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Préambule. Les dynamiques d’évolution de l’archéologie préventive

Preamble. Preventive archaeology’s dynamics of change
Preámbulo. Las dinámicas de la evolución de la arqueología preventiva
Marc Bouiron, Christian Cribellier, Stéphane Deschamps, Murielle Leroy et Catherine Chauveau
p. 6-15

Résumés

Les 20 ans de l’Inrap sont encadrés par deux textes de loi, celui de 2001, suivi de la réforme de 2003, et celui de 2016 qui ont profondément marqué tant l’évolution de l’archéologie préventive que celle de l’établissement. Ils garantissent la fiabilité scientifique de l’activité et l’efficacité professionnelle des équipes et font que le système français d’archéologie apparaît comme un modèle à l’étranger, permettant de fédérer la communauté des chercheurs au-delà d’équipes locales. Ce cadre législatif et réglementaire est évidemment lié aux débats intenses sur la définition de l’archéologie, sur ses conditions d’exercice et sur sa place dans la société.

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Texte intégral

Romain Etienne, Item.

1Marc Bouiron L’Inrap a été conçu dès le départ comme un établissement national, avec des liens forts aux différents services de l’État. Il est un des éléments constitutifs du système de l’archéologie préventive, de l’archéologie nationale plus largement, aux côtés de la sous-direction de l’archéologie et des services régionaux de l’archéologie et de tous les chercheurs qui se sont mobilisés dans ce sens ; l’ouverture à la concurrence n’étant survenue que plus tard. Du fait de la volonté initiale de recruter des équipes aux compétences et spécialités multiples, il a pu suivre et même initier les évolutions de l’activité opérationnelle et scientifique et devenir un institut de recherche à part entière. Mais tout cela n’a pu être conduit que grâce à des réflexions communes pour définir, structurer, organiser.

2Christian Cribellier Effectivement, la loi de 2001, qui a réglé la cruciale question du financement, puis en 2003 avec l’ouverture à des opérateurs de collectivités territoriales et privés, a changé de manière importante l’activité de l’archéologie préventive. Elle a entraîné un énorme travail sur plusieurs années de mise en place et de structuration à la fois de l’administration centrale et des services déconcentrés, avec l’objectif de définir et d’uniformiser les pratiques. Du point de vue des services de l’État, ces procédures de plus en plus cadrées font que l’on aboutit aujourd’hui à un dispositif stabilisé. Mais c’est un travail qui n’est pas encore achevé. À l’autre bout de la période, la loi LCAP de 2016 renforce le dispositif de contrôle et d’expertise, c’est-à-dire le rôle des services régionaux de l’archéologie avec un examen plus appuyé des offres des opérateurs, en particulier des projets scientifiques d’intervention qu’ils proposent. L’autre aspect majeur de cette loi est la réforme de la propriété des biens archéologiques mobiliers, réputés propriété de l’État à partir du moment où il s’agit de terrains acquis après l’entrée en vigueur de la loi.

  • 1 Adoptée le 16 janvier 1992 à La Valette et entrée en vigueur le 25 mai 1995 (Série des traités du C (...)

3Stéphane Deschamps Il est important de se rappeler que tout cela est issu aussi de la convention de Malte sur la protection du patrimoine archéologique1, dont on va fêter les 30 ans. Car les années 1990 ont été le moment où il y a eu une réflexion forte sur l’archéologie au niveau européen, et plus largement d’ailleurs. En France, cela a abouti à la définition d’un rôle fort de l’État dans la prise en compte de l’archéologie préventive et à la création d’un opérateur unique, l’Inrap. Le rapport Demoule-Poignant-Pêcheur, remis au ministère de la Culture en 1998, a proposé les éléments d’application de ce que pourrait être ce nouveau cadre juridique. Cette volonté de créer un système homogène et structuré s’est renforcée après l’ouverture à la concurrence en 2003, du fait de la disparité des acteurs en jeu. Il apparaît d’autant plus évident aujourd’hui que le système français a permis de sortir de cette période où il fallait justifier, convaincre, négocier, voire combattre, devant la difficulté à faire prendre en compte l’intérêt de l’archéologie pour la constitution de notre histoire commune, de notre patrimoine, et même de la compréhension sur le long cours de nos évolutions sociétales. Les services déconcentrés du ministère de la Culture peuvent à présent se consacrer à leurs missions.

4CC Exactement. L’opérateur a aussi cette sécurité en proposant un projet d’intervention dans un cadre qui est déjà pour lui aussi défini. Tous peuvent se concentrer sur le fond, sur l’objet même de la recherche, même si bien sûr nous veillons aux composantes économiques des marchés. C’est un élément d’équilibre au niveau des territoires, tant national qu’ultra-marins. Nos collègues européens en reconnaissent l’intérêt. Ils pâtissent souvent dans leurs pays des différences de procédures d’une région à l’autre et des rivalités de décideurs ou d’équipes qui rendent l’activité archéologique instable et la recherche limitée, affaiblissent les problématiques et donc les connaissances. Notre système, même s’il a aussi des faiblesses, a permis de faire monter en gamme les opérations elles-mêmes, mais surtout ce pour quoi elles sont utiles, c’est-à-dire les travaux de recherche et leur diffusion auprès de tous les publics. La qualité scientifique est notre atout.

5Murielle Leroy Cette qualité repose sur un autre élément majeur dans le dispositif français : le système d’évaluation très tôt mis en place. Les opérations ont été d’abord évaluées au niveau national devant le CSRA avant la mise en place en 1994 d’un niveau interrégional, les CIRA, devenues les CTRA, qui progressivement ont intégré des représentant de tous les acteurs de l’archéologie. Toutes les opérations – des milliers par an – passent devant ces commissions, avec le même suivi en deux étapes : avant le lancement des opérations puis à remise des rapports. Je ne crois pas qu’il y ait d’autres exemples en Europe d’un système qui garantit autant la rigueur scientifique. C’est un investissement de la part des membres de ces commissions qui représentent l’ensemble de la communauté archéologique française, et n’oublions pas qu’ils le font bénévolement. Il reste à faire reconnaître et valoriser ce travail comme un atout dans une carrière. D’autant plus que c’est également sur cet investissement de la communauté archéologique que se construit la programmation de la recherche dont les enjeux actuels sont de réorienter les axes de recherche donc de guider la prescription et la protection. Car cette programmation a énormément progressé. On est parti d’une nomenclature nationale qui servait dans les services régionaux surtout à classer les dossiers a posteriori, parallèlement à des programmes empiriques locaux, plus ou moins suivis. Depuis 2016 la programmation se veut active, en s’emparant de ces questionnements dès le moment où on lance les opérations et les projets, et non pas au moment où on en dresse le bilan. Elle définit de grands axes, en maintenant la possibilité d’aller dans des domaines nouveaux – en intégrant la déclinaison stratégique au niveau régional ou interrégional. Les services régionaux d’archéologie peuvent ainsi construire les appropriations de ces axes avec tous leurs partenaires, car ces orientations s’appliquent à l’archéologie préventive comme aux opérations programmées.

Romain Etienne, Item.

6SD Ce temps d’échange avec la communauté des chercheurs en amont est indispensable et fait vivre cette programmation. On s’écoute, on s’explique en abordant tous les aspects : pourquoi n’y a-t-il jamais eu de prescriptions dans tel secteur ; pourquoi tel champ chronologique est-il si peu représenté ; si l’on doit plus investir dans un secteur, peut être que l’on va devoir lever le pied ailleurs ? Ces discussions ne sont pas simples, mais il nous faut les partager. Après, les services régionaux prennent leurs responsabilités, en agissant en fonction de ces réflexions. Car, pas plus que mes collègues, je n’accepte par contre que l’on interfère pendant que l’on est en train de travailler sur un dossier, de prescription ou autre.

7CC Il y a un point que l’on oublie souvent parce qu’il nous est devenu évident, c’est que la loi sur l’archéologie préventive a conduit le législateur à définir ce qu’est l’archéologie, avant de le traduire en droit. La définition que l’on a du patrimoine archéologique dans la loi, et notamment dans la dernière version de la loi LCAP, est assez exceptionnelle. On s’est affranchi de définitions qui nous apparaissent à présent très désuètes, comme le fait de réduire l’archéologie à la fouille, le fait que seul ce qui est enfoui est archéologique, le fait que l’archéologie ne concerne que des périodes anciennes… On a ouvert les champs de recherche à de nouvelles problématiques. Cette ouverture est d’autant plus intéressante que cela suscite des discussions avec des collègues d’autres disciplines. On porte, par exemple, un regard sur l’évolution du patrimoine environnemental, là où les collègues de l’environnement le portent beaucoup plus sur l’environnement actuel qu’ils qualifient de patrimoine. Parfois, il y a une contradiction entre les deux. Ce sont des discussions difficiles, mais fondamentales, car les uns et les autres, nous avons un objectif commun : comprendre et préserver.

8SD L’archéologie est pour nous tous une manière d’aborder le réel, l’histoire de l’humanité. C’est vaste et jamais très simple. Cela nous donne encore plus de responsabilités parce que nous incombe totalement de qualifier, ou non, des éléments comme vestiges archéologiques. Prenons l’exemple de Notre-Dame. Un de nos premiers réflexes, malgré un contexte excessivement difficile de sécurité, de pollution, etc., a été de dire que les gravats sont des objets de la recherche pour telle raison. Du coup, ils deviennent des vestiges et on a appliqué à ces amoncellements des méthodes qui sont celles de l’archéologie. Notre responsabilité, ce n’est pas seulement de qualifier, mais c’est aussi d’attacher à cette qualification une problématique de recherche.

9MB Ces nouveaux champs, ces nouveaux intérêts, se construisent au fur et à mesure que l’activité ouvre des fronts pionniers. C’est souvent la réalité du terrain qui fait émerger ces questionnements puis les discussions avec les services prescripteurs, ou avec les unités de recherche.

10CC Certaines synergies locales y ont énormément contribué. Les outre-mer, par exemple, ont eu un rôle très dynamique. En réussissant à diversifier leurs approches, ils ont initié des types de recherches précurseurs et réalisé des avancées très importantes. Grâce à l’action conjointe du ministère et de l’Inrap, ce développement a gagné la Réunion puis Mayotte dans la dernière décennie. Il reste des projets collectifs de recherche (PCR) à monter pour capitaliser sur ces résultats.

11SD Tout à fait. Notre responsabilité est d’accompagner le développement de ces nouveaux thèmes de recherche, mais lorsque les problématiques ont été réfléchies. Elle est aussi de se poser la question de la préservation. Par exemple, en Île-de-France, on commence un programme de recherche sur la Commune de Paris, notamment sur l’ensevelissement des corps des communards massacrés, parfois enterrés dans des jardins publics de la ville de Paris puis déplacés en petite couronne. On peut déjà repérer les secteurs où cela a eu lieu mais on n’y interviendra que lorsque l’on aura une problématique suffisamment élaborée. Par contre, ne pas les fouiller aujourd’hui n’entraîne pas de les laisser détruire. Cette protection par anticipation est une réflexion à conduire dans les années à venir.

12ML L’arsenal législatif actuel de protection des sites archéologiques est effectivement insuffisant. Le dispositif calé sur la procédure existant pour les monuments historiques, d’ailleurs très rarement appliqué en archéologie, ne concerne que des sites majeurs. Mais lorsque l’on a des sites qui ne sont peut-être pas d’un intérêt exceptionnel, ou en tout cas que l’on ne peut pas qualifier de prime abord comme cela, on est un peu démuni.

13CC Il y a déjà assez peu de dossiers qui donnent lieu à des diagnostics, environ 8 à 9,5 % des 40 000 dossiers reçus en moyenne. Et sur ces diagnostics, environ 20 % aboutissent à des fouilles. Quant aux procédures de classement liées à celles de l’archéologie préventive, elles sont à peine d’un cas par an, en moyenne, ces dernières années.

  • 2 Journées organisées par le ministère de la Culture les 21 et 22 novembre 2012, au grand auditorium (...)
  • 3 Fouille programmée depuis 1972.

14SD C’est un sujet que l’on a abordé dans une table ronde, à laquelle avait participé l’Inrap, entre autres, « L’archéologie, une démarche responsable »2. Les calculs précis de surfaces et types d’opérations prescrites montraient que la part de l’archéologie préventive dénoncée alors comme excessive par les aménageurs était au contraire excessivement… minime ! On perdait irrémédiablement tous les ans une part importante du patrimoine. Allons plus loin dans cette question de la préservation en prenant comme exemple le site d’Etiolles. Il est exceptionnel par sa succession de campements magdaléniens3, mais aussi par la possibilité qu’y ont les géomorphologues d’enregistrer l’évolution de la Seine et de ses abords pendant tout l’Holocène. C’est une chance extraordinaire de pouvoir faire un rapport documenté entre les occupations humaines et l’évolution d’un environnement. Et il serait possible d’en tirer un modèle et de cartographier les sites potentiels d’occupation. Cela nous permettrait d’anticiper et de protéger d’autres gisements. Aujourd’hui, si on tombait en préventif sur un site de la qualité de conservation et d’information d’Etiolles, on aurait du mal à le gérer. À un moment donné, on n’a pas forcément les bons instruments, les bons dispositifs, mais on a la responsabilité de la protection.

15MB Cet élargissement du champ de la recherche et cette complexité des problématiques qui impliquent la collaboration accrue de spécialistes divers ont considérablement modifié la conscience des archéologues intervenant dans le champ du préventif. Il y a 30 ans, quand on faisait des fouilles de sauvetage, le rapport ne servait souvent qu’à rendre compte de ce qui avait été fait sur le terrain. Aujourd’hui, les archéologues de l’Inrap ont tous en tête la conscience qu’ils produisent de la donnée, de la documentation archéologique, qui servira ensuite à eux ou à d’autres collègues, à aller plus loin, soit sur ce site-là, soit dans une synthèse. L’inscription de la recherche dans le long terme a une place primordiale. Cela a fait évoluer nos pratiques, mais également, et en parallèle, les prescriptions qui sont plus développées, plus exigeantes.

16SD L’examen préalable des offres des anciennes prescriptions avec les critères actuels laisse désemparé. On n’a pas été assez précis dans les cahiers des charges scientifiques de l’époque parce que dans le système précédent, le maître d’ouvrage qui payait la fouille étant de côté, les archéologues parlaient aux archéologues : on donnait les grands objectifs et l’on considérait que les équipes savaient traduire ces objectifs en projet scientifique. Il y avait une obligation de résultat, mais pas de moyens. Maintenant que l’aménageur est dans la boucle, on doit être de plus en plus précis sur ce que l’on attend, parce que ce qui n’est pas demandé ne pourra pas être proposé par l’opérateur à l’aménageur ni facturé. Et s’il ajoute des choses, il sera peut-être disqualifié. Cela rend les situations bien plus compliquées et nous pose à nous, dans les services déconcentrés, la question des compétences en interne face à la rédaction d’un cahier des charges et des choix à faire. Il faut que l’on analyse ce que l’on va demander, tout en laissant une marge de manœuvre à l’opérateur, qui n’est pas un prestataire de services mais un opérateur scientifique.

17ML On en revient à la nécessité d’échanger et de s’appuyer sur les compétences au sein de la communauté archéologique tout entière. Même si certains experts des CTRA ne sont pas familiers des cahiers des charges, tous ont des compétences thématiques ou techniques qui finissent par essaimer au sein des interrégions et des unes aux autres. Notre système s’équilibre parce que l’on s’appuie sur l’expérience, l’expertise de nos collègues, en reconnaissant l’intérêt de laisser une part d’initiative et d’inventivité à l’opérateur, au responsable scientifique de la fouille.

18MB Le rôle du responsable d’opération s’est complexifié. Il est recruté en fonction de sa spécialité, certes, mais il a aussi un rôle de coordination d’une équipe avec des compétences techniques et scientifiques variées. Le cahier des charges, le projet scientifique, sont beaucoup plus développés aujourd’hui et cela requiert de la part du responsable d’opération, d’avoir un niveau de compétences générales pour arriver à manager tout cela, à la fois sur le terrain et en post fouille, ce qui n’est pas du tout simple : planifier les choses dans le temps, maîtriser des aspects de gestion financière, réorienter parfois les études en tenant compte du contrôle scientifique et technique, des résultats, des premières analyses, etc. Une des grandes forces de l’institut est d’avoir mis en place des formations internes à la fois sur tous ces aspects comme sur la sensibilisation aux diverses disciplines et spécialités, aux gestes de collecte et d’enregistrement qui leur sont propres et sur les aspects de la valorisation. Par ailleurs, l’Inrap a œuvré dès ses débuts pour inscrire l’archéologie préventive dans la recherche archéologique française en général. Cela s’est construit progressivement, mais sûrement, notamment grâce aux unités mixtes de recherche jusqu’à obtenir une évaluation par l’Hcéres. On incite nos chercheurs à intégrer les laboratoires de recherche et on les soutient dans leurs implications. C’est une façon de remettre la recherche au premier plan.

19CC Oui, il y a une émulation qui s’est créée, au sein de ce que j’appelle la « maison commune », l’UMR, dans laquelle tous les archéologues peuvent se retrouver, indépendamment des structures et des employeurs, pour monter ensemble des projets communs. La création des projets collectifs de recherche par le ministère de la Culture, outil qui devait permettre de dynamiser la recherche, a favorisé la rencontre des chercheurs du préventif et du programmé et produit des résultats novateurs et importants. Nous avons fait évoluer le dispositif pour que les PCR soient des opérations archéologiques en tant que telles, mentionnées dans le code du patrimoine.

20ML C’est vraiment devenu l’outil prépondérant et fédérateur. Sans aucun doute grâce à la souplesse du dispositif, indépendant du cadre juridique de l’opération, et au suivi par nos commissions d’évaluation tout du long du projet. On note que chaque équipe s’en empare avec des organisations et des typologies diverses qui traduisent cette émulation de la recherche.

21MB Et cela permet d’être vraiment totalement libre dans la définition des problématiques, tout en établissant des liens avec la programmation nationale. Notre conseil scientifique examine toutes les nouvelles demandes de projet, ce qui permet d’analyser les dynamiques de recherche propres à l’institut et d’alimenter le travail du CNRA, mais aussi celui des CTRA et des SRA. L’Inrap s’y investit pleinement, en apportant des moyens importants. Il en est de même avec les UMR. En 2022, les archéologues de l’Inrap sont intégrés dans 95 PCR et en dirigent 54. La progression est notable puisqu’en 2018, ils dirigeaient 38 PCR sur les 60 impliquant l’Inrap. Les rapports annuels comme toutes les données produites sont archivés. La souplesse du dispositif permet d’intégrer de jeunes collaborateurs, ce à quoi nos équipes sont attachées, et ce qui est formateur pour leurs travaux de recherche futurs, où qu’ils fassent carrière.

  • 4 Voir l’article « À Soissons, une synergie pour révéler l’histoire de la ville », de Louis Hugonnier (...)
  • 5 PCR porté par L. Olivier, MAN.
  • 6 PCR porté par G. Mercé, Inrap.
  • 7 PCR porté par B. Valentin, Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • 8 PCR porté par S. Groetembril, CEPMR et O. Blin, Inrap.

22SD Pour des archéologues chevronnés, ce peut être l’occasion de remettre en perspective leurs travaux, de les revitaliser. Les aménagements actuels nous ramènent en cœur de ville, et souvent avec des opérations limitées comme des surveillances de travaux. Cela peut donner l’impression que l’on n’aura jamais fini la recherche sur une ville. On a fouillé, en général, seulement 2, 3 ou 4 % de son étendue, sur des décennies. Un projet collectif permet de poser des problématiques en s’associant avec d’autres disciplines, en sollicitant tous ceux qui ont contribué à en connaître l’histoire4. En Île-de-France, il y a quelques années, le nombre de PCR était très marginal. En 2022, nous sommes très contents d’en avoir 13, sur des fronts pionniers (sur la Commune5, sur le camp retranché de Paris6, ou bientôt sur le jubé de Notre-Dame, par exemple) comme sur la reprise de travaux anciens comme celui sur les abris gravés du Néolithique7, ou celui sur les peintures murales antiques de La Millière8. Sur ce dernier exemple, qui part d’une situation compliquée et fragile juridiquement, on a réussi, grâce à l’appui du ministère, à monter un projet qui englobe la reprise de fouilles et de l’ensemble du mobilier ainsi que de la documentation des fouilles des années 1970, le traitement des peintures murales par le CEPMR et la présentation de ce décor architectural dans les nouvelles salles Antiquité du MAN. Si l’on avait juste envisagé une restauration, sans y associer les autres composantes de la recherche, il y aurait eu un déficit considérable d’information, préjudiciable tant pour les connaissances que pour la valorisation. Car l’autre grand atout des PCR est de nous permettre d’investir toutes nos missions, de recherche, bien sûr, mais aussi celles de conservation et de valorisation. Notre programmation dans les services déconcentrés doit pouvoir accueillir et accompagner, ou non, des projets de chercheurs, mais aussi initier une dynamique de commande, avec les moyens nécessaires.

23ML On ne peut que se réjouir que le niveau d’exigence ait nettement progressé. L’enjeu actuel est de trouver des personnes qui arrivent à traiter tout ce qui ressort de l’élargissement du champ d’étude : une situation paradoxale, car, parallèlement, la formation des acteurs de l’archéologie n’a pas encore suivi. On voit bien qu’il y a parfois des problèmes à prescrire sur certaines problématiques parce qu’on ne sait pas forcément comment le faire bien et qui sera en mesure ensuite de mettre en œuvre cette prescription. Cherchons à éviter que cela devienne un cercle vicieux.

24MB Lors des séminaires méthodologiques que nous organisons annuellement, cette question se pose quasiment à chaque fois : sur le paléoenvironnement, sur la bioarchéologie, sur le bâti mais aussi sur l’archéologie des jardins, sur le sous-marin et le subaquatique. Comment recruter et créer des pôles de spécialistes si ensuite les prescriptions ne permettent pas un niveau d’activité suffisant ? L’Inrap, parce qu’il est un organisme de recherche avec une assise nationale, a signé un accord-cadre avec le CNRS, décliné par des conventions particulières avec les UMR, pour pouvoir s’adapter et répondre de façon adéquate. L’Inrap signe également des conventions avec des organismes à statut associatif, comme le CRAVO. Tout cela permet à des spécialistes de l’Inrap, et aux autres membres d’une UMR, d’avoir une activité scientifique suivie. Par ailleurs, l’institut se doit d’avoir toujours une assise à peu près équivalente au niveau national. C’est pour aller dans ce sens que nous créons des pôles de spécialistes, comme la cellule « Puits », ou celle de l’économie végétale et de l’environnement. On réfléchit à la création d’une cellule sur les éléments décoratifs, sur la métallurgie… Le souci reste de cerner un volume et une richesse d’activité, avec des spécialités plus ou moins pointues. Je pense à la paléo-entomologie en particulier, car là se pose le problème de recruter des gens formés par l’université.

25CC Les départs à la retraite vont être extrêmement nombreux dans les SRA comme à l’Inrap et dans les services de collectivités. D’une manière générale, tout ce qui est champ historique ou sciences humaines a tendance à décliner dans l’université. C’est aussi le cas des sciences naturelles, pas uniquement sur les périodes anciennes, égalent sur le vivant actuel ! Tu évoques la paléo-entomologie, mais les entomologistes eux-mêmes se font rares. Les formations universitaires s’adapteront-elles à ces besoins de recrutement ?

26MB La force et la chance de l’Inrap, avec les 2 000 agents sur l’ensemble du territoire national et en outre-mer, est de pouvoir tester à un moment donné certains types d’intervention ou d’analyses puis de consolider un process lorsque le retour des SRA est concluant. La cellule « Puits » est le cas typique : une spécificité technique et un équipement qui permettent d’agir là où l’on s’arrêtait auparavant à cause des consignes de sécurité. On est parti d’une équipe locale bien formée qu’on a augmenté tout en élargissant la possibilité d’intervention à tout le territoire. Et c’est le potentiel de telles opérations, démontré par cette équipe avec leurs découvertes parfois spectaculaires, qui a entraîné de nouvelles prescriptions de la part des services de l’État.

Romain Etienne, Item.

  • 9 Voir Archéopages 37 « Jardins », 2013.

27SD Je me souviens d’une opération en Bretagne où la fouille d’un puits nous avait complètement chamboulé la chronologie d’un site : toutes les phases d’occupation que l’on n’avait pas dans la fouille étaient dans le puits ! C’est là que le développement d’une technique vient au secours de problématiques scientifiques. La question des compétences disponibles est cruciale. En ce qui concerne les jardins, par exemple, je le ressens en Île-de-France, et je pense à nos collègues en Centre-Val de Loire, régions marquées par les grandes propriétés aristocratiques et leurs parcs. On freine nos prescriptions parce que l’on manque de chercheurs qui comprennent le fonctionnement de ce type d’aménagement9. Les spécialistes en bioarchéologie ne suffisent pas ici.

28ML Le corollaire de cette montée en qualité dans la production est la progression primordiale d’autres métiers concernant la gestion des données et la gestion du mobilier. À partir du moment où l’on conçoit la fouille, on doit déjà penser à la forme définitive de l’exploitation scientifique des données et à la publication des résultats. Et cela inclut dès le départ, une méthodologie pour que les données soient enregistrées, archivées, consultables, etc. en ayant à l’esprit, à chaque étape, qu’outre les productions traditionnelles (articles, ouvrages), il y aura des données numériques à organiser pour les partager. Il est aussi important de veiller à ce que les actes techniques (photogrammétrie, etc.) ne remplacent pas la réflexion. La technicisation donne souvent l’illusion d’analyser alors qu’on n’a fait qu’enregistrer. Les archéologues qui ne maîtrisent pas ces technologies ont tendance à s’effacer derrière ceux qui en sont spécialistes. Mais parfois, c’est la recherche qui s’efface ainsi. Les CTRA alertent sur l’utilisation parfois mal maîtrisée de ces nouveaux outils10.

29SD Nous venons d’en avoir une illustration à Notre-Dame. Un des deux architectes qui avaient fait leur diplôme de fin d’études à Chaillot sur le relevé de la charpente de la nef est dans les équipes de maîtrise d’œuvre maintenant. Il était très content de m’annoncer que le récent relevé photogrammétrique était bien meilleur que le sien, et surpris quand je lui ai répondu que certes, il était plus précis, mais bien moins utile pour nous que le relevé précédent qui contient leurs observations et leurs questionnements. C’est un vrai sujet parce qu’il y a aussi cette tendance chez certains architectes en chef de croire que la photogrammétrie remplace le travail d’un archéologue du bâti.

30MB La photogrammétrie ne fait pas gagner de temps. Elle permet d’aller plus vite sur le terrain (ce qui parfois peut être important vis-à-vis de l’aménageur) mais le temps de post-fouille est en revanche rallongé d’autant si l’on veut mettre au net les plans générés ; on ne peut pas la présenter comme une « économie ». Depuis les années 1980, pour chaque technologie numérique nouvelle, on trouve toujours des archéologues qui vont s’y lancer à fond. Avec le recul, on voit que beaucoup de données enregistrées sont restées isolées dans un système et sont désormais difficilement exploitables. Ces systèmes sont difficiles à construire, mais doivent être communs et pouvoir évoluer conjointement. C’est l’objectif du projet Archipel porté par l’Inrap, qui permettra de rendre accessible les données des bases centralisées. Le rapport d’opération est devenu la donnée de base de l’opération archéologique. On ne retourne plus à la donnée primaire, et je pense que c’est une erreur. Bien sûr, il faut inventorier, archiver, etc. Et il y a à l’Inrap comme ailleurs, des documentalistes, des gestionnaires de mobiliers, des informaticiens… Les archéologues ont accepté que d’autres métiers spécialisés concourent à la production scientifique.

31CC Sauvegarde et accès pérenne sont un enjeu d’avenir. La loi LCAP finit d’être déclinée en décrets, en arrêtés et en circulaires, qui aboutiront à des protocoles pour l’inventaire du mobilier et de la documentation archéologique, fondamentaux pour la conservation et l’accès futur aux archives constituées par l’archéologie. Les SRA accompagneront ces changements tant pour le préventif que pour le programmé et il faut qu’ils en aient les moyens.

  • 11 Voir article sur le Mont-Saint-Michel p. 398 de ce numéro (Cadiou et al.).

32SD Il reste beaucoup de sujets sur lesquels avancer. Le modèle de publication, par exemple, lié au travail consacré à la diffusion des travaux, est totalement à repenser. Même si le rapport d’opération a beaucoup évolué, une publication doit apporter une analyse supplémentaire ; ce qui ne dévalue pas le rapport, mais ne demande pas les mêmes compétences. Nous avons également à mener ensemble des discussions sur des types d’interventions qui vont se multiplier et anticiper les problèmes qu’ils posent : l’identification des occupations paléolithiques ; les nécropoles modernes avec des milliers de tombes ; les analyses d’ADN ancien ; la mise en cohérence des petits travaux urbains ; les protocoles pour les restes humains ; la notion de patrimoine environnemental… Autant de sujets dont on comprend l’enjeu scientifique, mais qui soulèvent des questions diverses : Quelles problématiques ? Quel temps et quel coût acceptables ? Pour quel résultat ? Il faut trouver des solutions : avec l’aménageur, tout en s’assurant que le travail sera à la hauteur de ce que l’on pourrait faire, et avec l’opérateur car dans certaines villes ou zones, on doit pouvoir compter sur des spécialistes qui connaissent bien ce terrain et ses enjeux scientifiques11.

33MB Ce sont bien les grands axes sur lesquels porte ce hors-série d’Archéopages. Le dynamisme de l’archéologie préventive en France fait que chaque question, chaque émergence de sujet, active la pratique ailleurs dans la communauté des chercheurs. Car si nous restons en lien, que la communication et la collaboration sont fluides, cela nous fera tous avancer, à chaque étape, depuis la prescription jusqu’à la production scientifique.

Romain Etienne, Item.

Propos recueillis par Catherine Chauveau.

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Notes

1 Adoptée le 16 janvier 1992 à La Valette et entrée en vigueur le 25 mai 1995 (Série des traités du Conseil de l’Europe n° 143), elle est ouverte à la signature des États membres du Conseil de l’Europe et des autres États parties à la Convention culturelle européenne et à l’adhésion des autres États non-membres et de la Communauté européenne.

2 Journées organisées par le ministère de la Culture les 21 et 22 novembre 2012, au grand auditorium de la Bibliothèque nationale de France à Paris.

3 Fouille programmée depuis 1972.

4 Voir l’article « À Soissons, une synergie pour révéler l’histoire de la ville », de Louis Hugonnier, Richard Fronty et Alexandre Audebert dans ce numéro.

5 PCR porté par L. Olivier, MAN.

6 PCR porté par G. Mercé, Inrap.

7 PCR porté par B. Valentin, Paris 1 Panthéon-Sorbonne

8 PCR porté par S. Groetembril, CEPMR et O. Blin, Inrap.

9 Voir Archéopages 37 « Jardins », 2013.

10 Bilans des CTRA consultables en ligne  : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Archeologie/Ressources-documentaires/Bilans-et-rapports-des-commissions-territoriales-de-la-recherche-archeologique

11 Voir article sur le Mont-Saint-Michel p. 398 de ce numéro (Cadiou et al.).

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Pour citer cet article

Référence papier

Marc Bouiron, Christian Cribellier, Stéphane Deschamps, Murielle Leroy et Catherine Chauveau, « Préambule. Les dynamiques d’évolution de l’archéologie préventive »Archéopages, Hors-série 6 | -1, 6-15.

Référence électronique

Marc Bouiron, Christian Cribellier, Stéphane Deschamps, Murielle Leroy et Catherine Chauveau, « Préambule. Les dynamiques d’évolution de l’archéologie préventive »Archéopages [En ligne], Hors-série 6 | 2022, mis en ligne le 03 août 2023, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeopages/11118 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/archeopages.11118

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Auteurs

Marc Bouiron

Directeur scientifique et technique, Inrap

Articles du même auteur

Christian Cribellier

Adjoint au sous-directeur de l’archéologie, ministère de la Culture

Stéphane Deschamps

Conservateur régional de l’archéologie, Drac Île-de-France

Murielle Leroy

Inspectrice générale des patrimoines, ministère de la Culture

Catherine Chauveau

Direction scientifique et technique, Inrap

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