Navigation – Plan du site

AccueilNuméros16ThèmeDécentralisation et pouvoirs loca...

Thème

Décentralisation et pouvoirs locaux. Registres traditionnels du pouvoir et nouvelles formes locales de légitimité (Atelier : II)

Giorgio Blundo

Texte intégral

Remarques préliminaires

1Comme tout exercice de synthèse, la présente contribution doit gérer la contradiction entre l'objectif recherché de restituer au plus près le fruit du travail collectif de l'atelier et la nécessité de pallier au caractère hétéroclite et quelque peu dispersé des débats qui ont suivi les présentations. Ainsi, je préfère évoquer les principales pistes de recherche et expliciter les idées et les problématiques apparues parfois "en creux" dans le déroulement de l'atelier 1.

2Il faut tout d'abord souligner que la nature de la réflexion a été fortement influencée par le fait que l'ensemble des pays représentés dans les contributions (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Mali, Niger) se trouve jusqu'à présent dans des phases initiales du processus de décentralisation. Au Niger, un projet est prêt, mais la réforme s'arrête au‑dessus du niveau cantonal, sans modifier la chefferie administrative ; au Mali, la première phase du processus est presque achevée, mais les élections administratives ont été reportées ; en Côte d'Ivoire, l'État a opté pour une déconcentration administrative au lieu d'une véritable dévolution des pouvoirs ; le Bénin, quant à lui, connaît des retards dans l'application du projet, tout comme le Burkina Faso. L'analyse de cas en situation de pré‑décentralisation a donc forcé les participants à adopter une posture moins courante chez les socio‑anthropologues, prospective plutôt que rétrospective. Il a donc été évoqué l'importance d'une analyse historique comparative s'appuyant sur des matériaux empiriques collectés au Sénégal, au Ghana, au Kenya, ou encore dans la région des Grands Lacs. Il faut cependant souligner que dans tous les pays considérés par les travaux présentés en atelier, le processus déclenché a généré des débats dans lesquels la question de la place et du rôle des institutions politiques locales dans un contexte de décentralisation était centrale.

3En deuxième lieu, l'ensemble des textes partage ‑ en filigrane et à des degrés différents ‑ une même perspective 'd'analyse, qui se veut résolument historique, tout en restant ancrée à des observations directes fondées sur des recherches de terrain de longue durée.

Problématique

4Le thème de la relation entre pouvoirs locaux et décentralisation a été abordé à l'aide de

5la grille de lecture suivante :

61. La multicentricité et la complexité des arènes politiques locales investies par le projet de décentralisation ont été posées comme postulat de départ. L'absence de terrains institutionnels "vierges" est donc une donne essentielle pour comprendre la manière dont la décentralisation ‑ qui vise à implanter de nouveaux modes de gestion, de nouvelles formes de légitimité et d'autorité et de nouvelles règles juridiques ‑, fonctionnera concrètement.

72. Dans sa dimension politique, le projet de décentralisation essaie ‑ avec des résultats variables selon les contextes historiques et nationaux ‑ de mettre en œuvre un double mouvement :

8a) la politique moderne descend vers les villages : en effet, la décentralisation instaure des formes de compétition électorale pour le contrôle des pouvoirs locaux, crée des lieux de débat autour du choix et de la réalisation d'objectifs collectifs et contribue théoriquement à l'émergence d'une sphère publique ;

9b) quant aux pouvoirs locaux traditionnels, coutumiers ou néo‑traditionnels, ils ne sont pas appelés à retourner vers le terroir, comme exhortent les Maliens, mais plutôt à le quitter. Quatre cas de figure ont été évoqués quant au rôle et à la place assignés par la décentralisation aux configurations politiques et institutionnelles locales :

  • exclusion : les centres locaux de pouvoir sont privés des compétences qui leur sont propres en matière de gestion locale (cas du Sénégal) ;

  • intégration : les réformes administratives s'appuient sur les centres locaux de pouvoir sans les modifier, afin de les intégrer progressivement dans le dispositif institutionnel étatique. C'est l'option malienne discutée par Coll, option qui prévoit la reconnaissance des compétences et des pouvoirs locaux et assigne un rôle actif aux di verses organisations de type associatif ou socioprofessionnel, selon le principe de la subsidiarité dans la gestion des affaires publiques ;

  • maintien du statu quo, comme dans le cas du Niger, exposé par Olivier de Sardan, où la chefferie de canton n'est pas touchée par la réforme ;

  • remodèlement ou tentative d'adapter les institutions locales à la décentralisation, c'est‑à‑dire de les réformer et de les ajuster aux nouveaux objectifs de gestion.

103. Les politiques de décentralisation récentes doivent être comprises à la lumière d'un mouvement général de "retour au local" et de valorisation des approches participatives. Parallèlement à ces changements dans les approches du développement local, l'on assiste à des phénomènes de diversification remarquable des acteurs relevant de la "société civile" : on peut citer l'émergence ou la consolidation d'organisations de différente nature (associative, développementaliste, professionnelle), porteuses de formes de légitimité nouvelle issue ‑ entre autres ‑ du contrôle des ressources qui transitent par la coopération au développement. De rôles sociaux d'intermédiation de nature nouvelle naissent à l'intersection de ces réseaux multiples et se superposent aux réseaux de nature politique, religieuse ou ethnique.

11Les participants à l'atelier ont été donc invités à débattre des nouvelles configurations politiques et institutionnelles locales qui vont naître des politiques de décentralisation. Va‑t‑on assister à l'exacerbation de conflits et/ou à la généralisation de situations de connivences souterraines entre groupes apparemment opposés ? Quels rôles joueront les institutions préexistantes à la décentralisation ?

Décentralisation et modes locaux de gouvernance

12Même si la majorité des politiques de création de gouvernements locaux est impulsée et mise en œuvre par les États, il se dégage des discussions que la décentralisation sera ce que les modes locaux de gouvernance permettront. Des différences importantes pouvant être repérées selon les pays et au sein d'un même pays, étant donnée la complexité des modes de gouvernance dont la configuration relève de l'alchimie de plusieurs registres hétérogènes : précolonial, colonial, islamique, chrétien, etc. Le cas du Niger ‑ esquissé par Olivier de Sardan ‑ qui présente le paradoxe d'une chefferie administrative créée dans la période coloniale, mais se revêtant d'une légitimité dite traditionnelle est exemplaire à cet égard. Du reste, les politiques de décentralisation sont parfois accompagnées par des discours qui semblent revaloriser les institutions politiques autochtones. Ainsi au Bénin l'annonce de la décentralisation s'est fait dans une période de revalorisation de la chefferie traditionnelle (Sodeik). De même, au Mali, les élites politiques soutiennent la thèse ‑ nuancée par Coll ‑ selon laquelle la décentralisation aurait un ancrage historique dans l'organisation politique des sociétés maliennes.

13Par ailleurs, les pouvoirs locaux "traditionnels" ne doivent pas être toujours conçus en situation d'extériorité par rapport à l'État local créé par la décentralisation : d'où la nécessité, évoquée par Chauveau et Olivier de Sardan, de mieux étudier les ancrages des élites locales au sein de l'administration ou de reconsidérer la portée du rôle assigné aux chefferies villageoises constituant en même temps le dernier maillon de l'administration (cf. par exemple la Côte d'Ivoire et le Sénégal).

Développement versus politique : catégories émiques et catégories analytiques

14Si la décentralisation inaugure la politique au village, les acteurs qui ‑ selon les décideurs ‑ devraient participer pleinement à la gestion des collectivités locales (en particulier, les associations et groupements de producteurs), semblent plutôt se démarquer de la réforme. L'argument avancé étant la nette séparation entre le domaine de la politique, où dominent la ruse, les subterfuges et les mensonges, et le domaine du développement, règne de l'action et de la transparence. Cette séparation nette entre la politique et le développement, évoquée par Lars Engeberg‑Pedersen pour le cas burkinabé, traduit des pratiques discursives courantes chez les acteurs du développement local. La dissociation des jeux de la politique politicienne est en elle‑même une prise de position sur le plan politique. Soit elle traduit une faible maîtrise des enjeux de la vie politique locale, comme l'illustre le cas des organisations paysannes béninoises présentées par Sodeik, soit elle constitue une stratégie de légitimation de nouveaux acteurs face aux élites politiques locales. Ces mêmes organisations paysannes constituent du reste des organes officieux de gestion des affaires communales souvent plus performants que les institutions administratives officielles.

Décentralisation, espaces publics et pratiques néo‑patrimoniales

15Sous quelles conditions et selon quelles modalités la décentralisation va‑t‑elle contribuer à la constitution d'un espace public local et d'un bien public local ? Cette interrogation, transversale à plusieurs contributions, a généré des réponses nuancées. En effet, la multicentricité propre aux arènes politiques locales analysées dans l'atelier fait supposer que les nouvelles instances municipales interagiront avec des collectifs préexistants et souvent en situation d'affrontement mutuel. Quelle sera la capacité des collectivités locales à mobiliser ces collectifs autour d'objectifs communs ? Quelles formes de participation politique verront le jour dans ce contexte ? En outre, une notion de bien ou de service public est‑elle compatible avec l'existence de pratiques de type néo‑patrimonial et de modes de gouvernance fondés sur le factionnalisme ?

16Toutefois, la création d'arènes de confrontation et de négociation autour d'enjeux "nouveaux" (gestion foncière, production et allocation de biens et de services, projets locaux de développement) pourrait élargir les frontières d'une sphère publique aujourd'hui embryonnaire et favoriser la naissance de lieux institutionnalisés de débat public. Si la communication politique et le débat sur la gestion locale se font principalement ‑ en milieu rural ouest‑africain ‑ à travers le canal de la rumeur et des bavardages, l'exemple des radios rurales béninoises, présenté par Griitz, laisse penser que ces dernières sont non seulement des enjeux symboliques importants pour des entrepreneurs politiques locaux, mais qu'elles jouent également un rôle important comme espace de dénonciation ou de critique du pouvoir en place.

Haut de page

Notes

1L'atelier a vu la participation de 25 chercheurs, dont huit ont présenté une communication. Deux discutants, Lars Endberg‑Pederson et Eva Sodeik, se sont partagé l'analyse des papiers présentés. Chaque intervenant disposait d'un temps de parole de 15 minutes.
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Giorgio Blundo, « Décentralisation et pouvoirs locaux. Registres traditionnels du pouvoir et nouvelles formes locales de légitimité (Atelier : II) »Bulletin de l'APAD [En ligne], 16 | 1998, mis en ligne le 15 novembre 2006, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/apad/543 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/apad.543

Haut de page

Auteur

Giorgio Blundo

Institut Universitaire d'Études du Développement (IUED) 24. rue Rothschild ‑ 1211 Genève (CH). Tél. +41229065903 Fax. +41229064947 - giorgio.blundo@iued.unige.ch

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search