1La place de géophysique à l’Inrap n’a pas de tout temps été une évidence. Même si les techniques de cette discipline ont depuis longtemps été appliquées aux questions archéologiques, les chemins engagés par les géophysiciens et les archéologues n’ont pas toujours convergé, et ce d’autant plus en archéologie préventive où la notion de diagnostic archéologique est l’un des piliers fondamentaux. L’utilisation de la géophysique pour cette phase a souvent été débattu, tout du moins questionné, avec des visions tantôt réfractaires tantôt positives, voire particulièrement élogieuses. Des aspects scientifiques, politiques et financiers se sont entremêlés depuis plusieurs décennies, sans que ces questions aient réellement trouvé un écho favorable. Ce n’est qu’à partir des années 2010 que les lignes d’une nouvelle approche intégrée se dessinent et se voient concrétisées, entre autres, par la création en 2015 d’une cellule dédiée à la géophysique au sein de l’institut. Ces vingt années de géophysique à l’Inrap illustrent le processus qui a conduit ces techniques à trouver leur place au sein de la recherche archéologique préventive.
2En matière de géophysique appliquée à l’archéologie, la France a été pionnière avec les travaux d’Albert Hesse et Alain Tabbagh qui, dès les années 1960, ont travaillé sur les applications archéologiques au Centre de recherches géophysiques de Garchy (Cnrs), dans la Nièvre. Par la suite, des universitaires comme Alain Kermorvant (université de Tours) ou encore Michel Martinaud (université de Bordeaux) se sont également penchés sur ces questions visant à aider le travail de l’archéologue pour la détection de vestiges. Une nouvelle génération de chercheurs a par la suite succédé à ces précurseurs de la discipline, avec notamment Christian Camerlynck (université Paris 6), Michel Dabas et Gilles Bossuet (Cnrs, Garchy), Nicolas Florsch (université Paris 6), Éric Marmet (Afan et université Paris 6), Vivien Mathé et François Lévêque (université de La Rochelle), Marc Munschy (université de Strasbourg), Christophe Benech (Cnrs et université Lyon 2) et Julien Thiesson (université Paris 6). Après la fermeture du Centre de recherches géophysiques de Garchy en 2002, l’équipe de géophysique de proche surface est transférée à l’université Paris 6 au sein de l’UMR 7619 « Sisyphe », désormais appelée « Metis ». De nombreux développements, portant plus particulièrement sur les méthodes électrique et électromagnétique à basse fréquence, ont émergé de la recherche française pour répondre à des problématiques spécifiques (Tabbagh 2018). Très tôt, ces techniques ont donc été appliquées avec succès par ces équipes, notamment en archéologie programmée, que ce soit sur le territoire métropolitain ou à l’étranger.
- 1 Voir sa thèse de doctorat : « Cartographie à large maille de la susceptibilité magnétique du sol, p (...)
3Malgré ce fort ancrage historique en archéologie programmée et au sein de la communauté internationale, la géophysique en archéologie préventive a mis en France plus de temps à trouver sa place. Elle a souvent été présentée comme une méthode permettant de réduire les sondages à la pelle mécanique voire de s’y substituer, ce qui explique que son emploi en archéologie préventive a longtemps été considéré comme à risque par la communauté archéologique, du fait de potentielles dérives d’utilisation (Hulin, Simon 2020). Pourtant, des travaux ont été initiés très tôt, du temps de l’Afan, avec les prospections géophysiques réalisées par Georges Ducomet sur la ligne TGV sud-est (Ducomet, Druelle 1996) ou bien celles conduites par Éric Marmet dans le cadre d’une bourse Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche) sur la cartographie à large maille de la susceptibilité magnétique1. Malgré ces travaux précurseurs, la géophysique n’est pas intégrée à l’Inrap lors de sa création en 2002.
4Un regard depuis les origines de l’Inrap ou, plus largement, depuis la mise en place de l’archéologie préventive en France permet de constater que les études géophysiques sont alors très ponctuelles [ill. 1]. Quelques prospections de résistivité électrique sont réalisées dans les années 2000 par Christian David, archéologue sensibilisé à cette approche. Ces travaux concernent principalement des thématiques très spécifiques liées à l’archéologie des jardins ou aux terres noires (David, Aubry 2003). Dans ces mêmes années, on dénombre également quelques prestations à la demande de certaines équipes Inrap en région, mais sans politique globale à l’échelle de l’institut. Ce n’est qu’à partir de 2010 que la géophysique se développe réellement au sein de l’Inrap avec les travaux menés sur le projet du canal Seine-Nord Europe. Ceux-ci interviennent dans un contexte particulier où de nombreuses pressions sont effectuées pour inclure la géophysique en phase de diagnostic, dans l’objectif de réduire l’impact des tranchées à la pelle mécanique. À cette époque, de grands projets d’aménagements sont mis en place, et de larges surfaces sont à diagnostiquer par les équipes archéologiques. La mécanisation des techniques géophysiques, grâce notamment aux développements méthodologiques de l’Umr « Sisyphe » perfectionnés ensuite par l’entreprise Géocarta, offrent alors une solution séduisante pour répondre en partie à ces défis d’ampleur. En parallèle, de nombreuses améliorations apparaissent au cours des années 2000, avec des capteurs et des centrales d’acquisition plus performants, la fin des restrictions sur les signaux GPS – ce qui marque le début de la démocratisation de cet outil permettant un positionnement centimétrique en temps réel – et enfin l’apparition d’outils informatiques particulièrement efficaces pour le traitement des données. Il devient dès lors possible de prospecter des dizaines d’hectares dans un temps réduit et avec une très bonne qualité de mesure. De nombreux aménageurs voient ainsi dans la géophysique une méthode séduisante permettant de s’affranchir de tout ou partie de la contrainte archéologique et notamment de l’ouverture systématique des terrains.
1. Évolution du nombre d’études géophysiques réalisées par l’Inrap et demandées à des prestataires externes.
G. Hulin, Inrap.
5À la fin des années 2000, les prospections géophysiques sur de grandes surfaces se multiplient en contexte préventif à la demande des aménageurs eux-mêmes (en dehors du cadre du diagnostic). De nombreuses prospections sont alors réalisées par des prestataires privés dans le but de repérer des sites archéologiques en amont des projets d’aménagement (Dabas 2016). Ces études géophysiques, souvent qualifiées de « prédiagnostic » ou plus simplement d’« études d’impact », sont réalisées dans un but exploratoire, généralement avec peu de connaissances sur le contexte archéologique, pédologique et géologique. Le projet du canal Seine-Nord Europe n’échappe pas à la règle, et la volonté de trouver des solutions d’aide à la réalisation des diagnostics sur les 1 800 hectares du projet est forte. En 2009, une première phase de test est réalisée sur une soixantaine d’hectares en accord avec le service régional de l’archéologie (SRA) de Picardie. Elle a pour objectif de comparer à l’aveugle les résultats d’une prospection multiméthode (magnétique et électrique) avec les résultats issus du diagnostic en tranchées conventionnel. La comparaison de ces deux approches montre que seulement 25 % des sites sont détectés par les outils géophysiques. D’un point de vue purement quantitatif, douze sites sont trouvés par le diagnostic en tranchées, et seulement trois ont été vus par la géophysique, malgré l’utilisation de deux méthodes (Hulin et al. 2018). Cet exemple pointe un caractère essentiel de la prospection géophysique. Sans connaissance particulière du contexte archéologique et pédologique, l’intérêt d’une prospection géophysique s’avère, dans la plupart des cas, très minime par rapport au coût qu’elle représente. En effet, la géophysique, pour être pertinente, doit se baser sur un certain nombre d’a priori sur l’objet qu’elle recherche et son contexte (sa profondeur, ses dimensions, son contraste avec l’encaissant) afin de définir au mieux la méthode à utiliser et sa configuration (Jordan 2009 ; Simon 2012 ; Hulin et al. 2018).
6La réalisation d’un diagnostic est, par définition, un exercice où ces a priori ne sont que très rarement connus. Lorsque aucune connaissance n’est présente, la réalisation d’un diagnostic en tranchées reste, à l’heure actuelle, la méthode la plus robuste pour l’évaluation du potentiel archéologique par rapport au coût induit, tout en répondant aux exigences du diagnostic telles que fixées par le Code du patrimoine et le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) [voir encadré p. 275]. À partir de ce constat sur l’utilisation de la géophysique en diagnostic, une autre approche a été proposée lors des travaux de fouille menés sur le projet du canal Seine-Nord Europe (Hulin et al. 2012 ; Hulin et al. 2014b ; Hulin 2016) et en parallèle au Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan (PAIR) dans le cadre d’un travail de thèse (Simon 2012). Cette approche se base principalement sur la réalisation d’études sur terrain décapé, c’est-à-dire après le retrait des horizons superficiels. L’idée n’est plus alors de détecter les vestiges archéologiques mais d’aider l’archéologue à mieux les caractériser. Un des exemples les plus pertinents qui a pu être mis en avant et qui a été systématisé sur le projet du canal Seine-Nord-Europe est la capacité des méthodes géophysiques pour la reconnaissance des zones de forges sur terrain décapé (Hulin et al. 2014a). Ces activités anthropiques, même érodées, ont la capacité de marquer le sol et d’y laisser une trace pérenne malgré le caractère invisible de cette pollution. Cette trace se matérialise par des modifications importantes des propriétés magnétiques des sols que seules les techniques géophysiques peuvent déceler [voir encadré p. 277]. Ce type d’approche en phase de fouille a considérablement modifié la perception des archéologues quant aux techniques géophysiques. Cette méthode est alors devenue un outil à part entière à la disposition des équipes de terrain. La période 2010-2014 correspond à cette phase de développement et de diffusion de nouvelles problématiques archéologiques encore peu connues de la communauté archéologique.
- 2 Place de la prospection géophysique dans les investigations archéologiques, CNRA, avis no 1, 27 mar (...)
La mesure 14, un élément clé de la géophysique à l’Inrap
En 2014, une proposition a été faite dans le cadre des cinquante mesures de simplification de la vie des entreprises. Émise par le ministère de l’Économie, elle indiquait que « lorsque la nature connue du terrain est peu encline à l’existence de vestiges, les techniques alternatives de sondage, en particulier par auscultation non-destructrice, seront développées afin de rendre les diagnostics plus rapides ». Le but de cette mesure était de diminuer l’impact du diagnostic en tranchées, notamment dans les zones considérées comme « à faible potentiel archéologique ». Cette proposition a entraîné une levée de boucliers de la part de la communauté archéologique (Demoule 2014). L’archéologie préventive, notamment par la systématisation des diagnostics avec un taux d’ouverture compris entre 5 et 10 %, a démontré sa capacité à détecter et caractériser les occupations humaines. Les connaissances acquises depuis l’adoption de ce système dans les années 1980 ont été nettement accrues, en particulier dans les zones préalablement considérées comme « peu enclines à l’existence de vestiges ». Cette mesure a été fermement combattue par l’ensemble de la communauté archéologique. Les travaux de comparaison entre géophysique et diagnostic en tranchées, comme ceux menés sur le canal Seine - Nord Europe, ont permis d’asseoir la robustesse de l’approche en tranchées en contexte rural lorsque peu de connaissances préalables sur le type de vestiges et leur environnement sont présentes. Suite à la rédaction d’un avis de la direction générale des Patrimoines et du Cnra (Fichet de Clairfontaine 2014)2, la mesure 14 a été retirée du projet de loi.
- 3 Responsable d’opération : Philippe Lefèvre, Inrap ; géophysicien : G. Hulin, Inrap ; paléométallurg (...)
La géophysique sur terrain décapé : une autre approche
L’exemple du site de Sauchy-Lestrée, fouillé en 20123, est particulièrement représentatif de l’apport de cette démarche. Suite au décapage archéologique, rien ne laissait présager la présence d’une zone de travail du fer. Cependant, l’étude de susceptibilité magnétique a révélé la présence d’une anomalie bien marquée, directement sur le sol considéré comme naturel. Des limites nettes sont présentes et peuvent être interprétées comme des effets de paroi qui sont à mettre en relation avec le plan archéologique [ill. 2]. Sur la base de ces indices, un carroyage a été mis en place pour une analyse paléométallurgique. Bien qu’en faible proportion, des microdéchets sont présents, et une bonne corrélation avec la carte géophysique est à noter. À l’endroit où les fortes susceptibilités sont corrélées à des proportions plus élevées d’éléments magnétiques, l’observation microscopique a permis de détecter la présence de battitures de type lamellaires et globulaires. Ces observations donnent une première image globale de l’organisation de la forge, qui pourrait être datée de la première moitié du ier siècle avant notre ère. Ainsi, l’espace où le métal était frappé semble se situer autour d’une fosse qui pourrait avoir servi de point d’ancrage à l’enclume. Certains carrés relativement magnétiques ne présentent pas de fortes proportions de microdéchets. L’hypothèse de chauffe est à considérer dans ce cas. La cartographie des microdéchets réalisée après le traitement des sédiments a permis de confirmer les effets de paroi détectés lors de l’étude géophysique et ainsi d’apporter une meilleure connaissance du bâtiment de la forge. La continuité de ce dernier peut être observée vers le nord-est, où un second espace avec une concentration d’éléments magnétiques – qui n’avait pas été détecté lors de la prospection géophysique – semble exister (Hulin et al. 2014).
2. Cartographie de susceptibilité magnétique et prélèvements paléométallurgiques sur le secteur 10 du site de Sauchy-Lestrée, avec proposition de zonage de la forge.
a. Susceptibilité magnétique volumique (x10-5 > × 10-5). b. Proportion de microdéchets de forge (en %).
G. Hulin, Inrap.
- 4 Light Detection And Ranging.
7Suite aux travaux du canal Seine-Nord Europe et à la réponse à la mesure 14, l’Inrap décide de la création d’un poste de géophysicien rattaché à la direction scientifique et technique en 2015. Son rôle est alors de doter l’institut d’une capacité d’expertise en interne pour contrecarrer d’éventuelles tentatives de substituer le diagnostic en tranchées par la géophysique, tout en développant des applications raisonnées pour l’archéologie préventive. S’ensuit très rapidement la création d’une cellule dédiée à la géophysique. Celle-ci est élargie à toutes les questions relevant de la télédétection : LiDAR4, imagerie infrarouge, imagerie multispectrale… La cellule s’étoffe en 2016 d’un second géophysicien en contrat à durée déterminée (CDD) et d’un réseau d’agents interne aujourd’hui constitué de vingt et un techniciens formés en acquisition de données, ce qui permet de faciliter la réalisation des études géophysiques en région. En 2020, un troisième géophysicien en CDD rejoint l’équipe pour renforcer l’activité opérationnelle. En 2022, ces deux postes sont rendus pérennes.
8Fin 2021, ce sont 315 études qui ont été réalisées depuis la création de l’Inrap, dont plus des deux tiers dans la période 2015-2021. L’activité connaît une hausse notable depuis 2015 avec des demandes qui touchent l’ensemble des interrégions [ill. 3]. Les équipes opérationnelles en région sont de mieux en mieux sensibilisées aux applications possibles et ont intégré la cellule géophysique et télédétection comme un pôle technique en mesure de répondre à des questions spécifiques lors de la réalisation de leurs propres opérations de terrain.
3. Carte de localisation des études géophysiques et LiDAR réalisées par l’Inrap.
G. Hulin, Inrap.
9L’activité de la cellule est actuellement essentiellement tournée vers le préventif, même si elle est régulièrement sollicitée pour la réalisation d’études en archéologie programmée (dans le cadre de projets collectifs de recherche notamment). Si l’on s’intéresse à l’archéologie préventive de 2015 à 2021, on constate que l’activité en phase de fouille est relativement stable (une douzaine d’opérations par an). Les études en phase de diagnostic prennent depuis 2020 une place prépondérante [ill. 4]. Cette hausse est notamment à relier à l’augmentation des interventions en contexte urbain [ill. 5]. Plusieurs raisons expliquent ce constat. De manière générale, on observe depuis quelques années une recentralisation des aménagements vers les centres urbains au détriment des zones périurbaines. Les opérations d’archéologie préventive associées sont plus nombreuses, souvent petites et avec de très fortes contraintes pour la réalisation d’un diagnostic en tranchées conventionnel (présence de réseaux, revêtement induré, puissance stratigraphique importante). Dans ce type de contexte, la géophysique, notamment par la méthode radar, peut apporter des réponses particulièrement pertinentes. Les progrès récents de cette technique permettent dorénavant de donner des images très précises de ces contextes lorsque les conditions sont favorables (sols non argileux). Les études en contexte urbain se sont donc naturellement multipliées, à l’image de l’étude réalisée sur le parking Notre-Dame à Cherbourg (Manche), qui constitue un exemple d’application raisonnée de la géophysique en contexte de diagnostic [voir encadré p. 279]. Dans le même temps, des études à l’intérieur d’édifices, dans des églises notamment, sont régulièrement demandées. Ici aussi, la géophysique peut apporter des réponses pertinentes là où une intervention à la pelle mécanique est évidemment délicate. Dans de tels contextes au potentiel archéologique riche et où la réalisation d’un diagnostic en tranchées est un exercice difficile, l’utilisation des données radar est d’une aide précieuse. Bien qu’il y ait des limitations évidentes de la géophysique qui doivent être prises en compte (datation, caractérisation, détection non exhaustive), dans ce type d’approche, le couplage avec les tranchées apporte une vision particulièrement intéressante du potentiel archéologique. Lorsque les conditions sont réunies, la géophysique apporte les grandes lignes, et les tranchées les précisent.
4. Répartition des études géophysiques selon le cadre d’intervention.
G. Hulin, Inrap.
5. Répartition des études géophysiques entre contexte rural et contexte urbain.
G. Hulin, B. Jagou, P. Lefèvre, Inrap.
10Les applications de la géophysique ne se limitent pas à la seule détection des vestiges archéologiques (6 % des études réalisées entre 2015 et 2021 par la cellule). Outre les études sur surfaces décapées, désormais régulièrement réalisées (30 % des études), la géophysique peut également répondre à des questions concernant le contexte environnemental. Par des techniques de mesure de la conductivité électrique des sols, il est possible de cartographier les variations relatives de teneur en sable ou argile et ainsi d’aider les géomorphologues à reconstruire le paléopaysage. Ces études sont particulièrement intéressantes pour l’étude des fonds de vallée ou des paléolittoraux [voir encadré p. 279]. Le protocole mis en œuvre permet d’étudier de larges surfaces (entre 10 et 20 ha par jour) et représente depuis 2015 environ 10 % de l’activité de la cellule géophysique de l’Inrap. Ces multiples applications illustrent aujourd’hui le potentiel des méthodes géophysiques pour l’archéologie préventive. Cela est renforcé par l’intégration d’une équipe dédiée à la géophysique et à la télédétection au sein d’un institut archéologique. Le constant travail d’aller-retour entre résultats géophysiques et données de fouille permet de fournir une image plus précise du contexte archéologique tout en affinant le niveau d’expertise des géophysiciens.
- 5 Voir l’article « L’archéologie sur le chantier de sécurisation de Notre-Dame de Paris », de Dorothé (...)
11La forte expérience de terrain de l’Inrap en matière de géophysique est désormais reconnue, ce qui a permis à la cellule de travailler sur des sites emblématiques tels que la cathédrale Notre-Dame de Paris5 ou le site de la bataille de Gergovie, faisant de l’Inrap un institut de référence en matière de géophysique appliquée à l’archéologie.
- 6 Voir l’article « Gergovie et les sites arvernes. La gestion patrimoniale d’un ensemble à l’histoire (...)
Parking Notre-Dame à Cherbourg : un diagnostic en urbain combinant géoradar et tranchées
Une étude radar a été menée en 2019 dans le cadre du diagnostic du parking Notre-Dame à Cherbourg6. Le projet concernait une surface de 5 000 m² en plein cœur de ville. Les connaissances archéologiques sur ce secteur montraient un potentiel particulièrement riche avec la présence probable du château médiéval, du castrum romain, d’une église paroissiale et de son cimetière. Une puissance stratigraphique de près de 4 mètres était attendue, dans un contexte sableux. Le géoradar est ici particulièrement indiqué et a donc été mis en œuvre pour couvrir la quasi-totalité de la place et de la rue adjacente. Associées à une station totale robotisée, les données ont été acquises avec une précision centimétrique. L’avantage du radar par rapport aux autres méthodes géophysiques est de véritablement pouvoir « descendre » dans le sol. Les résultats obtenus montrent des anomalies réflectrices clairement définies jusqu’à au moins 3 mètres de profondeur [ill. 6]. Suite à cette première phase, quatre tranchées de sondage ont pu être implantées en fonction des problématiques archéologiques et des contraintes techniques (réseaux) identifiées par l’approche géophysique. Une tranchée a également été implantée dans un secteur aveugle à la géophysique. Tous les éléments relevés par le géoradar ont pu être retrouvés et caractérisés. D’autres, non décelés par la géophysique (sépultures en pleine terre, trous de poteau), ont, quant à elles, été relevées par les sondages, ce qui a permis d’avoir une image exhaustive du contexte archéologique en préalable à une éventuelle phase de fouille (Paez-Rezende et Hulin 2021).
6. Étude radar menée dans le cadre du diagnostic du parking Notre-Dame à Cherbourg.
A. Tranches radar à différentes profondeurs. B. Comparaison avec les résultats des tranchées de diagnostic.
G. Hulin, L. Paez-Rezende, Inrap et O. Morin.
- 7 Responsable d’opération : Laurent Paez-Rezende, Inrap ; géophysicien : G. Hulin.
Le port autonome de Dunkerque : un projet d’archéologie préventive sur le long terme
L’extension progressive du port autonome de Dunkerque n’a pas échappé aux régulations de l’archéologie préventive. Depuis 2015 et jusqu’à ce jour, plusieurs diagnostics ont été réalisés sur de très grandes surfaces (certaines supérieures à 100 ha). Ce rythme rapide, imposé par l’aménagement actuel des terrains, nécessite une logistique et une méthodologie adaptées. En amont des premières phases d’aménagement en 2015, des tests de cartographie de la conductivité électrique ont été réalisés7. Ces derniers se sont avérés particulièrement concluants dans le sens où ils permettent une lecture globale des variations de conductivité électrique apparente en lien avec la proportion d’argile et de sable dans le sol [ill. 7]. Cette information s’avère particulièrement pertinente dans ce contexte de paléorivage, car elle permet de rendre compte de la paléotopogaphie dans laquelle se sont implantées les différentes occupations médiévales. Sans prétendre pouvoir détecter les vestiges archéologiques quels qu’ils soient, la cartographie géophysique permet ici de les insérer dans un contexte spatial et environnemental. Cette ressource sert avant tout aux analyses géomorphologiques des sols et à la stratégie d’échantillonnage des sédiments qu’elle implique. Elle requiert donc une collaboration étroite entre le géomorphologue et les géophysiciens. Elle sert également à l’équipe archéologique pour avoir une idée préalable de l’environnement dès la phase de réalisation des tranchées et ainsi mieux appréhender le terrain qu’elle est en train de sonder (Deschodt et al. 2021). L’information extraite de ces documents a motivé le SRA à promouvoir ce protocole. Les arrêtés de prescription intègrent désormais le recours à la cartographie de conductivité électrique lors des diagnostics inhérents à ce projet. Afin de promouvoir les techniques géophysiques mais également de profiter de ce contexte d’étude particulièrement propice, les diagnostics menés sur le port autonome de Dunkerque ont servi également de zones tests à des expérimentations menées dans le cadre du projet ArchEM et en collaboration avec les universités de Gand et de Potsdam (Guillemoteau et al. 2019). L’opérationnel se mêle donc ici à des activités de recherche promues par l’Inrap et financées à la fois par les différents partenaires et l’Inrap.
7. Carte de conductivité électrique apparente liée aux variations du taux d’argile et tranchées de diagnostic.
B. Fores, M. Lançon, M. Canonne, Inrap.
12La géophysique appliquée à l’archéologie est un domaine où les solutions clé en main n’existent que rarement. Le développement de l’activité opérationnelle de ces dernières années n’a pu se faire que parce que l’Inrap a su développer et mettre en place de nouveaux protocoles adaptés pour l’archéologie, tout en tenant compte des contraintes liées à la diversité des contextes rencontrés. Des outils propres ont été adaptés, voire entièrement développés, tant dans la phase d’acquisition que dans le traitement des données. L’Inrap a ainsi développé son propre plugin de traitement des données en libre accès sous QGIS - Archaeological Geophysics Toolbox.
13La cellule s’efforce de réaliser continuellement ces développements pour tenter d’améliorer les protocoles et proposer de nouvelles applications permettant de répondre aux questions des archéologues. Plusieurs projets de recherche sont actuellement portés par la cellule. On peut citer le projet ArchEM, qui vise au développement de la méthode électromagnétique basse fréquence en archéologie. Les applications de cette méthode sont encore largement sous-exploitées en archéologie. Mis en place en 2017, ce projet a notamment permis de faire des progrès importants dans les contextes volcaniques, où les méthodes standards sont souvent saturées du fait des réponses magnétiques extrêmement fortes (Simon et al. 2020). Des progrès ont également été réalisés pour la détection d’objets métalliques et dans des contextes pollués par du métal (Simon et al. 2021) ou encore pour la caractérisation des entités géomorphologiques. Des recherches pour améliorer la caractérisation des horizons archéologiques sur terrain décapé ou en contexte subaquatique par le biais de cette méthode sont également en cours.
14Pour ce qui est de la télédétection, l’imagerie multispectrale constitue un autre projet de recherche porté par l’Inrap qui s’inscrit dans la continuité des mesures de susceptibilité magnétique sur surface décapée. Les récents outils disponibles sur le marché et les derniers développements dans le traitement de l’image laissent entrevoir des applications intéressantes pour la caractérisation des sols et des sites archéologiques. En effet, en s’intéressant à des bandes spécifiques du spectre lumineux, de l’ultraviolet au proche infrarouge, il est possible de fournir à l’archéologue des images complémentaires de ce qui peut être perçu par l’œil humain. L’idée générale de ce projet de recherche repose sur une utilisation sur terrain décapé et sur coupe. L’obtention d’images multispectrales acquises par drone ou à l’aide d’une perche photographique peut apporter des informations sur les niveaux archéologiques en place. Corrélées aux observations de terrain et à des analyses géochimiques et/ou géophysiques, certaines signatures multispectrales d’origine anthropique pourraient ainsi être mises en avant et spatialisées à l’échelle de la fouille. On pense notamment aux phosphates, qui indiquent la présence de stabulation, ou aux zones de chauffe, souvent peu lisibles et pourtant marqueurs des activités artisanales et agricoles conservées sur les sites.
- 8 « Le radar mural : un nouvel outil pour l’archéologue du bâti [poster] », 5e séminaire scientifique (...)
15Enfin, d’importants progrès ont été faits en termes d’imagerie radar avec les systèmes multi-antennes ou multifréquences, qui atteignent aujourd’hui un niveau de détail inégalé. Des applications nouvelles émergent, notamment en archéologie du bâti où les techniques radar à très haute fréquence permettent de donner des images de l’intérieur des parois. La cellule géophysique et télédétection de l’Inrap travaille actuellement à l’implémentation d’un protocole de mesure pour l’étude sur paroi couplée à un positionnement par station totale robotisée8. À court terme, ces développements pourront permettre d’aiguiller les spécialistes du bâti, notamment lorsqu’un décroûtage de l’enduit doit être réalisé. Cette approche permettra de révéler des éléments de structuration d’un mur ou d’éventuels aménagements comblés et de spatialiser les observations faites par l’archéologue dans les fenêtres d’observation. Ce développement, à l’instar du scanner en trois dimensions (3D) ou de la photogrammétrie, contribuera à grandement améliorer les études d’archéologie sur le bâti, qui font de plus en plus l’objet de prescription archéologique dans le cadre de l’archéologie préventive.
16Après des débuts difficiles en archéologie préventive, la géophysique est désormais un outil à part entière au sein de l’Inrap. L’intégration de géophysiciens au sein même des équipes archéologiques a véritablement permis de modifier la perception de cet outil de la part des archéologues et constitue une véritable révolution par rapport aux décennies précédentes. En ayant une connaissance plus fine des applications possibles et des limites des méthodes, une utilisation raisonnée de la géophysique a pu être mise en place, aboutissant à une appropriation de ces outils par les équipes de terrain. Ce travail interdisciplinaire et la richesse des compétences de l’institut ont permis l’émergence de nouvelles problématiques qui répondent à des questions scientifiques tout en s’adaptant aux contraintes propres à l’archéologie préventive. La tendance actuelle permet de prévoir une augmentation du nombre d’études à réaliser dans les années à venir, notamment en contexte préventif, dans le cadre des prescriptions de diagnostic et de fouille. Le fait que l’Inrap possède une cellule technique composée actuellement de vingt-cinq agents, spécialistes et techniciens ainsi que son propre parc matériel est un plus qui permet de répondre efficacement aux sollicitations dans le contexte concurrentiel actuel.
17L’archéologie préventive évolue, à l’image de l’aménagement du territoire. Les techniques de télédétection doivent suivre ces évolutions pour répondre efficacement aux questions de demain. Avec la loi no 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi climat et résilience », qui vise à diviser par deux les surfaces artificialisées d’ici à 2030 et à atteindre une artificialisation nette nulle en 2050, les approches en contexte urbain et reprise de friche constituent, de fait, les nouvelles zones d’étude de l’archéologie préventive. De même, l’archéologie subaquatique, que ce soit dans le domaine maritime ou en eaux intérieures, voit de plus en plus de projets se mettre en place. C’est également dans ce cadre que l’Inrap doit se doter des compétences permettant de répondre à ces nouveaux défis. L’intégration en 2021 d’une hydrographe au sein de la cellule permet de répondre à ces nouvelles questions. Des projets de recherche s’intéressant à la tranche d’eau peu profonde (0-2 m) en collaboration entre la cellule géophysique et le pôle subaquatique de l’Inrap sont actuellement initiés pour mieux étudier cette zone difficile d’accès mais au potentiel archéologique particulièrement fort.
18Ces deux derniers points montrent à eux seuls la diversité des enjeux et des applications de demain. Le travail de recherche et de développement soutenu par l’Inrap et la création de collaborations internes et externes illustrent ce dynamisme insufflé par l’équipe de géophysique et de télédétection. L’ensemble de ces développements permettra ainsi de repousser les limites d’investigation et de consolider l’Inrap comme institut majeur de la recherche archéologique.