1Le val de Blois est un territoire occupé de longue date. C’est aussi un espace qui peut être caractérisé par ses croisements d’axes de communication : voie fluviale, carrefour de voies terrestres et franchissement du fleuve. Cette configuration confère une place spécifique, et par nature singulière, à l’agglomération dans le réseau urbain local et régional. Nous voudrions montrer quelques-uns des témoignages matériels indubitablement liés à l’histoire du site qui permettent d’illustrer cette position particulière. Pour ce faire, on se propose d’exposer quatre moments de l’histoire du val de Blois en adoptant concurremment différentes échelles d’analyse : des territoires au site habité, du réseau d’agglomérations au schéma urbain, des voies aux franchissements.
2Grâce à l’essor de l’archéologie préventive, principalement à partir des années 1990, aux prospections et recherches programmées récentes (Aubourg, Josset, 2018b) et, dans une moindre mesure, aux découvertes anciennes, la connaissance des premiers établissements humains dans le val et celle du premier millénaire du développement urbain ont considérablement progressé. Le statut de l’agglomération et la trajectoire de la fabrique urbaine sont dorénavant appréhendés sur des bases solides et vérifiables, malgré les inévitables écueils intrinsèques à la recherche historique. Ainsi, tout nouvel élément qui enrichit notre modèle de compréhension est potentiellement susceptible de le corriger, parfois même en profondeur. Pour illustrer cela, on peut notamment prendre pour exemple l’évolution de notre perception de l’agglomération antique dans les publications des vingt dernières années (Cribellier, 1999 ; Cribellier, 2016 ; Aubourg, Josset, 2014 ; Aubourg, Josset, 2016 ; Cribellier, 2017).
3Le val de Blois se trouve dans le bassin de la Loire moyenne, à égale distance entre Orléans et Tours, en limite de deux importantes zones naturelles, la Beauce au nord et la Sologne au sud. Le lit majeur est large de 1,7 à 2,45 km. Il est limité par des coteaux relativement abrupts de 25 à 30 m d’élévation. Ceux-ci sont constitués de calcaires tertiaires à l’amont (aquitanien, calcaire de Beauce) et secondaires à l’aval (sénonien, craie de Blois). En rive droite, le plateau calcaire est entaillé par l’Arrou (Caudron, Desprez, Lorain, 1972). Un promontoire résulte de cette incision au niveau de la confluence avec le fleuve. La canalisation souterraine de l’Arrou, mais aussi des Mées, pourrait être intervenue à partir de l’époque médiévale, la localisation de leur confluence étant quant à elle hypothétique [ill. 1].
1. Le relief du val de Blois avec ses cours d’eau, aujourd’hui en partie canalisés.
1. Ancienne chenalisation ligérienne • 2. Confluence Noue-Cosson, à chenaux multiples • 3. Confluence de la « gouttière » du Cosson et de l’ancienne chenalisation ligérienne • 4. Montille érodée et emboitée dans les alluvions hollocènes • 5. Montille de la Motte • 6. Promontoire • 7. Sondage carotté • 8. Pont Jacques Gabriel • 9. Pont Charles De Gaulle • 10. Pont François Mitterrand. D’après Morin, 2016.
Eymeric Morin (Inrap) et Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
- 1 Datation 14C sur prélèvement obtenu en sondage carotté : code laboratoire Beta-391988.
- 2 Datation 14C sur prélèvement obtenu en sondage carotté : code laboratoire Lyon-13596.
4Le lit mineur du fleuve est excentré dans la vallée, presque plaqué au pied du coteau de la rive droite. La rive gauche constitue une vaste plaine d’inondation avec des zones plus élevées de deux à trois mètres seulement qui ont été occupées précocement. L’eau y est omniprésente sous diverses formes. Ce sont d’abord les eaux courantes de la Noue et du Cosson. Ce sont ensuite les eaux stagnantes qui constellent le paysage avec les zones humides qui subsistent aux abords des cours d’eau secondaires. Les recherches programmées portant sur l’étude de la paléotopographie du lit majeur et les opérations d’archéologie préventives récentes (Jouquand, Jouanneau-Bigot, 2018) conduisent à une meilleure appréhension de la vaste plaine alluviale en rive gauche. Dès les premières installations humaines, les habitats – aujourd’hui dans l’emprise du quartier de Vienne – auraient été cantonnés, au nord, par le chenal principal, et au sud par une ancienne chenalisation ligérienne. Des zones marécageuses s’étendant en bordure du Cosson sont attestées au moins depuis la période gallo-romaine (1680 ± 30 BP1) jusqu’au haut Moyen Âge (1180 ± 30 BP2) (Aubourg, Morin, Hulin et al., à paraître ; Morin, 2016). Cet environnement constitue autant de limites et d’obstacles à franchir pour les voies qui le traversent.
5Il est admis que le val de Blois se situe en territoire carnute, dans un secteur excentré du couloir ligérien (Fichtl, 2004, p. 9 et 49 ; Parisse, 1994, p. 9-10 et 41-48). Plus récemment, les travaux sur la culture matérielle confirment le rattachement de ce territoire à l’aire culturelle carnute. Ils permettent aussi de souligner un certain particularisme typique d’une zone de carrefour et d’échanges entre les entités politiques et culturelles affirmées turones, bituriges et carnutes. À l’intérieur même du territoire carnute, le val de Blois se situerait au centre d’une « zone de transition » culturelle vis-à-vis des voisins turons et bituriges (Linger-Riquier, Troubady, 2014, p. 36). Cette position pourrait avoir été renforcée par l’axe commercial majeur que constitue la Loire (Fichtl, 2004, p. 24 ; Barthélemy-Sylvand, 2007, p. 7-8).
6Plusieurs pôles d’occupations, localisés de part et d’autre de la Loire, sont répartis dans le val dès le IIIe siècle avant notre ère [ill. 2]. En rive droite, le plus évident est sur le promontoire ; un second, plus hypothétique, se trouve sur le plateau. Il s’agit de la Butte des Capucins, interprétée comme un indice de tombe monumentale de la fin du premier âge du Fer. Jadis située dans un secteur rural où elle représentait un repère remarquable, elle est aujourd’hui dissimulée dans le paysage urbain (Chimier in Josset, Aubourg, Blanchard et al., 2018, p. 143 et 152). En rive gauche, ce sont deux sites bien distincts qui occupent les secteurs parmi les plus élevés du val. L’un se développe en face du promontoire, rue du Puits-Neuf, à une centaine de mètres de la berge actuelle. Le second, le site de la Croupe, est localisé rue de la Motte, un kilomètre environ en aval, cette fois-ci en face de la Butte des Capucins [ill. 2].
2. État des connaissances de l'occupation gauloise dans le val de Blois.
SIG la Blésoise, Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
- 3 Butte sableuse au milieu de la plaine alluviale et généralement insubmersible aux hautes eaux (Lora (...)
7L’habitat de la Croupe est interprété comme une agglomération ouverte qui prend place sur une montille3. Sa superficie est estimée à environ 7 ha (Peyne, Noël, 2012). L’habitat est dense et organisé. Il se développe du milieu du IIIe siècle jusqu’au début du Ier siècle avant notre ère. L’artisanat y est omniprésent ; on y travaille le fer et les alliages cuivreux. Ses habitants entretiennent des relations commerciales avec leurs voisins proches, Turons et Bituriges, ce que rend notamment visible l’analyse des monnaies. Sur la même rive, plus en amont, la fouille de la rue du Puits-Neuf en 2013-2014 a livré des vestiges d’occupation de La Tène moyenne et de La Tène finale (Josset, à paraître). Ils sont représentés par une sépulture isolée du IVe-IIIe siècle et par des fossés formant parfois enclos, a priori comblés au plus tard dans le courant du Ier siècle avant notre ère. Ces fossés dessinent un parcellaire aux axes orthogonaux. Ils sont orientés sur le même canevas de la deuxième phase du site de la Croupe, où un espace de circulation a été mis au jour dans sa partie nord. Par sa position, il est d’ailleurs possible d’y reconnaître le tracé originel du chemin rural actuel du Haut de la Bonne (Peyne, Noël, 2012, p. 23).
8En rive droite, sur le promontoire, les vestiges les plus anciens sont des petits lots de céramique attribués aux IIIe et IIe siècles avant notre ère (Josset, Aubourg, Couvin et al., 2004, p. 202-207). La contemporanéité d’occupation du promontoire et de la montille de la Croupe peut par conséquent être envisagée sur une durée assez longue. Par la suite, un habitat limité se pérennise sur tout le promontoire dès La Tène finale. On ne saurait encore établir un lien avec un éventuel oppidum gaulois comme cela fut longtemps suspecté. Structures et mobilier, principalement céramique, sont en effet encore en quantité bien trop insuffisante pour accréditer une telle proposition. En dépit de cela, les récipients de terre cuite associés à cet habitat sont globalement de belle qualité. On note la présence de vaisselle imitant les céramiques campaniennes, de vases de type Besançon et d’autres aux nombreux décors au poinçon. Ce mobilier caractérise habituellement les oppida de la région avant la période augustéenne, comme Orléans ou Amboise, et il se distingue nettement de celui couramment observé dans les fermes indigènes fouillées en territoire carnute.
9Une des questions qui demeure pour cette période est de savoir si les divers habitats maintenant connus sur le territoire actuel de Blois forment une même entité de peuplement dispersée en plusieurs pôles. S’ils interagissent sans doute avant La Tène D, notamment dans la perspective du nécessaire contrôle de ce territoire par les Carnutes, la situation semble avoir radicalement évolué au Ier siècle avant notre ère. Il en résulte la quasi-désertion de l’agglomération artisanale en rive gauche. Cette évolution remarquable aurait conduit à un déplacement des populations et des activités, plus en amont, dans des secteurs dorénavant situés en vis-à-vis, sur chaque rive du fleuve. La nouvelle configuration de la répartition de l’habitat ainsi plus concentré dans le val pourrait aussi suggérer la présence proche d’un lieu privilégié de franchissement du fleuve. Il est en effet probable que les populations aient fait le choix de s’installer à proximité du principal axe de communication et dans l’environnement immédiat de sa connexion avec le point de passage du cours d’eau. Quoi qu’il en soit, cette disposition originale de l’habitat concorde avec la position et le rôle de carrefour des principaux axes locaux et régionaux de circulation et d’échanges.
10Enfin, comment envisager la continuité vraisemblable d’occupation gauloise du site avec le phénomène majeur que constitue le développement urbain de l’agglomération antique de Blois à l’extrême fin du Ier siècle avant notre ère ? On ne saurait encore le préciser dans le détail à l’échelle du territoire. Ce que l’on perçoit toutefois, c’est que dans les premiers temps de son existence, la ville croît d’un même mouvement sur les deux rives qu’un pont relie au moins à partir de la première moitié du Ier siècle (cf. infra). Sur le site de la rue du Puits-Neuf en rive gauche, les aménagements antiques sont assurément implantés sans hiatus chronologique apparent à partir du parcellaire antérieur gaulois (notamment avec de nouveaux fossés), mais aucune continuité d’usage des sols ne peut encore être confirmée à ce stade de l’étude.
11L’agglomération secondaire de Blois est partie constitutive de l’armature du réseau urbain de la civitas carnutorum mis en place à l’époque augustéenne (Cribellier, 2016, p. 57-59) [ill. 3]. Elle fait partie de ces villes du centre de la Gaule, peu nombreuses, dont l’origine est liée à une occupation antérieure gauloise (Ibid., p. 40-41). Blois est un lieu de peuplement intermédiaire important au sein de la cité dont Autricum (Chartres) est le chef-lieu. Cependant, la ville n’est mentionnée dans aucun itinéraire antique. Elle ne figure pas sur la carte de Peutinger, bien qu’une voie terrestre Tours-Orléans (Caesarodunum-Cenabum) y soit représentée. Blois étant située à égale distance des deux villes, on peut donc admettre que cette voie routière majeure devait y passer. En revanche, contrairement à ce que l’on a pu affirmer (Aubourg, Josset, 2016, p. 322), rien ne permet de supposer que cette voie empruntât plus la rive gauche que la rive opposée (cf. infra). Le croisement d’itinéraires terrestres et fluvial est finalement fortement suggéré à Blois par son emplacement au sein du réseau urbain régional. Il paraît également comme une évidence grâce à sa position sur la Loire et du fait que s’y trouve un pont pour la franchir. Rappelons que ceux-ci sont peu nombreux à être répertoriés dans la région pour cette période. L’existence probable d’une seconde voie terrestre allant de Chartres à Bourges (Avaricum), passant par l’agglomération blésoise, confirmerait enfin sa place de carrefour routier (Cribellier, 2016 : fig. 9, 49 et 51-52). Deux pistes ont été suivies pour tester cette hypothèse. Bien que le lien concret entre site et réseau soit souvent difficile à faire (Ibid., p. 36), on a tout d’abord recherché les arguments matériels qui permettent de suivre le prolongement des voies extérieures dans l’agglomération. On a ensuite considéré un autre critère qui repose sur le rôle essentiel que l’on reconnaît aux activités et aux fonctions urbaines dans l’attractivité de l’agglomération.
12La topographie du val de Blois, la présence du fleuve et de ses affluents ont joué un rôle décisif dans la fabrique de l’agglomération qui s’est principalement développée sur la rive droite, au pied du coteau, sur une longueur estimée de 1,5 km [ill. 4].
3. Les agglomérations antiques.
La région Centre-Val de Loire apparaît en grisé foncé. D’après Christian Cribellier, Jocelyne Vilpoux, Émilie Roux/PCR 2012-2015 (Cribellier, 2016, p. 32, 33, 37, 54, 55 et Cribellier, 2017, p. 42).
Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
4. L’agglomération antique de Blois.
Les témoignages d’occupation sont identifiés, à des niveaux de précision divers, sur les deux rives du fleuve. Ils définissent ainsi un site bipolaire qui s’étend sur une superficie de près de 30 ha inégalement répartie dans la vallée.
SIG la Blésoise, Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
13La connaissance du schéma urbain repose sur des observations ponctuelles, mais aussi sur un travail d’analyse régressive du parcellaire à partir du cadastre ancien de 1810. Dans les deux secteurs où la trame viaire antique est la mieux documentée, celle-ci est finalement très présente dans le parcellaire actuel. Le réseau viaire antique semble s’articuler à partir de deux grands axes perpendiculaires : un premier, parallèle au fleuve en rive droite, et un second documenté en rive gauche. Le pont sur la Loire assure la continuité des réseaux urbain et routier d’une rive à l’autre ; il est le point central du carrefour [ill. 3-4].
14Le pont antique est constitué d’au moins onze piles (Josset, Aubourg, Blanchard et al., 2018, p. 33-37 ; Aubourg, Josset, 2018a, p. 71-73) [ill. 5]. Espacées entre 8 et 13 m, elles forment un plan général relativement homogène et devaient supporter un tablier d’une largeur estimée à une dizaine de mètres. De nombreux autres pieux, généralement de section circulaire, matérialisent, soit des désordres, soit des aménagements structurés qui rompent la cohérence apparente du plan général. Ils pourraient être en lien avec des phases de réfections postérieures ou bien encore révéler, pour certains, un état antérieur. Les datations par le 14C et par la dendrochronologie des échantillons prélevés sur 23 bois permettent de définir au moins trois grandes phases de construction et de réparations. Les deux premières se rapportent à des piles de l’ouvrage dont le plan général est le plus complet : après 5 de notre ère pour la phase la plus ancienne ; coupes de bois après 78, 114, 115 et 153 pour la phase suivante. La troisième phase, entre 220 et 244, correspondrait à des réfections intégrant des pieux circulaires (Josset, Aubourg, Blanchard et al., 2018, p. 37 et annexe 10). Alors que l’agglomération connaît de profondes transformations dès le courant du IIe siècle, avec la désaffection très nette de certains sites, sans trace connue de nouvelles installations intra-urbaines, les travaux de la première moitié du IIIe siècle soulignent l’importance apportée au maintien du franchissement.
5. Vue générale vers le nord-ouest des vestiges du pont antique.
En arrière-plan et en hauteur, le château de Blois.
Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2003).
15Au nord, en rive droite, le pont aboutit dans un secteur proche du cœur urbain. Il ne peut pas être directement mis en lien avec le réseau de voies urbaines connues (cf. infra). Dans le quartier du Foix, au sud-ouest de l’agglomération, une trame orthogonale est désormais identifiée grâce à trois voies parallèles à la rive et deux autres portions de voies secondaires perpendiculaires. Au plus près du fleuve, la rue de la Grève [ill. 4, n° 1] et une portion de voie fouillée en 1999 forment un premier axe (Aubourg, Josset, 2002, p. 31-34). La rue du Foix [ill. 4, n° 2], le long de laquelle plusieurs sites ont été mis au jour, est la voie urbaine sortante qui, en direction du sud-ouest, menait vers Tours dans la plaine alluviale. La rue du Sermon [ill. 4, n° 3], enfin, prolonge une voie antique observée dans un secteur où la présence du tracé ancien ne subsiste que dans les limites de parcelles. L’analyse régressive du parcellaire permet aussi de proposer des tracés de voies qui auraient pu arriver sur Blois par le plateau. La vallée de l’Arrou serait un axe naturel est-ouest. Depuis le nord, comme au Moyen Âge, la voie arrivant de Chartres aurait emprunté la rue Porte-Chartraine puis la rue du Commerce [ill. 4, n° 4 et 5] pour atteindre le fleuve (Aubourg, Josset, 2016, p. 322). Il y a enfin celles qui ont pu suivre le fleuve à de plus ou moins grandes distances du sommet du coteau, vers Tours (sud-ouest) et vers Orléans (nord-est).
16Le second axe majeur no-se correspond au passage du fleuve et à la traversée de la plaine alluviale en rive gauche. L’axe du pont peut ensuite être poursuivi par les rues actuelles Munier et Croix-Boissée [ill. 4, n° 8 et 9], mais pas au-delà vers le sud-est. La plaine d’inondation est un milieu bien trop instable pour y reconnaître, en l’état, le ou les espaces de franchissements pour les périodes antérieures au XIIIe siècle.
17Malgré les difficultés à comparer des observations très inégalement renseignées, les vestiges archéologiques les plus explicites se rapportent à des réalités urbaines très différentes. Ils permettent de reconnaître des quartiers aux rythmes d’évolutions, aux fonctions et aux organisations distinctives.
18Le centre urbain est localisé approximativement entre la rue actuelle du Commerce [ill. 4, n° 5] et l'extrémité du pont romain en rive droite. Une de ses composantes, le quartier Valin de la Vaissière [ill. 4, n° 6], recèle des vestiges qui offrent une image contrastée des activités qui s’y développent. Tout d’abord, des maçonneries massives découvertes anciennement suggéreraient, selon leur inventeur, l’existence d’un édifice public antique. Hypothèse pour l’heure invérifiable, il s’agit néanmoins pour Blois du seul indice possible de parure monumentale (Aubourg, Josset, 2016, p. 325). Les vestiges les plus probants documentent en définitive un aspect bien différent de la ville antique, celui d’un quartier d’habitation densément occupé entre la fin du Ier siècle avant notre ère et la fin du IIe ou le début du IIIe siècle (Josset, Aubourg, Couvin et al., 2004, p. 210-216).
19Soixante-quinze mètres en aval du pont antique en rive droite, le secteur fait l’objet d’un lotissement programmé dans la première moitié du Ier siècle (Ibid., p. 216-217 ; Aubourg, Josset, 2002). Un nivellement général du terrain est réalisé grâce à d’importants apports de terre qui prennent appui sur un système de terrasses que contiennent plusieurs murs disposés à la perpendiculaire. La topographie du site s’en trouve profondément bouleversée ; elle répond dorénavant à la volonté de lotir l’espace, notamment pour la construction de maisons de plain-pied ou sur cave avec sols bétonnés. De nouvelles constructions, moins bien conservées, se succèdent jusqu’au IIIe siècle de notre ère. Le site semble occupé moins régulièrement jusqu’au Ve siècle, avant de cesser de l'être pour plusieurs siècles. Les vestiges et la stratification évoquent une occupation domestique moins dense qu’à proximité du centre urbain. Les différences constatées d’un quartier à l’autre dans les modes de construction révèlent sans doute des fonctions et des statuts distincts.
20Avec le promontoire, le quartier du Foix est le secteur de la ville qui a fait l’objet des recherches les plus nombreuses ces dernières années. Si quasiment toutes les observations attestent la présence d’habitat des Ier et IIe siècles (Aubourg, Josset, 2014, p. 13), les indices d’activités artisanales et commerciales ont souvent été détectés à leurs abords. Ils concernent le travail de l’os, le tissage et principalement la métallurgie avec la forge. Plusieurs sites d’exploitation de ressources naturelles sont encore répertoriés dans le même secteur. Il s’agit de carrières d’extraction de limon et de grave qui occupent la base du coteau et une partie de la plaine alluviale dans une fourchette chronologique comprenant les deux premiers siècles de notre ère.
21À l’opposé de l’agglomération romaine, la partie orientale reste encore très mal connue. Les découvertes anciennes très ponctuelles permettent de suivre l’étendue de la ville sur quelques centaines de mètres au nord, dans la vallée de l’Arrou, et le long du fleuve, vers le nord-est. Mais, en l’absence de datation et de caractérisation précise des vestiges, ces observations ne nous sont d’aucune aide en matière d’analyse fine de la morphologie urbaine et de son développement. Bénéficiant de moyens d’accès médiocres, le promontoire [ill. 4, n° 7] est maintenu à l’écart de la phase d’expansion urbaine des Ier et IIe siècles de notre ère (Ibid., p. 11 ; Josset, Aubourg, Couvin et al., 2004, p. 208-210). Le promontoire est un espace périurbain que caractérise une faible densité de vestiges à vocation d’habitat qui perdure jusqu’au IIe siècle de notre ère. Le bord de plateau qui domine l’Arrou sur son versant septentrional, opposé au promontoire, pourrait être dans une même situation, principalement concernée par un habitat lâche à caractère rural.
22Pour la rive gauche, le pont permettait l’accès à un sanctuaire et au quartier d’habitation qui le bordait. Le sanctuaire comprend un fanum, des édicules et un fossé délimitant le péribole (Josset, à paraître). Les activités du site se développerait pendant au moins les deux premiers siècles.
23Enfin, malgré la place importante du fleuve, on ne dispose d’aucun élément archéologique qui permette d’apprécier le lien réel existant entre le fleuve et l’agglomération : aucune trace de quais, d’entrepôts ou de port. La localisation d’un lieu d’accostage et de déchargement aménagé ne peut à ce jour pas être raisonnablement proposée.
24Par conséquent, en l’état actuel des connaissances, il est encore bien difficile d’attribuer à l’agglomération blésoise une fonction urbaine dominante qui justifierait plus qu’une autre son rôle attractif dans le réseau régional. Ce qui fait carrefour, ce sont avant tout les axes de communication terrestres qui dorénavant sont mieux identifiés.
25Depuis 330 environ et la création de la civitas Aurelianorum, la cité des Carnutes est amputée d’une partie de son territoire ligérien [ill. 6]. Cette transformation notable place le Blésois dans une situation d’enclave méridionale de la civitas Carnutorum. Aux siècles suivants, l’unité territoriale administrée par Blois est un des sept pagi de cette civitas. Les découvertes de tremisses en or légendées Bleso castro attestent aussi la présence d’un atelier monétaire aux vie et VIIe siècles. Cela témoigne de l’importance prise par ce castrum dans un contexte politique désormais totalement reconfiguré et dont la mutation s’achève au Xe-XIe siècle. Toujours aux VIe et VIIe siècles, les premières mentions de la ville sont répertoriées dans les écrits de Grégoire de Tours (castrum blesene ou castellum blesense) puis du Géographe anonyme de Ravenne (Aubourg, Josset, 2016, p. 318).
6. Les agglomérations de la région Centre-Val de Loire occupées dans l’Antiquité tardive.
D’après Cribellier, 2016, p. 32, 33, 37, 54, 55 et Cribellier, 2017, p. 45-47.
Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
26Le réseau des communications majeures perdure visiblement, ce qui aide au maintien de la place de Blois dans le réseau urbain régional (Cribellier, 2017, p. 42-43). Dans l’agglomération, bien que le bouleversement de la topographie urbaine soit considérable à partir du courant du IIe siècle dans certains quartiers, les éléments morphogènes antiques structurent toujours l’espace. Les modalités de transmission des formes paysagères et parcellaires ne sont cependant pas clairement explicables : réelle continuité fonctionnelle ou simple résilience des limites parcellaires. Alors que l’existence d’un pont est désormais attestée pour le haut Moyen Âge, sa mise en place reste à ce jour incertaine, soit le VIIe ou le VIIIe siècle, soit le milieu du Xe siècle. Pour autant, les principaux accès à la ville ne semblent pas changer par rapport à la période précédente.
27Les transformations notables de l’agglomération font directement écho aux profonds changements sociétaux alors à l’œuvre. L’abandon d’un quartier entier est rare. La recomposition et la diminution de l’habitat sont nettement plus fréquentes, au bénéfice parfois d’une certaine redistribution des fonctions urbaines, pouvant même aboutir à des espaces libres. Comme parfois constaté dans d’autres agglomérations contemporaines, un certain dynamisme semble se conjuguer à une évidente rétractation urbaine (Ibid., p. 49).
28L’entité topographique la mieux documentée est le promontoire. De rares vestiges matériels conduisent à y envisager un habitat stable à partir du Ve ou de la première moitié du VIe siècle (Aubourg, Josset, à paraître). La présence de céramique importée (Argonne et Dérivée Sigillée Paléochrétienne) et celle d’une construction maçonnée sont des indices qui dénotent un certain degré d’urbanité, mais ne permettent pas pour autant de voir en ce lieu une partie de la ville. En revanche, la relative continuité entre cette occupation et celle liée au développement du castrum des vicomtes de Blois au VIIe-VIIIe siècle pourrait laisser imaginer que le site ait été fortifié dès cette période, dominant par là même le vicus situé en bord de Loire (Cribellier, 2017, p. 57-58).
- 4 Les terres noires contiennent du mobilier et des matériaux très divers, souvent très organiques, do (...)
29Dans l’agglomération, les preuves d’occupations sont bien moins nombreuses et globalement plus imprécises à partir de la charnière des IIe et IIIe siècles. Il s’agit souvent d’aménagements non structurés et surtout de témoins matériels en position résiduelle, du IIIe à la fin du VIIe siècle. On note toutefois que la nature de la stratification observée s’apparente généralement aux terres noires urbaines, lesquelles attestent indubitablement des habitats4 sur les deux rives. La ville romaine est par endroits encore bien visible, grâce à la présence de ruines ou bien encore de maisons toujours occupées (Aubourg, Josset, à paraître). Les seules traces possibles d’activité économique repérées sont les actions de récupération de matériaux pour lesquelles les caractères systématiques ou opportunistes, artisanaux ou privés, ne sont jamais vérifiables.
30Les mentions d’établissements chrétiens sont rares. Une première, très conjecturelle, placerait la création sur la rive droite du fleuve du monastère Notre-Dame à la fin du VIIe siècle (Lesueur, 1926, p. 133-134). Une seconde évoque la création d’un sanctuaire dédié à saint Pierre (future église Saint-Solenne, aujourd’hui cathédrale Saint-Louis) sur le plateau à la période mérovingienne (Ibid., p. 68). Les arguments convergent en faveur de la présence d’un pôle chrétien précoce en ce lieu, en particulier d’un secteur funéraire avec sarcophages se développant en bordure de plateau, sans antécédent antique (Josset, Aubourg, Blanchard et al., 2018, p. 181 ; Aubourg, Josset, à paraître). Ce nouveau pôle d’occupation pourrait confirmer la présence d’une voie terrestre située en bordure de plateau et le long de laquelle il serait implanté. Il s’agirait de l’axe reliant Orléans et Blois.
31En rive gauche, un habitat à vocation agro-pastorale occupe une position périurbaine à peu de distance du fleuve (Jouquand, Jouanneau-Bigot, 2018, p. 71-110). La chronologie de cette occupation est comprise entre le Ve-VIe siècle et la fin du VIIIe siècle. On se trouve alors à l’écart de l’extrémité d’un nouveau pont possible (cf. supra), proche de laquelle, rue du Puits-Neuf, perdurerait une autre présence, dont les traces spécifiques (terres noires) laissent supposer des modalités d’occupation et peut-être un rythme de développement distincts. Pour les deux sites, on ne connaît pas leur position respective par rapport à l’axe de franchissement du fleuve alors en usage, ni vis-à-vis du ou des points de passage dans la plaine alluviale. Au regard des données de fouille sur chacun des établissements, ce que l’on soupçonne néanmoins, ce sont des environnements extrêmement différents. Il est donc possible que cela soit la conséquence de leur situation propre dans le réseau de circulation local en place dans le secteur méridional de l’agglomération.
32C’est dans l’intervalle chronologique début VIIIe-début IXe siècle que l’on place le début de l’ascension notable des vicomtes et comtes de Blois. Le rôle politique central du comté de Blois dans le royaume se confirme au Xe siècle (Aubourg, Josset, 2000, p. 188-190 ; Chédeville, 2000). Dans le même temps, une croissance urbaine significative caractérise les IXe et Xe siècles (Josset, Aubourg, Couvin, 2004, p. 221-230). La situation de carrefour d’itinéraires fluvial et terrestres est maintenant un fait acquis pour la ville de Blois. Pour le second haut Moyen Âge, on dispose de données factuelles pour appréhender cette position forte et centrale qui s’exprime dans divers domaines, en particulier politique et économique, mais aussi religieux, commercial et culturel [ill. 7].
7. La France au début du XIe siècle, alors que Blois est devenu capitale de comté.
D’après Guyotjeannin, 2005, p. 23.
Viviane Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
33Comme dans de très nombreuses agglomérations, cette époque voit l’affirmation de la puissance laïque comtale et de celle des abbayes concomitamment avec le développement d’autres lieux de culte chrétiens. Ces entités constituent autant de pôles autour desquels gravitent, convergent et se déploient nombre d’activités, au premier rang desquelles l’habitat urbain en pleine expansion. Le castrum situé sur le promontoire est devenu un pôle économique et politique très actif très bien documenté par l’archéologie (Aubourg, Josset, 2000 et 2003). Les établissements religieux occupent de vastes emprises, véritables enclaves dans le tissu urbain, en rive droite le long du fleuve. Le secteur qu’elles occupent au pied du castrum recèle les témoignages d’un milieu densément occupé. Enfin, l’attractivité grandissante de l’agglomération entraîne un regain d’activité artisanale et l’extension des marges urbaines.
34D’un point de vue économique, la ville concentre plusieurs centres d’intérêt importants : ceux du puissant comte et ceux des abbayes locales, de Bourgmoyen [ill. 8, n° 1] et de Saint-Laumer [ill. 8, n° 2] créée dans le courant du Xe siècle. Pour la première fois, grâce aux sources écrites disponibles, on perçoit clairement certaines des interactions qui opèrent entre ville et terroirs environnants. Elles se manifestent sensiblement à travers les capacités de stockage des céréales remarquables du castrum, ce qui traduit un pouvoir de captation des biens résultant du contrôle des populations (Aubourg, Josset, 2000, p. 173-176 et 191). On perçoit encore cette relation ville/campagne par la présence de témoignages matériels, en milieu urbain, d’activités agro-pastorales (Aubourg, Josset, 2002).
35Blois et le Blésois sont aussi au cœur d’une aire économique et culturelle céramique (Husi, 2013 ; Aubourg, Josset, 2013, p. 69-94). Les aires identifiées pour le bassin de la Loire moyenne seraient structurées par les voies terrestres et fluviales. Pour l’espace blésois, ces axes de communication privilégiés ont été l’ossature des échanges commerciaux et culturels aux échelles locale et micro-régionale (Husi, 2013, p. 251-252), mais aussi régionale avec de modestes échanges attestés avec l’Orléanais et la Touraine.
36Un caisson charpenté fait de madriers de chêne a été dégagé en 2018 dans l’axe de la Loire actuelle (Josset, Aubourg, Blanchard et al., 2018, p. 54-60). En partie situé sous une des piles du pont de pierre médiéval, il correspondrait à une fondation du pont bâti au milieu du XIe siècle [ill. 8]. Sa position indique un nouveau passage, en particulier avec une nouvelle connexion au réseau local en rive gauche. En rive droite, l’axe du franchissement confirme le statut et le rôle structurant majeurs d’une rue qui file dans le fond de la vallée de l’Arrou et qui franchit le coteau pour rejoindre l’itinéraire terrestre Blois-Chartres. Ce nouveau parcours de la traversée nord-sud de l’agglomération, en amont du pont antique, jamais aussi distant des grandes abbayes, semble marquer, sur les deux rives, le basculement du centre de gravité de la ville médiévale, sous la surveillance des seigneurs laïcs et sans doute à l’initiative du comte.
8. L’agglomération du haut Moyen Âge.
Le foisonnement de la culture matérielle, quelle qu’en soit la forme, confirme l’existence d’un véritable complexe autour du castrum.
SIG la Blésoise, V. Aubourg (Drac Centre-Val de Loire, SRA 2019).
37Depuis début 2019, les recherches archéologiques systématiques menées dans le val de Blois et sur le territoire de la commune ont livré d’importants résultats en lien avec le sujet de cet article. Certains permettront de poursuivre la réflexion liée à l’occupation du val avant la ville, d’autres contribueront à approfondir la connaissance du développement urbain, de l’évolution parcellaire et des réseaux. Des travaux ont été récemment publiés (Peyne, 2019), ou sont sur le point de l’être (Aubourg, Josset, 2020) – nous recommandons aux lecteurs de s’y référer. Enfin, des études sont toujours en cours, concernant notamment les franchissements de toutes les périodes et les nombreux aménagements fluviaux médiévaux.