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Chronique scientifique/Scientific diary

« Qu'est‑ce qui fait crier les crentes ? Émotion, corps et délivrance à l'Église Universelle du Royaume de Dieu (Bahia – Brésil) ». Thèse de Livia Alessandra Fialho Costa

Paris, Janvier 2002, 343 p.
Pierre‑Joseph Laurent

Texte intégral

1Livia Alessandra Fialho Costa nous propose une brillante ethnographie d'un groupe de fidèles d'un temple de l'Eglise du Règne Universelle de Royaume de Dieu (EU). Le lieu de l'enquête, la petite ville de Cachoeira de l'Etat de Bahia au Brésil, est très judicieusement choisi dans la mesure où elle présente un brillant éventail des croyances populaires contemporaines du Brésil en passant du candomblé aux Eglises néopentecôtistes. L'enquête ethnographique proprement dite repose sur un minutieux travail de terrain de dix mois mené entre 1998 et 1999. A travers une observation participante rigoureuse et patiemment élaborée, l'auteur est en mesure de fournir à ses lecteurs les éléments contextuels indispensables à la compréhension des pratiques sociales et culturelles de ce groupe de néopentecôtistes. Les données empiriques de la dissertation s'appuient sur un corpus de vingt et un entretiens, réalisés auprès un groupe de femme de l'EU de Cachoeira, dont un récit, plus singulier, d'une informatrice privilégiée, habillement utilisé par l'auteur, sert en quelque sorte de fil conducteur pour introduire le lecteur dans les arcanes de l'EU.

2Bien loin du point du vue officiel de l'Evêque Macedo ou des médias qui ont littéralement diabolisé l'EU comme une entreprise mercantile, l'auteur, sans nier cet aspect, prend acte de l'importance du phénomène social mondialisé qu'elle représente et la décrit comme un véritable sujet ethnologique. Un aspect remarquable de cette dissertation tient dans le fait de n'avoir pas décrit l'EU par le menu des cultes, ni par une exégèse des rituels proposés. Ce point de vue trop couramment adopté par de nombreux spécialistes du pentecôtisme oblitère des pans entiers de la complexité sociale mise en œuvre par les membres de ces églises. Au contraire l'auteur concentre ses observations autour de trois espaces d'interaction sociale qui englobent le dispositif cultuel. Tout d'abord, la ville est abordée à travers un mode d'emploi, en terme de bien et de mal, mis en œuvre par les converties ; ensuite, le temple est perçu comme le lieu privilégié des expressions, par le corps en souffrance, du malheur, en même temps que de l'extrême émotion produite par la conversion, essentiellement décrite comme une délivrance, laquelle est décrite comme le développement d'une nouvelle capacité à faire confiance en soi et aux autres. La famille, enfin, est abordée comme le siège de nombreux drames privés et un lieu par excellence de la recherche du bonheur hic et nunc.

3A travers les récits proposés, l'auteur nous invite à cerner la teneur de la théologie de la prospérité en œuvre dans l'EU et ses implications socioculturelles. Il s'agit de comprendre les enjeux, pour les fidèles, de l'abandon de la souffrance. La délivrance, par le témoignage, équivaut à l'extirpation rituelle des souffrances personnelles. Ici, l'expérience de la puissance divine conduit à surmonter l'affliction par la construction d'une nouvelle personne, dans un univers où à la foi Dieu et l'individu parient sur la vie sur terre. L'auteur montre qu'il n'y a pas un modèle de délivrance (du malheur) ou de conversion, mais une pluralité de modèles qui s'organisent toutefois autour de deux grandes constantes. La première est celle du pouvoir de Dieu qui se réalise à travers le défi et la confiance du fidèle. La seconde porte sur la rédemption qui s'articule avec l'idée que le bonheur est lié à l'ici et maintenant.

4A travers l'observation d'un groupe de femme de l'EU de Cahoeira, L F C présente de manière convaincante les traits particuliers du néopentecôtisme brésilien. Dans la première partie de la dissertation retenons le débat finement établi autour d'une typologie en trois termes du pentecôtisme. Sur cette base, l'auteur montre l'importance accordée par l'EU à la recherche du bien être sur la terre, par opposition à la dévalorisation du « monde » dans les autres églises pentecôtistes. Cette « accommodation du monde » conduit à une analyse instructive de la dîme, perçue comme un défi à Dieu qui produit une auto‑valorisation de soi et qui accorde en même temps la fierté.

5La seconde partie de la dissertation est particulièrement intéressante dans la description des chaînes, correntes. Elles sont un pacte ou d'un pari entre le fidèle et Dieu. La ville est ensuite décrite à la fois comme un espace de travail et la rue comme une menace. Cette dernière, si elle est le théâtre privilégié des actions du démon, devient aussi un lieu de normativité, soit de l'invention de la distinction entre le bien et le mal dans le vie quotidienne. Je signalerai aussi la description des multiples fonctions attribuées aux fidèles au sein de l'église ; elle permet de comprendre l'importance de l'attribution de nouveaux statuts liés au prestige social et la reconstitution de réseaux de coopération.

6La dernière partie de la thèse porte sur une anthropologie des émotions. Ce point de vue théorique permet à Livia Alessandra Fialho Costa de produire une série instructive d'itinéraires de croyants. La souffrance est essentiellement exprimée par le corps. Et l'expression du mal être par le corps en souffrance renvoie toujours à quelque chose de plus complexe que ce soit des problèmes avec l'entourage (famille), des soucis économiques ou d'alcoolisme d'un conjoint... La démonstration conduit à montrer que le néopentecôtisme se penche d'abord sur l'individu. Ainsi, à travers l'instauration d'un système d'interdits, l'individu tente de remédier à la défaillance des réseaux d'assistance. Il lui incombe de construire sa trajectoire vers la rédemption en construisant sa perfection. C'est dans ce sens que la conversion équivaut à se "donner entièrement", soit à renouer avec l'état de confiance. L'établissement d'une typologie des maladies établies sur la base des récits des fidèles est révélatrice de leur mode de pensée, de même que de les diverses formes de souffrance renseignent sur les motivations de certaines conversions.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre‑Joseph Laurent, « « Qu'est‑ce qui fait crier les crentes ? Émotion, corps et délivrance à l'Église Universelle du Royaume de Dieu (Bahia – Brésil) ». Thèse de Livia Alessandra Fialho Costa »Bulletin de l'APAD [En ligne], 22 | 2001, mis en ligne le 14 avril 2006, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/apad/271 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/apad.271

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Auteur

Pierre‑Joseph Laurent

Professeur à l'Université de Louvain

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