Site
Les Landes
Beaupréau
Maine-et-Loire
Date
12 août-22 septembre 2017
Surface fouillée
3 000 m2
Équipe
Responsable d’opération
Jean-François Nauleau, Inrap
Étude du mobilier céramique
Patrick Bellanger, Inrap
Étude physico-chimique des pâtes
Nicolas Frérebeau, Iramat Bordeaux
1Découvrir un atelier de tuilier du VIIe siècle est une opportunité rare ; sur le territoire français, seule une poignée de sites de cette nature ont été fouillés. Dans l’histoire des matériaux de construction en terre cuite, ce siècle charnière est sans conteste l’un des plus passionnants à étudier. Il fait suite à une longue période pendant laquelle les terres cuites ont été presque totalement absentes des chantiers. À partir du XIIe siècle, après quatre à cinq siècles d’effacement, va s’amorcer un mouvement de renouveau pour les terres cuites : l’essor démographique engendre une dynamique constructive sans précédent et par conséquent un besoin en matériaux. Abandonnant peu à peu les traditions antiques, une culture technique médiévale va apparaître, donnant naissance à de nouveaux matériaux.
2La tuilerie de Beaupréau, située dans les Mauges, fouillée en 2018, a produit des matériaux en terre cuite pendant quelques décennies, tout au plus, de la seconde moitié du VIIe siècle (Nauleau et al., 2020). L’atelier a produit à plus de 99 % des tuiles creuses, la plupart à crochet, utilisées sur des toitures à forte pente [ill. 1], mais également quelques tuiles de faîtage à boutons, tous ces matériaux étant résolument médiévaux. L’absence de carreaux de sol et de briques de petit format, qui apparaîtront au siècle suivant, illustre le caractère précoce de la production.
1. Les tuiles creuses à crochet : nature et mise en œuvre.
Inrap
3Au milieu de ce climat médiéval, la découverte d’un type inédit de tuile à rebord, que l’on peut qualifier de dérivé de tegula, a été source d’un profond étonnement. Un individu presque intact est parvenu jusqu’à nous [ill. 2] : la tuile a une taille proche de celle des tegulae du Haut-Empire (45 cm de longueur environ), mais elle est en revanche très peu large, ce qui lui procure un format très allongé. Comme toute tegula, elle est munie de rebords, mais peu prononcés et ramenés légèrement vers l’intérieur de la tuile. Il existe un dispositif d’emboîtement sommaire qui, d’après les essais réalisés, semble peu fiable en matière d’étanchéité [ill. 3]. Rapportés aux dizaines de milliers de restes de tuiles creuses, les dix fragments de ce type découverts pendant le diagnostic et la fouille sont anecdotiques : ceci laisse penser que cette tuile n’a pas dépassé le stade du prototype. Par ailleurs, les nombreuses études réalisées en Pays de la Loire depuis plus de dix ans sur les sites de « consommation » n’ont jamais permis de rencontrer ce type de matériau (Nauleau, 2016). Malgré son caractère de « prototype sans suite », la présence de cette tuile dans l’atelier est source de nombreuses questions en particulier sur le processus de sa création : quelles pouvaient être dans la seconde moitié du XIIe siècle, dans les Mauges, les influences ayant conduit à son élaboration ?
2. Le dérivé de tegula découvert à Beaupréau.
Inrap
3. Répliques du dérivé de tegula, fabriquées avec les argiles exploitées sur le site.
Inrap
4Jusqu’aux VIe et VIIe siècles, la présence de tegulae est avérée en Pays de la Loire, la production y est cependant très faible et réservée quasi exclusivement aux édifices religieux. Durant les quatre à cinq siècles qui suivent, les couvertures en terre cuite vont disparaître du paysage architectural. Les fouilles ont révélé qu’aux alentours du Xe siècle, mêmes des édifices emblématiques, comme celui de l’aula de la Motte de la Chapelle à Doué-la-Fontaine ou celui du château de Mayenne, de l’abbatiale de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu ou de la collégiale Saint-Martin à Angers, étaient vraisemblablement couverts en matériaux périssables tels que des bardeaux de bois.
5En l’absence de tuiles sur les grands édifices prestigieux, des ruines antiques pouvaient-elles encore recéler des restes de tegulae ? Même si les spolia du haut Moyen Âge ont été considérables (ce que montrent clairement les fouilles d’édifices romains), il restait des vestiges d’époque romaine dans le paysage, comme l’attestent ceux, encore assez abondants, parvenus jusqu’au XIXe siècle. Par ailleurs, les commanditaires de l’atelier eux-mêmes (élite seigneuriale de Beaupréau ou celle, religieuse, des possessions dépendant de l’abbaye Saint-Serge d’Angers), pouvaient-ils être les vecteurs d’une telle culture, à travers les échanges entretenus au sein d’une communauté encore soucieuse de culture antique ?
6En réalité, cette tegula est nettement « médiévalisée » : elle a perdu son format presque carré pour acquérir la forme allongée des matériaux médiévaux. De plus, certains exemplaires ont reçu un traitement décoratif spécifique à l’atelier, présent également sur des briques : il s’agit d’une estampille inscrite dans un cartouche ovale, figurant un quadrupède stylisé (loup ou chien) à queue en panache, caractéristique des figures emblématiques des armoiries du Moyen Âge central [ill. 4]. La tuile à rebord de Beaupréau est une synthèse entre un modèle antique et les tendances de la culture médiévale de son temps. Elle apparaît finalement comme l’expression d’une créativité propre à cette période foisonnante du XIIe siècle.
4. L’estampille et les poinçons portés sur certaines productions de l’atelier.
Inrap
7L’atelier de Beaupréau est la manifestation d’un essor économique et constructif permettant à des élites d’implanter une tuilerie sur un territoire qui en était dépourvu probablement depuis la fin de l’Antiquité. La période du XIIe-XIIIe siècle est fondatrice puisque tous les matériaux apparaissant à cette période sont ceux que l’on rencontre jusqu’au XIXe voire au début du XXe siècle. Même les aires de répartition actuelles entre tuile plate et creuse se dessinent à cette période. En matière de briques, tuiles, carreaux de sol, ces siècles sont ceux de la genèse de la modernité.