Le Yémen transnational
- Traduction(s) :
- Transnational Yemen [en]
Texte intégral
- 1 On citera notamment Ulrike Freitag, Indian Ocean, Migrants and State Formation in Hadhramaut. Refor (...)
1La région comprise sous l’appellation « Yémen » est depuis des siècles un espace de mouvements et d’échanges. Sa position stratégique sur de nombreuses voies commerciales en a fait à la fois un lieu de passages, une région de contacts, de conquêtes, d’immigrations et d’émigrations, et les liens ont été nombreux avec la péninsule Arabique, autour de la mer Rouge, et au‑delà de l’océan Indien, jusqu’en Indonésie. Si les mobilités et les échanges avec l’extérieur constituent une caractéristique de la société yéménite à travers les siècles, la question des liens transnationaux, et la façon dont ils ont pu entrainer des réactions au sein de populations et d’États très différents, ont donné lieu a des travaux de qualité, mais qui restent encore trop peu nombreux1.
- 2 Nous tenons à remercier Patrice Chevalier et Samy Dorlian pour leur communication au WOCMES, ainsi (...)
2L’importance de ces liens mériterait une approche globale. Sans prétendre à une telle ambition, le CEFAS a, en 2009, entrepris de porter de nouvelles pierres à l’édifice en organisant un séminaire interne d’abord, animé par Juliette Honvault, puis en préparant, dans le cadre du WOCMES de Barcelone de juillet 2010, un panel sur le « Yémen transnational : réseaux ; échanges, mobilités », coordonné par Marine Poirier. Ce dossier en restitue la cohérence, autour de trois articles mêlant interdisciplinarité et perspectives historiques, du milieu du xxe siècle aux soulèvements de 20112. Il fait valoir, notamment, que les conquêtes modernes du Yémen — par les Britanniques dans le sud (1839–1967), par les Ottomans dans le nord (1849–1918) — ont fortement structuré les rapports du Yémen politique contemporain avec l’étranger. L’occupation britannique comme la politique d’isolement et de conservatisme farouche adoptée par le régime imamite (1904–1962) pour faire face à l’impérialisme européen et ottoman ont conduit les réformateurs et les indépendantistes des deux Yémen à se rapprocher des « frères » arabes, puis des idéologies modernes portées par les nationalistes arabes du Caire, de Beyrouth, de Damas ou de Bagdad : outre le nassérisme, imposé avec force lors de l’intervention égyptienne en faveur de la république entre 1962 et 1967, le baathisme, le socialisme, puis le marxisme après 1967, dans le sud autour d’Aden, ont marqué les orientations politiques des deux États jusqu’à la « réunification » de 1990. Mais ces idéologies ont‑elles vraiment imprégné les esprits ? Dans quelle mesure les séjours des Yéménites à l’étranger, souvent favorisés par la mise en contacts créée par ces occupations étrangères et les réactions qu’elles ont occasionnées, ont‑elles modifié les représentations de soi et du monde, les identifications à un État, une culture propre ?
3Les échanges transnationaux dont il est question dans ce dossier, qu’ils concernent le rôle d’un réformateur du Yémen du Nord des années 1930 aux années 1960 (Juliette Honvault), ou des artistes du Yémen du Sud et du Nord partis en mission d’études en URSS dans les années 1970–1980 (Anahi Alviso‑Marino), montrent la difficulté à s’affirmer en tant que membres d’une nation et d’une culture spécifiques dans un monde dominé par des idéologies autoritaires et rigides. Simultanément, les influences nées des expériences transnationales, même fortes, ne semblent avoir eu que des développements très limités. L’analyse de la gestion des influences idéologiques héritées des échanges avec le monde extérieur au sein du parti créé par ‘Alī ‘Abd Allāh Ṣāliḥ en 1978, le Congrès Populaire Général (Marine Poirier), fait écho, au présent et à travers la revendication d’un nationalisme exclusif, à la gêne que semble créer, au Yémen, toute perspective d’emprunt et d’appropriation culturels, mais aussi de reconnaissance des différences culturelles avec des États tiers. En somme, ce dossier invite à considérer comment, dans différents registres et à des moments différents de l’histoire du Yémen contemporain, s’exprime l’idée d’un « État‑Monde » — dans le sens d’un État acteur d’une mondialisation qui contribuerait, en retour, à le façonner à son tour — qui ne se reconnait pas.
Notes
1 On citera notamment Ulrike Freitag, Indian Ocean, Migrants and State Formation in Hadhramaut. Reforming the Homeland, Leyde / Boston, Brill, 2003 ; Ulrike Freitag & William Clarence‑Smith, Hadhrami Traders, Scholars and Statesmen in the Indian Ocean, 1750s–1960s, Leyde / New‑York / Cologne, Brill, 1997 ; Enseng Ho, The Graves of Tarim: Genealogy And Mobility Across the Indian Ocean, Philip E. Lilienthal Book in Asian Studies, 2006 ; Alain Rouaud, « Pour une histoire des Arabes de Djibouti, 1896‑1977 », Cahiers d’études africaines, vol. 37, n°146, La Corne dans tous ses États, p. 319‑348, url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cea_0008‑0055_1997_num_37_146_3516.
2 Nous tenons à remercier Patrice Chevalier et Samy Dorlian pour leur communication au WOCMES, ainsi que Michel Tuchscherer et Laurent Bonnefoy, respectivement président et discutant du panel.
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Référence électronique
Anahi Alviso-Marino, Juliette Honvault et Marine Poirier, « Le Yémen transnational », Arabian Humanities [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 30 mars 2013, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/arabianhumanities/2100 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cy.2100
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