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Chronique scientifique/Scientific diary

« "Donnant Donnant". Les stratégies d'acteurs villageois face aux conditionnalités des projets de développement au Mali », par Marie‑Louise Mathieu, Thèse de doctorat en anthropologie de l'EHESS

Marseille, 2002.
Giorgio Blundo

Texte intégral

1En se penchant sur les stratégies des acteurs au sein des projets dits "participatifs" ‑ dans lesquels la participation passe par la mise en place d'une exigence de contrepartie de la part de la population ou par la mise en œuvre de procédures d'enquête dites elles aussi participatives ‑, Marilou Mathieu nous offre une microsociologie empirique minutieuse des complexes interactions que tissent intervenants et "intervenés" dans cette arène particulière que sont les projets de développement.

2La thèse, qui cherche entre autres à répondre à la question : "pourquoi les gens participent peu ou mal aux projets ?", démontre que cette obligation de contrepartie, gage apparent d'appropriation des ressources du projet par la population, repose sur des malentendus et des dialogues de sourds qui brouillent les rapports des bénéficiaires avec les dispositifs d'intervention ; les intervenants activent alors des procédures plus contraignantes qui ont comme résultat de bloquer toute possibilité de participation, ou d'en réduire la portée en leur assignant des temps, des lieux et des modalités déterminées de façon exogène. La participation devient donc plutôt une adhésion simulée aux méthodes participatives de l'ONG intervenante.

3Ce travail ‑ qui transforme en terrain et objet d'études un projet de développement au sein duquel M. Mathieu a travaillé au Mali de 1987 à 1991 ‑ constitue à la fois une anthropologie du développement (analyse des interactions et des processus enclenchés par une intervention extérieure) et une anthropologie pour le développement (par la dimension "appliquée" de son travail, qui n'hésite pas à s'interroger sur les apports du savoir socio‑anthropologique non seulement pour une connaissance approfondie des processus de changement impulsé de l'extérieur, mais aussi sur les processus de changement eux‑mêmes).

4"Terrain revisité", dans la mesure où il se fonde sur plusieurs séjours successifs à un premier terrain de trois ans et systématise des données collectées de manière informelle dix ans plus tôt ; ce retour sur le terrain se fait aussi à travers la mémoire. Les observations et les entretiens faits à l'époque ne correspondaient pas en effet à la problématique qui anime la thèse ; il a fallu donc tout un travail de vérification, de reconstruction, de remise en contexte constante des notes et des documents de travail de l'époque.

5Ethnographie d'un projet de développement, ce travail parvient à en restituer, parfois de façon voulue, parfois indirectement, l'atmosphère de travail et les contraintes auxquelles est soumise une ONG appartenant à une coopération balbutiante et dont la composante gouvernementale sera quelques années plus tard accusée d'inefficacité et de corruption. C'est une image vraie et convaincante d'une intervention d'ONG typique des années 80‑90.

6Cette thèse est aussi une réflexion heureuse sur le rôle du socio‑anthropologue dans un dispositif de développement, donc non plus comme acteur externe dans la phase d'identification, ou d'évaluation en cours ou ex‑post, mais comme acteur intégré au projet et l'accompagnant pas à pas. On peut souligner les différents rôles joués concrètement ‑ sans que cela ne soit toujours rendu explicite dans la thèse ‑ : rôle d'interprète entre les deux cultures (celle de l'ONG et la culture locale), arbitrage des débats et des conflits, production d'une connaissance "sur le tas", de réflexions à chaud, où lectures anthropologiques, entretiens semi‑directifs et une certaine dose de bon sens permettent de rendre intelligibles des comportements qui demeurent incompréhensibles aux yeux des intervenants extérieures.

7Des pages particulièrement intéressantes jettent un éclairage sur les ambiguïtés de notions qui semblent aller de soi, telles que "groupes cibles" et "bénéficiaires". L'auteur rappelle que la participation n'est pas uniquement déterminée par les logiques de solidarité, dépendance et clientèle des sociétés étudiées, mais également par les trajectoires historiques des interventions de développement dans la zone, les perceptions des ressources déployées et les conditions de "engagement des populations dans le projet.

8En dépit de quelques légères carences sur le plan théorique ou méthodologique (analyse critique de la littérature sur le cycle du don pas entièrement convaincante et peu utilisée dans le reste du travail, problématisation peu poussée des conditions particulières du terrain, quelques lacunes concernant la littérature, surtout anglophone, consacrée à l'anthropologie appliquée et du développement) le travail de M. Mathieu représente une contribution importante et empiriquement fondée à l'anthropologie des dispositifs de développement.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Giorgio Blundo, « « "Donnant Donnant". Les stratégies d'acteurs villageois face aux conditionnalités des projets de développement au Mali », par Marie‑Louise Mathieu, Thèse de doctorat en anthropologie de l'EHESS »Bulletin de l'APAD [En ligne], 22 | 2001, mis en ligne le 14 avril 2006, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/apad/277 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/apad.277

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Auteur

Giorgio Blundo

EHESS‑SHADYC. Marseille

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Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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