n’est abandonné qu’en 2000, ouvrant l’accès à des signaux de haute qualité. Les appareils permettent ainsi de suivre en temps réel tous les déplacements pédestres effectués sous la canopée, avec peu de décrochages. Ils ouvrent également la possibilité d’explorer des surfaces plus étendues, car ils garantissent une certaine forme de sécurité. Il devient en effet difficile de s’égarer dans les bois. Une carte et une boussole sont néanmoins conservées en cas de panne de l’appareil.
- 18 Le SRA de Guyane expérimente cette technologie dès 2001 sur une fouille programmée de la période co (...)
- 19 Données recueillies par Nina Antonoff dans le cadre d’un mémoire de stage en géomatique effectué en (...)
16La deuxième évolution est liée aux données issues de la technologie LiDAR et aux modèles numériques de terrain (MNT), multiscalaires, qu’elle permet de générer (Mestre et al. 2008). Les aménageurs privés (industrie minière, carriers, etc.) mais aussi de nombreux acteurs publics en Guyane, dont la Drac18, ont utilisé très tôt ce nouvel outil. À titre d’exemple, la donnée issue des services publics disponible en libre accès en 2019 couvrait 6 % du territoire global19.
17Avec ce type de référentiel, la zone d’intervention archéologique est représentée dans tous ses détails topographiques. À partir d’un système d’information géographique (SIG), il devient possible de sélectionner plusieurs couches d’informations pour analyser le paysage à parcourir en ciblant des objectifs, et les extraits LiDAR sont consultables directement dans les GPS. Cette approche se révèle d’autant plus intéressante lorsqu’on l’applique dans des zones forestières abritant des sites qui n’ont pas été perturbés depuis leur abandon. Les informations livrées par les capteurs LiDAR, toujours plus performants, révèlent aussi à l’archéologue qui les interprète des aménagements du paysage difficilement observables sur le terrain.
18C’est le cas notamment de chemins inscrits dans le sous-bois mais souvent indétectables à l’œil nu, qui témoignent d’anciens réseaux amérindiens de déplacement, parfois sur de longues distances.
19Parmi les « anomalies graphiques » les plus spectaculaires qui ressortent des traitements de données figurent les géométries des sites à fossé, dénommées localement « montagnes couronnées ». Les données archéologiques, encore trop peu nombreuses par rapport au nombre et à la diversité des sites connus, ne permettent pas encore d’affirmer quelles étaient leur fonction exacte : villages fortifiés, sites cérémoniels ou funéraires ‑ de telles utilisations ayant d’ailleurs pu se succéder sur un même site. Ces vestiges d’aménagement anthropique, considérés comme extrêmement rares à l’échelle du territoire il y a encore quelques années, se sont avérées relativement nombreux [ill. 6]. Un constat rendu possible grâce à l’interprétation croisée des données LiDAR et des vérifications effectuées sur le terrain. Les modèles obtenus offrent en outre la possibilité d’observer des détails de la microtopographie de ces sites à fossé, qui semblent se singulariser les uns des autres. Souvent très difficiles à percevoir in situ, les microreliefs formés par les cheminements, les « entrées » voire les fossés eux-mêmes sont directement perceptibles à l’écran [ill. 7]. Pour autant, l’instantané visuel du modèle LiDAR demeure celui du dernier état du site, et seule l’étude de terrain permet d’établir des éléments précisant sa chronologie ou sa fonction.
6. Modèle LiDAR de la région de Saül, au centre de la Guyane, qui montre la présence de trois sites à fossé.
Les densités de ce type interrogent sur la possible mise en réseau de ces sites à l’intérieur de micro-territoires.
Altoa, parc amazonien de Guyane ; DAO : M. Mestre, Inrap.
7. Exemple d’un site complexe possédant un double fossé, un chemin d’accès rectiligne et une plateforme centrale aménagée.
Altoa, parc amazonien de Guyane ; DAO : M. Mestre, Inrap.
- 20 Dans les États brésiliens d’Acre, de Rondônia et d’Amazonas ainsi que dans le nord de la Bolivie.
- 21 Dénommés « geoglifos » par les collègues brésiliens.
20Intérêt complémentaire : la détection sur un secteur défini de sites à fossé à partir d’images LiDAR signale généralement un potentiel archéologique qui n’est pourtant pas détectable à l’écran. L’expérience acquise à partir des vérifications opérées sur le terrain montre en effet la forte présence d’autres types d’occupation humaine qui ne présentent pas de microreliefs particuliers. La densité et la diversité des sites d’occupation amérindiens sous la canopée sont également mis en évidence dans les travaux menés par les archéologues des pays voisins. Paradoxe de la déforestation à outrance en Amazonie occidentale20, la photographie aérienne dans un premier temps puis l’emploi de la technologie LiDAR sur les zones encore boisées leur ont permis de recenser sur écran plus de deux mille sites fossoyés21 (Schaan 2016).
21Pour répondre au défi que pose la reconnaissance de très grandes surfaces, les compagnies recourent systématiquement à la technique de levé topographique aéroporté, via l’acquisition LiDAR. Sur la base des modèles numériques réalisés, les sites archéologiques détectés sur écran complètent la carte archéologique dans des secteurs où jusque-là aucune donnée n’avait pu être enregistrée. Le SRA est dès lors en mesure de prévenir l’opérateur minier que, sans intervention archéologique préalable, il est susceptible de détruire des sites. À ce stade de l’instruction d’une demande par les services de l’État, l’information archéologique ne s’appuie plus seulement sur le Code du patrimoine (susceptibilité mais présence non avérée de vestiges) mais relève également du Code pénal (risque avéré de destruction de site).
- 22 Article R. 122-5 : « l’étude d’impact comporte les éléments suivants […] : une description des fact (...)
22D’autre part, l’accent mis dans le SDOM sur la prise en compte des enjeux environnementaux permet au SRA d’imposer un volet archéologique dans le cadre des études d’impact, celles-ci étant obligatoires pour l’obtention d’un titre minier tel qu’un permis exclusif de recherches (PER). La décision du SRA de prescrire un volet archéologique dans le cadre d’études d’impact attachées à des projets miniers s’appuie sur l’article du Code de l’environnement qui en définit le contour22. Un cahier des charges est rédigé par le SRA, qui assure également le suivi de l’opération. La même procédure est mise en œuvre dès lors que les projets soumis à une étude d’impact atteignent des superficies qui ne permettent pas une approche préventive directe, par exemple un diagnostic archéologique devant porter sur plus de 1 000 hectares. C’est le cas des aménagements urbanistiques de grande ampleur, à l’instar des opérations d’intérêt national (OIN) engagées en 2016 sur toute la zone littorale guyanaise.
23Ce volet archéologique des études d’impact a pour objectif principal d’établir un état initial patrimonial de la zone d’un projet. Il vise à définir différents niveaux dans la restitution de l’information concernant les zones de présomption archéologique, tout en proposant un cadre théorique de l’occupation humaine sur l’ensemble des terrains concernés. Cette approche possède bien évidemment ses limites, car elle ne permet pas la prise en compte systématique de la modification des paysages et des écosystèmes ainsi que de la diversité des occupations humaines qui s’y rattachent. Mais il s’agit, rappelons-le, d’un premier diagnostic effectué sur de vastes pans du territoire qui n’ont jamais été explorés par l’archéologie. D’autre part, si le niveau d’information apporté par ces études permet avant tout d’anticiper les zones qui devront faire l’objet d’opérations archéologiques préventives (diagnostic ou fouille directe), ce sont également des documents dont le contenu permet de définir des stratégies à adopter en termes de protection du patrimoine. Ils favorisent le dialogue avec l’aménageur dans la perspective précédemment évoquée, conduisant dans certains cas à une évolution significative d’un projet en amont de sa validation finale. Des secteurs particulièrement sensibles du point de vue patrimonial peuvent ainsi se voir requalifiés pour être soustraits à la construction ou à l’aménagement.
24La caractéristique première du territoire guyanais est la présence d’une forêt tropicale qui le recouvre presque entièrement, à l’exception d’une bande littorale où se développent de manière discontinue des phénomènes croissants d’urbanisation. Dès les premières missions archéologiques effectuées en forêt dans le dernier tiers du xxe siècle, le constat d’une occupation dense par les populations amérindiennes anciennes a été souligné par les chercheurs. Paradoxalement, au moment où les structures d’une archéologie professionnelle se mettent en place au début du xxie siècle, les moyens engagés sont absorbés par les chantiers préventifs dont le nombre s’accroît sur la bande littorale. Dans le même temps, l’activité d’extraction aurifère en milieu forestier augmente elle aussi, sans pour autant qu’elle puisse être précédée par des recherches archéologiques préventives, à défaut d’un financement spécifique adapté. De manière inattendue, les orientations de l’industrie minière intervenues ces dix dernières années, combinées à l’arrivée de projets miniers d’envergure portés par les grandes compagnies et à l’apport du LiDAR, ont permis de relancer la recherche archéologique dans ce milieu spécifique, qui représente plus des trois quarts du territoire. La réalisation de volets archéologiques imposés par le SRA dans le cadre des études d’impact a permis de renouer le fil d’une reconnaissance de terrain, amorcée puis mise en suspens il y a plus de vingt ans.
- 23 Étude d’impact archéologique à Saint-Laurent-du-Maroni, responsables d’opération : M. Mestre et Pie (...)
25Les prospections menées par l’Inrap dans le cadre de ces études ont confirmé les constatations opérées dans les années 1990 concernant la densité des occupations humaines. Fait nouveau, l’importance et l’étendue des aménagements réalisés par les populations amérindiennes sur ces sites sont aujourd’hui mises en évidence grâce aux apports des modèles numériques avant que d’être définitivement reconnues in situ. L’opération « Montagne d’or »23 est très représentative de cette manière d’opérer puisqu’elle a permis la découverte de pas moins de cinquante sites précolombiens, dont quinze sites à fossé, sur une superficie de 40 km². Ce changement d’échelle s’opère sur ce qui constitue la majeure partie de la Guyane, jusque-là quasi inconnue en matière d’archéologie. Certaines régions ont bien été plus ou moins parcourues, généralement le long de cours d’eau, et du matériel anthropique a été prélevé sur les sites, mais aucune culture n’a encore pu être définie pour les populations de l’hinterland. Les études récentes, qui combinent analyses topographiques préalables à l’aide du LiDAR et phase de prospection permettant la vérification directe des sites repérés et des secteurs à fort potentiel supposé, ont modifié l’approche et le regard porté sur ces espaces. L’attention n’est plus focalisée sur un site d’occupation pris isolément mais sur de véritables réseaux de sites diversifiés à l’intérieur de microterritoires.
26En offrant aux chercheurs l’image de sols dégagés de leur couvert forestier tropical, les modèles numériques LiDAR ont permis de lever un coin du voile de l’histoire humaine dans ce milieu en confirmant l’énorme patrimoine archéologique qu’il recèle. C’est un pan entier de la recherche sur les occupations amérindiennes en Guyane qui s’ouvre, avec un champ d’étude encore à peine ébauché.