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1 - Dynamique de la recherche

Le patrimoine archéologique amérindien des Petites Antilles en bord de mer. Enjeux et urgences

The Amerindian archaeological heritage of the Lesser Antilles’ seashore. Issues and emergencies
El patrimonio arqueológico amerindio de las Antillas Menores a orillas del mar. Desafíos y urgencias
Dominique Bonnissent, Nathalie Serrand et Christian Stouvenot
p. 37-41

Résumés

Le boom des gisements de la période mésoindienne, découverts essentiellement le long des rivages, fut amorcé lors des premières fouilles extensives dans les années 2000. La mise en œuvre de décapages en aire ouverte sur de grandes surfaces permettait de disposer d’une vision spatiale des sites et d’accéder à la compréhension des activités. La réflexion sur des sujets connexes a contribué à une intégration des données paléoenvironnementales, notamment sur les modifications du climat et l’exploitation des ressources de faune. Les données acquises et consolidées ont conduit à faire reculer de près de mille ans la date initiale du peuplement du nord des Petites Antilles (dès 3400 av. notre ère à Saint-Martin). La période néoindiennne (seconde vague migratoire à partir de 400 av. notre ère), attractive par sa production de céramique, était mieux connue. Mais bien des aspects restent à étudier, dont les pratiques anthropophages. Tous ces sites sont déjà en danger ; la remontée générale du niveau marin engagée depuis de début de l’Holocène, l’augmentation de la fréquence d’événements cycloniques majeurs, la destruction des barrières coralliennes et le développement d’installations touristiques, aggravent l’érosion littorale et menacent le patrimoine archéologique côtier des Petites Antilles.

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Texte intégral

  • 1 Voir le mémoire d’habilitation à diriger des recherches (HDR) de D. Bonnissent : « Le déploiement d (...)
  • 2 NED. Néologisme employé par D. Bonnissent dans son mémoire de HDR.

1Les vingt premières années d’archéologie préventive dans les Petites Antilles françaises marquent une avancée considérable de la recherche en matière d’étude des sociétés amérindiennes. Le contexte initial est celui d’une archéologie de tradition littéraire, issue de l’archéologie processuelle ou New Archaeology, plus orientée sur la modélisation de schémas sociétaux et de peuplement que sur l’analyse détaillée des contextes de fouille. Dans le cadre de cette archéologie caribéenne en plein essor, le déploiement des méthodologies de l’archéologie préventive adaptées aux particularités des Petites Antilles a contribué à un certain renouvellement des connaissances, en améliorant considérablement notre vision des sociétés amérindiennes1. D’une part, la mise en œuvre de décapages en aire ouverte sur de grandes surfaces permettait enfin de disposer d’une vision spatiale des sites et d’accéder à la compréhension des activités qui s’y étaient déroulées par la lecture de l’agencement des vestiges, dévoilant alors tout un pan de pratiques anthropiques (Bonnissent 2008 ; Bonnissent dir. 2013). D’autre part, outre la composante ornée des productions matérielles, l’étude de l’ensemble des vestiges et des chaînes opératoires liées à la fabrication d’outils et d’objets, aux stratégies de subsistance, à l’habitat et aux rites funéraires a contribué à affiner notre compréhension des modes de vie. Le renouvellement des connaissances s’est donc accompagné d’un renouvellement de l’approche méthodologique permettant d’accéder à ce que l’on pourrait appeler « l’entièreté culturelle »2. Cette meilleure appréhension des évolutions sociétales s’est également enrichie des données de l’archéologie programmée, que ce soit en matière de chronologie, de spatialisation des vestiges, de reconnaissance de la culture matérielle et des stratégies de subsistance. Le travail interdisciplinaire favorisant l’accroissement des connaissances par la réflexion sur des sujets connexes a contribué à une intégration des données paléoenvironnementales, notamment sur les modifications du climat (Bertran et al. 2004 ; Malaizé et al. 2011) et l’exploitation des ressources de faune (Serrand, Bonnissent 2005 ; 2018 ; Grouard et al. 2019).

2Bien que des occupations amérindiennes soient reconnues dans l’intérieur des terres (Stouvenot et al. 2014 ; Grouard et al. 2014), les données de la carte archéologique nationale montrent que les peuples amérindiens ont, en toute logique, fréquenté surtout le littoral des îles des Petites Antilles, du fait de leur tradition maritime liée à l’utilisation d’embarcations. Une nécessaire proximité des côtes s’imposait également par des stratégies de subsistance orientées en grande partie vers le domaine maritime, siège des principales richesses de subsistance dans le contexte tropical insulaire. Ainsi, c’est sur la frange littorale aussi bien convoitée par le passé que de nos jours, que l’archéologie a produit la plus grande partie des connaissances sur les sociétés amérindiennes.

Affinement des chronologies et des pratiques culturelles

  • 3 Fouilles, responsables d’opération : D. Bonnissent, Inrap 2002 et T. Romon, Inrap, 2004.
  • 4 NED. Les dizaines d’opérations sur l’arc antillais ne pouvant être toutes citées, se référer aux ra (...)

3Avec le recul de deux décennies, quelques faits marquants émergent du paysage archéologique régional et les avancées sont considérables. Le boom des gisements de la période mésoindienne, découverts essentiellement le long des rivages, fut amorcé lors des premières fouilles extensives dans les années 2000, où les acquis furent décisifs en matière de reconnaissance des sites et de méthodologies d’investigation (Bonnissent dir. 2013), conduisant à une meilleure vision de ces sociétés (Bonnissent et al. 2016). Ces résultats initiaux ont permis l’identification et la compréhension du fonctionnement d’aires de campements de collecteurs de coquillages, pêcheurs-chasseurs, exploitant également pour leur subsistance des plantes dispersées sur les territoires alors fréquentés, comme sur le site d’Étang rouge à Saint-Martin3. Les chronologies mésoindiennes de Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Marie-Galante et de la Martinique se sont construites et étoffées à divers degrés selon les îles au cours de ces vingt dernières années4. Si ces peuples avaient dès 6400 avant notre ère colonisé les îles proches du continent sud-américain, les recherches ont permis de révéler leur présence dès 3400 avant notre ère à Saint-Martin, en domaine pleinement archipélagique. Ces données acquises et consolidées durant les vingt dernières années ont conduit à faire reculer de près de mille ans la date initiale du peuplement du nord des Petites Antilles (Bonnissent 2008). En dépit de l’apparente pauvreté des productions mésoindiennes, caractérisées par une relative rareté des outils façonnés et par l’absence d’éléments décorés, l’ensemble des études a démontré l’existence de schémas opératoires prédéterminés et récurrents (Fouéré, Chancerel 2013). Ceux-ci révèlent l’univers complexe d’une mobilité maritime intra- et inter-îles organisée selon des circuits itinérants. L’importance qualitative et quantitative des collections, auparavant totalement mésestimées, constitue aujourd’hui le socle de la compréhension des pratiques mésoindiennes.

4Les acquis sont considérables mais de nombreuses questions restent en suspens, comme l’origine géographique encore incertaine des communautés mésoindiennes, leurs liens avec les peuples continentaux du pourtour de la Caraïbe étant encore difficile à délier. Les sites du littoral, qu’ils soient sur les plages ou en grotte, constituent de potentielles clefs à la compréhension des schémas migratoires et à leur temporalité, notamment ceux à forts enjeux culturels comme les sites funéraires pour lesquels les études paléogénomiques participeront certainement dans un futur proche à une meilleure approche du peuplement de cette région.

  • 5 Céramique, industries lithiques et sur matières dures animales.

5La période néoindiennne, objet d’une seconde vague migratoire à partir de 400 avant notre ère dans les Petites Antilles, fut historiquement mieux documentée, du fait d’une certaine attraction pour des sites marqués par une grande profusion de mobilier savamment façonné, notamment des céramiques aux formes et décors complexes et des productions de parures sur coquille et sur pierre. Différentes problématiques de recherche imbriquées les unes dans les autres sont apparues très tôt : la géométrie des dépôts, le manque de référentiel des productions matérielles et la difficulté de gestion et d’étude de collections d’un volume peu compatible avec les modalités de l’archéologie préventive. Il s’avérait alors nécessaire d’affiner la chronologie et les méthodes de fouille permettant d’accéder à l’organisation spatiale des villages et au mode de formation des dépotoirs (Bonnissent 2008). Le premier enjeu fut d’extraire des séquences stratigraphiques et des données chronologiques cohérentes et fiables de ces constructions complexes relativement aléatoires produites par rejets quotidiens polyphasés parfois pluricentenaires. La mise en œuvre de référentiels a ensuite permis la comparaison entre les productions matérielles5 de différentes îles.

Enjeux actuels de la recherche

6Les travaux sur la spatialisation des villages néoindiens en sont pour ainsi dire à leur début, car si l’on prend en considération les modélisations effectuées dans les Grandes Antilles sur leur organisation spatiale, de nombreuses problématiques émergent. Les études sur les Grandes Antilles proposent en effet une organisation des villages amérindiens selon une structuration spatiale concentrique partitionnée en différentes aires reproduisant des concepts cosmogoniques en formant des cercles symboliques emboîtés, traduisant une gradation de l’espace depuis le sacré au centre, vers le profane à la périphérie (Siegel 2010). Le cœur sacré est la place du village, où sont inhumés les défunts, lequel est entouré de l’espace domestique constitué de maisons et de dépotoirs, cernés par la forêt [ill. 1]. C’est dans l’espace central que se tiennent les cérémonies funéraires, spirituelles et politiques. Outre la difficulté que représente l’étude archéologique des aires d’habitat, du fait de la superposition parfois séculaire d’occupations aux mêmes emplacements compliquant la lecture spatiale des vestiges, cette thématique de recherche nécessiterait d’être largement approfondie dans les Petites Antilles. La question du funéraire reste également difficile à appréhender, car très peu de villages ont fait l’objet de fouilles extensives intégrant à la fois l’aire d’habitat et d’inhumation et les zones dépotoirs ; un sujet complexe au regard de l’évolution spatiale des villages d’occupation pluriséculaire, et notamment de l’hypothèse d’inhumations effectuées dans des unités d’habitat. Les pratiques funéraires peinent encore à être démêlées, bien qu’il s’agisse dans une large majorité d’inhumations individuelles. Les témoignages archéologiques de réouvertures des fosses sépulcrales, de prélèvements d’ossements, d’inhumations en espace colmaté ou en espace vide, la variété des positions assises ou fœtales et parfois en extension, le tout étant associé à des pratiques classiques en milieu sépulcral, complexifie l’étude des rituels funéraires d’un point de vue diachronique. D’autre part, la présence presque systématique d’ossements isolés et parfois brûlés, notamment dans les dépotoirs, soulève de multiples questions (Bonnissent 2008). Si ces ossements isolés pourraient résulter d’anciennes sépultures détruites, on ne peut exclure l’existence de pratiques spécifiques. En effet, les rites anthropophages traditionnels décrits en Amérique centrale et du Sud sont également relatés pour les Petites Antilles à la période du contact, en particulier le boucanage des corps avant leur consommation (Un flibustier français…). Des traces de décarnisation sont ainsi mentionnées à Marie-Galante (Courtaud 2004) et à Porto Rico (Budinoff 1991). La question de pratiques anthropophages, alimentaires ou symboliques, reste à étudier dans cette région. La mise en œuvre d’études paléogénomiques et paléomicrobiologiques sera également pour cette période d’un apport considérable en matière de relation de parenté, d’état sanitaire et de peuplement. Sur un plan plus large à l’échelle de l’évolution des sociétés, la période néoindienne offre un vaste panel de problématiques chronologiques et culturelles très diverses, liées entre autres aux modalités de peuplement et aux effets des modifications climatiques (Bonnissent 2008 ; 2011). Ces vingt dernières années ont en effet contribué à mieux définir et préciser ces problématiques grâce aux contributions multiples des archéologues de la Caraïbe, dont celles de l’archéologie préventive française qui a fourni une quantité inégalée de données.

1. Plan du village mamoran-troumassoïde de style Mill Reef de la pointe du Canonnier, Saint-Martin.

1. Plan du village mamoran-troumassoïde de style Mill Reef de la pointe du Canonnier, Saint-Martin.

D. Bonnissent, Inrap.

État d’urgence dû à l’érosion des côtes

7Les façades littorales des îles et des îlets des Petites Antilles sont les lieux où se concentre la plus grande partie des formes de l’habitat amérindien tout en étant aujourd’hui des zones densément peuplées, largement investies et convoitées pour divers types d’aménagement. La frange littorale des îles est donc le territoire à ce jour le plus documenté en matière de recherche archéologique. Le volume important de données archéologiques n’a cessé de s’accroître au cours de ces vingt dernières années dans les territoires français, générant l’émergence de problématiques spécifiques autour des espaces littoraux, que ce soit ceux des îles densément peuplées ou des îlets aujourd’hui inhabités mais autrefois inclus dans les territoires de prédation amérindiens. Ces espaces par lesquels les territoires insulaires ont été colonisés depuis la mer sont aussi des lieux de circulation et d’interaction avec l’intérieur des terres, car pourvoyeurs de ressources spécifiques animales, végétales et minérales dont les populations amérindiennes ont fait un usage constant à travers le temps. Les rivages concentrent les différentes formes d’habitat et les sites satellites spécialisés.

  • 6 Les vestiges de la période coloniale sont également soumis à l’érosion du littoral, notamment les c (...)

8Cependant, les zones littorales sont aussi le siège d’instabilités écologiques et de risques naturels, paramètres qui ont vraisemblablement conditionné à travers le temps la gestion de certaines ressources. La remontée générale du niveau marin engagée depuis de début de l’Holocène, cumulée à l’augmentation de la fréquence d’évènements cycloniques majeurs, à la destruction des barrières coralliennes et au développement d’installations touristiques, sont autant de facteurs qui aggravent l’érosion littorale et menacent d’une façon générale le patrimoine archéologique côtier des Petites Antilles6. L’impact de cette érosion polymorphe est d’autant plus important en contexte insulaire que le littoral a de tout temps concentré les occupations humaines, comme en témoignent les cinq millénaires de la chronologie amérindienne enregistrés pour cette région entre 3400 avant notre ère et 1600 de notre ère. L’urgence à documenter ce patrimoine est grande, car la frange d’occupation côtière, très limitée en superficie, est déjà largement entamée par l’érosion depuis les temps préhistoriques. Les enjeux sont donc majeurs, notamment pour la période mésoindienne dont les apports scientifiques issus de l’archéologie préventive sont fondamentaux.

9La réflexion portée sur l’érosion du littoral a également permis de reconsidérer de manière plus urgente la part des données de l’occupation du territoire devenue aujourd’hui inaccessible, car immergée du fait de la remontée générale du niveau marin. Bien que les espaces littoraux actuels aient été amplement modifiés par leur submersion depuis les premières occupations humaines dans les Antilles, il est frappant de constater que la recherche a finalement très peu exploré la cartographie des lieux autrefois accessibles à pied sec. Si la réalité de la transgression marine holocène est énoncée, la caractérisation de la morphologie des paysages littoraux connus par les populations amérindiennes reste anecdotique dans la Caraïbe (Rivera-Collazo 2019). La répartition des masses terrestres désormais immergées autour des îles reste en l’état méconnue, et les vestiges archéologiques qu’elles pourraient contenir sont quasiment inconnus.

  • 7 Fouille, responsable d’opération : N. Serrand, Inrap, 2012.

10Les indices de l’érosion à court et long terme sont légion. Dans certains cas, des érosions anciennes sont observées lors de la fouille de gisements côtiers mésoindiens et néoindiens, signes de remaniements lors de leur occupation par des phénomènes comme la houle et les marées de tempête, notamment cyclonique. Sur le site côtier du stade José-Bade à Marie-Galante7, les études géomorphologiques et stratigraphiques ont démontré qu’une partie des niveaux amérindiens a subi des altérations liées à des phénomènes de haute énergie marine (Serrand et al. 2016). En Guadeloupe, d’anciennes sépultures sont maintenant piégées en mer le long des côtes dans des concrétions carbonatées, indices potentiels d’un recul du trait de côte relativement récent. Dans d’autres cas, l’évolution géomorphologique du littoral montre l’adaptation des humains aux modifications du littoral. L’enjeu actuel est donc de comprendre les modalités de l’occupation du territoire sur les littoraux anciens parfois submergés ; certains sites suscitent des problématiques neuves et complexes. Les premières prospections sous-marines autour de l’îlet Macou, dans le Grand-Cul-de-Sac marin en Guadeloupe, par exemple, ont révélé l’abondance de mobilier lithique - meules, polissoirs, haches - dispersé sur les fonds marins entre trois et quatre mètres de profondeur (Stouvenot, Bérard 2019). Il pourrait s’agir soit de pertes en mer depuis les embarcations, soit de traces d’occupations submergées, si l’on se réfère aux profondeurs des vestiges et aux courbes de remontée du niveau marin. La large emprise du gisement sur plusieurs dizaines d’hectares impliquerait la présence dans cette zone d’implantations terrestres datant du IIIe ou du IVe millénaire avant notre ère. Ce gisement pourrait donc représenter un remarquable exemple du biais de la représentativité des sites littoraux dans les Petites Antilles.

Des limites de la prescription aux solutions alternatives

11Devant le péril actuel de destruction des gisements côtiers, la mer rongeant les sites connus dans la zone d’estran tout en y faisant apparaître régulièrement de nouvelles occupations auparavant protégées par leur retrait, se pose la question de la sauvegarde du patrimoine littoral et des modalités d’intervention. Le dispositif du Code du patrimoine qui conditionne le financement de l’archéologie préventive par les aménageurs ne permet pas de prendre en charge la destruction des sites générée par les phénomènes environnementaux. En l’attente d’une économie de l’archéologie préventive prenant en compte la sauvegarde du patrimoine menacé par des causes environnementales, et pas uniquement par l’aménagement du territoire, des solutions alternatives doivent être pensées et mises en œuvre. La nécessité d’intervenir sur le patrimoine côtier en péril a conduit à appliquer la procédure de « fouille exécutée par l’État » prévue dans le Code du patrimoine au contexte des destructions environnementales. Les objectifs scientifiques ne consistent pas alors à documenter l’essentiel d’une emprise déterminée, comme c’est le cas pour les projets d’aménagement en contexte préventif, mais bien de cibler sur le littoral les segments de côte les plus à même de produire les informations primordiales sur les sites pour la recherche scientifique. Ces solutions ont été mises en œuvre après le passage destructeur des cyclones Irma et Maria, en 2017, sur les côtes des îles de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et d’une partie de l’archipel guadeloupéen. Le montage de ces opérations spécifiques dénommées « post-Irma », élaboré grâce au soutien financier de la sous-direction de l’archéologie, a démontré tout l’intérêt de cette démarche pour la recherche sur le potentiel des littoraux (Stouvenot et al. à paraître ; Serrand et al. à paraître). Les modalités d’intervention furent relativement courtes et limitées en superficie, sous la forme de sondages manuels, en raison des difficultés d’accès aux zones côtières avec les moyens traditionnels mécaniques [ill. 2]. Néanmoins, ces opérations ont permis d’établir l’état de conservation de chaque site, d’évaluer la structuration chronospatiale et le potentiel afin, à terme, de prioriser des interventions complémentaires en fonction de problématiques spécifiques. La démarche générale et les stratégies de terrain ont été d’autant mieux pensées et mises en œuvre que les acquis des vingt dernières années ont généré une meilleure connaissance des problématiques de la période amérindienne.

2. Site mésoindien du lot 73 à Saint-Martin en cours de fouille.

2. Site mésoindien du lot 73 à Saint-Martin en cours de fouille.

D. Bonnissent, Inrap.

12À ce stade de la réflexion, si les sites menacés peuvent faire l’objet d’un classement par priorité en fonction de l’urgence à intervenir, les solutions de gestion peinent encore à émerger, notamment un mode de financement pérenne. En effet, les modalités d’intervention – en archéologie de sauvetage et non en contexte préventif –, sont à l’heure actuelle une question à part entière avec, en l’état, un traitement ponctuel limité au cas par cas. Or, à ce stade du développement de la recherche et des connaissances, les enjeux sont majeurs pour l’archéologie de la Caraïbe insulaire, encore en pleine construction, où chaque site fouillé ouvre sur de nouvelles questions scientifiques alors que l’érosion s’accroît rapidement. Le déploiement du projet collaboratif « Archéologie du littoral outre-atlantique » (ALOA) en Guadeloupe contribuera dans le futur, par une action participative, à une meilleure surveillance des côtes et au repérage des sites en cours d’érosion (Motte et al. 2022). Les perspectives à long terme résident dans une priorisation des sites à l’échelle du territoire, en fonction de l’urgence et de l’évaluation annuelle des moyens nécessaires en matière de sauvegarde du patrimoine côtier, qu’il soit amérindien ou colonial. Le grand défi des prochaines années portera donc sur une incontournable évolution de l’actuel dispositif législatif, réglementaire et financier au phénomène naturel et inéluctable que représente l’érosion du littoral, du fait de la remontée générale du niveau marin aggravée par l’accélération du réchauffement climatique.

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Bibliographie

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Notes

1 Voir le mémoire d’habilitation à diriger des recherches (HDR) de D. Bonnissent : « Le déploiement de méthodologies adaptées au contexte archéologique des Petites Antilles », université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2021.

2 NED. Néologisme employé par D. Bonnissent dans son mémoire de HDR.

3 Fouilles, responsables d’opération : D. Bonnissent, Inrap 2002 et T. Romon, Inrap, 2004.

4 NED. Les dizaines d’opérations sur l’arc antillais ne pouvant être toutes citées, se référer aux rapports produits par les responsables d’opération, outre les auteurs : Fabrice Casagrande, Mickaël Mestre, Thomas Romon, Martijn Van den Bel (Inrap).

5 Céramique, industries lithiques et sur matières dures animales.

6 Les vestiges de la période coloniale sont également soumis à l’érosion du littoral, notamment les cimetières d’esclaves implantés sur les plages délaissées par l’habitat colonial. Voir article p. 219 dans ce numéro.

7 Fouille, responsable d’opération : N. Serrand, Inrap, 2012.

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Table des illustrations

Titre 1. Plan du village mamoran-troumassoïde de style Mill Reef de la pointe du Canonnier, Saint-Martin.
Crédits D. Bonnissent, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11371/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 242k
Titre 2. Site mésoindien du lot 73 à Saint-Martin en cours de fouille.
Crédits D. Bonnissent, Inrap.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/docannexe/image/11371/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 784k
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Pour citer cet article

Référence papier

Dominique Bonnissent, Nathalie Serrand et Christian Stouvenot, « Le patrimoine archéologique amérindien des Petites Antilles en bord de mer. Enjeux et urgences »Archéopages, Hors-série 6 | -1, 37-41.

Référence électronique

Dominique Bonnissent, Nathalie Serrand et Christian Stouvenot, « Le patrimoine archéologique amérindien des Petites Antilles en bord de mer. Enjeux et urgences »Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 01 août 2023, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/11371 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.11371

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Auteurs

Dominique Bonnissent

Drac Bourgogne - Franche-Comté, SRA, UMR 8096 « ArchAm »

Nathalie Serrand

Inrap, UMR 7209 « AASPE »

Christian Stouvenot

Dac Guadeloupe, service de l’archéologie, UMR 8096 « ArchAm »

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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