1Au cours des dernières décennies, l’essor de la recherche archéologique en France a contribué à renouveler la connaissance de pans entiers de l’histoire des sociétés humaines anciennes. Les données engrangées pour le second âge du Fer illustrent particulièrement bien cet état de fait, et elles permettent de modifier considérablement notre perception de la société celtique en déconstruisant bon nombre d’idées façonnées à partir de la lecture des textes historiques et autres visions folkloriques bien ancrées dans un imaginaire populaire. La période laténienne s’inscrit ainsi comme une étape fondamentale de la structuration politique et économique des territoires anciens, où le développement des agglomérations, qu’elles soient fortifiées ou non, intervient comme l’un des forts marqueurs.
2La question des espaces urbains préromains en Europe tempérée, évoqués par Jules César dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules, a suscité de nombreuses études depuis le xixe siècle. Dès cette époque, en France, les érudits s’attellent à identifier les sites fortifiés cités dans l’ouvrage historique (centres de pouvoir économique et politique) et à localiser les peuples gaulois mentionnés. Les premières fouilles d’ampleur sur les sites de Gergovie, Alésia et Bibracte sont impulsées par Napoléon iii afin de confronter les faits archéologiques aux sources littéraires. Le mouvement d’intérêt gagne différentes zones de l’Europe, où des interventions sont, peu de temps après, engagées en Allemagne (Manching, en Bavière), en Bohême (Stradonice) ou encore en Hongrie (Velem-Szent Vid). Au cours du xxe siècle, les archéologues reconnaissent le développement de vastes habitats fortifiés qualifiés d’« oppida » (terme latin utilisé par César et repris par la communauté scientifique) au sein d’un vaste espace nord-alpin, entre Atlantique et mer Noire. L’essor de ces sites, considérés comme majeurs dans la hiérarchie des habitats de la société celtique, est perçu comme la manifestation d’un véritable phénomène d’urbanisation de l’Europe protohistorique au cours de la seconde moitié du iie et du début du ier siècle avant notre ère.
3Toutefois, les chercheurs se sont longtemps interrogés sur la réalité objective de telles occupations et sur la validité du qualificatif de « ville » qui pourrait ou non leur correspondre, la question de l’existence de la ville protohistorique opposant notamment historiens et archéologues jusqu’au début des années 1990. De ces questionnements est né le concept hybride et timoré de « proto-urbanisation ». Les difficultés rencontrées pour caractériser l’espace urbain laténien résultent pour une bonne part dans le fait que l’étude des sites se heurte à leur vaste superficie, souvent de plusieurs dizaines d’hectares, voire de plus de cent hectares pour une petite trentaine d’entre eux (Fichtl 2005). À l’époque, peu de ces sites ont fait l’objet de fouilles extensives, et il faut généralement attendre plusieurs décennies de recherches pour pouvoir appréhender des plans suffisamment étendus qui permettent de révéler l’organisation et la morphologie des occupations, tels les exemples de Manching ou de Bibracte. Une autre contrainte rencontrée vient de la nature des aménagements eux-mêmes et de leurs vestiges, parfois difficiles à interpréter. Pour les sites de l’Europe tempérée dominés par une architecture en terre et bois, il s’agit principalement d’excavations (fosses, puits, trous de poteau…) de profondeur variable, dont la conservation résiste difficilement aux fondations plus massives des aménagements des occupations plus tardives qui peuvent les recouvrir. C’est ainsi que la réalité de la ville celtique a mis près d’un siècle à s’imposer dans les esprits.
4Parallèlement à la recherche sur les oppida, à partir des années 1970-1980, une nouvelle forme d’agglomération a été mise en évidence pour la période laténienne. De superficie généralement plus réduite, avec une moyenne comprise entre dix et vingt hectares, ces nouvelles occupations recouvrent la même aire de diffusion que celles des oppida. Caractérisées cette fois par l’absence de fortification, ces « agglomérations ouvertes » se présentent comme des pôles économiques précoces dont la naissance intervient, pour beaucoup d’entre elles, près d’un siècle avant l’émergence des oppida, soit vers le iiie-début iie siècle avant notre ère. Leur existence soulève alors de nouvelles questions quant au développement du phénomène d’urbanisation en Europe protohistorique et formalise une première étape de ce processus. Elles ne sont cependant jamais qualifiées de « villes » (terme qui semble réservé aux oppida) mais apparaissent souvent sous la dénomination de « village », comme à Levroux (Indre), Acy-Romance (Ardennes) ou Roanne (Loire).
5De nombreuses découvertes archéologiques européennes marquent la dernière décennie du xxe et le début du xxie siècle, venant considérablement densifier les occurrences des cartes jusque-là réalisées, sans toutefois faire évoluer les limites initiales des zones de développement. Les fouilles, qui abordent davantage les espaces internes des sites, renseignent progressivement sur la structuration des occupations, mais le nombre d’exemples étudiés à une large échelle reste encore assez limité et l’appréciation des formes d’urbanisme des agglomérations celtiques souvent malaisée. Beaucoup de questions demeurent également quant à la relation entre les différents types d’occupation identifiés. Ainsi, le modèle un temps proposé à partir des sites de Levroux et de Bâle-Gasfabrik (Suisse), considérant un déplacement et une disparition des « agglomérations ouvertes » au profit des oppida, s’avère au final plutôt rare, et l’évolution des agglomérations non fortifiées revêt une réalité plus complexe, comme le montre la récente publication des résultats de la table ronde organisée sur le sujet en 2015 (Fichtl et al. dir. 2019). Pour ce qui concerne les sites fortifiés, dans les années 1990, l’exemple de l’exploration du site de Mont-Vully (Suisse) par le biais de tranchées de diagnostic, révélant une faible densité de vestiges, pose de son côté la question de la variabilité du degré d’urbanisation des sites qualifiés d’« oppida », certains ne montrant ainsi pas a priori de caractère urbain (Kaenel et al. 2004). On se demande encore également à cette époque si ces sites, qui peuvent être très étendus, sont intégralement ou seulement partiellement occupés et aménagés. La question de l’appréciation de la densité des occupations et des organisations spatiales internes est par ailleurs un problème récurrent, rencontré pour les exemples du Nord-Ouest de la France récemment étudiés sur de grandes superficies (cf. infra), qui remet très clairement en cause la fiabilité de l’exercice du diagnostic archéologique pour caractériser de manière appropriée le caractère urbain ou non de ces vastes sites et valorise plutôt une approche extensive de ces contextes.
6Les études régionales réalisées dans différentes zones de l’Europe celtique font également état de situations différenciées quant à la longévité des occupations. Ainsi, l’Europe centrale et orientale semble marquée par un abandon précoce des oppida, qui interviendrait au cours de la première moitié du ier siècle avant notre ère, alors que, pour une grande partie de la France, les sites semblent perdurer jusqu’au milieu du siècle, voire dans certains cas évoluent jusqu’au début de la période antique (Fichtl 2005). Les nombreuses fouilles réalisées en France méditerranéenne montrent pour leur part une situation régionale où l’émergence précoce de villes fortifiées celtiques (également nommées « oppida » malgré le décalage chronologique rencontré avec les exemples de l’Europe tempérée, leur superficie souvent faible et des distributions très resserrées) est reconnue (Jannoray 1955 ; Py 1993 ; Garcia 2004). Beaucoup connaissent une évolution sur le temps long, entre le vie-ve pour les plus anciennes et la fin du iie siècle avant notre ère, époque marquée par la conquête romaine du Sud de la Gaule, voire au-delà du changement d’ère. La période des iie et ier siècles avant notre ère correspond par ailleurs à une phase de croissance du nombre de site, qui rejoint en cela la dynamique globalement observée à l’échelle du monde celtique (Olmer et al. 2012). Elle s’accompagne également de l’expansion de certaines agglomérations où une augmentation des périmètres urbains s’observe (Nages [Tarn], Nîmes, Lattes [Hérault]), avec parfois le développement de quartiers suburbains. Les morphologies urbaines rencontrées en Gaule méridionale présentent par ailleurs des spécificités méditerranéennes que l’on retrouve également dans la péninsule Ibérique, différentes de celles de l’Europe celtique continentale, avec des agglomérations montrant un habitat resserré mitoyen, organisé en îlots le long de rues étroites, des constructions à murs de pierre ou de briques en terre crue (adobe).
7Ces considérations amènent les archéologues, au début des années 2000, à s’interroger sur la pertinence du modèle des oppida élaboré tout au long du xxe siècle et sur celle de l’utilisation du terme pour la désignation des grands sites fortifiés celtiques, qui pouvaient potentiellement recouvrir des réalités diverses. L’idée de déconstruire la ville celtique est proposée (Kaenel 2006), et celle d’apprécier le statut des différents sites de référence en privilégiant des approches régionales et en les intégrant dans leur contexte territorial propre fait consensus pour tenter de comprendre le processus d’urbanisation en Europe laténienne. C’est dans ce contexte d’effervescentes réflexions scientifiques qu’interviennent, dans le Nord-Ouest de la France, la découverte et l’étude de sites majeurs pour la période.
8Le Nord-Ouest de la France est longtemps resté à l’écart de la recherche sur le phénomène d’urbanisation en Europe celtique. Plusieurs facteurs viennent expliquer cette situation. En premier lieu, nos régions occidentales n’intègrent pas la zone géographique sur laquelle les recherches se sont initialement concentrées au xixe siècle à partir des écrits de Jules César, car aucune mention de site n’apparaît à l’ouest d’un secteur situé entre Lemonum (Poitiers) et Lutetia (Paris). Bien qu’ayant fait l’objet d’inventaires comme toute autre partie du territoire national, elles présentaient principalement des petites fortifications, les grands sites fortifiés faisant exception. En l’absence d’interventions archéologiques, ceux-ci étaient par ailleurs très mal documentés. Quelques fouilles de petits sites fortifiés ont pourtant été engagées et, s’appuyant sur les découvertes réalisées à l’époque à Bibracte et à Murcens (Cras, dans le Lot), le principe de rempart à poutrage croisé et fiches métalliques (murus gallicus) a quelques fois été identifié, comme à Vue (Loire-Atlantique) ou au Fief-Sauvin (Maine-et-Loire) [ill. 1], mais la diffusion des données régionales est restée confidentielle (Lisle du Dreneuc 1885, p. 8081 ; Maître 1911, p. 132, 133 et 176 ; Parenteau 1870 ; Port 1875).
1. Carte de localisation des enceintes et agglomérations non fortifiées du second âge du Fer des régions Bretagne et Pays de la Loire.
Principaux sites et sites ayant fait l’objet d’une intervention archéologique : 1. Allonnes (49), le Tertre ; 2. Angers (49), château d’Angers ; 3. Apremont (85), le Moulin des Vignes ; 4. Aubigné-Racan (72), butte de Vaux ; 5. Baden (56), pointe du Blair ; 6. Beuzec-Cap-Sizun (29), Castel Coz ; 7. Blain (44), 40 rue de Nantes ; 8. Changé (53), la Coudre ; 9. Châtelais (49), Saint-Julien ; 10. Chênehutte-les-Tuffeaux (49), ; le Camp des Romains ; 11. Cholet (49), les Natteries ; 12. Cleden-Cap-Sizun (29), Castel Meur ; 13. Duneau (72) ; 14. Entrammes (53), oppidum du Châtelier/Port du Salut, la Carie II/ le Clos des Primevères ; 15. Erquy (22), le Camp de César ; 16. Gennes-le-Gandelin (72), le Camp de Saint-Évroult ; 17. Gétigné (44), Zac de Toutes Joies ; 18. Groix (île de) (56), le Camp de Kervedan ; 19. Guégon (56), le Camp de Lescouët ; 20. Huelgoat (29), le Camp d’Artus ; 21. Inguiniel (56), Kerven Teignouze ; 22. Jublains (53), le Bourg ; 23. La Baule-Escoublac (44), Quesquello ; 24. Landéan (35), oppidum du Poulailler ; 25. Landunvez (29), île d’Yoc’h ; 26. Le Conquet (29), Kermorvan ; 27. Le Fief-Sauvin (49), le Camp de César, la Ségourie ; 28. Le Mans (72), le Vieux Mans ; 29. Le Poiré-sur-Velluire (85), les Chirons ; 30. Le Pouliguen (44), Penchâteau ; 31. Les Alleuds (49), les Pichelots ; 32. L’Île-d’Yeu (85), la Pointe du Châtelet ; 33. Mauves-sur-Loire (44), la Piletière ; 34. Mervent (85), le Bourg ; 35. Moulay (53), oppidum ; 36. Mûrs-Érigné (49), les Humelles ; 37. Oisseau-le-Petit (72), les Noirâs ; 38. Paule (22), le Camp de Saint-Symphorien ; 39. Péaule (56), le Château ; 40. Plaudren (56), Kerfloc’h ; 41. Plouay (56), Coët Néblec’h/chapelle Sainte-Anne ;42. Ploudaniel (29), Castel Penledan ; 43. Plouhinec (56), Mané-Coh Castel ; 44. Ploulec’h (22), le Coz Yaudet ; 45. Pont-L’Abbé (29), Keralio (cimetière) ; 46. Prinquiau (44), bosse de Caudry ; 47. Quiberon (56), les Goulvars ; 48. Quimper (29), Kercaradec ; 49. Quimper (29), Kergolvez ; 50. Saint-Coulomb (35), pointe du Meinga ; 51. Saint-Malo (35), la Cité d’Alet ; 52. Sainte-Suzanne (53), la Motte ; 53. Saint-Pierre-de-Quiberon (56), Beg-an-Aud ; 54. Sauzon (56), pointe du Vieux Château ; 55. Trégueux (22), la Porte Allain, la Ville Pollo ; 56. Vaas (72) ; 57. Vallet (44), la Prestière ; 58. Vieux-Vy-sur-Couesnon (35), oppidum d’Orange ; 59. Vue (44), le Bourg.
E. Le Goff, Inrap.
9En 1939, l’enquête de l’équipe de Mortimer Wheeler reprend partiellement l’étude des sites fortifiés du Nord-Ouest de la France, avec notamment des interventions archéologiques sur le camp d’Artus (30 ha) au Huelgoat (Finistère) ou encore sur l’oppidum du bois du Châtelier au Petit-Celland (Manche, 19 ha), mais les évènements de la Seconde Guerre mondiale sont venus mettre un frein à cette dynamique régionale, qui a cependant débouché sur une première synthèse (Wheeler, Richardson 1957). Concernant les agglomérations non fortifiées identifiées à partir des années 1970-1980, seul le site des Pichelots aux Alleuds (Maine-et-Loire), étudié entre 1973 et 1992, répondait localement à cette définition (Gruet, Passini 1985). Ainsi, face au faible nombre d’occurrences reconnues, le Nord-Ouest de la France semblait se placer en marge du reste de l’Europe, peu marqué par le phénomène d’urbanisation.
- 1 Responsable d’opération : E. Le Goff, Inrap.
- 2 Responsable d’opération : E. Le Goff, Inrap
- 3 Responsable d’opération : Tim Gordon Allen, Oxford Archéologie Grand Ouest, 2009-2010.
10C’est à partir des années 1990 et surtout du début des années 2000 que les données régionales ont radicalement évolué, avec l’étude de sites d’importance concernés par des projets d’aménagement routier (Paule, Quimper, Moulay et Trégueux) et leur étude sur de vastes superficies. Le premier d’entre eux fut le site de Paule (Côtes-d’Armor), abordé dans le cadre de l’archéologie préventive sur environ 0,6 ha et sur lequel des campagnes de fouilles programmées menées jusqu’en 2010 ont permis l’étude d’une résidence aristocratique entre la fin du vie et le ier siècle avant notre ère. Dans sa synthèse, Yves Menez met en évidence le lien entre l’histoire sur le temps long d’une grande famille de la haute aristocratie du second âge du Fer et le développement des sites fortifiés générant en phase tardive d’évolution une agglomération en leur sein (Menez dir. 2021). Entre 2004 et 2005 est intervenue la fouille assez peu commune de l’agglomération de fond de vallée de Kergolvez à l’occasion du contournement routier de Quimper (Finistère)1. Le passage de la route sur le site a généré l’étude, sur un peu moins de 3 hectares, d’un transect de l’agglomération depuis son centre jusqu’à la périphérie et son contact avec le monde rural [ill. 2]. Dans le cadre d’un projet analogue, la reconnaissance en 2004 de l’oppidum de Moulay (Mayenne) comme entité de 135 hectares, alors qu’il était jusque-là connu comme une simple enceinte de 12 hectares, fut un évènement en soi (Valais 2007). Elle permettait de rattacher le Nord-Ouest de la France au phénomène des grands oppida européens. Entre 2009 et 2011, la fouille qui suivit se présentait comme une intervention hors norme2. Menés sur une emprise totale de 10,5 ha et une large bande linéaire d’environ 1 400 mètres de longueur, les travaux offraient l’opportunité de suivre de manière inédite l’évolution des aménagements intra muros, de part en part de l’enceinte extérieure du site (enceinte du Mesnil), sur 9,5 ha. Au même moment se déroulait également la fouille (6 ha) d’une vaste occupation laténienne à Trégueux (Côtes-d’Armor)3 [ill. 3]. Installée au sommet d’un vaste plateau et en bordure d’une voie de long parcours reliant également, à près de 50 kilomètres, le site de Paule, cette occupation se compose d’un espace d’agglomération étudié sur plus de 2 hectares, qui se développe au pied d’un lieu de résidence aristocratique (enceinte quadrangulaire). Autre particularité significative, elle présente un grand bâtiment public à cour centrale dont un exemplaire très proche a été plus tardivement mis en évidence à Bibracte (Barral et al. 2018).
2. Plan des vestiges de l’agglomération de plaine de Kergolvez (phase de la première moitié du ier siècle avant notre ère).
Vestiges abordés dans le cadre de la réalisation du contournement routier nord-ouest de la ville de Quimper.
Le Goff, Inrap.
3. Plan interprété des vestiges de la fouille du site de Trégueux.
On remarquera que les différentes entités du site s’adaptent à la contrainte topographique du sommet de plateau, les variations d’orientation suivant les courbes de niveau.
E. Le Goff, Inrap. D’après Le Goff 2018, fig. 15 ; Allen et al. 2012 ; Menez, Allen 2016.
- 4 Responsable d’opération : Nicolas Pétorin, Inrap, 2006.
11Parallèlement, la prospection aérienne réalisée activement depuis les années 1990 apportait de nombreux renseignements quant à de nouveaux sites, l’analyse des traces de leurs vestiges en comparaison avec les fouilles conduites récemment permettant de mieux caractériser les occupations (Oisseau-le-Petit4, Vaas, Le Fief-Sauvin…) (Leroux, Le Goff 2021) [ill. 4]. À cela s’ajoutent aussi régulièrement des opérations de fouille archéologique sur des sites anciennement connus (oppidum de Vue) ou nouvellement répertoriés (Péaule, Vallet…), dont de nombreuses agglomérations non fortifiées (Jublains, Entrammes, Oisseau-le-Petit, Allonnes, Le Poiré-sur-Velluire…).
4. À Oisseau-le-Petit (Sarthe), les vestiges d’une agglomération laténienne non fortifiée.
Révélés par la prospection aérienne, ils apparaissent sous une occupation antique anciennement reconnue.
G. Leroux, Inrap.
- 5 E. Le Goff, Regard sur la ville de la fin de l’âge du Fer : l’organisation spatiale interne de l’ag (...)
12L’ensemble de ces éléments montrent des formes diversifiées d’agglomérations fortifiées ou non fortifiées dont il n’est pas toujours aisé d’apprécier le statut. L’augmentation du nombre de contextes au cours des dernières années vient abondamment compléter la cartographie régionale, longtemps restée peu fournie. En parallèle, le renouvellement important des données régionales a motivé la réalisation de plusieurs publications de synthèse (Fichtl et al. 2016 ; Le Goff 2018) et synthèses universitaires. Récemment publiée, la thèse de Julie Remy reprend les données anciennes et récentes et aborde l’organisation des territoires laténiens de nos régions occidentales (Remy 2017 ; 2021). La fouille successive des sites de Quimper et de Moulay nous a par ailleurs personnellement conduit à réaliser un travail de thèse sur l’organisation spatiale interne des deux sites et à porter un regard sur l’évolution des formes d’urbanisme rencontrées, les deux entités pouvant être confrontées aux données issues des autres sites européens5.
13Le site de Kergolvez s’apparente à l’une des nombreuses agglomérations artisanales et commerciales qui se développent entre le iiie et le début du iie siècle avant notre ère et présente une forme d’urbanisme archaïque, avec une organisation collective des espaces internes de l’agglomération, principalement régie par les cheminements (voies d’accès principales et cheminements secondaires) qui délimitent des zones assez resserrées où se développent les aménagements (bâtiments, fosses). Si l’impression générale peut sembler quelque peu anarchique du fait de la longévité de l’occupation et de la forte pression anthropique exercée et liée aux activités économiques (densité d’excavations), il n’en résulte pas moins une volonté de rationalisation et d’optimisation des espaces internes à l’échelle globale du site, privilégiant la préférence d’orientations dominantes à caractère orthogonal, sans pour autant que se développe une véritable trame régulière.
14Moulay répond pour sa part au modèle classique de l’oppidum d’Europe tempérée, montrant un développement urbanistique sur une vaste superficie, réalisé d’un seul tenant et sur un temps court. Celui-ci intervient entre les années 120 à 90 et le milieu du ier siècle avant notre ère. Il correspond à un projet conceptuel global et à un véritable programme d’aménagement mis en place par une autorité politique et administrative suffisamment puissante pour mobiliser les énergies tant humaines que financières nécessaires à sa réalisation. Avec sa parure urbaine, intégrée au plan général de la ville, l’oppidum de Moulay affiche des préoccupations défensives et ostentatoires, à la hauteur de son statut de capitale de cité des Aulerques Diablintes. Il intègre également dans son développement des préoccupations sociales et économiques, et d’autres probablement aussi d’ordre métaphysique et religieux. L’intérieur de l’enceinte extérieure du Mesnil est structuré en quartiers aux fonctions bien définies (artisanale ou résidentielle) [ill. 5]. L’espace occupé est distribué par une série de voies majeures et secondaires se développant selon des parallèles et des perpendiculaires. L’ensemble des aménagements répond au respect d’orientations dominantes à caractère orthogonal sur l’ensemble des 1 250 mètres de la zone intra muros observée. La trame qui s’en dégage s’adapte cependant régulièrement aux contraintes du modelé topographique du plateau sur lequel se développe l’occupation. Les différentes entités spatiales sont délimitées par des petits fossés formant des enclos et des îlots mettant en évidence, notamment au sein des quartiers résidentiels, la notion d’espaces privés (lotissements).
5a. Orientations dominantes révélées par les aménagements de l’oppidum de Moulay (limites spatiales, bâtiments et structures).
Seule la partie méridionale montre des divergences plus importantes, qui résultent de l’adaptation de l’organisation rationnelle des aménagements urbains aux fortes contraintes topographiques.
E. Le Goff, Inrap.
5b. Vue aérienne du site.
G. Leroux, Inrap.
15Si le développement urbain de Moulay ne correspond en définitive qu’à une période d’assez courte durée, comprise entre cinquante et quatre-vingts ans, la préexistence vraisemblable d’un sanctuaire au centre de l’enceinte extérieure (dès la fin du ive ou le début du iiie s. av. n. è.)et celle d’une occupation plus ancienne au niveau de la petite enceinte du bourg (12 ha) tendent à souligner que le développement du site sous la forme d’un oppidum s’inscrit probablement dans l’histoire et l’évolution d’une occupation plus longue, encore mal définie (habitat fortifié de La Tène ancienne ?) [ill. 6 ; ill. 7]. La position centrale du sanctuaire primitif dans ce qui deviendra deux siècles plus tard la ville fortifiée, bien que celui-ci ne soit pas conservé dans le développement urbain tardif, amène notamment à s’interroger sur la réalité d’une dimension symbolique et religieuse pour la fondation de l’oppidum, qui pourrait ainsi reprendre les limites d’un espace consacré antérieur. C’est autour de cet enclos central que semble par ailleurs potentiellement émerger un premier embryon d’agglomération dès la première moitié du iie siècle avant notre ère. Avec cette configuration considérant un ancien temple en position centrale, l’oppidum de Moulay rencontre une correspondance unique avec le site de Manching où, de même, l’emplacement central du sanctuaire primitif (temple A) ne semble pas anodin et paraît être déterminant dans le développement du futur oppidum [ill. 8]. L’idée d’une dimension symbolique et métaphysique de l’espace de la ville celtique fortifiée (peut-être seulement réservée à certaines d’entre elles, notamment celles pouvant jouer le rôle de capitale et de centre principal du pouvoir politique ?) est difficile à mettre en évidence en dehors d’une approche extensive et globale de l’espace urbain. Elle trouve cependant un écho dans les sociétés méditerranéennes contemporaines (grecque, étrusque, latine, romaine), où des préoccupations analogues existent traditionnellement pour la création de certains espaces urbains, l’exemple du récit légendaire de la fondation de Rome correspondant au témoignage le plus célèbre.
6. Vestiges antérieurs au développement de l’oppidum de Moulay.
Habitat vraisemblable du ve-ive s. av. n. è. (fortifié ?) installé à l’extrémité du promontoire, et enclos carré interprété comme un sanctuaire primitif aménagé au centre de la future enceinte du Mesnil (début du iiie à fin du iie ou début du ier s. av. n. è.), autour duquel se développent également des limites connexes.
E. Le Goff, Inrap.
7. Pièces d’armement en fer montrant des déformations rituelles, découvertes dans le fossé d’enclos antérieur à l’oppidum de Moulay et interprété comme un sanctuaire primitif.
a. Umbo. b. Fer de lance. c. Bouterolle. d. Fourreau d’épée. e. Épée.
E. Le Goff, Inrap.
8. Manching et son sanctuaire primitif (temple A) installé au centre du futur oppidum.
Un autre exemple de vraisemblables préoccupations métaphysiques dans la fondation et le développement de certains espaces urbains fortifiés laténiens.
E. Le Goff, Inrap. D’après Brestel 2017, fig. 2.
- 6 Responsable d’opération : Olivier Nillesse, Inrap, 2018-2019.
- 7 Responsable d’opération : E. Le Goff, Inrap, 2019-2020.
16La constitution progressive d’un corpus de sites étudiés sur de vastes superficies fait maintenant de nos régions occidentales un contexte assez bien documenté et plutôt unique dans la recherche européenne. Depuis les années 2000, c’est ainsi plus d’une douzaine de nouvelles occupations qui ont été révélées dans ces régions, avec notamment un rythme de découvertes réalisées depuis 2018 d’une à deux nouvelles agglomérations non fortifiées par an. Avec un degré d’étude variable, chacun des sites apporte des informations complémentaires en même temps qu’il complexifie l’approche des types d’occupation. La récente fouille du site des Chirons au Poiré-sur-Velluire (Vendée)6 montre ainsi un exemple original d’agglomération artisanale et commerciale avec de grands bâtiments alignés. Celle du site d’Allonnes (Maine-et-Loire)7 présente quant à elle une autre agglomération en relation directe avec un sanctuaire.
17Fort des diverses expériences et des nombreuses données nouvelles, il est possible de formuler différents constats. Il apparaît très clairement que nos régions occidentales s’inscrivent parfaitement dans la mouvance du processus de développement du phénomène d’urbanisation tel qu’il se manifeste à l’échelle de l’Europe celtique, avec une phase précoce d’agglomérations non fortifiées et le développement plus tardif des oppida ou autres agglomérations émergeant au sein d’un espace fortifié. Le lien entre ces sites majeurs de la période laténienne et l’existence d’un important réseau routier reliant les différentes entités est un autre acquis indéniable (Leroux, Le Goff 2018). Ces éléments témoignent du fait que leur développement s’inscrit explicitement dans une mise en valeur et une structuration complexe des territoires politiques et économiques. La dynamique de découverte rencontrée pour les agglomérations non fortifiées artisanales et commerciales illustre notamment la densité de leur maillage au sein des territoires et témoigne d’un paramètre démographique souvent largement sous-estimé pour la fin de la période du second âge du Fer.
18Comme il a été évoqué plus haut, la difficulté à identifier les occupations à partir de zones d’étude plus ou moins grandes est également un problème non négligeable, tant pour la phase de diagnostic que pour celle la fouille. Ainsi, pour les opérations archéologiques menées sur les sites de l’oppidum de Moulay ou les agglomérations non fortifiées de Kergolvez à Quimper, d’Allonnes et des Chirons au Poiré-sur-Velluire, malgré une exploration estimée de la surface à hauteur de 5 à 10 %, soit le diagnostic n’a pas permis de caractériser le site en tant que tel, soit il a considérablement sous-estimé la nature et la densité des vestiges sur l’emprise étudiée. Dans le cas de Moulay, des secteurs entiers de l’espace intra muros, représentant plusieurs hectares, apparaissaient vides de vestiges, ce qui amenait les instances scientifiques de l’époque à s’interroger sur la nécessité ou de non de décaper tout l’espace de l’oppidum concerné par les travaux d’aménagement. En fait, seul le quartier artisanal central, caractérisé par une densité plus importante d’aménagements et de rejets, avait été mis en évidence. Le décapage réalisé par la suite sur l’ensemble de la zone révélait, pour les zones supposées non investies, l’existence de vastes quartiers résidentiels, caractérisés par un tissu de vestiges plus lâche mais comportant de nombreux bâtiments sur poteaux et des îlots domestiques. Concernant les phases de fouille, la reconnaissance des agglomérations n’est pas toujours facile à mettre en évidence, la dimension des fenêtres d’étude dépendant bien évidement des projets d’aménagement. Par ailleurs, les agglomérations ne présentent pas forcément les mêmes vestiges suivant le secteur où l’on se situe. Ainsi, l’identification d’une agglomération par ses zones périphériques est beaucoup plus ardue que si on l’aborde par ses zones centrales, où les marqueurs de l’urbain sont plus facilement décelables. La convergence d’un certain nombre de paramètres le permet parfois cependant (répartition des vestiges sur des zones étendues à partir d’environ 1 ha, présence de puits ou de fosses caractéristiques des contextes urbains, présence de certains mobiliers particuliers, traces d’activités artisanales…). De fait, une approche de ces occupations par de simples tranchées de diagnostic n’est pas suffisante pour les caractériser.
19Les données régionales, à partir de sites fouillés sur de grandes surfaces, montrent par ailleurs que le développement des sites majeurs fortifiés de La Tène semble potentiellement s’inscrire dans le temps long, à l’image du site de Paule, et où l’oppidum, tel l’exemple de Moulay, ne pourrait correspondre qu’à la manifestation tardive d’une occupation plus ancienne, peut-être déjà espace de résidence du pouvoir politique.
20Si des dimensions symbolique et métaphysique semblent avoir joué une importance dans la définition des limites de l’oppidum de Moulay, le religieux ne semble pas moins exclu des contextes d’agglomérations artisanales et commerciales non fortifiées, mais peut-être sous un autre aspect. Deux exemples régionaux présentent une association entre une agglomération et un sanctuaire (Jublains et Allonnes). Dans les deux cas, le contexte religieux semble correspondre à l’élément le plus ancien de l’occupation, et l’agglomération paraît se développer à chaque fois à ses pieds, le sanctuaire restant positionné à la périphérie. Le site d’Allonnes est à ce titre très intéressant et livre des informations assez inédites sur le lien entre la ville et le sanctuaire. Menée sur environ 1,5 ha, la fouille a en effet mis en évidence les quartiers de l’agglomération qui s’organisent immédiatement à la bordure de l’édifice cultuel [ill. 9 ; ill. 10 ; ill. 11]. Bien qu’il corresponde à un monument à part entière, évoluant vraisemblablement sur de sept à huit siècles et caractérisé par un espace fermé bien délimité et distinct des aménagements de la ville, de nombreux dépôts votifs ont été découverts à l’extérieur de celui-ci et intégrés dans l’espace urbain étudié (bucrane, fers de lance, épées, fourreaux d’épées…) [ill. 12]. Ils se concentrent dans une zone dépressionnaire voisine où circule une nappe perchée et qui a été dans un premier temps abondamment exploitée pour l’extraction d’argile avant d’accueillir une place publique aménagée de près de 1 000 m². On les retrouve également dans quelques structures profondes de cette partie de l’agglomération, qui témoignent d’une véritable interaction entre les manifestations religieuses et cette partie de la ville, les manifestations rythmant régulièrement la vie de l’agglomération, vraisemblablement tout au long de son histoire.
9. Plan synthétique du sanctuaire de l’agglomération laténienne d’Allonnes (Maine-et-Loire) et des aménagements urbains du quartier périphérique.
E. Le Goff, Inrap.
10. Quelques monnaies provenant principalement du sanctuaire de l’agglomération d’Allonnes.
E. Le Goff, Inrap.
11. Exemple de petit mobilier gaulois et gallo-romain provenant principalement du sanctuaire de l’agglomération d’Allonnes.
E. Collado, Inrap.
12. Dépôts d’objets métalliques sur le sol d’un espace d’offrande situé à l’extérieur du sanctuaire de l’agglomération laténienne d’Allonnes.
E. Le Goff, Inrap.
21Si la caractérisation des agglomérations celtiques n’est pas toujours aisée, la définition de leur statut ne l’est plus, de même que leurs éventuelles singularités. Il est ainsi évident que seule une approche extensive des occupations rend véritablement possible d’aborder ces questions. Mais c’est surtout la mise en perspective des sites au sein de leur territoire qui peut réellement le permettre, sans se limiter à une simple question de détermination typologique des sites. Indépendamment de leur statut, les occupations peuvent aussi développer des spécificités propres et des activités distinctes des agglomérations voisines. Ainsi, l’idée d’une approche comparée des occupations et surtout celle d’une analyse systémique paraissent indispensables pour tenter de mesurer leur statut individuel et, à une plus large échelle, comprendre le processus d’urbanisation qui s’opère.
22L’aboutissement de cette réflexion se traduit régionalement en fin d’année 2021 par la naissance du projet collectif de recherche « Agglomérations laténiennes du Nord-Ouest de la France » (AGGLO), codirigé avec Julie Remy (CNRS). Celui-ci vise à contextualiser les sites d’agglomération fortifiée et non fortifiée des régions administratives Bretagne et Pays de la Loire, à comprendre leur réseau de distribution et, dans l’absolu, à essayer de retrouver ces nombreuses villes disparues et oubliées qui peuplaient jadis nos territoires.