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1 - Dynamique de la recherche

Vieille-Toulouse, métropole des Volques Tectosages

Vieille-Toulouse, the metropolis of the Volqui Tectosagi
Vieille-Toulouse, metrópolis de los Volcas Tectósages
Philippe Gardes
avec la collaboration de Jean-Luc Boudartchouk, Laurence Benquet, Pascal Lotti, Patrick Massan, Marie-Luce Merlea et Frédéric Sergent
p. 84-91

Résumés

Après vingt ans d’interruption, les recherches à Vieille-Toulouse ont repris à partir des années 2000. Une vingtaine de diagnostics et de fouilles ont été conduits dans le cadre des nouvelles lois sur l’archéologie préventive. Les résultats sont d’intérêt majeur. Ils concernent l’emprise du site, avec en particulier la mise en évidence d’une enceinte enserrant un espace de 190 à 200 hectares. À l’intérieur, le centre urbain de la Planho a pu être mieux défini. Il associe des monuments publics et un habitat dense, évoluant à un rythme rapide entre les années 175 et 10 avant notre ère. Les quartiers périphériques abritent quant à eux un habitat plus aéré et des ateliers d’artisans (tuiliers, potiers…). Un projet collectif de recherche (PCR) en cours permettra de synthétiser l’ensemble de ces recherches et aboutira à une publication monographique à l’horizon 2023.

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Texte intégral

  • 1 Les opérations archéologiques menées par l’Inrap l’ont été sous la responsabilité de l’auteur, des (...)

1Située à 7 kilomètres au sud de Toulouse, l’agglomération gauloise de Vieille-Toulouse occupe une série de plateaux à la confluence de la Garonne avec deux cours d’eau mineurs. Elle commande le site portuaire de Saint-Roch, établi plus au nord, au pied des coteaux de Pech-David et, plus loin, un petit établissement de confluence, Ancely [ill. 1]. Vieille-Toulouse fait partie de ces sites archéologiques emblématiques qui ont de tout temps focalisé l’attention des érudits et chercheurs. Prisonnière pendant longtemps de débats à propos de son identification à la Toulouse gauloise, elle n’a, en réalité, fait l’objet de recherches archéologiques qu’à partir du xxe siècle. Ces travaux pionniers ont révélé la chronologie du site, plusieurs secteurs d’habitat et deux sanctuaires. Interrompues depuis 1984, les recherches n’ont repris qu’en 2000, dans le cadre des nouvelles lois encadrant l’archéologie préventive. Grâce à une vingtaine de diagnostics et de fouilles, essentiellement conduits par l’Inrap, des progrès décisifs ont été enregistrés dans les domaines de l’urbanisme, de la dynamique d’occupation, de l’architecture, des échanges et du commerce, de la production de biens manufacturés et du statut politique et territorial1 (Gardes 2017).

1. Vieille-Toulouse et son environnement archéologique.

1. Vieille-Toulouse et son environnement archéologique.

L. Bruxelles et P. Gardes, Inrap.

Une pression foncière croissante

2Jusqu’aux années 1950, la zone n’était occupée que par des champs cultivés et quelques fermes et maisons, dont le château de Mont-Bétou. Le panorama a radicalement changé depuis l’aménagement d’un golf, inauguré en 1952. En 1980, le périmètre de ce dernier a été étendu pour atteindre une superficie de 40 hectares, entraînant de nouveaux terrassements. Parallèlement, des maisons ont progressivement été construites dans les parcelles laissées vacantes. Ces aménagements successifs ont fait disparaître l’essentiel des terrains agricoles. Plusieurs fouilles de sauvetage et des interventions plus ponctuelles, pour surveiller les travaux et terrassements, ont été menées entre 1966 et 1984 par Michel Vidal et André Müller, sous l’égide de la direction régionale des antiquités historiques (Vidal 2002).

  • 2 Olivier Gaiffe et Sylvie Bach ont été en charge des prescriptions pour Vieille-Toulouse, avant que (...)
  • 3 Trois opérations ont été menées par l’Inrap jusqu’en 2014, et deux par la société Hadès depuis ; en (...)

3Depuis 2000, 25 prescriptions de diagnostics ont été délivrées2. La majorité se situent en périphérie du golf, qui occupe la partie ouest du site [ill. 2]. Au total, ce sont 20,5 ha, soit un cinquième du plateau de Vieille-Toulouse, qui ont fait l’objet d’une évaluation archéologique. Tous les diagnostics conduits dans l’emprise du site archéologique se sont révélés positifs. Bien évidemment, les résultats varient beaucoup en fonction des secteurs traités. La densité des vestiges apparaît très forte à la Planho. Le taux de positivité des structures archéologiques, même si ce paramètre doit être relativisé, oscille ici entre 6 et 15 pour 100 m². À l’inverse, à Baulaguet, le ratio s’établit à 1,3, et même entre 0,5 et 1 à Borde-Basse sur les différents diagnostics prescrits. Ces données brutes sont confirmées par les observations faites sur la stratigraphie et par la densité relative des mobiliers. Cinq fouilles ont été réalisées, dont trois à la Planho, une à Ventenac et une à Borde-Basse. Leur surface cumulée atteint un peu plus de 1 hectare, soit 1 % de l’emprise totale du site3.

2. Plan du site de Vieille-Toulouse et des diagnostics et fouilles réalisés depuis 2000 dans l’emprise.

2. Plan du site de Vieille-Toulouse et des diagnostics et fouilles réalisés depuis 2000 dans l’emprise.

1. 9 ch. de la Planho : Diag. 2011, F. Sergent, Inrap. Fouille 2013, Julien Vial, Hadès. 9 bis ch. de la Planho Fouille 2017, Justine Robert, Hadès.
2. 10 ch. de la Croux del Fiou : Diag. 2011, F. Sergent, Inrap.
3. 3 rue Baulaguet : Diag. 2008, J.-J. Grizeaud, Inrap.
4. 5 ch. de la Planho : Diag. 2005, J.-J. Grizeaud, Inrap.
5. Borde-Basse 4 : Diag. 2007, J.-L. Boudartchouk, Inrap.
6. Borde-Basse : Compl. diag. 2003, P. Gardes, Inrap.
7. 5 ch. de la Planho : Fouille 2007, P. Gardes, Inrap.
8. Borde-Basse : Fouille 2005, M.-L. Merleau, Inrap.
9. 1 ch. de l’Oppidum : Diag. 2002, C. Requi, Inrap.
10. Borde-Basse, opération « Les Balcons du Golf II » : Diag. 2001, J.-L. Boudartchouk, Inrap.
11. Borde-Basse et Au Village : Diag. 2000, J.-L. Boudartchouk, Inrap.
12. 9 ch. de Ventenac : Diag. 2013, R. Bevilacqua, Inrap.
13. 3 ch. de Ventenac : Diag. 2014, R. Bevilacqua, Inrap. Fouille 2014, P. Lotti, Inrap.
14. Ch. des Carrières-Basses : Diag. 2015, P. Lotti, Inrap.
15. 4 ch. de Borde-Basse : Diag. 2016, M.-L. Merleau, Inrap.
16. 25 rue du Village : Diag. 2014, C. Salmon, Inrap.
17. Ch. de la Croux del Fiou : Diag. 2015, F. Sergent, Inrap.
18. Baulaguet (parcelle AB147) : Diag. 2017, P. Gardes, Inrap.
19. Baulaguet (parcelles AB22, 23, 143) : Diag. 2017, P. Gardes, Inrap.
20. 31 ch. de la Croux del Fiou : Diag. 2017, F. Sergent, Inrap.
21. 4 ch. de Ventenac : Diag. 2018, P. Lotti, Inrap.
22. 18 ch. de l’Oppidum : Diag. 2018, P. Gardes, Inrap.
23. 16 ch. de l’Oppidum : Diag. 2019, F. Sergent, Inrap.
24. 4 ch. de Borde-Basse : Diag. 2019, F. Sergent, Inrap.
25. Croux d’Afiou, golf club de Toulouse : Diag. 2019, P. Gardes, Inrap.

P. Gardes, F. Sergent et P. Massan, Inrap. Fond de plan : RGEALTI_FXX © ING 2017.

L’élaboration d’une stratégie de fouille

  • 4 De plus, c’est la première opération préventive organisée dans ce secteur depuis les fouilles dirig (...)

4La fouille menée au 5 chemin de la Planho [ill. 2 : 7] apparaît comme emblématique4. Placée au cœur de l’agglomération protohistorique, elle a révélé une partie d’un quartier urbain sur une surface jusque-là jamais atteinte [ill. 3]. Lors du diagnostic [ill. 2 : 4] ont été identifiées vingt-huit structures archéologiques et une stratigraphie bien conservée, couvrant les deux derniers siècles avant notre ère. Cette opération a permis de mettre au point et de tester une technique de fouille adaptée à ce type de contexte urbain protohistorique en fonction des contraintes archéologiques, taphonomiques et géologiques. Selon les secteurs, la sédimentation archéologique oscille entre 30 et 70 centimètres d’épaisseur, recelant des vestiges appartenant à cinq périodes, elles-mêmes divisées en sous-phases. De plus, la densité des structures, la plupart du temps « en creux » (trous de poteau, fosses, tranchées…), apparaît très forte, et les recoupements sont fréquents. Cette situation va de pair, dans le secteur étudié, avec l’irrégularité des niveaux de surface, souvent affaissés à l’aplomb de creusements plus anciens [ill. 3 : a ; b]. Le secteur a subi une forte érosion, et la parcelle semble avoir été nivelée dans les années 1960-1970 ; un système d’arrosage enterré est venu perturber les niveaux archéologiques. L’essentiel des vestiges de construction rencontrés appartiennent à des structures de terre et de bois. Ces matériaux n’ont laissé que des traces fugaces et difficiles à interpréter au premier abord. Leur identification a été rendue d’autant plus délicate dans les secteurs d’occupation les plus denses. La prescription ayant concerné exclusivement l’emprise des travaux impactant les vestiges (la maison, son accès, un bassin et un système d’arrosage enterré), la fouille a été divisée en trois zones déconnectées les unes des autres, ce qui a pesé sur la gestion quotidienne du chantier, les procédures d’enregistrement et la compréhension chronologique et planimétrique des occupations, fortement entravée.

3a. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : vue de la fouille en cours.

3a. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : vue de la fouille en cours.

N. Lebar, Inrap.

3b. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : Coupe nord-sud de la zone 1.

3b. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : Coupe nord-sud de la zone 1.

P. Lotti, C. Cantournet et S. Puech, Inrap.

3c. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : Plan des vestiges de la période 4 (75-40-30 av. n. è.).

3c. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : Plan des vestiges de la période 4 (75-40-30 av. n. è.).

P. Gardes et S. Puech, Inrap.

5La stratégie adoptée s’est inspirée des techniques classiques de la fouille urbaine. Cependant, les conditions d’intervention, dans un contexte d’habitat très dense et construit en matériaux périssables, où l’essentiel des données architecturales ne peuvent être que déduites d’éléments « en négatif » (trous de poteau, « fantômes de sablière »…) ou labiles, a imposé un aller et retour permanent entre lecture en plan et lecture en coupe. Afin de répondre à la complexité stratigraphique, la fouille a été organisée en secteurs, définis de prime abord par l’axe des murs d’un bâtiment antique recoupant toute la séquence. Priorité a été donnée à l’identification de sols ou de niveaux de circulation, ce qui n’a pas été une mince affaire en raison de l’ampleur des interférences stratigraphiques et de la nature même de ces sols, en terre battue ou simplement piétinés et souvent difficiles à distinguer des sédiments avoisinants. Par extension, les vestiges associés ont pu être calés : aménagements domestiques, ancrages de poteau, sablières… Une attention particulière a été accordée à l’articulation entre espaces bâtis et extérieurs, ces derniers étant bien entendu les plus difficiles à caractériser. Ce travail lent et minutieux a permis de minimiser le nombre de structures « flottantes » entre différentes phases ou sans contexte stratigraphique, la plupart de celles-ci se situant justement dans des cours ou jardins. Enfin, la reconnaissance des éléments d’urbanisme structurant l’occupation (rues et fossés de parcellaire), bien que tardive en raison des perturbations subies, a permis d’affiner la stratégie de fouille et de mieux définir ses priorités.

  • 5 En attendant les résultats d’un projet collectif de recherche (PCR) en cours, les deux fouilles réa (...)

6Même si des connections stratigraphiques nous ont sans doute échappé, la fouille a révélé l’essentiel de la dynamique d’occupation du secteur, voire le détail de l’évolution des espaces bâtis. Elle a mis en évidence 1 800 unités stratigraphiques et 650 structures, étagées sur un siècle et demi d’occupation. Tout un pan de l’occupation de l’agglomération s’est dévoilé : partie de la trame urbaine, détail de l’évolution des techniques architecturales, des activités dans ce secteur, du statut des habitants5.

Structuration et évolution de l’agglomération protohistorique

  • 6 Light Detection And Ranging (détection et télémétrie par la lumière).

7La question du rempart de Vieille-Toulouse a été au centre d’âpres débats depuis le xvie siècle, mais jusqu’à une période récente on considérait, suivant la thèse de Michel Labrousse (1968), que le site en était dépourvu. Or deux faits nouveaux sont venus contredire celle-ci. Il s’agit des diagnostics réalisés dans le flanc du coteau de Ventenac et de l’analyse d’une image LiDAR6 de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) (Benquet et al. 2020 ; Gardes à paraître).

8Dans le secteur de la dépression de Ventenac, deux diagnostics, réalisés au 10 chemin de la Croux del Fiou [ill. 2 : 2] et au 4 chemin de Ventenac [ill. 2 : 21], ont conduit à la découverte de portions de fossés défensifs, situés à 400 mètres de distance l’un de l’autre mais à peu près au même niveau altimétrique du coteau. Ils sont implantés transversalement à la pente et suivent les sinuosités du terrain [ill. 4]. Le premier est apparu très dégradé par les agents naturels. Il mesure entre 3,60 et 8 mètres de large pour une profondeur de 1,20 à 1,80 m. Un squelette humain non daté a été observé dans sa partie sud. La structure du second, largement érodée dans sa partie ouest, présente dans sa partie profonde un profil en V très marqué. Dans la partie la mieux conservée, ses dimensions peuvent être estimées aux environs de 7 mètres de large pour 3 mètres de profondeur ; la partie supérieure des parois, partiellement conservées, s’évase assez largement. Le comblement initial du creusement est marqué par une sédimentation issue du ravinement des parois ou d’un talus aujourd’hui disparu. Le nivellement définitif des structures est plus hétéroclite. Le mobilier qui en provient s’échelonne entre la fin du iie et le milieu du ier siècle avant notre ère. Parmi les pièces découvertes, on doit noter la présence d’une balle de fronde en plomb dans le fossé du 4 chemin de Ventenac.

9Un peu plus bas dans la pente, au 31 chemin de la Croux del Fiou [ill. 2 : 20], deux nouveaux fossés de dimensions imposantes ont été observés. Ils occupent la base d’un coteau et suivent les courbes de niveau. Ces fossés sont parallèles et distants seulement de 5 mètres l’un de l’autre. Leur fond n’a pas été atteint, mais ils présentent des parois obliques ou de tendance concave. Ils mesurent respectivement de 7 à 9 mètres de large pour au moins 3,50 m de profondeur et au moins 3,20 m de large pour 1,70 m de profondeur minimale. Un talus constitué de marne remaniée est identifiable entre les fossés.

10En dehors du résultat de ces diagnostics, une image LiDAR, exploitée en 2019, est venue confirmer de manière spectaculaire l’existence du rempart de Vieille-Toulouse. Elle révèle l’ampleur du système fortifié : le site est entouré d’une enceinte continue qui se développe bien au-delà du plateau actuel de Vieille-Toulouse, en intégrant aussi une partie des plateaux voisins de Pechbusque et d’Estarac. À ses deux extrémités, le rempart se joint aux coteaux dominant la Garonne. Ce système défensif se développe sur un périmètre de 6,7 km et enserre une superficie de 190 à 200 hectares, doublant l’emprise estimée jusque-là. Léon Joulin avait déjà identifié cette vaste enceinte en 1901 (Joulin 1901), mais sa contribution avait ensuite été totalement déconsidérée par M. Labrousse (1968). La confrontation de l’image LiDAR avec les données issues des diagnostics réalisés à Ventenac permet d’observer que les portions de fossés découverts se situent soit sur le parcours fortifié, soit au-dessus, ce qui suppose l’existence de plusieurs lignes de défense dans le flanc du coteau.

  • 7 Fouille menée sous la responsabilité de M. Vidal.

11Jusqu’aux années 2000, l’organisation de l’agglomération nous échappait en grande partie par manque de recherches extensives, même si la Planho apparaissait déjà comme le centre de l’agglomération. La fouille préventive du 5 chemin de la Planho a mis en évidence trois rues, déjà en place au moins vers 130-120 avant notre ère et qui dessinent l’amorce d’une trame orthonormée, structurant l’espace jusqu’à la fin de l’occupation [ill. 3 : c ; ill. 4]. Les voies est-ouest semblent primer sur les axes nord-sud, comme l’avait déjà remarqué M. Vidal (2002). Au-delà, vers le sud du plateau, l’absence de fouilles ne permet pas de statuer sur l’ampleur de ce réseau. Néanmoins, une voie de 10 mètres de large, orientée nord-sud, a été ponctuellement reconnue vers le centre de la Planho en 19727. De plus, des portions de fossés appartenant sans doute à ce réseau ont été observées par M. Vidal dans la parcelle située immédiatement au nord de celle fouillée en 2007 (1975-1976) et près du pool house du golf (1969). La plupart des bâtiments repérés dans l’emprise actuelle du golf s’inscrivent dans les mêmes axes d’implantation que la trame identifiée. Compte tenu de ces informations, il est probable que l’ensemble du plateau de la Planho ait été concerné, dès l’origine, par ce programme urbain.

4. Plan du site de Vieille-Toulouse : tracé du rempart et zones d’occupation intra muros.

4. Plan du site de Vieille-Toulouse : tracé du rempart et zones d’occupation intra muros.

P. Gardes et P. Massan, Inrap. Fond de plan : RGEALTI_FXX © IGN 2017.

12Un dernier élément régulateur, révélé par la fouille, réside dans l’alignement des façades des constructions le long des rues mais aussi dans le caractère mitoyen de certains bâtiments. Ce phénomène tend à s’accentuer avec le temps, en raison surtout de la densification de l’occupation. À partir de la période comprise entre 75 et 40 avant notre ère, les constructions déjà mitoyennes offrent une façade continue sur les rues et s’étendent progressivement vers le cœur des îlots. Au sein des parcelles étudiées en 2007, le bâti apparaît très dense, comme ailleurs semble-t-il à la Planho. Les bâtiments s’intègrent le plus souvent dans des schémas d’implantation quadrangulaires et ne présentent de divisions intérieures, semble-t-il, qu’à partir du milieu du ier siècle avant notre ère.

13Les modes de construction évoluent de manière graduelle. L’architecture fait appel aux ressources locales les plus accessibles, à savoir la terre et le bois. De fait, parmi les nombreux creusements identifiés, plusieurs pourraient correspondre à des fosses d’extraction (marne, molasse ?). Des tessons, le plus souvent d’amphores, sont également utilisés comme matériaux d’appoint. Un certain renouvellement s’amorce au milieu du ier siècle avant notre ère avec l’apparition des terres cuites architecturales mais aussi le recours à des ressources naturelles, semble-t-il jusque-là délaissées, comme les galets de Garonne et la marne dure.

14Les techniques de construction sont marquées par une grande stabilité jusqu’au milieu du ier siècle avant notre ère. Ainsi, les édifices comportent des murs conçus, le plus souvent, à partir d’un soubassement de terre, armé de tessons d’amphore, ou d’une sablière basse. L’architecture sur poteaux plantés est plus rarement attestée et quelquefois associée aux techniques déjà évoquées. Des fragments de torchis témoignent d’élévations à ossature en bois, mais d’autres techniques de construction, qui ne laissent que peu de traces, ont pu être mise en œuvre (pisé ? adobe ?). En revanche, aucun élément matériel ne permet de caractériser les toits.

15L’essentiel des édifices mis en évidence correspond semble-t-il à des habitations. Toutefois, deux ateliers métallurgiques ont également été observés dans cette trame urbaine très dense. Le premier a produit des objets en fer et en bronze dont des clous et des fibules entre les années 150 et 40-30 avant notre ère. Une forge a été étudiée plus à l’est. Elle se situe dans un vaste appentis et n’a été en activité qu’au milieu du ier siècle avant notre ère. Ces deux officines se situaient en bord de voie.

16Enfin, la fouille du 5 chemin de La Planho a révélé la présence de cours et de jardins à l’arrière des bâtiments. Ces espaces ouverts étaient occupés par des fosses-dépotoirs, quelquefois des structures de chauffe mais aussi des puits. Ces derniers, longtemps associés à la sphère sépulcrale ou religieuse, sont désormais interprétés comme des puits à eau.

17En dehors du centre urbain de l’agglomération, on sait peu de choses de l’organisation du site, à l’exception du fait que les limites de parcelles étaient probablement matérialisées par des fossés. Entre la Planho et le coteau de Ventenac, peu de découvertes ont été signalées avant les années 2000. En revanche, deux diagnostics et une fouille récents ont révélé des traces d’occupation en pied de pente mais aussi sur le replat du coteau [ill. 2 : 12 et 13]. Celles-ci se manifestent à travers des puits, dont un de plus de 16 mètres de profondeur, et des fosses, qui signalent la présence d’un habitat assez aéré. On doit également signaler la découverte de deux fours de tuiliers dans ce même secteur.

18Au sud-est du plateau, le lieu-dit Borde-Basse correspond à un coteau en légère pente vers le nord. Jusqu’aux années 2000, il était occupé par une ferme entourée de champs cultivés, et aucune découverte significative n’y avait était faite. Depuis, plusieurs maisons et un lotissement ont été construits. Dans ce secteur, les opérations archéologiques préventives y ont mis en évidence des vestiges assez arasés, ce qui relativise l’impression première d’une occupation lâche. Un réseau parcellaire est matérialisé par des fossés dont les sections ont été observées à plusieurs reprises [ill. 2 : 5 et 11]. Des puits et des fosses ont également été repérés et/ou fouillés [ill. 2 : 5, 6-8, 10 et 11]. Un segment de voirie reste mal documenté car recouvert en partie par l’actuel bien nommé « chemin de l’Oppidum » [ill. 2 : 8]. Le secteur semble surtout dédié à des activités artisanales, en particulier autour de la terre cuite. En témoigne pour l’instant un total de dix-sept fours à céramique mais aussi à tuiles, qui forment plusieurs concentrations. Leur fonctionnement s’échelonne entre la fin du iie siècle avant et le tournant de notre ère. En marge de ces activités potières, d’autres pratiques artisanales sont attestées, en particulier autour d’une structure excavée, peut-être destinée au séchage ou au grillage [ill. 2 : 8].

19Dans le secteur nord-est du plateau, au lieu-dit Baulaguet, le terrain présente également un léger pendage vers le nord. Les premières recherches ont été conduites par M. Vidal à l’occasion de la construction de maisons et de l’aménagement d’une route d’accès (années 1970-1980). Une vingtaine de puits ont alors été observés, et six ont été fouillés. Quatre diagnostic récents ont révélé le même type de vestiges. L’érosion a fait disparaître les sols d’occupation, mais de nombreux puits (17) et des fosses (14) riches en mobilier ont été observés dans les zones les moins en pente. Ils semblent s’insérer dans un réseau de fossés, sans doute de parcellaire [ill. 2 : 3, 9, 18 et 19]. La datation de ces occupations s’échelonne du début du iie à la fin du ier siècle avant notre ère.

20Le secteur de la Tuilerie, correspondant à la partie nord du plateau, n’a pas fait l’objet de recherches depuis 1902. À l’époque, L. Joulin avait identifié par des sondages de nombreux puits et des fosses, riches en mobilier. Deux diagnostics menés en 2018 et 2019, en périphérie est de cette zone, permettent de replacer ces découvertes dans leur contexte [ill. 2 : 22 et 23]. Les vestiges ont subi un arasement important, et leur densité apparaît conforme à celle observée à Baulaguet. On recense essentiellement des puits et des fosses, associés à des fossés (parcellaire ?). Les datations s’échelonnent entre le début du iie et le ier siècle avant notre ère. À défaut de données planimétriques, il est difficile de se faire une idée exacte de l’organisation de l’occupation. En revanche, une des parcelles a révélé un four de potier et une partie d’un bâtiment construit en briques et sans doute doté d’un système de chauffage par hypocauste, situés entre 40 et 10 avant notre ère.

21Après vingt ans de recherches en archéologie préventive, le visage du site de Vieille-Toulouse s’est radicalement transformé. Les progrès sont multiples et majeurs ; ils concernent entre autres le rempart, l’organisation urbaine, l’architecture et son évolution et, au-delà, le statut du site. Un des apports principaux réside dans la découverte d’éléments de la fortification, parachevée par l’identification de l’ensemble de l’enceinte grâce aux images LiDAR de l’IGN. Cette découverte règle une question vieille de plusieurs siècles et surtout ouvre d’amples perspectives de recherche autour de la caractérisation de ce rempart (mode de construction, accès, chronologie…).

22On doit également souligner l’importance des résultats concernant l’agglomération et sa caractérisation. À l’ouest, le centre urbain se situe sans conteste à la Planho, sur une emprise d’au moins 20 à 23 hectares. Le quartier de Borde-Basse semble mêler habitats et activités artisanales, en particulier autour de la production potière. Des quartiers résidentiels existent également à Baulaguet et à l’est de la Tuilerie, mais l’occupation y semble moins dense. Pour aller plus loin, il faudra désormais prendre en compte de nouveaux secteurs, jusqu’alors considérés comme périphériques alors que le LiDAR a montré qu’ils se situaient dans l’enceinte. Nous pensons en particulier au plateau d’Estarac, où d’importantes traces d’habitat (puits et fosses) ont déjà été étudiées par M. Vidal (2002).

23Il s’agit d’une ville dotée d’un centre urbain très dynamique, en place bien avant la conquête romaine. Son urbanisme n’a rien à envier au domaine méditerranéen contemporain et le site, idéalement placé entre Méditerranée et Atlantique, constitue un foyer économique majeur en Gaule. Comment s’articulait-il avec les autres établissements gaulois de la plaine toulousaine ? Aucun de ceux-ci ne rivalise avec Vieille-Toulouse, que ce soit en termes de taille, de durée d’occupation, d’organisation de l’occupation, de diversité des activités ou de marqueurs sociaux. Ce sont donc des établissements dépendants, dont l’un, Saint-Roch, devait jouer un rôle de port sur la Garonne. Pendant longtemps dévalorisée, Vieille-Toulouse doit donc aujourd’hui être reconsidérée : il s’agit non seulement de la métropole des Volques Tectosages, mais aussi d’une des principales villes de Gaule aux iie et ier siècles avant notre ère, au même titre que Bibracte ou Corent.

24Quoi qu’il en soit, les données accumulées depuis 2000 restent encore, pour une large part, à exploiter et à valoriser. Ce sera l’objectif d’un PCR lancé en 2022. Il donnera lieu à une publication monographique d’ici quelques années. En attendant, les recherches se poursuivent et se poursuivront sur le terrain au rythme des projets d’aménagement et des prescriptions d’archéologie préventive.

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Bibliographie

Pour les opérations archéologiques citées dans cet article, les références, notices et documents liés des rapports sont consultables sur le catalogue des fonds documentaires de l’Inrap : https://dolia.inrap.fr, ou dans les SRA.

Benquet L., Gardes P., Lotti P., Sergent F. 2021 : « Un rempart sinon rien » : la question de la fortification de l’oppidum de Vieille-Toulouse (Haute-Garonne, France), in Delrieu F., Féliu C., Gruat P., Kurzaj M.-C., Nectoux É. (dir.), Les espaces fortifiés à l’âge du Fer en Europe, Actes du 43e colloque international de l’AFEAF, Le Puy-en-Velay, 30 mai-1er juin 2019, Paris, AFEAF, p. 155-159.

Gardes P. à paraître : Le rempart gaulois de Vieille-Toulouse authentifié, Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France.

Joulin L. 1901 : Le grand oppidum des Tolosates, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 45-4, p. 518-521.

Labrousse M. 1968 : Toulouse antique : des origines à l’établissement des Wisigoths, Paris, De Boccard, 644 + IX p.

Vidal M. 2002 : Le site et ses vestiges, in Pailler J.-M. (dir.), Tolosa : nouvelles recherches sur Toulouse et son territoire dans l’Antiquité, Rome, École française de Rome (coll. Collection de l’École française de Rome, 281), p. 102-128.

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Notes

1 Les opérations archéologiques menées par l’Inrap l’ont été sous la responsabilité de l’auteur, des contributeurs ainsi que de Roberta Bevilacqua, Jean-Jacques Grizeaud, Christophe Requi et Christian Salmon. Merci de leur collaboration. Les détails sont indiqués dans l’illustration 2.

2 Olivier Gaiffe et Sylvie Bach ont été en charge des prescriptions pour Vieille-Toulouse, avant que Bastien Lefebvre ne reprenne cette mission.

3 Trois opérations ont été menées par l’Inrap jusqu’en 2014, et deux par la société Hadès depuis ; en revanche, elles ont toutes été financées par le biais du Fonds national pour l’archéologie préventive, géré par l’Inrap.

4 De plus, c’est la première opération préventive organisée dans ce secteur depuis les fouilles dirigées par M. Vidal vingt ans auparavant.

5 En attendant les résultats d’un projet collectif de recherche (PCR) en cours, les deux fouilles réalisées par Hadès ces dernières années ne seront pas spécifiquement abordées ici. Pour l’essentiel, elles complètent et corroborent les résultats déjà obtenus jusque-là sur les questions d’organisation et d’habitat.

6 Light Detection And Ranging (détection et télémétrie par la lumière).

7 Fouille menée sous la responsabilité de M. Vidal.

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Table des illustrations

Titre 1. Vieille-Toulouse et son environnement archéologique.
Crédits L. Bruxelles et P. Gardes, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11831/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre 2. Plan du site de Vieille-Toulouse et des diagnostics et fouilles réalisés depuis 2000 dans l’emprise.
Légende 1. 9 ch. de la Planho : Diag. 2011, F. Sergent, Inrap. Fouille 2013, Julien Vial, Hadès. 9 bis ch. de la Planho Fouille 2017, Justine Robert, Hadès.2. 10 ch. de la Croux del Fiou : Diag. 2011, F. Sergent, Inrap.3. 3 rue Baulaguet : Diag. 2008, J.-J. Grizeaud, Inrap.4. 5 ch. de la Planho : Diag. 2005, J.-J. Grizeaud, Inrap.5. Borde-Basse 4 : Diag. 2007, J.-L. Boudartchouk, Inrap.6. Borde-Basse : Compl. diag. 2003, P. Gardes, Inrap.7. 5 ch. de la Planho : Fouille 2007, P. Gardes, Inrap.8. Borde-Basse : Fouille 2005, M.-L. Merleau, Inrap.9. 1 ch. de l’Oppidum : Diag. 2002, C. Requi, Inrap.10. Borde-Basse, opération « Les Balcons du Golf II » : Diag. 2001, J.-L. Boudartchouk, Inrap.11. Borde-Basse et Au Village : Diag. 2000, J.-L. Boudartchouk, Inrap.12. 9 ch. de Ventenac : Diag. 2013, R. Bevilacqua, Inrap.13. 3 ch. de Ventenac : Diag. 2014, R. Bevilacqua, Inrap. Fouille 2014, P. Lotti, Inrap.14. Ch. des Carrières-Basses : Diag. 2015, P. Lotti, Inrap.15. 4 ch. de Borde-Basse : Diag. 2016, M.-L. Merleau, Inrap.16. 25 rue du Village : Diag. 2014, C. Salmon, Inrap.17. Ch. de la Croux del Fiou : Diag. 2015, F. Sergent, Inrap.18. Baulaguet (parcelle AB147) : Diag. 2017, P. Gardes, Inrap.19. Baulaguet (parcelles AB22, 23, 143) : Diag. 2017, P. Gardes, Inrap.20. 31 ch. de la Croux del Fiou : Diag. 2017, F. Sergent, Inrap.21. 4 ch. de Ventenac : Diag. 2018, P. Lotti, Inrap.22. 18 ch. de l’Oppidum : Diag. 2018, P. Gardes, Inrap.23. 16 ch. de l’Oppidum : Diag. 2019, F. Sergent, Inrap.24. 4 ch. de Borde-Basse : Diag. 2019, F. Sergent, Inrap.25. Croux d’Afiou, golf club de Toulouse : Diag. 2019, P. Gardes, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11831/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
Titre 3a. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : vue de la fouille en cours.
Crédits N. Lebar, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11831/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 547k
Titre 3b. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : Coupe nord-sud de la zone 1.
Crédits P. Lotti, C. Cantournet et S. Puech, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11831/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 122k
Titre 3c. Fouille préventive du 5 chemin de la Planho : Plan des vestiges de la période 4 (75-40-30 av. n. è.).
Crédits P. Gardes et S. Puech, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11831/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 347k
Titre 4. Plan du site de Vieille-Toulouse : tracé du rempart et zones d’occupation intra muros.
Crédits P. Gardes et P. Massan, Inrap. Fond de plan : RGEALTI_FXX © IGN 2017.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11831/img-6.png
Fichier image/png, 1,5M
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Pour citer cet article

Référence papier

Philippe Gardes, « Vieille-Toulouse, métropole des Volques Tectosages »Archéopages, Hors-série 6 | -1, 84-91.

Référence électronique

Philippe Gardes, « Vieille-Toulouse, métropole des Volques Tectosages »Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 03 août 2023, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/11831 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.11831

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Auteur

Philippe Gardes

Inrap, UMR 5608 « TRACES »

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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