- 1 Réalisée d’avril à juin 2014, sur une superficie de 800 m², sous la responsabilité de J. Kotarba (r (...)
1La ville de Prades (Pyrénées-Orientales) se situe dans la moyenne de vallée de la Têt, dans les premiers contreforts des Pyrénées orientales. Une opération de fouille1, implantée en périphérie immédiate de l’ancienne ville médiévale, a révélé des vestiges datés entre le ier siècle et le ve de notre ère, liés à un habitat antique dont la localisation précise et l’ampleur restent incertaines. La documentation actuelle ne permet donc pas de préciser la nature et le statut exact de ce site. Deux fosses (SB1 au nord et SB65 au sud, distantes l’une de l’autre d’environ 9 m) comblées au cours de la seconde moitié du ier siècle, entre 50 et 80 de notre ère, ont particulièrement attiré l’attention du fait de leur revêtement [ill. 1].
1. Plan de masse de la fouille. La différence de coloris sur les fosses correspond aux différentes couches de comblement visibles au décapage.
© Chr. Coeuret, Inrap
2Les deux fosses apparaissent à 40 cm de profondeur sous le niveau actuel. Leurs limites se distinguent bien du sol naturel environnant et particulièrement le liseré de terre plus claire qui tapisse les parois du creusement [ill. 2]. En plan, chacune d’elles dessine une forme rectangulaire à angle arrondi. Elles présentent des dimensions comparables et un volume maximal de 10 m3. Elles sont creusées dans des niveaux naturels graveleux. Les parois sont très légèrement convexes et le fond est aplani bien qu’en pente vers une extrémité [ill. 3]. Ces fosses se singularisent par la présence d’un épais revêtement constitué de terre crue, de 6 cm au fond et jusqu’à 22 cm en haut des parois, qui s’épaissit au niveau du fond de la fosse nord. Sa pose réalisée de façon soignée a permis de ragréer le modelé du terrain naturel, irrégulier par endroits. Notons qu’une partie du fond de la fosse sud n’a pas été recouverte par cet enduit, profitant de la présence à cet emplacement d’une strate de limon jaune naturel. La surface de l’enduit est lisse et dessine une légère courbure à la jonction entre le fond et la paroi. Globalement, cet enduit est d’aspect homogène. Le sédiment qui le compose est compact et de couleur jaune pâle, il est toutefois plus beige dans la partie basse de la fosse nord. La matrice limoneuse inclut quelques charbons de bois, de rares galets et des cailloux épars. Telles qu’elles nous sont parvenues, ces fosses sont dépourvues de système d’accès. La dynamique de comblement est identique pour les deux fosses. Le remblaiement se compose de plusieurs strates limoneuses, plus ou moins foncées et/ou sableuses, et il comporte par endroits des passées de terre charbonneuse, correspondant à des vidanges de foyer, de rares scories de fer ainsi que des blocs dont certains forment des concentrations. Ces couches remontent le long des parois latérales, d’où un profil en U évasé, dû à des tassements distincts. Par contre, longitudinalement, les niveaux inférieurs épousent le fond de la fosse qui présente un léger pendage.
2. La fosse nord, testée dans son quart sud-est lors du diagnostic. On distingue le parement de terre crue des parois et l’enduit plus clair du fond.
© A. Polloni, Inrap
3. Coupes latérales et longitudinales des deux fosses. Elles présentent des dimensions similaires, environ 2,20 m de large pour 3,20 m de long ; seule la profondeur diffère, jusqu’à 1,40 m pour la fosse nord et seulement 1,10 m pour l’autre dont le fond correspond sur une large moitié nord à la couche naturelle limoneuse.
© Chr. Coeuret, Inrap
- 2 L’analyse des échantillons est le fruit d’une collaboration scientifique entre l’Inrap et J.-E. Aub (...)
3Des analyses physico-chimiques et minéralogiques effectuées sur trois échantillons – provenant des parois des deux fosses, du fond de la fosse nord et de la couche naturelle limoneuse atteinte lors du creusement de la fosse sud [ill. 4c] (Thouron, 2015)2 – ont contribué à l’interprétation du rôle joué par l’enduit. Ces analyses permettent en effet d’identifier la nature des terres utilisées et la composition du mélange nécessaire à la confection de l’enduit.
- 3 Les tests sont réalisés par tamisage à sec pour les particules supérieures à 80 µm et par sédimenta (...)
4La caractérisation physique a pour but de mettre en évidence d’éventuelles différences granulométriques3 entre le limon naturel et les revêtements situés sur le fond et les murs, en distinguant différentes classes granulométriques (argiles, limons, sables, graviers et cailloux). Les résultats semblent indiquer que les enduits ont une origine commune [ill. 4a], sans doute un matériau proche du limon naturel, présent sur le site à 80 cm de profondeur. Nous observons néanmoins que la teneur en argile varie quelque peu d’un échantillon à l’autre : le fond de la fosse nord présente un taux de 25 % de particules très fines alors que celui des parois est légèrement inférieur, de l’ordre de 15 %. Si ce taux est trop faible pour que l’enduit soit étanche à l’eau, ce dernier peut toutefois réguler l’hygrométrie à l’intérieur de la fosse et de la sorte préserver son éventuel contenu des risques liés à l’humidité (pourrissement…).
4. a. Courbes granulo-sédimentométriques des quatre échantillons. En noir, le limon naturel du fond de la fosse sud, en vert l’enduit de ses parois. Le bleu et le rouge correspondent respectivement au fond et à l’enduit des parois de la fosse nord.
© M. Thouron
- 4 Il s’agit d’une analyse avec une ICP-OES (Induced Coupled Plasma Optical Emission Spectroscopy) qui (...)
5L’analyse chimique4 permet quant à elle de préciser la composition de cet enduit. Elle révèle que les quatre échantillons sont constitués des éléments majeurs suivants : aluminium, silicium, fer, magnésium, manganèse, calcium, sodium, potassium, titane et phosphore. Chaque élément est représenté dans des proportions similaires d’un échantillon à l’autre [ill. 4b]. On s’aperçoit toutefois qu’il y a 4 % de moins de dioxyde de silicium dans le limon naturel que dans les autres échantillons. Les enduits ont donc probablement été mélangés avec du sable de rivière. Le revêtement des parois étant plus épais que le fond, l’adjonction de sable a permis de limiter, voire d’éviter la fissuration de l’enduit au moment du séchage.
4. b. Tableau donnant les teneurs en pourcentage des éléments majeurs présents dans les quatre échantillons (SB1 est la fosse nord ; SB65, la fosse sud). L’enduit du fond de la fosse nord comporte moins d’oxyde de fer (Fe2O3) et de manganèse (MnO) que les autres enduits, ce qui explique sans doute sa coloration plus claire.
© M. Thouron
4. c. Vue en coupe de la fosse sud où l'on observe les parois de terre crue posées sur le limon naturel faisant office de fond.
© M. Thouron
- 5 Durant l’analyse, la masse de l’échantillon est mesurée en continu au fur et à mesure que la tempér (...)
- 6 La goethite est un oxyhydroxyde de fer.
6La caractérisation minéralogique a permis de confirmer la provenance locale des matériaux. Premièrement, une analyse menée par diffraction de rayons X (DRX) a été réalisée pour identifier la nature des minéraux cristallisés majeurs présents dans chaque échantillon. Ceux-ci contiennent de la montmorillonite (composante des smectites), de l’illite (le minéral le plus commun dans les argiles), de la muscovite (c’est-à-dire du mica blanc), de l’orthose, de l’albite et des cristaux de quartz. La signature minéralogique est caractéristique du massif du Canigou. La présence de mica dans le limon est de nature à renforcer la texture de l’enduit à l’état sec. Deuxièmement, une analyse thermique gravimétrique (ATG) a été réalisée5. Ce test a permis de compléter les analyses faites par DRX en mettant notamment en évidence l’absence de goethite6 et la présence d’hydrargillite dans l’enduit du fond de la fosse nord. Inversement, dans les autres échantillons, on constate la présence de goethite et l’absence d’hydrargillite. L’absence de goethite expliquerait le moindre taux en oxyde de fer et démontre également que le matériau servant de base à l’enduit qui tapisse le fond de la fosse nord, même s’il est apparenté au limon naturel par sa composition chimique et sa granulométrie, a pu être prélevé à un autre endroit.
- 7 Analyses réalisées par Cécilia Cammas, Inrap.
7Des analyses micromorphologiques, actuellement en cours d’étude7, devraient quant à elles permettre de caractériser la mise en œuvre utilisée pour l’application des enduits.
- 8 Analyses réalisées par Pascal Verdin, Inrap.
8Si ces analyses ont permis de mieux cerner l’origine des matériaux qui enduisent les fosses, elles n’ont toutefois qu’un intérêt limité pour appréhender la fonction initiale de celles-ci. Nous avons donc complété ces premières investigations par la recherche de phytolithes8. Un prélèvement extrait dans l’enduit du fond de la fosse nord a livré la présence de phytolithes de graminées (89,1 %) et de phytolithes de taxons ligneux (arbres soit 10,9 %). Parmi les phytolithes de graminées, on soulignera la présence de glumes de graminées sauvages (11,9 %) et de glumes issus plus probablement d’orge (type Hordeum, 4,5 %) et de blé (type Triticum, 0,5 %).
- 9 Étude réalisée par Jérôme Ros, CNRS.
9Un second échantillon de sédiment, prélevé dans la même couche et destiné à l’étude des carporestes9, n’a pas permis de mettre en évidence un assemblage en position primaire. En effet, les semences identifiées correspondent à des éléments d’origine détritique, rejets de consommation ou de préparation alimentaire, carbonisés puis rejetés dans la fosse. L’absence de restes carpologiques en position primaire de stockage ne signifie cependant pas que la fosse n’a pas servi de structure de réserve, les semences ne se conservant en place qu’en cas de combustion accidentelle du stock ou lors du nettoyage des parois au feu pour assainissement.
- 10 Dans les Pyrénées-Orientales et notamment dans la plaine côtière, le recours à l’ensilage perdure d (...)
- 11 Les morceaux de tegulae du comblement, certes postérieur à l’usage premier, sont très peu nombreux (...)
10Des scories de fer, liées à la réduction du minerai, et des rejets de foyers sont attestés dans le comblement mais, bien entendu, ces vestiges ne peuvent pas illustrer la première utilisation de ces fosses. La question de la fonction de l’enduit peut être posée : il peut avoir servi soit à assainir la fosse, pour que le contenu reste au sec, soit à éviter des écroulements du substrat par ailleurs très friable. On pense donc à une fonction proche de celle d’un silo10, même si les analyses et la morphologie atypique de ces deux fosses ne permettent pas de définir précisément leur fonction initiale. La perméabilité du revêtement en terre des parois et d’une partie du fond implique soit une couverture pour rester à l’air libre, soit un contact avec la matière à conserver et un recouvrement léger. L’hypothèse de simples caves n’a pas été retenue du fait de plusieurs éléments : l’absence d’aménagement pour descendre, l’absence de signes manifestes de piétinement sur le fond associé à une dégradation progressive des parois et enfin l’absence d’aménagement périphérique qui aurait montré l’intégration des fosses à un bâti assurant leur couverture11. Comme le suggère timidement l’analyse des phytolithes, ces creusements pourraient avoir servi à la « réserve » de végétaux, comme par exemple du fourrage (Gazenkeek et al., 2015). Il est intéressant de rappeler dans ce cadre que les agronomes hispano-arabes préconisent, pour assainir les silos, l’utilisation « d’enduit composé d’argile, d’eau, d’olive et de cendres (d’autres composantes peuvent être ajoutées : coloquinte, myrte séchée, cyprès…) » (Puig, 2003, p. 112).
- 12 Elles sont mieux documentées ailleurs en France et souvent considérées comme des pièces souterraine (...)
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La forme quadrangulaire de ces fosses, inhabituelle dans la région12, pourrait être liée à la difficulté de pratiquer un creusement en forme d’ampoule dans un terrain naturel instable. Ces fosses participeraient ainsi des activités agricoles de l’habitat tout proche, et elles pourraient en particulier jouer un rôle dans le domaine de la conservation des denrées, par exemple pour le bétail.