- 1 Roches dont les cristaux sont visibles en surface.
1La connaissance du Paléolithique en Aquitaine est très disparate. Au nord de la Garonne, du Périgord à l’Agenais, les sites sont nombreux, en plein air comme en milieu karstique. Ils sont bien conservés, dans des cadres chronostratigraphiques très documentés, et ce depuis près de deux siècles. Les densités de vestiges sont souvent telles que la fouille manuelle est la règle. Au sud du fleuve et dans le bassin de l’Adour, la situation est bien différente. La plupart des gisements connus sont des collections de surface, de fait toujours tronquées. L’intérêt porté aux silex au détriment des « autres que silex », c’est-à-dire des roches grenues1 comme les quartzites ou le quartz – qui représentent pourtant l’essentiel des séries de la zone –, crée des cartes de densité de sites artificielles et faussées. Heureusement, par rapport au bassin de la Garonne, celui de l’Adour offre beaucoup plus de potentiel, avec des séquences pédosédimentaires développées et complexes, au moins depuis son coude vers l’ouest près de Riscles (Gers) [ill. 1].
1. Carte des différents sites paléolithiques identifiés par l’archéologie préventive dans le bassin de l’Adour depuis une quinzaine d’années.
En fonction de leur statut et de leur chronologie, replacés dans leur contexte de référence connu au début des années 2000 (NGF : nivellement général de la France).
C. Fourloubey, Inrap.
- 2 Ce qui n’est pourtant pas le cas dans d’autres régions à forte tradition d’archéologie préhistoriqu (...)
- 3 Fouille à la Rominguière (Cornebarrieu, Haute-Garonne), responsable d’opération : Laure-Amélie Lelo (...)
- 4 Coordination : Frédéric Gerber, Inrap, 2007-2010.
2Les gisements fouillés récemment sont peu denses, présentent des épaisseurs importantes et connaissent beaucoup de problèmes taphonomiques. Ils sont abordés de toute autre façon, avec une utilisation quasi exclusive de la pelle mécanique2 [ill. 2]. Si ces pratiques existent depuis la fin des années 1990 (Houllier, Arnoux 2001), elles ont été développées au cours des années 2000 dans la vallée de la Garonne autour de Toulouse3 (Colonge et al. 2010). Presque dix ans plus tard, les protocoles ont été améliorés lors des opérations d’archéologie préventive sur le tracé de l’autoroute A65 de Langon (Gironde) à Pau (Pyrénées-Atlantiques)4, pour répondre aux enjeux de ces sites dans un dialogue entre le service régional de l’archéologie (SRA) et les équipes de l’Inrap : comment les repérer, les évaluer, les prescrire puis les traiter dans une perspective large.
2. Méthode de fouille mécanisée sur le gisement du chemin de Jupiter à Bayonne en 2012.
La fouille se déroule au moyen de pelles hydrauliques de 20 à 25 tonnes munies de godets lisses de 2 mètres orientables ou de 3 mètres fixes, selon la configuration des niveaux. Les vestiges sont cotés au tachéomètre « à la volée » pour reprendre immédiatement la fouille de la couche. Les secteurs plus denses sont confiés à une minipelle de 5,5 tonnes, et les amas sub-en place sont traités à la main, avec prélèvements de sédiments pour tamisage.
D. Colonge, Inrap.
3En effet, en abordant ce corpus de sites et ceux à venir à grande échelle, il devient enfin possible d’engager des synthèses, par exemple : étudier en diachronie et en synchronie les séquences pédosédimentaires et chronologiques régionales ; affiner et comparer les faciès technotypologiques ; avancer sur la gestion des ressources lithiques en traitant quarzites et silex de la même façon. La voie s’est ouverte pour diverses problématiques de recherche, en lien avec la gestion des territoires et avec la technoéconomie paléolithique entre autres. Il faut ajouter enfin que la multiplication des opérations a fourni de précieux éléments pour évaluer le potentiel de conservation d’une zone donnée.
- 5 Diagnostic à Duclos (Auriac, Pyrénées-Atlantiques), responsable d’opération : Fabrice Marembert, In (...)
- 6 Diagnostic, section 3b de l’A65 (Le Vignau, Cazères-sur-l’Adour, Aire-sur-l’Adour, Landes), respons (...)
4Le tracé autoroutier de l’A65 a été le déclencheur à la fois de ces nouveaux protocoles et de l’affinement des problématiques scientifiques régionales menés conjointement par le SRA et l’Inrap. Au début, le Paléolithique ancien et moyen était considéré avant tout sous l’angle des objectifs de l’étude géomorphologique et chronostratigraphique globale. Mais très vite, l’intérêt des découvertes, notamment dans la partie sud du tracé, a permis de construire le cadre de l’étude de la transition entre Paléolithique ancien et moyen, à la fin du Pléistocène moyen principalement5, mais aussi celle du Moustérien de la première moitié du Pléistocène supérieur6.
- 7 Fouille à Duclos (Auriac), responsable d’opération : D. Colonge, Inrap, 2008 ; fouille à Romentères (...)
5Plusieurs groupes de sites aux caractères proches et complémentaires dans un périmètre réduit ont donc été prescrits sur le tracé7. S’est mise alors en place une équipe pluridisciplinaire globalement stable, pour prendre en charge cet ensemble avec un même protocole de fouille et d’étude ; en phase d’étude, le travail était mené par une seule équipe, traitant tant les résultats des fouilles que ceux des diagnostics. Le dialogue technique et scientifique entre SRA et Inrap est resté continu, en particulier sur l’évaluation de la méthode de fouille pour la valider et potentiellement la reproduire ailleurs. Toutefois, les contraintes du projet ont conduit à prescrire des fouilles au coup par coup, sans que l’achèvement complet des diagnostics permette un choix « raisonné » et problématisé grâce à une vision d’ensemble. La priorité a été donnée aux archéoséquences complexes, associées à des stratigraphies pédosédimentaires développées et livrant une forte densité de vestiges. A posteriori, les données des diagnostics n’infirment pas la validité des choix effectués, mais elles incitent à reconsidérer certains indices, sous-estimés « à chaud », qui auraient mérité des investigations complémentaires.
- 8 Responsable d’opération : Nadine Béague-Tahon, Inrap, 2010.
- 9 Responsable d’opération : N. Béague-Tahon, Inrap, 2013.
- 10 « Recherches sur les terrains quaternaires du bassin de l’Adour », université de Bordeaux, 1970.
- 11 Fouille sur l’artère de l’Adour, responsable d’opération : Michel Brenet, Inrap, 2014.
6Ces protocoles de terrain et d’étude bien rodés ont donc été logiquement adoptés sur diverses opérations ultérieures. En effet, tandis que se terminaient les dernières opérations de l’A65, plusieurs diagnostics débutaient sur les hauteurs orientales de Bayonne, le plateau de Saint-Pierre-d’Irube [ill. 3]. Puis les sondages liés au gazoduc sur ses artères du Béarn8 et de l’Adour9 ont livré des éléments pédostratigraphiques et archéologiques directement inscrits dans le prolongement de ceux de l’A65. Un transect continu au travers de la Chalosse, avec des concepts et des outils nouveaux apportés par l’archéologie préventive – notamment en matière de datation –, a permis d’approfondir la thèse fondamentale de Claude Thibault10. La démarche a été réfléchie et adaptée aux spécificités d’un aménagement linéaire étroit : les choix de fouille ont porté sur des séquences pédosédimentaires dilatées, indépendamment de leur contenu archéologique qui vient ici en appui pour la taphonomie et le calage chronologique11.
3. Carte de détail des opérations d’archéologie préventive sur le plateau de Saint-Pierre-d’Irube qui domine l’est de Bayonne, sur fond des emprises des zones de présomption de prescription archéologique (ZPPA).
1. Prissé Haut, chemin de Jupiter, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2008 ; 2. Chemin de Jupiter 1, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2009 ; 3. Chemin de Jupiter 2, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2009 ; 4. Avenue du Prissé, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2009 ; fouille, RO : D. Colonge, Inrap, 2010 ; 5. Chemin de Jupiter 3, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2011 ; fouille, RO : D. Colonge, Inrap, 2012 ; 6. Chemin de Jupiter 4, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2011 ; 7. Avenue Duvergier-de-Hauranne, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2012 ; 8. Chemin d’Ibos, le Prissé, EHPAD, Bichta Eder, diagnostic, RO : D. Colonge, Inrap, 2012 ; fouille, RO : D. Colonge, Inrap, 2013 ; 9. 15 chemin de Campagne, phase 1, diagnostic, RO : C. Fourloubey,bInrap, 2013 ; 10. 9 chemin d’Ibos, diagnostic, RO : D. Colonge, Inrap, 2014 ; 11. Camp de Prats, diagnostic, RO : C. Fourloubey, Inrap, 2016 ; fouille, RO : Pascal Tallet, Paléotime, 2019, étude en cours ; 12. 23 allée Docteur-Robert-Lafon, RO : Milagros Folgado-Lopez, Inrap, 2019.
C. Fourloubey, Inrap.
- 12 Diagnostic, section 4 de l’A65, responsable d’opération : Jean-François Chopin, Inrap, 2007.
- 13 Diagnostic chemin de Broussic, chemin de Northon, Lansolles, responsable d’opération : C. Fourloube (...)
- 14 Diagnostics aux Lannes, responsable d’opération : Florence Cavalin, Inrap, 2010 ; J.-F. Chopin, Inr (...)
- 15 Diagnostic aux Hauts de la Bidouze, responsable d’opération : J.-F. Chopin, Inrap, 2015.
7D’autres diagnostics, sur des emprises plus restreintes, comme ceux de Garlin (Pyrénées-Atlantiques)12, d’Ondres (Landes)13, d’Hastingues (Landes)14 ou de Came (Pyrénées-Atlantiques)15 ont complété utilement les vastes opérations des grands travaux. Ces deux derniers présentaient l’intérêt d’associer à part égale silex et quartzites au sein des assemblages ; il nous a donc été possible de comparer les chaînes opératoires. Ce travail n’a pu malheureusement totalement aboutir, à cause des modifications ou des abandons des projets d’aménagement, ce qui accentue aussi les vides artificiels dans la carte archéologique.
- 16 L’Inrap a poussé plus loin la démarche en détachant autant que possible le même responsable d’opéra (...)
8À partir des années 2010, les opérations liées aux zones de présomption de prescription archéologique (ZPPA) ont aussi largement permis de documenter les fréquentations paléolithiques. C’est le cas de la Côte Basque, qui a connu une forte urbanisation dans les années 1960 à 1980 sans prise en compte de l’archéologie. Pourtant, la fouille de sauvetage réalisée par C. Thibault sur une emprise d’à peine plus de 10 m² au centre du plateau du Basté à Saint-Pierre-d’Irube avait révélé un site stratifié exceptionnel (Chauchat, Thibault 1968). Au tournant des années 2000, au moment de la loi sur l’archéologie préventive, ne subsistaient déjà plus alentour que de rares espaces inéluctablement voués à un aménagement rapide. La mise en place des ZPPA y fut donc menée de façon prioritaire pour assurer la saisine des dossiers de construction, ce qui ne se concrétisa qu’à partir de 2008. Comme habituellement pour tout diagnostic en contexte, le profil du responsable a été fléché sur la période concernée, en l’occurrence le Paléolithique16 [ill. 3]. D’un commun accord, le SRA et l’Inrap ont reconduit l’équipe « Paléolithique » pluridisciplinaire formée sur l’A65 sur les opérations de Bayonne. Il a également été possible de stabiliser un noyau d’équipe de terrain.
9Il faut garder à l’esprit des paramètres importants dans cette synergie. Il n’y a que très peu d’opérateurs privés habilités pour le Paléolithique, ce qui a facilité la pérennité sur ce projet des rapports entre les services de l’État et l’Inrap. Il ne faut pas oublier non plus qu’une telle dynamique repose aussi sur des volontés individuelles : la convergence de quelques personnes de divers horizons vers une approche synthétique d’une région, ici le bassin de l’Adour.
10Dès le début, il est apparu que l’ensemble du plateau de Saint-Pierre-d’Irube a connu une longue et importante fréquentation paléolithique et que des niveaux stratigraphiques et/ou archéologiques se dégageaient nettement comme repères reconnaissables de point en point (Colonge et al. 2015). Les sites avaient toutefois des caractéristiques différentes de ceux de l’A65 : les niveaux sont, en général, plus riches, avec une matière première dominante plus fragile (le silex), et peuvent receler des zones quasi intactes, mais la répartition est très disparate. Les niveaux les plus remaniés sont dispersés dans des volumes sédimentaires importants. D’autre part, la stratigraphie ne se résume pas à un empilement vertical, mais les niveaux présentent des répartitions spatiales différenciées. Par exemple, dans la partie nord du chemin de Jupiter, le Moustérien est cantonné dans un paléochenal, alors que de l’Acheuléen est résidualisé sur les bords de ce microrelief : ainsi, le plus ancien est à côté et plus haut que le plus récent. Cela nécessitait donc une perception et une adaptation agiles, de façon à passer rapidement d’un type de fouille à un autre, au cours de la même journée parfois (fouille manuelle, fouille mécanique légère ou lourde). Là encore, un dialogue fluide et très réactif entre le SRA et l’équipe, depuis la préparation jusqu’à la fin de la fouille, est primordial.
11Le cas des opérations à Bayonne permet d’illustrer comment la concertation sur la programmation calendaire et scientifique du cycle diagnostics-fouilles-diagnostics est plus efficace et satisfaisante à tout point de vue. Les problématiques de recherche initiales, plutôt générales, ont été alimentées et affinées par toutes les opérations. Les diagnostics ne sont pas dédaignés, ils sont une donnée scientifique à part entière dans ce cadre géographique et chronostratigraphique large et cohérent.
12Plusieurs niveaux repères ont été identifiés au sein de la masse des résultats des années 2000 et 2010. Pour la géomorphologie et la géoarchéologie, des successions pédosédimentaires pléistocènes ont été suivies du piémont pyrénéen occidental jusqu’aux marges des Landes. Les datations, effectuées essentiellement à partir des méthodes de la luminescence, leur ont donné un cadre chronologique jusqu’alors inédit dans la région [ill. 4]. Les questions soulevées couvrent la nature des substrats structuraux, la tectonique prépyrénéenne, les préservations différentielles des couvertures superficielles, les alternances glaciaires-interglaciaires, les évolutions des bassins versants et des traits de côte… Sur le plan archéologique, c’est toute la chronostratigraphie régionale des entités techno-culturelles qui s’est vue recadrée, ajustée et complétée [ill. 5]. On arrive à dégager des tendances palethnographiques, en synchronie et en diachronie, pour le Paléolithique ancien et moyen du bassin de l’Adour, qui forment des axes de recherche notamment sur les dynamiques de peuplement et les caractérisations techno-culturelles. Celles-ci peuvent alors être redéfinies, rediscutées, recontextualisées ; c’est particulièrement le cas pour l’Acheuléen et le Vasconien.
4. Coupes stratigraphiques principales des sites du chemin de Jupiter à Bayonne.
(En haut et au milieu) et de Duclos à Auriac (A65, en bas), avec les emplacements et résultats des datations par OSL (Optical Stimulated Luminescence) et TT-OSL (transfert thermique-OSL). Les diverses méthodes de datation sur la base de la luminescence (thermoluminescence [TL], OSL, TT-OSL, Electron Spin Resonance [ESR], etc.) s’appuient sur la faculté des grains de quartz à retenir les radiations naturelles dans des « pièges ». Ceux-ci se vident en cas de chauffe ou d’exposition au soleil ; ensuite, ils recommencent à emmagasiner. Il « suffit » donc de vider à nouveau les pièges en laboratoire et de diviser la quantité émise par la dose annuelle du site et de ses différents niveaux pour obtenir un âge.
D. Colonge, Inrap.
5. Éléments lithiques distinctifs de l’Acheuléen ibérique et du Paléolithique moyen ancien du Sud-Ouest aquitain, avec leur tronc commun qui tient surtout de la prise en compte des propriétés techniques des matières premières majoritaires, les quartzites, pour en optimiser l’exploitation.
1. Acheuléen ibérique : a. Polyèdre ; b. Hachereau ; c. Bifaces irréguliers majoritaires souvent sur de grands éclats ; d. Grands supports (remontage) ; e. Débitages peu structurés (ici SSDA). 2. Paléolithique moyen ancien : f. Standardisation des racloirs ; g. Débitage Levallois ; h. Bifaces finalisés exclusifs toujours sur galets ; i. Systématisation des débitages centripètes sur des produits plus identifiés (ici, produit triangulaire). 3. Commun : j. Débitage centripète unifacial à exhaustion ; k, l. Débitage sur enclume ; m. Macro-outillages sur galets de type choppers.
Dessins : P. Rouzo. Clichés et DAO : D. Colonge, Inrap.
13L’Acheuléen est partout reconnu, quand des stratigraphies complexes le permettent, comme la présence humaine la plus ancienne du sud du Bassin aquitain. Il s’intègre dans un ensemble ibérique présent de part et d’autre des Pyrénées, dont il constitue la partie nord. Sur la base d’une chronologie relative rapportée à certaines datations espagnoles ou portugaises, il était globalement admis que ce technocomplexe était forcément plus ancien que le Marine Isotope Stage (MIS) 8 (300 000 ans avant le présent). Sur l’A65 comme à Bayonne, il se révèle toujours plus récent, alors que le Paléolithique moyen ancien est largement développé. Ainsi, ce sont la plupart des paradigmes sur ces technocomplexes qui sont remis en question (Colonge et al. 2014), en particulier la nécessité d’une approche plus buissonnante que linéaire des industries [ill. 6]. La concomitance plutôt que la succession, qui engendrait essentiellement la question de remplacement ou de la transition, modifie les problématiques. Citons par exemple : rapports éventuels des deux technocomplexes sur un même territoire avec les mêmes ressources ; groupes, voire types humains, différents ; évolutions parallèles à partir d’une base commune (leurs rythmes) ; ou encore influences sur les Moustériens post-Eémien.
6. Transition Paléolithique ancien/moyen.
À gauche, chronologie synthétique des technocomplexes reconnus dans le bassin de l’Adour en regard de la chronologie isotopique de l’oxygène (en noir : phases tempérées ; en blanc : phases froides) ; au centre, les dates qui ont permis, à droite, de renouveler profondément le paradigme antérieur de la transition entre Paléolithique ancien et moyen, de leur succession à leur concomitance.
D. Colonge, Inrap.
- 17 Cet outil très courant en Afrique reste méconnu en Europe et est généralement classé comme acheulée (...)
14Un autre phénomène marquant est la mise en évidence de la présence dans tout l’aval du bassin de l’Adour d’un faciès particulier du Paléolithique moyen récent (MIS 3, 45 000-55 000 ans avant le présent) : le Vasconien. Il n’était jusqu’alors connu que sur quelques sites de référence, tout de même suffisants pour établir deux de ses caractères majeurs. Tout d’abord, géographiquement, il se développe d’est en ouest, de la Soule jusqu’aux confins des Asturies, à cheval sur les Pyrénées et les monts Cantabriques [ill. 7]. Ensuite, du point du vue techno-culturel, il comprend systématiquement dans les séries des hachereaux, outil très connoté « Acheuléen »17 [ill. 8]. L’archéologie préventive a permis de commencer à augmenter son aire d’extension vers le nord, jusqu’aux Landes. Les sites vasconiens étant majoritairement des gisements de plein air, ils sont au cœur des problématiques sur les modalités d’occupation du territoire, du point de vue techno-économique : comparaisons entre milieux karstiques et de plein air, relations plaine-montagne et littoral-intérieur ou complémentarité des sites et des territoires.
7. Carte des sites vasconiens dans le bassin de l’Adour, avec en encadré son aire de répartition de part et d’autre des Pyrénées.
Une nette dichotomie se dégage entre les sites de référence en contexte karstique prémontagnard et l’apport de l’archéologie préventive dans les espaces de plein air, qui sera dépassée en en montrant la complémentarité.
C. Fourloubey et D. Colonge, Inrap.
8. Éléments lithiques caractéristiques du Vasconien du plateau de Saint-Pierre-d’Irube.
[a] Débitage majoritaire : discoïde stricto sensu, i. e. à pointes pseudo-Levallois, mais seules les cassées et les atypiques [b] sont présentes sur les sites. [c] Macro-outillage : bifaces à dos (cf. « type Basté ») et hachereaux en matières premières grenues.
Dessins : P. Rouzo. DAO : D. Colonge, Inrap.
15Ces deux exemples illustrent comment un tel projet d’archéologie préventive élaboré en collaboration entre services publics est devenu un pilier de la recherche régionale, nationale et ouest-européenne sur les occupations du Paléolithique. Une telle résolution chronostratigraphique et une telle concentration de sites, même si elles sont loin d’approcher celles des lœss du Nord, n’ont que peu d’équivalents pour le Paléolithique moyen.
16Les avancées, sur le Vasconien en particulier, ont beaucoup nourri les thèmes sur les objectifs scientifiques et la problématisation des opérations. La politique de prescription va développer une attention particulière sur ce Moustérien récent, dans les contextes où il peut être présent pour les diagnostics et là où il est significativement avéré pour les fouilles. Le cadre chronologique étant établi et les caractères typotechnologiques solidement définis par l’approche systématique initiée à la fin des années 2000, il est possible d’approfondir les aspects palethnologiques à une échelle microterritoriale : en l’occurrence, cet ovale qui s’étire sur environ 150 kilomètres entre le piémont basque et les landes sableuses. La typotechnologie et la pétrographie des industries lithiques sont parmi les principaux axes développés, en particulier par la techno-économie intersites. Par ailleurs, grâce au bon état général de conservation des objets lithiques, en silex particulièrement, des études tracéologiques ont donné des premiers résultats prometteurs sur les questions des gestes et des pratiques. Par exemple, les occupations du plateau de Saint-Pierre-d’Irube pourraient être vues comme de simples haltes de production de pointes pseudo-Levallois pour les emporter. Elles sont déficitaires dans les séries, alors que les quelques traces identifiées relèvent de la boucherie ; celle-ci n’a dû cependant être que secondaire, car cela ne concerne que très peu de pièces alors que tous les tranchants sont frais. Avec la présence de bifaces et hachereaux, cela nous montre que plus d’activités ont été pratiquées que ce que ne le laisse envisager la seule étude technotypologique.
- 18 UMR 5199 « PACEA » de l’université de Bordeaux et UMR 5608 « TRACES » de l’université Toulouse - Je (...)
- 19 « Cadre chronologique des peuplements humains et des paléoenvironnements dans le Sud-Ouest de la Fr (...)
17La politique de prescription s’accompagne bien évidemment d’un soutien aux fouilles programmées qui concerne le Vasconien, comme celle de la grotte de Gatzarria (Deschamps 2014). L’élaboration collective d’une problématique forte sur quelques gros projets en vient donc à une autoalimentation de la chaîne opératoire de l’archéologie préventive mais la dépasse aussi pour concerner toute la discipline. Des chercheurs d’autres institutions y participent via les unités mixtes de recherche (Umr)18. S’ensuivent, bien sûr, la publication de nombreux articles collectifs et pluri-institutionnels sur des sujets variés et l’alimentation de quantité de diplômes universitaires ; parmi eux, nous retiendrons la thèse de Marion Hernandez sur l’amélioration de la méthode OSL en TT-OSL pour dater les séquences limoneuses de la fin du Pléistocène moyen19 et celle de Marianne Deschamps sur un renouvellement profond du Vasconien (Deschamps 2014), en lien avec les deux thèmes phares présentés plus haut. Pour les mémoires réalisés bien après les opérations, la collaboration entre le SRA et l’Inrap s’exprime autrement : l’étudiante ou l’étudiant sollicite l’accord du responsable d’opération de l’Inrap et du conservateur chargé des collections du SRA. L’un et/ou l’autre peuvent d’ailleurs participer à son encadrement. Ces dernières années, il est plus difficile de maintenir cette dynamique et cette cohérence à cause des évolutions des cadres d’exercice de l’archéologie préventive. La logique de marché entraîne une dispersion des acteurs, voire leur impossibilité à s’investir sur un projet de recherche et, parfois, leur démotivation.
18Notre expérience commune démontre qu’une connexion forte entre le SRA et l’Inrap, à l’échelle d’un bassin comme celui de l’Adour, peut générer de vraies problématiques de recherche. La condition est que l’équipe bipartite reste globalement stable et s’implique à moyen terme sur l’intégralité des projets d’aménagement de la région, du plus grand au plus petit. Les diagnostics, trop souvent négligés parce que réduits à la seule réponse binaire « positif ou négatif », retrouvent ici une dimension scientifique. Ils aident à mailler l’aire concernée et à mieux comprendre où pourraient se situer les sites les plus denses. La prise en compte globale des résultats des opérations archéologiques permet de dépasser des aspects conjoncturels parfois peu propices à la recherche, comme le découpage administratif ou les disparités des politiques d’aménagement actuelles. Les enjeux des opérations archéologiques deviennent plus clairs pour tous, et notamment pour les aménageurs.