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1 - Dynamique de la recherche

Un travail collectif de synthèse sur l’habitat rural en Auvergne médiévale

Collective synthetic work on rural domestic settlement in medieval Auvergne
Un trabajo colectivo de síntesis sobre el hábitat rural en Auvernia medieval
Julie Charmoillaux et Sébastien Gaime
p. 164-169

Résumés

Durant une dizaine d’années, un collectif d’archéologues, spécialistes et chercheurs de la région Auvergne a travaillé sur la vaste question de l’habitat rural médiéval, dans le cadre d’un projet de recherche dont l’achèvement fut une synthèse publiée en 2019. Le besoin d’en faire un retour d’expérience, même modeste, nous semblait important pour formaliser les éléments positifs et pour dresser les axes de recherche qu’il reste nécessaire d’enrichir. Ainsi, partant de l’évaluation de nos données archéologiques de départ, nous dressons à grands traits ce parcours méthodologique et conceptuel pour tenter un premier bilan des acquis et de leurs répercussions sur nos missions respectives en archéologie préventive.

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Entrées d’index

Mots-clés :

habitat rural, silo, stockage

Index chronologique :

Moyen Âge
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Texte intégral

1Le projet de réaliser un bilan des connaissances sur l’habitat rural en Auvergne est parti du constat fait en 2007 que nous commencions à avoir une quantité de données non négligeables sur ces occupations rurales sans que notre compréhension de ces sites ait beaucoup progressé. Nous nous confrontions à l’accumulation et à l’interrogation des résultats issus du développement de l’archéologie préventive des trente dernières années… Malgré cette accumulation de données, l’Auvergne accusait un réel retard, par rapport à d’autres régions, dans la prise en compte de ces sites aux vestiges ténus, conservés en creux. Ils faisaient rarement l’objet de prescription pour eux-mêmes et étaient le plus souvent intégrés aux problématiques dans une approche diachronique. Lorsqu’ils étaient fouillés, les niveaux d’apparition n’étaient pas toujours bien perçus au décapage, et les méthodes de fouille pas toujours bien adaptées. Le recours aux analyses sédimentaires ou paléoenvironnementales n’était pas non plus très courant.

2La dimension collective du projet a suscité une émulation et une dynamique qui ont rendu possible l’aboutissement de cette recherche et l’ont nourri tout du long. Car en même temps que nous interrogions les données des opérations « anciennes » afin de tenter de produire un discours synthétique et que nous prenions conscience de leurs lacunes, nous avons toutes et tous continué à fouiller et à prescrire. Notre travail de recherche enrichissait notre activité préventive et réciproquement.

Construction du projet collectif

  • 1 Travaux du Groupe de recherches historiques et archéologiques de la vallée de la Sumène (GRHAVS) au (...)
  • 2 Inventaire des fortifications de terre dans l’Allier, coordonné par Véronique Lallemand, années 199 (...)
  • 3 Travail initié par Gabriel Fournier dans les années 1960 et qu’il poursuit toujours…
  • 4 PCR « Habitats groupés/villae du Languedoc et du Roussillon – ve-xiiie s. », coordonné par Odile Ma (...)

3Depuis la synthèse sur l’habitat rural du haut Moyen Âge de Gabriel Fournier au début des années 1960, le sujet avait été délaissé (Fournier 1962). En Auvergne, l’attention des chercheurs s’était portée sur les « villages désertés1 », les mottes castrales2 ou les forts villageois3, suivant en cela les grands axes nationaux de la recherche. Or, avec le développement de l’archéologie préventive, l’acquisition de données dans des secteurs jusque-là peu explorés a montré la très grande diversité des établissements ruraux. Mais ces données n’avaient pas encore été interrogées et, sur une petite trentaine de fouilles préventives réalisées par l’Afan puis par l’Inrap entre les années 1990 et 2010, n’avaient donné lieu qu’à quelques rares articles monographiques. Cette région restait en dehors du champ de recherche sur l’habitat rural qui s’était développé sur le territoire national. On peut citer, en ce qui concerne les autres régions : l’étude précurseuse en Rhône-Alpes (Faure-Boucharlat dir. 2001) ; le travail du projet collectif de recherche (PCR) en Île-de-France (Gentili, Lefevre dir. 2009) ; la somme archéologique que constitue la thèse d’Édith Peytremann pour toute la partie septentrionale de la Gaule (Peytremann 2003) ; le gros travail de synthèse sur le Nord-Ouest de la France (Valais dir. 2012) ; les programmes de recherche en cours sur cette question et notamment celui, très attendu, du Sud de la France4.

4Nous constations que les outils à disposition étaient insuffisants et empêchaient toute tentative de construction d’un discours scientifique. La chronologie des sites était mal assurée, la caractérisation générique d’« habitat rural » ne permettait pas d’asseoir des problématiques claires, et l’appréhension des matériaux de construction et de leur mise en œuvre restait peu poussée. Les premières années ont donc été consacrées à la construction d’un cadre typochronologique plus fiable grâce à la reprise de l’ensemble des études de mobilier, couplée à de nouvelles datations au radiocarbone. L’équipe constituée autour de ce projet rassemblait alors la plupart des responsables d’opération des chantiers de fouille d’habitats ruraux de la période médiévale dans la région, et ceux-ci continuaient d’avoir des responsabilités dans le même temps : nous étions donc tous et toutes impliquées dans une dynamique à la fois de recherche et de pratique opérationnelle. Le collectif qui s’est formé autour de ce projet a, durant près de dix ans, donné un cadre à notre réflexion et permis des échanges nourris sur nos pratiques de responsables d’opération, de prescripteurs ou de spécialistes. Parmi de multiples exemples, nous avons choisi d’en présenter deux qui rendent compte de ce parcours : l’un date des premières années du programme et l’autre concerne le moment où il a abouti à la parution d’un ouvrage de synthèse.

Mise en place de protocoles expérimentaux

  • 5 Responsables d’opération : S. Gaime et Mathieu Carlier, Inrap.

5La prescription pour la fouille des Colis à Lezoux (Puy-de-Dôme), réalisée en 20135 et donc déjà enrichie par les réflexions du collectif, a pu insister sur plusieurs aspects apparus comme fondamentaux pour la compréhension des sites régionaux : une approche spatiale élargie, une attention particulière au mobilier et à l’instrumentum et une approche fine des techniques de construction. Les 2,5 ha ouverts à la fouille, superficie importante pour la région, ont permis cette approche spatiale, autorisant en cours d’opération la modification des zones de décapage afin de coller au plus près du potentiel du site, l’idée étant d’être dynamique et réactif. En changeant d’échelle, il a été possible de décrypter le palimpseste des occupations diachroniques, avec une réflexion sur l’évolution du parcellaire sur le temps long pour ensuite tenter d’approcher, sinon comprendre, les interactions hommes-milieu en associant l’archéobotanique.

6La question du statut du site était également au cœur de la problématique, mais comment y répondre ? À partir des données du diagnostic, l’essai a été fait de récolter le maximum de mobilier. Pour cela, dès le décapage - y compris dans les couches supérieures contrairement à la pratique usuelle -, le mobilier a été prélevé grâce à un protocole spécifique, systématisant l’utilisation du détecteur de métal et du théodolite afin d’avoir les informations spatiales et stratigraphiques. Ainsi, la culture matérielle pour laquelle l’objet est représentatif, à la fois signifiant et signifié de la société qui l’a créée, a été particulièrement présente sur ce site avec plus de 1 851 objets découverts [ill. 1], dont 1 611 lors du décapage, et 48 240 tessons de céramique, fournissant des séries de référence importantes mais aussi certains objets d’un intérêt intrinsèque pour le statut du site. L’on citera en exemple : une applique aux armes d’Alphonse de Poitiers, avec laquelle l’histoire médiévale nationale s’invite sur la terre lézovienne ; un sceau à cacheter de la fin du xiiie siècle, appartenant à un certain Lascol, dont le nom perdure dans le toponyme du site ; des fragments de cornes d’appel ; un couteau au manche sculpté en ivoire ; ou encore un décor d’applique en métal cuivreux montrant un chevalier… Mais force est de reconnaître que l’archéologie est bien en peine de clarifier les choses et notamment le statut social des habitants d’un lieu, celui-ci étant le plus souvent fréquenté de manière non exclusive par des protagonistes de différentes classes sociales, dont l’étude fait apparaître de grandes nuances au sein de ce qu’il convient de qualifier d’« élite ». Notamment, cette notion ne recouvre pas complètement ni exactement la notion de noblesse, qui ne constitue une classe bien identifiée qu’à la fin du xve siècle et n’apparaît pas avant le xiie siècle (Bloch 1939 ; Morsel 2004).

1. Répartition du mobilier métallique sur le site des Colis à Lezoux.

1. Répartition du mobilier métallique sur le site des Colis à Lezoux.

NMI  : nombre minimum d’individus.

DAO et SIG : C. Opresco.

  • 6 Rue du docteur Chassagne, responsable d’opération : Laurence Lautier, Inrap, 2017.

7Toutefois, la vision première d’une simple zone d’habitat « intercalaire » à la marge du bourg médiéval de Lezoux s’est transformée. Des bâtiments importants sont présents en superficie. L’un d’entre eux est fossoyé, ce qui le distingue des maisons paysannes ; cependant, ce fossé d’à peine 50 centimètres de profondeur est sans rôle défensif : la dénomination très symbolique de « petit fossé de gentilhomme » que l’on trouve en Auvergne pourrait bien s’appliquer (Charbonnier, Fournier 1986, p. 282). Un vaste enclos fortifié au sud correspond possiblement à l’une des « maisons fortes » mentionnées dans les archives, hypothèse confirmée lors d’un diagnostic dans une parcelle jouxtant la zone de fouille6. Ces bâtiments ainsi que les objets retrouvés ont orienté la lecture des vestiges vers un site élitaire ou aristocratique (aristocratie étant un « terme non médiéval qui renvoie à un phénomène social, celui de la domination à long terme d’un groupe restreint d’individus passant par la création d’un mythe de continuité de groupe » : Morsel 2004). Centré sur le xiiie siècle, il aurait enraciné le long d’une voie importante quelques paysans exploitant des parcelles nouvellement créées au sein d’un lotissement seigneurial.

8Enfin, la question des techniques de construction et de l’usage de la terre crue est apparue d’une manière éclatante grâce à une fouille fine et à la recherche « active » de traces. Ce sont notamment les négatifs des piquets des banches et la lecture de lames minces qui ont mis en évidence des murs de pisé, replaçant ces découvertes au sein d’un modèle plus global et questionnant les jalons généralement admis pour la diffusion médiévale de cette technique (Gaime et al. à paraître).

  • 7 Responsable d’opération : Aurélie Savignat, Inrap.

9Réalisée en 2019, la fouille du site de Lezat à Bas-et-Lezat (Puy-de-Dôme)7 a plus directement bénéficié de l’apport de notre travail collectif. La commune de Bas-et-Lezat, située au nord-est du département dans la riche plaine de Grande Limagne, est structurée autour de deux hameaux principaux, Bas au sud et Lezat au nord, chacun siège d’une ancienne paroisse.

  • 8 Responsable d’opération : Agathe Chen, Hadès, 2019.

10Le diagnostic avait mis au jour plusieurs phases d’inhumation allant du xe au xiie siècle, des bâtiments excavés et une aire d’ensilage, à proximité d’une église probablement d’origine mérovingienne mais non localisée. Un bruit de fond antique attestait également de la présence d’un site à proximité. L’aire d’ensilage semblait fonctionner avec les probables bâtiments excavés repérés au diagnostic et avoir servi entre le xe et le xiie siècle. Aucun recoupement entre les tombes et les silos n’avait été observé lors du diagnostic. Immédiatement au sud de cette emprise, une fouille venait de mettre au jour quarante-sept sépultures ainsi qu’une vingtaine de structures en creux du type trous de poteau, fosses (silos), fossés, attestant d’une occupation très étendue allant, a minima, de la période mérovingienne jusqu’au xiie siècle8.

11Il était donc primordial de comprendre la relation entre l’aire d’ensilage et l’habitat d’une part et la zone funéraire d’autre part, en établissant une chronologie et des phasages précis pour bien appréhender les interactions entre habitat, silos et tombes et identifier les limites ou les zones d’interpénétration. Le préalable était l’acquisition et l’enregistrement de données précises, complètes et exhaustives, et ce sur l’ensemble de l’emprise, ce qui est loin d’être systématique en archéologie préventive. La mise en place d’une méthode de fouille a été clairement définie par type de vestiges et par conséquent une prescription correctement dimensionnée en moyens (nombre de personnes, durée, provisionnement pour les différents types d’analyses, etc.). Pour donner un exemple, la fouille d’un silo a été estimée à 2,5 jours-hommes afin d’appliquer correctement le protocole de fouille. Celui-ci repose sur de solides observations stratigraphiques, en coupant mécaniquement le silo au tiers puis en rétablissant le profil manuellement afin d’identifier au mieux les différents modes de dépôt sur la section réalisée. De là découle la stratégie de fouille pour chaque silo : par exemple, la fouille manuelle de la seconde moitié a été réservée aux silos au comblement particulier ou organique et/ou avec beaucoup de mobilier. On peut ensuite prélever et tamiser en échantillonnant les couches « prometteuses » identifiées [ill. 2].

2. Exemple de relevé de coupes de silos avec analyse stratigraphique poussée afin d’en évaluer tout le potentiel informatif sur les sites de Bas-et-Lezat.

2. Exemple de relevé de coupes de silos avec analyse stratigraphique poussée afin d’en évaluer tout le potentiel informatif sur les sites de Bas-et-Lezat.

DAO : E. Belay, Inrap.

  • 9 Cf. article dans ce même numéro.

12Un des enjeux bien identifiés par notre travail de recherche concerne en effet la question du stockage souterrain et de son apport à la compréhension de la centralisation des récoltes. Ainsi, pour tenter de palier les « manques » des fouilles antérieures - qui ne fournissaient pas toutes les données nécessaires -, le protocole de fouille a été formalisé dans le cahier des charges scientifique. Lors de l’opération, les attendus et la méthode au regard de la particularité du terrain ont été rediscutés avec la responsable d’opération afin d’adapter un protocole de fouille efficient et exportable aux opérations futures. Nous avons également fait appel à une collègue de l’Inrap du Sud de la France, où le protocole est déjà éprouvé : Cécile Dominguez, qui codirige avec Éric Yebdri un PCR sur l’ensilage expérimental9.

  • 10 Analyses en cours d’Antoine Scholtès (Inrap) sur les sites de Bas-et-Lezat et Aigueperse (Puy-de-Dô (...)

13Au-delà de fournir un cadre méthodologique, cette démarche visait à remettre au centre du raisonnement l’ensilage (sans évidemment laisser de côté les autres vestiges, dont la zone funéraire, qui a bénéficié de la même attention que la fouille des silos et d’un important volet de datations au radiocarbone). En effet, la fouille de ce type de vestige reste encore très mécanique, dans les deux acceptions du terme : on coupe la fosse en deux, on relève succinctement la stratigraphie du comblement, on prélève du sédiment dans les couches inférieures et on produit un discours sur la typologie, la répartition spatiale et la nature des paléorestes contenus dans le comblement. Cette approche méthodologique se répète sans être interrogée sur son apport à la compréhension du fonctionnement du silo lui-même et au sein d’une aire plus vaste ou de sa finalité économique. Se questionner sur le fonctionnement de l’ensilage dans ses aspects techniques mais également comme faisant partie d’un système économique donné nous permet d’adapter nos méthodes de fouille aux questions en suspens. Ainsi, pour prendre un exemple parmi d’autres, les analyses micromorphologiques réalisées dans certains silos bien identifiés, lors de fouilles récentes, nous ont permis de montrer archéologiquement la présence d’enduit de terre sur les parois ou encore de bouchon de torchis10. En plus de l’aspect méthodologique, la mise en place systématique d’un système d’information géographique (SIG) associé à la fouille fine des fosses pour récolter des éléments datants peut nous aider à surmonter la difficulté à cerner la chronologie de chaque aire et à appréhender plus finement leur durée d’utilisation.

14La post-fouille de cette opération étant encore en cours, il est trop tôt pour faire un retour d’expérience et évaluer la qualité des données et leur pertinence par rapport à ce qui était visé. Gageons malgré tout que les résultats de cette opération permettent d’apporter des éléments pour la compréhension d’un modèle déjà repéré en Limagne par les historiens (Fournier 1962 ; Charbonnier, Grélois 2005) : celui des nombreuses villae disparues au cours du xiie siècle mais perpétuées par les noms de terroir et la conservation des édifices de culte (chapelles, oratoires). En Limagne, la redistribution du peuplement à partir du xiie siècle se fait au détriment des petites agglomérations comme Lezat alors que l’habitat se concentre dans les gros bourgs. Un certain nombre de ces anciens chefs-lieux paroissiaux sont alors rétrogradés en domaines ruraux : les aires d’ensilage en témoignent, reste à savoir s’il s’agit du stockage de la production du domaine ou de la concentration en un même lieu de redevances collectées.

Retour sur expérience

15Les apports de ce travail de recherche, issus d’une collaboration étroite entre agents d’institutions différentes intervenant en archéologie préventive à plusieurs niveaux de la chaîne opératoire et selon des cadres distincts, sont multiples et touchent des pans inattendus de notre travail. Du côté du prescripteur, la perception des questionnements nécessaires à la compréhension des établissements ruraux est plus précise ; du côté des responsables d’opération et des équipes, les référentiels typochronologiques sont plus fiables, les techniques constructives et architecturales bien identifiées. Les champs d’investigation à développer sont mieux cernés grâce à l’analyse des lacunes des fouilles anciennes ; ainsi, passer de la notion d’habitat rural à celle, plus économique, d’exploitation rurale amène à mettre en œuvre des méthodes et des analyses ciblées sur la caractérisation des différents bâtiments dans un système productif et à réfléchir à la méthodologie à appliquer pour obtenir plus de données qualitatives sur les vestiges, non pas dans l’absolu mais en lien avec l’appareil de production. Rien de bien révolutionnaire dans tout ceci, et l’on pourrait dire qu’il s’agit du travail normal de l’archéologue, toutes périodes confondues. Pourtant, cette normalité ne peut devenir une réalité vécue qu’avec un investissement fort des personnes du côté des services régionaux de l’archéologie (SRA) et, comme ici, du côté de l’Inrap.

16Le travail de recherche, dans un cadre « programmé », piloté ou auquel participent les agents des SRA et de l’Inrap, nourrit et construit les savoirs pratiques et théoriques de ces derniers. Ils alimentent alors leurs compétences et leur expertise scientifique, qui peuvent ainsi être mises en œuvre en archéologie préventive. Toutefois, la dichotomie entre les deux démarches perdure, et il existe davantage un transfert de compétences entre l’une et l’autre qu’une véritable dialectique. La logique libérale mise en place depuis 2003, et maintes fois dénoncée par la profession, mène à ce que l’économie de marché et de moyens prenne parfois toute la place (Collectif 2012 ; Vandevelde-Rougale, Zorzin 2019). Entre technicisation et spécialisation accrues, obligation de résultat et moyens contraints, principes de rentabilité assumés, on perd parfois de vue la finalité de notre travail, la nécessité d’avoir du temps pour y penser collectivement. Réintroduire du questionnement, se placer dans une position de « chercheur » plutôt que de « prescripteur », de « responsable d’opération » ou de « fouilleur » a été très dynamisant humainement et très productif scientifiquement. Nous nous sommes réapproprié notre champ d’étude et avons remis du sens à nos missions respectives.

  • 11 61 diagnostics et 15 fouilles dont 5 avec occupation médiévale réalisées en 2021 sur le tracé de la (...)

17Tout cela a permis, avec le soutien de nos institutions, la parution d’un ouvrage à la fin de 2019 (Charmoillaux, Gaime dir. 2019). Le bilan réalisé et ses acquis ont contribué à replacer l’espace auvergnat dans l’axe 10 du Conseil national de la recherche archéologique (CNRA), « Espace rural, peuplement et productions agricoles aux époques gallo-romaine, médiévale et moderne », proposé par Édith Peytremann et Élise Boucharlat en 2016. La progression de la réflexion peut dès lors s’appuyer sur des bases et un cadre permettant les comparaisons et les rapprochements avec le reste du territoire, en faisant émerger les spécificités propres à cette région et à ses différents espaces (plaine, varennes, moyenne montagne, etc.). Les pistes ouvertes par cette étude sont nombreuses, avec plusieurs domaines régulièrement alimentés par de nouvelles données de fouille ; par exemple, la question du rythme des occupations et leur évolution entre le premier et le second Moyen Âge est essentielle, et les fluctuations perçues à partir des sites du corpus demandent à être questionnées à partir de nouvelles fouilles aux chronologies qui doivent être affinées. L’autre aspect à explorer concerne les différences importantes perçues entre les deux zones étudiées, la Limagne septentrionale et la Sologne bourbonnaise, concernant les types de site, les modes architecturaux ou encore le vaisselier : sont-elles un simple effet de sources ou correspondent-elles à une véritable partition, qu’il conviendra alors d’expliciter ? Gageons que les récentes fouilles de l’A79 viendront alimenter le débat et renouveler nos connaissances11.

  • 12 Traitement des données SIG au fur et à mesure sur le terrain pour permettre l’analyse spatiale du s (...)
  • 13 Des prélèvements pour la réalisation de lames minces ont été réalisés sur toutes les dernières foui (...)

18Comme attendu, avoir défini plus précisément quelles questions poser et quelles méthodes appliquer pour essayer d’y répondre font que les connaissances progressent davantage. La reconnaissance des grandes fosses peu caractéristiques au décapage comme de potentiels bâtiments excavés ne pose plus de difficulté ; pour les bâtiments de plain-pied, comme la recherche active des trous de poteau se fait dès la phase de décapage et qu’elle est couplée à un SIG, les plans de bâtiment devraient être plus aisés à restituer12. Grâce à une approche micromorphologique plus systématique, les traces de terre architecturales peuvent être repérées et étudiées13. Nos connaissances sur le stockage, notamment l’ensilage, ont progressé par l’apport de données renouvelées issues des fouilles récentes, pour lesquelles une grille d’analyses rigoureuses a été mise en place. Nous ne mesurons pas encore pleinement l’apport concret de ces nouvelles informations puisque la majorité des études post-fouille sont en cours, mais les premiers résultats sont prometteurs et complètent déjà notre compréhension de certains aspects techniques de l’ensilage. Ces évolutions méthodologiques et la clarification des problématiques attestent d’un dynamisme collectif qui perdure au-delà de ce programme de recherche, et c’est peut-être son apport le plus encourageant.

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Bibliographie

Pour les opérations archéologiques citées dans cet article, les références, notices et documents liés des rapports sont consultables sur le catalogue des fonds documentaires de l’Inrap : https://dolia.inrap.fr/, ou dans les SRA.

Bloch M. 1939 : La société féodale. La formation des liens de dépendance, Paris, Albin Michel (coll. L’Évolution de l’humanité, 34), 472 p. [réédition en 1994].

Charbonnier P., Fournier G. 1986 : La maison forte en Auvergne, in Bur M. (dir.), La maison forte au Moyen Âge, Actes de la table ronde de Nancy - Pont-à-Mousson, 31 mai-3 juin 1984, Paris, Éd. du Cnrs, p. 271-288.

Charbonnier P., Grélois E. 2005 : Les écarts et leurs habitations en Basse-Auvergne du Moyen Âge à la Révolution, in Antoine A. (dir.), La maison rurale en pays d’habitat dispersé : de l’Antiquité au xxe s., Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 291-312.

Charmoillaux J., Gaime S. (dir.) 2019 : Les formes de l’habitat rural au Moyen Âge en Limagne septentrionale et Sologne bourbonnaise, Paris, Inrap - Cnrs Éditions (coll. Recherches archéologiques, 17), 455 p.

Collectif 2012 : Appel. L’archéologie préventive doit être réformée !, Les nouvelles de l’archéologie, 128, p. 63-64.

Faure-Boucharlat É. (dir.) 2001 : Vivre à la campagne au Moyen Âge : l’habitat rural du ve au xiie s. (Bresse, Lyonnais, Dauphiné) d’après les données archéologiques, Lyon, Association lyonnaise pour la promotion de l’archéologie en Rhône-Alpes (coll. Documents d’archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne, 21), 431 p.

Fournier G. 1962 : Le peuplement rural en Basse Auvergne durant le haut Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, (coll. Publications de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Clermont-Ferrand, Deuxième série), 678 + xii p. Réédition en 2011, Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand.

Gaime S., Charmoillaux J., Scholtès A. à paraître : Remarques sur l’usage de la terre crue en Limagne septentrionale et Sologne bourbonnaise entre le viiie et le xive siècle (Auvergne, France), in Chazelles C.-A. de, Leal É., Devillers P., Klunder H., Klein A. (dir.), Architecture et construction en terre crue. Approches historiques, sociologiques, économiques, Actes des 5es échanges transdisciplinaires sur les constructions en terre crue, Montpellier, 23-24 octobre 2019, Montpellier, Éd. de l’Espérou.

Gentili F., Lefèvre A. (dir.) 2009 : L’habitat rural du haut Moyen Âge en Île-de-France, Guiry-en-Vexin, CRAVF (coll. Suppl. du Bulletin archéologique du Vexin français et du Val-d’Oise, 2), 296 p.

Morsel J. 2004 : L’aristocratie médiévale : la domination sociale en Occident, ve-xve s., Paris, Armand Colin (coll. Collection U), 335 p.

Peytremann E. 2003 : Archéologie de l’habitat rural dans le nord de la France du ive au xiie s., Saint-Germain-en-Laye, France, Association française d’archéologie mérovingienne (coll. Mémoires de l’Association française d’archéologie mérovingienne, XIII), 453 + 442 p.

Valais A. (dir.) 2012 : L’habitat rural au Moyen Âge dans le Nord-Ouest de la France : Deux-Sèvres, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe et Vendée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 327 + 462 p.

Vandevelde-Rougale A., Zorzin N. 2019 : De la « professionalisation » à la « vassalisation ». L’archéologue entre « éthique professionnelle » et « responsabilité sociale d’entreprise », Canadian Journal of Bioethics, 2-3, p. 109-119.

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Notes

1 Travaux du Groupe de recherches historiques et archéologiques de la vallée de la Sumène (GRHAVS) autour d’Odette Lapeyre, Cantal, années 1980-1990.

2 Inventaire des fortifications de terre dans l’Allier, coordonné par Véronique Lallemand, années 1990.

3 Travail initié par Gabriel Fournier dans les années 1960 et qu’il poursuit toujours…

4 PCR « Habitats groupés/villae du Languedoc et du Roussillon – ve-xiiie s. », coordonné par Odile Maufras, Inrap.

5 Responsables d’opération : S. Gaime et Mathieu Carlier, Inrap.

6 Rue du docteur Chassagne, responsable d’opération : Laurence Lautier, Inrap, 2017.

7 Responsable d’opération : Aurélie Savignat, Inrap.

8 Responsable d’opération : Agathe Chen, Hadès, 2019.

9 Cf. article dans ce même numéro.

10 Analyses en cours d’Antoine Scholtès (Inrap) sur les sites de Bas-et-Lezat et Aigueperse (Puy-de-Dôme).

11 61 diagnostics et 15 fouilles dont 5 avec occupation médiévale réalisées en 2021 sur le tracé de la future autoroute.

12 Traitement des données SIG au fur et à mesure sur le terrain pour permettre l’analyse spatiale du site en l’absence de niveau de sol pour la fouille de Toulon-sur-Allier (A79-D15B sud), dirigée par Agatha Poirot (Archeodunum, 2021).

13 Des prélèvements pour la réalisation de lames minces ont été réalisés sur toutes les dernières fouilles de bâtiments médiévaux : Riom (Fabrice Gauthier, Inrap, 2015-2017) ; Bas-et-Lezat (A. Savignat, Inrap, 2019) ; Paray-sous-Briaille (Dorian Pasquier, conseil départemental de l’Allier, 2021) ; Aigueperse (F. Gauthier, Inrap, 2021), etc.

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Table des illustrations

Titre 1. Répartition du mobilier métallique sur le site des Colis à Lezoux.
Légende NMI  : nombre minimum d’individus.
Crédits DAO et SIG : C. Opresco.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/12491/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 378k
Titre 2. Exemple de relevé de coupes de silos avec analyse stratigraphique poussée afin d’en évaluer tout le potentiel informatif sur les sites de Bas-et-Lezat.
Crédits DAO : E. Belay, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/12491/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
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Pour citer cet article

Référence papier

Julie Charmoillaux et Sébastien Gaime, « Un travail collectif de synthèse sur l’habitat rural en Auvergne médiévale »Archéopages, Hors-série 6 | -1, 164-169.

Référence électronique

Julie Charmoillaux et Sébastien Gaime, « Un travail collectif de synthèse sur l’habitat rural en Auvergne médiévale »Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 03 août 2023, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/12491 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.12491

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Auteurs

Julie Charmoillaux

Drac Auvergne - Rhône-Alpes, SRA, UMR 5648 « CIHAM »

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    Rural houses in Sologne bourbonnaise and Basse-Auvergne in the Middle Ages. The limits of a typochronological definition
    La vivienda rural en la Sologne del Borbonés y en la Baja Auvernia durante la Edad Media. Los límites de una definición tipocronológica
    Paru dans Archéopages, 46 | 2018

Sébastien Gaime

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