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Dossier thématique
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Des « petits privilèges » pour compenser de grandes inégalités : les effets de l’absence de familles auprès d’enfants béninois et togolais opérés du cœur en Suisse

“Small privileges” to compensate great inequalities: effects of the absence of families among Beninese and Togolese children undergoing heart surgery in Switzerland
Carla Vaucher

Résumés

Cet article porte sur un dispositif de transferts médicaux dépendant d’une ONG d’aide à l’enfance, destiné à des enfants béninois et togolais souffrant de cardiopathies congénitales et voyageant vers la Suisse en vue d’interventions chirurgicales. Il se penche en particulier sur l’une des conditions de prise en charge du dispositif qui prévoit que les enfants voyagent seuls, sans aucun membre de leurs familles. L’auteure décrit les effets émotionnels et pratiques générés par l’absence des parents sur différents groupes d’acteur·rice·s durant les hospitalisations et soins ambulatoires des enfants : les enfants eux-mêmes, les soignant·e·s, les bénévoles, et la chercheuse. Elle souligne en particulier la tension entre « petits privilèges » et inégalités qui marquent le parcours de ces enfants pendant leur hospitalisation. Cette configuration particulière est l’occasion de mettre en évidence l’importance de la place et du travail des parents au sein des services pédiatriques contemporains au travers de ce qui se révèle lorsqu’ils sont absents. Elle permet également de donner à voir les effets non souhaités de certains dispositifs d’aide internationale.

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Notes de l’auteur

Je remercie l’Université de Lausanne pour le financement de ma recherche doctorale, ainsi que mes partenaires de terrain pour leur temps et leur confiance.

Texte intégral

Introduction

1Un intérêt grandissant pour les déplacements pour raison médicale s’observe dans la littérature en sciences sociales depuis 2010. En réaction à des travaux portant sur des personnes issues de milieux aisés se déplaçant volontairement à l’étranger afin d’y obtenir des traitements ou des soins moins chers et/ou de meilleure qualité pour elles-mêmes ou leurs proches (Sobo, 2009) – pratique communément qualifiée de « tourisme médical » (Lunt et al., 2015) –, plusieurs auteur·e·s soulignent l’importance de s’intéresser à d’autres types de « voyages médicaux » que ceux effectués par des « patient·e·s-consommateur·rice·s » (Connell, 2015 : 17). De nombreuses personnes n’ont en effet pas d’autre choix que de voyager à l’étranger afin d’accéder à des traitements ou à des chirurgies correctrices vitales qui ne sont pas disponibles chez elles (Roberts & Scheper Hugues, 2011 : 2), de leur propre initiative ou à travers des dispositifs de référencement médical ou d’évacuations sanitaires (Connell, 2015). Ces voyages, motivés par l’espoir de guérison, entraînent des coûts financiers, physiques et émotionnels importants (Kangas, 2007 : 295).

2Parmi les études portant sur de tels déplacements, très peu concernent des enfants (Massimo et al., 2008 ; Sakoyan, 2010 ; Vindrola-Padros, 2011 ; Kristjánsdóttir et al., 2020), et encore moins ceux résidant dans des régions du monde où les ressources en santé sont limitées (Johnson & Vindrola-Padros, 2014 : 222). Finalement, la rare littérature portant sur les déplacements d’enfants pour motifs médicaux atteste de la présence d’au moins un·e accompagnant·e – le plus souvent un parent – auprès de l’enfant. Dans le contexte de la présente recherche, au contraire, des enfants béninois et togolais voyagent seuls, sans aucun membre de leur famille, vers la Suisse, en vue d’opérations cardiaques.

3Les malformations cardiaques congénitales – ou cardiopathies congénitales – sont les malformations congénitales les plus fréquentes à la naissance et leur répartition est stable à travers le monde. La distribution des centres de santé cardiaque est en revanche remarquablement inégale, près de 90 % des enfants nés avec une cardiopathie congénitale vivant dans des régions n’ayant pas accès à un diagnostic et à un traitement estimés adéquats (Tchervenkov et al., 2008). Dans ce contexte, de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) développent des initiatives visant à leur venir en aide dès les années 1960. L’aide mise en œuvre prend trois formes principales : des « missions chirurgicales » lors desquelles des équipes du Nord se déplacent pour opérer des enfants au Sud ; des déplacements – dits « transferts » ou « évacuations » sanitaires – de patient·e·s principalement vers l’Europe ou l’Amérique du Nord en vue de diagnostics ou de traitements ; la création de centres cardiaques dans les pays concernés après la formation, sur place ou à l’étranger, de professionnel·le·s de santé locaux·ales (Tchervenkov et al., 2008 : 66). Toutes trois constituent des « interventions conçues et financées au Nord, avec pour objectif d’aider des populations du Sud. C’est le socle invariant de l’aide, de toute aide », souligne Jean-Pierre Olivier de Sardan (2011 : 415). Grâce à ces dispositifs, chaque année, quelques centaines d’enfants ouest-africains – parmi d’autres enfants à travers le monde – se voient propulsés dans la catégorie des 10 % d’enfants ayant la chance d’accéder à la chirurgie cardiaque pédiatrique.

  • 1 Le terme de « privilège » est employé dans ce texte au sens commun, afin de désigner des faveurs ac (...)

4Comme le détaille cet article, cette opportunité en matière d’accès à des ressources de santé rares s’accompagne d’une série de « petits privilèges »1, une fois les enfants accueillis dans les services pédiatriques suisses. Ces « petits privilèges » visent cependant à compenser les conditions éprouvantes dans lesquelles les enfants accèdent à la chirurgie cardiaque, principalement en raison de l’absence de leurs familles et de personnes parlant leur langue maternelle auprès d’eux. Le dispositif étudié met alors au jour les paradoxes et les effets non souhaités des politiques d’aide humanitaire, dans la lignée des travaux de Miriam Ticktin (2011), Didier Fassin (2010) ou Susan Huschke (2014).

  • 2 Dans cet article, le terme de soignant·e désigne autant des médecins cadres, médecins assistant·e·s (...)

5Elisa Sobo (2009 : 330) soutient que les voyages médicaux peuvent créer des opportunités tout en approfondissant certaines inégalités. Cet article porte précisément sur la tension entre privilèges et inégalités de traitement dans les dispositifs d’évacuation sanitaire, en se focalisant sur le cas d’enfants béninois et togolais pris en charge par une ONG d’aide à l’enfance en Suisse. Il se penche en particulier sur l’une des conditions de prise en charge du programme qui s’adresse à des familles dites démunies : le fait que les enfants effectuent le voyage seuls. L’article décrit alors les effets – émotionnels et pratiques – générés par l’absence des familles – principalement les parents biologiques – sur différents groupes d’acteur·rice·s durant l’hospitalisation des enfants et lors de consultations en ambulatoire au sein de deux hôpitaux universitaires suisses : les enfants eux-mêmes, les soignant·e·s2, les bénévoles, et la chercheuse.

6Cette configuration particulière met en évidence l’importance de la place et du travail des parents au sein des services pédiatriques au travers de ce qui se révèle lorsqu’ils sont absents. Elle permet également de souligner les inégalités et paradoxes qui peuvent découler d’un tel dispositif d’évacuation sanitaire. En effet, tout en participant à combler certaines inégalités d’accès à la santé, le dispositif génère et reproduit d’autres inégalités, davantage sociales, et apparaît ainsi en décalage avec les développements de la pédiatrie contemporaine, tant en matière d’inclusion des familles que de médiation linguistique et culturelle au sein des services.

Des « convoyages » d’enfants

  • 3 Les termes entre guillemets sont ceux employés par l’ONG dans ses communications publiques.

7Cet article est issu d’une thèse de doctorat portant sur les trajectoires d’enfants béninois et togolais souffrant de cardiopathies congénitales et voyageant vers la Suisse en vue d’interventions chirurgicales par le biais d’une ONG d’aide à l’enfance. Le programme s’adresse à des enfants de 0 à 18 ans issus de familles dites « défavorisées » et souffrant de diverses pathologies – parmi lesquelles plus de 90 % de cardiopathies congénitales – dont le traitement est considéré « impossible » dans leur pays d’origine en raison d’un « manque de personnel qualifié » et/ou d’un « manque d’infrastructures et de matériel technique »3. Les premiers transferts médicaux d’enfants vers la Suisse dans le cadre de ce dispositif ont eu lieu en 1963. Depuis, environ 200 enfants en bénéficient chaque année.

  • 4 Parmi une cinquantaine de bénévoles à travers trois hôpitaux partenaires, il n’existe qu’un seul «  (...)
  • 5 Les enfants reçoivent un « visa humanitaire » valable trois mois et dont les coûts sont couverts pa (...)

8Dans ce contexte, les enfants voyagent seuls – sans aucun membre de leur famille – et sont accompagnés par des bénévoles – appelé·e·s « convoyeurs » ou « convoyeuses » – durant leurs déplacements en avion et en voiture entre les pays et les espaces d’accueil et de soins. D’autres bénévoles, appelées « marraines »4, les accompagnent durant leurs séjours hospitaliers et les consultations ambulatoires. Les justifications principales fournies par les représentant·e·s de l’ONG concernant l’absence des parents sont les conventions de partenariat la liant aux hôpitaux au sujet du nombre d’enfants opérés chaque année, la crainte que les familles ne cherchent à s’installer en Suisse, et des considérations logistiques et financières liées au logement et à l’accompagnement des familles pendant leur séjour. Des difficultés à obtenir des visas d’accompagnant·e·s sont aussi invoquées5.

  • 6 La thèse de doctorat dont est tiré ce texte souligne la façon dont les enfants naviguent entre diff (...)

9Les membres de l’ONG emploient principalement les termes de « transferts » et de « convoyages » pour décrire les déplacements médicaux des enfants, tandis que les membres des équipes médicales en Suisse, au Bénin et au Togo parlent de « transferts » et d’« évacuations ». La consonance militaire ou postale des termes est renforcée lorsque les formes passives des verbes sont employées, notamment lorsque familles, employé·e·s de l’ONG ou soignant·e·s disent que les enfants sont « transférés », « évacués », « envoyés » ou « transportés » vers l’Europe, véhiculant une représentation des enfants comme des êtres – voire des objets – passifs, dépendant des actions et décisions des adultes qui assurent leur prise en charge. Les enfants concernés, les familles et les employé·e·s des bureaux béninois et togolais de l’ONG utilisent également le terme plus actif de « voyage » : « l’enfant a voyagé », « je vais voyager en Suisse », etc. Tout en excluant le dispositif étudié de la logique du « tourisme médical », j’emploie à travers ce texte la notion de « voyage » afin de décrire les mobilités des enfants, qui ne sont pas que thérapeutiques. La notion de voyage permet d’être au plus proche de l’expérience et du discours des enfants et de leurs familles, tout en traduisant le processus transformateur à l’œuvre dans ces déplacements6.

10Durant leur séjour, la plupart des enfants de 0 à 2 ans résident au sein de familles d’accueil, tandis que les enfants de 2 à 18 ans sont accueillis par une institution médicalisée partenaire de l’ONG qui héberge entre 30 et 40 enfants à la fois. Après une période de convalescence d’une durée d’environ deux mois pour les enfants souffrant de cardiopathies congénitales, les enfants retournent chez eux et sont suivis à distance par les équipes médicales suisses ainsi que sur place par des partenaires locaux.

Une ethnographie itinérante, sensorielle et impliquée

  • 7 La notion de « trajectoire » englobe « à la fois le développement physiologique de la maladie d’un· (...)

11Mon étude s’ancre dans une socio-anthropologie de la santé des enfants qui vise à explorer les représentations et pratiques des enfants et celles qui les concernent en matière de santé et de prise en charge médicale et hospitalière à travers différents contextes socioculturels (Bluebond-Langner, 1978 ; Jaffré et al., 2009 ; Mougel, 2009 ; Hejoaka, 2012). J’emprunte également à l’interactionnisme symbolique d’Anselm Strauss, Shizuko Fagerhaugh, Barbara Suczek et Carolyn Wiener (1982) les notions de « trajectoire » et de « travail »7.

12Dans le cadre de ma recherche, j’ai suivi une démarche ethnographique en procédant principalement par observations. Entre juillet 2018 et mars 2020, j’ai suivi et accompagné 81 enfants béninois et togolais, âgés de deux mois à 16 ans et souffrant de cardiopathies congénitales, à une ou plusieurs étapes de leur trajectoire. Mes observations ont eu lieu au sein des locaux de l’ONG en Suisse, au Bénin et au Togo, dans deux hôpitaux universitaires et deux hôpitaux régionaux suisses, dans un hôpital universitaire public et deux cliniques privées au Bénin, au sein d’une institution médicalisée accueillant les enfants en Suisse, dans trois aéroports en Suisse, en France et au Bénin, ainsi que durant certains trajets entre les lieux de prise en charge.

13Parallèlement aux observations, j’ai réalisé onze entretiens semi-directifs avec des parents et treize avec des enfants âgés de 4 à 16 ans avant, durant et après le voyage des enfants. Je me suis entretenue régulièrement avec les responsables et coordinateur·rice·s du programme au siège de l’ONG et j’ai réalisé huit entretiens avec des médecins cadres des services de pédiatrie, cardiologie, soins intensifs et anesthésiologie de trois hôpitaux suisses, deux médecins exerçant au sein d’hôpitaux et de cliniques privées au Bénin et un médecin travaillant en hôpital public et en cabinet privé au Togo.

14Tout au long de ma recherche, j’ai aussi assuré une veille médiatique en lien avec le programme en question, étudié sa documentation interne ainsi que ses communications publiques. Finalement, j’ai parcouru et analysé 46 dossiers sociaux confectionnés par le bureau béninois et acceptés par le siège de l’ONG en Suisse, regroupant des informations concernant les conditions de vie des familles, la structure familiale et les habitudes des enfants pris en charge.

15Je considère mon approche comme une ethnographie itinérante, sensorielle et impliquée. Itinérante, car j’ai suivi et accompagné les enfants à travers les différents espaces géographiques et institutionnels prévus par le dispositif. J’ai été mobile avec eux dans les avions et les voitures les conduisant d’un lieu à l’autre, à travers les couloirs et les services des hôpitaux, ou sur le sol des salles de jeux de l’institution où ils étaient logés. Sensorielle, parce que j’ai partagé des expériences de vie, des sensations et des émotions avec les enfants et la totalité des acteur·rice·s impliqué·e·s dans le programme et que ces expériences n’ont pas toujours été communiquées verbalement. Le fait qu’une partie de mes « interlocuteur·rice·s » étaient des bébés m’a invitée à porter une attention particulière à d’autres modalités de leur expérience, notamment le toucher. Impliquée, finalement, du fait que je me suis considérablement engagée dans le dispositif de façon à soutenir les personnes rencontrées au fil des épreuves traversées. J’ai notamment joué un rôle important auprès des enfants, étant la seule personne qu’ils rencontraient à différentes étapes de leur trajectoire. En effet, bénévoles, membres de l’ONG, personnel éducatif et soignant se relaient auprès des enfants dans le cadre du dispositif. J’ai aussi collaboré de près avec les différentes équipes professionnelles dans le but de répondre au mieux à leurs besoins, questionnements et volonté d’améliorer le programme, notamment sous forme d’ateliers de réflexion sur les pratiques et de restitutions intermédiaires de mes pistes d’analyse.

Une relation d’interdépendance

16Dans la littérature médicale ainsi que dans les communications à but philanthropique, l’aide étrangère est la plupart du temps présentée comme « la seule solution » à disposition des familles africaines (Brousse et al., 2003 : 507), et un vocabulaire de l’absence domine pour qualifier la réalité médicale en Afrique de l’Ouest : « manque » d’infrastructures médicales, « lacunes » des systèmes de santé africains, « insuffisance » du plateau technique et familles « défavorisées » ou « démunies ».

17Alors que le dispositif étudié existe depuis plus de 60 ans, peu de modifications et d’améliorations ont vu le jour en ce qui concerne le développement d’infrastructures de santé ou la formation de personnels dans les pays bénéficiaires. Les explications fournies par les équipes médicales des hôpitaux partenaires pour justifier le statu quo sont que « la mise en place d’un centre pouvant s’occuper, avec toute la technologie moderne, de ces enfants est extrêmement coûteuse en mise en route et en entretien, et elle demande un personnel hautement spécialisé », comme me l’explique un cardiologue en Suisse. Une employée du bureau béninois de l’ONG estime quant à elle qu’« avant de construire des hôpitaux ici, il faut former les chirurgiens, avoir les compétences. Cela dépend avant tout d’une volonté politique ; c’est aux politiciens ici de prendre la décision de construire des hôpitaux, pas aux ONG ».

18Mais la situation n’est pas uniquement le résultat d’un manque de volonté des gouvernements ouest-africains et de considérations financières, comme le laissent entendre les propos rapportés ci-dessus. Alors que la prise en charge d’enfants ouest-africains en Europe est généralement présentée comme une solution de dernier recours et que le programme est perçu comme une aide unilatérale des pays du « Nord » envers les pays du « Sud », il existe en réalité une relation d’interdépendance significative entre les pays « bénéficiaires » et « pourvoyeurs » d’aide. En l’occurrence, la situation profite également aux équipes et institutions médicales suisses. En effet, les cardiologues et chirurgien·ne·s tirent parti de la venue de ces enfants pour maintenir et renforcer leur expertise professionnelle, ce qui permet aux hôpitaux de se spécialiser et de devenir des centres de référence à l’échelle internationale. Comme le rapporte le médecin chef d’un service de cardiologie et de soins intensifs pédiatriques, grâce au partenariat existant, « l’expérience et le savoir-faire dans le traitement des cardiopathies congénitales ont pu être maintenus au plus haut niveau ». De fait, le groupement régional de cardiologie et de chirurgie cardiaque pédiatrique qui collabore avec l’ONG est reconnu comme un « centre d’excellence ». Le dispositif de transferts médicaux s’inscrit donc dans un mouvement plus vaste de « centralisation des soins complexes » vers des hôpitaux à haut volume, supposé contribuer à l’amélioration de la qualité des soins (Huguet, 2020).

19La venue d’enfants ouest-africains en Suisse comble simultanément deux besoins indispensables à la qualité de la formation des cardiologues (Ballal et al., 1995 : 460), à savoir la quantité et la variété des cas rencontrés. En 2022, il est estimé que plus de 14 000 enfants ont bénéficié du dispositif de transferts, tous pays partenaires et toutes pathologies confondus. Les pathologies des enfants pris en charge sont par ailleurs plus complexes que celles dont souffrent les enfants résidant en Suisse, et donc parfois plus « intéressantes » pour les soignant·e·s, selon leurs propres dires.

20Jusqu’en 2011, l’ONG couvrait en grande partie les frais d’opération et d’hospitalisation des enfants, les hôpitaux universitaires partenaires proposant un « forfait humanitaire » d’un million de francs suisses par hôpital et par an. À partir de 2011, les deux hôpitaux partenaires proposent d’offrir la « gratuité » des soins – comprenant les opérations, hospitalisations et examens médicaux – à l’ONG, dans le but d’augmenter le nombre d’enfants transférés par année. Entre 1997 et 2022, le nombre d’enfants pris en charge annuellement a plus que doublé.

21Cette « gratuité » est rendue possible par la participation de l’État, qui semble bien percevoir l’intérêt du partenariat pour les hôpitaux et la population suisse. En effet, l’un des hôpitaux partenaires reçoit une subvention étatique destinée à l’activité humanitaire de l’ordre de 4,2 millions de francs suisses par année, dont deux millions sont destinés à la chirurgie cardiaque. Le budget humanitaire du second hôpital n’est pas communiqué publiquement mais serait de l’ordre de 10 millions de francs, d’après des membres de la direction de l’ONG. La participation financière de l’État repose sur plusieurs instances, notamment la Direction du développement et de la coopération – organe du département fédéral des Affaires étrangères chargé de coordonner la coopération internationale et l’aide humanitaire – et le Service de la solidarité internationale, organe de financement de l’État de Genève pour des actions de coopération et d’aide internationale. Le budget humanitaire des hôpitaux dépend également de dons de diverses fondations privées, et enfin, de « fonds de péréquation », à savoir des fonds provenant des honoraires de l’activité privée de médecins cadres exerçant au sein des hôpitaux partenaires.

Les effets de l’absence

  • 8 J’exclus ici la littérature concernant les mineur·e·s non accompagné·e·s (MNA) migrant en Europe qu (...)

22En règle générale, la majorité des enfants hospitalisés sont accompagnés par des membres de leur famille (Roberts, 2010), ceci d’autant plus en raison de l’imposition progressive d’un « devoir de présence » parental dans les services pédiatriques occidentaux (Mougel, 2009). Les recherches portant sur des enfants « seuls » à l’hôpital sont dès lors très rares. Suivant un continuum de présence parentale, il existe néanmoins des travaux faisant état d’enfants qui se retrouvent seuls à certains moments de leur trajectoire hospitalière, notamment en raison des contraintes socioéconomiques pesant sur les familles (Mougel, 2007 ; Roberts, 2010 ; Sakoyan, 2010)8.

23La suite de cet article se penche sur les effets occasionnés par l’absence de membres de leur famille, en particulier les parents biologiques, auprès des enfants suivis dans le cadre de ma recherche. Il s’agit d’examiner les conséquences de l’absence d’un tiers parental sur différents groupes d’acteur·rice·s impliqué·e·s dans les trajectoires des enfants durant leur séjour en Suisse, à savoir les enfants eux-mêmes, les soignant·e·s, les bénévoles, et finalement la chercheuse impliquée dans le dispositif. Je me penche en particulier sur les « privilèges » et les inégalités générés par la situation.

Des enfants « seuls »

24Les travaux du psychanalyste René Spitz (1945) soulignent déjà les effets délétères d’une séparation entre jeunes enfants et parents, parmi lesquels, à court terme, une tristesse et une apathie chez les enfants, en particulier les nourrissons, et à long terme, des déficits de développement, des retards de croissance et une mortalité plus importante.

  • 9 Les enfants et jeunes pris en charge par l’ONG ont l’autorisation d’appeler leurs familles environ (...)

25Aujourd’hui, l’hospitalisation d’un enfant est considérée comme un événement stressant pour l’enfant comme pour les membres de sa famille. Cristine Roberts et Patricia Messmer (2012 : 474-475) estiment que l’hospitalisation peut être plus stressante et conduire à des effets physiques et émotionnels plus importants pour les enfants non accompagnés. Le personnel infirmier participant à leur étude constate en effet que les enfants non accompagnés sont « tristes », « en détresse » ou s’ennuient9.

  • 10 Tous les prénoms ont été remplacés par des pseudonymes.
  • 11 Il s’agit d’une mesure préventive visant à éviter la transmission du MRSA (staphylocoque doré résis (...)

Alors que je rends visite à Kenzo10 – Togolais de 2 ans et demi dont le dossier indique qu’il ne comprend pas le français – au sein d’un service pédiatrique quelques jours après son opération, une infirmière m’indique qu’il est « en protection sans contact et gouttelettes »11. Je trouve Kenzo assis par terre au pied de son lit dans sa chambre, seul, calme, le regard vide, quelques jouets disposés autour de lui. Je m’assieds au sol auprès de lui et essaie d’interagir avec lui mais il ne réagit pas et ne me regarde pas dans les yeux, contrairement aux interactions riches que nous avions eues le jour de son arrivée en Suisse la semaine précédente. Je lui propose mes bras et lui montre les photos de sa famille qui sont affichées sur la paroi de son lit. Il les regarde mais ne réagit pas particulièrement. […] Une infirmière amène son repas et je propose de le lui donner. Elle accepte en disant : « Si vous lui donnez à manger vous me sauverez la vie. Il n’est pas content avec nous aujourd’hui. Il nous en veut parce qu’on lui donne des médicaments dans un biberon qu’il refuse de boire parce qu’il a bien compris que ce sont des médicaments. » Elle ajoute : « Si vous le prenez sur les genoux il vous en sera reconnaissant parce qu’il cherche les bras. » […] Lorsque je m’en vais après l’avoir nourri, je le dépose dans son lit où il s’assied et se tient aux barreaux. Il me regarde sans expression et ne répond pas à mon signe de la main. (Journal de terrain, juillet 2019)

26Il est difficile de distinguer, dans l’attitude « apathique » de Kenzo, ce qui relève des conséquences de l’absence de ses parents, du peu d’interactions qu’il a eues dernièrement du fait de son isolement en chambre, ou de sa fatigue post-opératoire. Une interprétation davantage sociologique est fournie par Ann Hill Beuf (1989 : 41) qui s’inspire des travaux de Talcott Parsons (1951) sur le « rôle du malade » (sick role) et d’Erving Goffman (1968) sur les « rituels de mortification ». La sociologue montre que des rituels dictés par l’administration des soins et la quête d’un diagnostic socialiseraient les enfants hospitalisés à un rôle spécifique de malades caractérisé par l’obéissance, la passivité et le manque de contrôle sur leur propre vie, conduisant à la perte de leur capacité d’autodétermination et à une forme de déshumanisation progressive.

27L’extrait souligne que l’une des conséquences de l’absence des parents sur les enfants est que le personnel soignant n’est pas toujours disponible pour s’occuper d’eux. Sarra Mougel (2009 : 83) compare les trajectoires hospitalières d’enfants dont les parents sont régulièrement présents à celles d’enfants dont les parents sont absents quelques heures par jour ou plusieurs jours d’affilée. Sur le moment, elle constate un contraste important entre des enfants « laissés à eux-mêmes dans leurs chambres et ceux qui, paisibles ou enjoués, profitent des interactions avec leur parent présent ». À plus long terme, elle suggère que l’absence des parents aurait pour effet « un ralentissement et une certaine désorganisation de la trajectoire hospitalière des enfants » (Mougel, 2009 : 97) tandis que leur présence auprès de leur enfant et leur travail en tant que « garde-malade » contribueraient à « accélérer la trajectoire hospitalière, à réduire la durée de séjour » (Mougel, 2009 : 100). Dans un autre contexte où des enfants bénéficiant d’un dispositif d’« évacuation sanitaire » depuis Mayotte se retrouvent seuls à l’hôpital en France métropolitaine, Juliette Sakoyan (2010 : 476) fait, quant à elle, face à des situations qu’elle qualifie de « bricolages de prise en charge » résultant de l’absence des parents. Elle rapporte des situations jugées « aberrantes » par les soignant·e·s eux·elles-mêmes en termes de développement psychologique et physique des enfants, notamment lorsque des enfants sont « laissés à eux-mêmes », comme Kenzo, ou quand des enfants de 4 ans sont placés dans des lits à barreaux « comme des bébés » pour une question de sécurité et au vu de l’impossibilité pour les soignant·e·s de les surveiller en permanence.

28Le dispositif étudié génère donc des inégalités entre enfants au sein des services pédiatriques, principalement en raison de l’absence des parents. Certains enfants que j’ai suivis se rendent compte des différences qui existent entre leurs conditions d’accueil à l’hôpital et celles d’autres enfants – résidant en Suisse – accueillis dans les mêmes services, comme en témoigne la situation suivante :

Après avoir joué dans l’espace éducatif du service où Mila, Togolaise de 6 ans, est hospitalisée durant sa convalescence postopératoire, nous marchons dans le corridor en direction de sa chambre. Mila s’arrête devant un enfant légèrement plus âgé qu’elle, ses parents et une infirmière qui discutent dans le couloir. Il semble que l’enfant soit sur le point de quitter l’hôpital. Le père le prend dans ses bras et l’enfant a l’air très heureux. J’encourage Mila à continuer son chemin en direction de sa chambre, mais elle reste figée, adossée au mur, observant la scène. Quand le groupe de personnes s’en va, elle me demande, à l’aide du peu de vocabulaire français en sa possession : « Pourquoi papa-maman ? Moi aussi chercher papa-maman ? » Je lui explique que c’est elle qui prendra l’avion pour aller les retrouver, que les parents de cet enfant sont venus le chercher parce qu’ils vivent certainement plus près. […] Quand je quitte le service une dizaine de minutes plus tard, Mila me fait signe de l’accompagner vers le bureau des infirmier·ère·s où elle se blottit dans les bras de l’une d’elles. (Journal de terrain, novembre 2018)

  • 12 Les langues maternelles les plus fréquentes chez les enfants suivis dans le cadre de cette recherch (...)

29Ayant eu l’occasion d’assister à la fois à des situations de soins en présence (au Bénin) et en l’absence de leurs parents (en Suisse), la différence la plus frappante à mes yeux dans le comportement des enfants concerne leur usage du langage verbal, qu’il s’agisse du français ou d’une autre langue12. Les enfants font en effet un usage très mesuré de la parole en fonction des différents contextes institutionnels et des personnes présentes. Un continuum de participation verbale peut alors être constaté selon qu’ils sont accompagnés par leurs parents, qu’ils se trouvent au sein de l’institution qui les accueille temporairement – en présence d’éducateur·rice·s et d’autres enfants – et qu’ils sont confrontés à des soignant·e·s dans les hôpitaux en Suisse. Lors des consultations en Suisse, les enfants sont généralement silencieux et impassibles au point que des soignant·e·s pensent parfois qu’ils ne parlent pas le français ou ne parlent pas du tout, selon leur âge. On les dit alors « timides », « réservés », « introvertis ».

  • 13 Au Bénin et au Togo, la langue officielle, parlée dans les médias et dans les communications offici (...)
  • 14 Il est fréquent que soignant·e·s et membres de l’ONG accolent le nom de l’ONG lorsqu’ils·elles dési (...)

30L’absence de leurs parents pourrait par ailleurs avoir pour conséquence pour les enfants qu’ils soient moins informés quant au déroulement de leur trajectoire hospitalière. En effet, dans des situations de soin habituelles – en présence d’un tiers parental –, un grand nombre des informations reçues par les enfants ne leur sont pas adressées directement. Comme l’a montré Myra Bluebond-Langner (1978), certains enfants sont capables de s’informer sur leur diagnostic, leur pronostic et les soins à venir y compris quand les adultes cherchent à leur cacher des informations. En l’absence des parents, beaucoup moins d’informations sont données aux enfants, mais également aux bénévoles qui les entourent, notamment pour des raisons liées au secret médical. À cela s’ajoute le fait que les enfants ne parlent pas toujours le français13 ou sont estimés « trop jeunes » pour être informés. Ainsi, un médecin anesthésiste affirme que « lorsqu’il y a les parents, donc pour les enfants suisses, les explications sont quand même plus détaillées que pour les enfants-[ONG]14, qui ne comprennent pas toujours le français ou sont petits ».

Des enfants « comme les autres » ?

31Lors de mes conversations avec des soignant·e·s, les avis divergent quant à la question de savoir si les enfants bénéficiaires de l’ONG sont traités « comme les autres » ou non au sein des services hospitaliers. Pierre, médecin retraité en soins intensifs, estime que je ne verrais « certainement aucune différence » si je comparais « leur prise en charge avec celles des Suisses ». Alors que mes observations permettent difficilement de mettre en évidence des différences en ce qui concerne la prise en charge biomédicale et chirurgicale des enfants, elles permettent néanmoins de constater plusieurs différences de traitement au niveau psychosocial. En effet, le voyage médical en lui-même, l’absence de leurs parents auprès d’eux ou l’impossibilité parfois de communiquer dans leur langue maternelle avec les soignant·e·s constituent des différences de taille au sein des trajectoires hospitalières des enfants.

32Au début de ma recherche, un médecin chef en cardiologie insiste par ailleurs sur le fait qu’il est important que j’obtienne un badge officiel de l’hôpital pour pouvoir mener mes observations, en précisant que « ça sert aussi à prouver que ces enfants ne sont pas différents des autres enfants. Ils sont identiques, voire devraient être plus protégés du fait qu’ils n’ont pas de garde-fous, de parents ». Ces propos sont paradoxaux étant donné qu’ils suggèrent que les mêmes restrictions éthiques s’appliqueraient aux enfants pris en charge par le dispositif, tout en mettant en évidence qu’ils devraient faire l’objet d’une protection accrue du fait de l’absence de leurs parents. Une médecin en soins intensifs estime à ce titre qu’« il faut être particulièrement vigilants autour de ces enfants, qui sont un peu des proies, des options faciles pour tout un tas de choses, une population vulnérable ».

33Plusieurs études font état de pratiques « compensatoires » de la part de soignant·e·s qui ont la charge de cette population « vulnérable » que constituent les enfants non accompagnés dans les services hospitaliers. Roberts et Messmer (2012 : 121) soutiennent ainsi que le personnel infirmier tente de « minimiser les effets négatifs » de l’absence des parents sur les enfants. Les infirmier·ère·s participant à leur étude accueillent notamment les enfants dans leur bureau « afin qu’ils aient davantage d’interactions » et cherchent à « compenser l’absence des parents en passant davantage de temps avec les enfants, en s’attachant davantage, en les défendant, en jouant, en adoptant un rôle parental et en les berçant ». Sakoyan (2010 : 478) décrit quant à elle un « aspect matériel du don d’attention » dans le cas de soignant·e·s qui « gavent » les enfants d’objets divers (bonbons, jouets, cadeaux) dans le but de « remplir le vide autour des “enfants de personne” », comme sont parfois appelés les enfants bénéficiant d’une « évacuation sanitaire » auxquels elle s’intéresse. J’ai également pu observer des pratiques « compensatoires » dans le cadre de ma recherche. L’équipe du siège de l’ONG rappelle d’ailleurs régulièrement à ses employé·e·s, aux soignant·e·s et aux bénévoles de « ne pas trop chouchouter ces enfants. Il faut toujours garder en tête le retour des enfants au pays », comme me l’explique Daria, infirmière référente auprès de l’ONG.

34Dans un service destiné aux enfants de moins de 2 ans, des infirmières m’expliquent que « ces enfants ne sont pas des enfants comme les autres : ils ont plus de droits que les autres. On a une attitude beaucoup plus parentale, on est leurs avocates aussi ». Elles me racontent qu’elles les emmènent parfois avec elles à la cafétéria pendant leur pause de midi, dans le bureau des infirmières, les défendent face aux médecins, « par exemple en demandant si c’est vraiment nécessaire de les piquer [prises de sang] » et se montrent également « plus indulgentes » avec eux. Le personnel infirmier, les aides-soignant·e·s ainsi que le personnel de ménage me relatent également des gestes de tendresse plus fréquents envers les enfants bénéficiaires de l’ONG qu’envers les autres enfants accueillis dans le service.

35Une infirmière me raconte qu’elle a obtenu des « autorisations de sortie » afin d’amener certains enfants chez le coiffeur entre leur sortie de l’hôpital et leur retour vers leur institution d’accueil : « C’est pour leur faire un petit cadeau », commente-t-elle. Les enfants bénéficient parfois aussi d’exceptions aux règles au sein des espaces éducatifs des hôpitaux. Ainsi, à l’heure de la fermeture d’un espace éducatif, une éducatrice explique à Laura, Togolaise de 9 ans, que « les enfants [hospitalisés] peuvent choisir un jeu à prendre dans leur chambre jusqu’au lendemain ». Alors que Laura, qui parle couramment le français, réunit plusieurs poupées et autres jouets, l’éducatrice accepte en disant faire une exception.

36Comme ces exemples l’indiquent, les enfants pris en charge par l’ONG bénéficient donc d’une série de « petits privilèges », relevant d’un mécanisme compensatoire lié au peu de marges de manœuvre des équipes soignantes face au dispositif – fruit de partenariats entre l’ONG et les hôpitaux – qui leur est imposé.

Le manque d’intermédiaire

37La présence d’enfants « seuls » au sein des services pédiatriques représente une situation inhabituelle et particulièrement complexe pour les soignant·e·s, à la fois en ce qui concerne la réalisation de leur travail clinique, pour ce qui a trait à leur éthique et leur posture professionnelles, et en termes d’investissement émotionnel.

38Selon l’étude de Roberts et Messmer (2012), le fait de s’occuper d’enfants « seuls » implique une charge émotionnelle plus lourde pour le corps infirmier, ces enfants requérant davantage de temps et d’attention que les autres enfants hospitalisés dans les services. Le personnel interrogé souligne également la difficulté à maintenir une barrière entre prodiguer des soins et agir en tant que « substitut parental ». Cette difficulté, également relevée par Mougel (2009) et par Sakoyan (2010), est un défi pour les soignant·e·s dans le dispositif que j’étudie, car leur champ d’action se voit contraint par une limite ténue entre distance et attachement aux enfants.

  • 15 Les équipes soignantes n’ont aucun contact direct avec les parents avant, durant ou après le séjour (...)
  • 16 Les informations récoltées par les employé·e·s béninois·es et togolais·es au sujet des habitudes de (...)

39L’absence des parents pourrait en outre compliquer le travail médical lorsqu’il s’agit pour les soignant·e·s de comprendre l’histoire de la maladie de l’enfant (Mougel, 2009). Thomas Bonnet (2015) souligne l’importance pour les soignant·e·s de se renseigner, auprès des parents, sur les habitudes de vie de l’enfant. Ce sont précisément ces échanges avec les parents qui manquent aux soignant·e·s de mon étude15, qui se plaignent de ne pas posséder suffisamment d’informations sur les habitudes de vie des enfants accueillis, en particulier les bébés16. Les multiples relayages qui ponctuent la trajectoire morcelée des enfants dans le cadre du dispositif représentent une difficulté supplémentaire en ce qui concerne la circulation des informations entre les différentes parties prenantes. Les soignant·e·s doivent alors faire avec les habitudes parfois différentes des enfants qu’on leur confie, soulignant à quel point « le voyage médical est un exercice intrinsèquement interculturel » (Sobo, 2015 : 225). Au Bénin et au Togo, il est par exemple fréquent que les enfants partagent une pièce ou un matelas avec leurs parents et/ou leurs frères et sœurs. Ainsi, l’habituation à un lit d’hôpital – et parfois à une chambre à soi – représente un apprentissage pour les enfants. Les équipes soignantes profitent alors de ma présence au sein des services pour se renseigner au sujet des habitudes des enfants pris en charge par l’ONG.

Lors d’une visite à Malick, Béninois de 18 mois, deux infirmières m’approchent et me demandent ce que je sais du comportement habituel de Malick – que j’avais déjà vu plusieurs fois au Bénin avant son départ –, de ses parents et de son logement : « Est-ce que tu as vu sa maison ? » ; « Est-ce qu’il habite dans une ville ou un village ? » ; « Est-ce qu’il y a l’eau et l’électricité ? » Elles m’expliquent qu’elles aimeraient avoir davantage d’informations sur ce que mangent les enfants selon leur pays d’origine. L’une d’elles ajoute : « J’aimerais bien connaître les rituels des enfants, par exemple les rituels du coucher. » (Journal de terrain, février 2020)

40Le personnel des soins intensifs se montre particulièrement impacté par l’absence de référents parentaux, du fait de la difficulté de communiquer avec les enfants « à un moment où ils ne vont pas bien », comme me l’explique une médecin :

Le plus grand problème avec ces enfants, c’est qu’il manque un intermédiaire représentant de l’enfant, un lien entre l’enfant et nous, à savoir les parents, comme pour les autres enfants qu’on reçoit dans le service. Les marraines, les familles d’accueil ou le médecin référent, ce n’est pas la même chose. Il manque une personne qui suive tout le parcours de l’enfant. (Entretien, février 2019)

41Le problème pointé par cette médecin touche autant à la communication avec l’enfant qu’au travail habituellement réalisé par les parents en termes de suivi et de coordination des informations, soulignant le rôle de ces derniers en tant que « directeurs de trajectoire » (Strauss, 1992). Le dispositif étudié permet alors d’observer l’importance de la place des parents au sein des services pédiatriques au travers de ce que leur absence révèle.

42Les soignant·e·s se questionnent en outre parfois sur le sens de la venue des enfants en Suisse sans leurs parents, conduisant à des remises en question et à des tensions au cœur des situations de soin. Un infirmier urgentiste récemment arrivé dans le service me confie qu’il était « choqué quand on [lui] a parlé de ce programme » et me demande si les enfants « viennent pour être soignés ou s’ils viennent aussi pour la recherche, comme des cobayes ».

43Il existe une certaine différenciation au sein du personnel soignant quant à leur posture vis-à-vis du dispositif de transferts médicaux. Bien que certains propos indiquent également des questionnements et difficultés au sein du corps médical, le personnel infirmier est le groupe qui se montre le plus critique vis-à-vis des conditions de prise en charge des enfants.

Des pathologies rares qui suscitent l’intérêt

44L’absence des parents au sein des services pédiatriques conduit certes à des difficultés pour une partie des soignant·e·s, mais elle peut aussi présenter des bénéfices dans d’autres cas et/ou pour d’autres. En effet, certain·e·s soignant·e·s affichent un intérêt prononcé pour la rareté et la complexité des pathologies cardiaques que présentent les enfants bénéficiaires du dispositif.

Lors du bilan de santé de Lenny, Béninois de 2 ans, le jour de son arrivée en Suisse, un médecin assistant et un infirmier viennent le voir dans un box des urgences. Lenny comprend le français mais ne s’exprime pas verbalement durant cette interaction. Le médecin écoute le cœur de Lenny à l’aide de son stéthoscope et dit à l’infirmier : « Le bruit de son cœur est impressionnant, même sans toucher sa peau avec le stéthoscope. Et tu le sens avec le doigt. » Il prête alors son stéthoscope à l’infirmier pour lui faire écouter. Ce dernier semble impressionné. Plus tard, alors que Lenny et moi sommes seul·e·s dans la pièce, une médecin assistante entre en disant : « Mon collègue m’a conseillé de venir écouter son cœur, que ça serait intéressant. Je n’ai jamais entendu un cœur avec une malformation. » (Journal de terrain, juin 2019)

45La fascination des soignant·e·s touche tant aux caractéristiques des pathologies des enfants qu’à la manière dont les enfants s’y sont adaptés avec le temps, sachant que dans les pays ayant un accès facilité à la chirurgie cardiaque pédiatrique, la plupart des cardiopathies congénitales sont opérées au cours de la première année de vie des enfants.

Lors de l’hospitalisation préopératoire de Constance, Béninoise de 13 ans qui parle couramment le français mais dort durant cette auscultation, lorsque qu’une infirmière entre dans sa chambre pour prendre la saturation [du sang en oxygène], qui est à 61, elle commente : « C’est étonnant qu’ils arrivent à vivre comme ça, avec des valeurs pareilles [la valeur normale étant supérieure à 95 %]. » (Journal de terrain, février 2019)

46Une étudiante en médecine m’explique à une autre occasion que « les enfants venus d’Afrique arrivent dans des états de décompensation cardiaque qu’on ne voit plus ici. Ils ont aussi des problèmes de dénutrition et de croissance, donc les opérations sont plus à risque ». Du fait de la rareté et de la complexité de leurs conditions, les enfants pris en charge par l’ONG sont aussi régulièrement sélectionnés à des fins de formation de groupe destinées à des étudiant·e·s en médecine.

47Les situations décrites ici, tout comme le terme de « cobaye » qu’utilise l’infirmier urgentiste, ne sont pas sans résonner avec certains chapitres de l’histoire de la médecine hospitalière, notamment en lien avec les soins dispensés gratuitement à des populations indigentes en échange du prêt de leur corps à la science (Pinell, 1992), ou avec les représentations et le traitement des corps noirs par des médecins blancs (Peiretti-Courtis, 2021).

Des substituts parentaux ?

48Les bénévoles qui accompagnent les enfants durant leurs séjours hospitaliers et consultations ambulatoires sont appelées « marraines ». Celles-ci occupent des fonctions variées auprès des enfants, qui ne peuvent être réduites à de « simples visites » d’enfants hospitalisés, comme le défend Anne-Claude, l’une d’entre elles.

Ce que font les marraines, c’est pas que des visites. On s’occupe de ces enfants comme si c’étaient nos propres enfants et on passe beaucoup de temps avec eux. On les aime, c’est aussi simple que ça. Nous n’avons qu’un but : le bien-être de l’enfant, dans tous les sens du terme : physique, psychique et social. (Échange informel, juin 2019)

49Les propos d’Anne-Claude témoignent du fait que les marraines s’auto-identifient souvent à une figure parentale de substitution auprès des enfants.

50Les marraines constituent des personnes de référence et de confiance pour les enfants dans un paysage hospitalier mouvant et à des moments difficiles de leurs trajectoires, et il n’est pas rare que des liens d’attachement se tissent entre elles et les enfants. Elles jouent en outre un rôle d’« avocates » (Goffman, 1968 ; Rafferty & Sullivan, 2017) ou de « chiens de garde » (Strauss, 1992) auprès des enfants, notions ayant été employées initialement pour qualifier le travail des parents ou des familles. De ce point de vue, les marraines occupent en effet une place laissée vacante du fait de l’absence de ceux-ci. Une illustration de leur « rôle d’advocacy » est mise en évidence par les pratiques de Françoise, bénévole présente auprès de Constance, Béninoise de 13 ans, le jour de son arrivée en Suisse :

Françoise demande au médecin de confirmer qu’il ne lui reste plus que la radiographie du thorax et les frottis et demande si « ce n’est pas la même chose que l’examen qu’elle aura demain ». Le médecin dit qu’il va vérifier. Pendant l’absence de ce dernier, elle me confie : « Une fois, je m’étais énervée et plainte, car cinq infirmières s’affairaient autour d’un enfant pour lui faire une prise de sang et ne trouvaient pas ses veines. Je leur ai dit que c’était de l’acharnement et les infirmières m’ont dit que j’exagérais. » (Journal de terrain, février 2019)

51Les bénévoles multifonctions que sont les marraines assurent en effet la quasi-totalité des fonctions que Mougel (2009) décrit comme faisant partie du « travail des parents ». Or, bien qu’elles soient des figures de référence pour les enfants et malgré l’importance de leur travail, leur substitution aux parents connaît certaines limites, notamment en ce qui concerne le droit à l’information. Une médecin cheffe en soins intensifs m’explique :

On est emprunté·e·s aux soins intensifs vis-à-vis des marraines et des familles d’accueil, parce qu’on ne sait pas quelles informations on peut leur donner ou non. En réalité, on n’a pas le droit de leur transmettre des données médicales, parce qu’il ne s’agit ni de leur représentant légal, ni de leur représentant thérapeutique. Mais on sent bien que les marraines et les familles d’accueil ont besoin et envie d’avoir des informations, que ce n’est pas facile pour elles non plus. (Entretien, février 2019)

52Ces propos pointent une limite de la substitution en termes de transmission d’informations et ses répercussions à la fois sur les soignant·e·s et les bénévoles. « Parfois on ne se sent pas les bienvenues en tant que marraines auprès de certaines infirmières », me confie Sonia, en rattachant ce sentiment au refus des soignant·e·s de répondre à des questions qu’elle s’estime en droit de poser.

53Les marraines ne bénéficient d’aucune formation avant de débuter leur activité bénévole, hormis un temps d’observation en compagnie de bénévoles plus expérimentées. Une autre limite de la substitution tient alors aux représentations parfois stéréotypées que les bénévoles peuvent avoir au sujet des enfants qu’elles accompagnent. Il arrive par exemple à plusieurs reprises que des marraines sous-entendent, voire affirment explicitement, que les conditions de vie sont meilleures en Suisse et que par conséquent, les enfants « seraient mieux ici » que dans leurs pays.

Lors d’une visite de Judith à Eden, Béninois alors âgé de 2 mois et demi, elle le regarde longuement et lui dit : « T’es devenu un beau bébé. Avant on n’aurait pas voulu de toi, mais maintenant on aimerait t’adopter. » Puis elle s’adresse à moi : « Des fois on s’attache aux enfants et on voudrait les adopter. On ne sait pas quelles conditions ils vont retrouver là-bas ou comment leurs familles s’occupent d’eux. » (Journal de terrain, avril 2019)

54Dans l’ensemble, les marraines affichent une vision très peu critique du programme et de « l’aide apportée à ces enfants », leurs propos reflétant la représentation d’une dépendance à sens unique des populations africaines vis-à-vis de l’aide internationale, telle qu’abordée plus haut.

De l’impossibilité de ne pas s’impliquer

55Les conséquences principales de l’absence des parents sur ma propre expérience en tant que chercheuse relèvent de mon implication importante – pratique, sensorielle et émotionnelle – auprès des enfants au cours de ma recherche (Vaucher, 2020). Mes observations en milieu pédiatrique me confrontent, d’une part, à l’importance du corps à corps dans le quotidien des enfants (Mougel, 2013) – en particulier de moins de 2 ans – et dans la compréhension de leur expérience. Je me retrouve ainsi fréquemment en situation d’essayer de prendre des notes tout en tenant un enfant dans mes bras ou à consoler un enfant après un examen éprouvant.

56D’autre part, l’une des caractéristiques des séjours hospitaliers des enfants « seuls » est la discontinuité des interactions qu’ils nouent avec les personnes qui les entourent, qui contraste avec la continuité de la présence parentale. Mougel (2009 : 80) évoque ainsi la contrainte parentale liée au « travail de séparation », dont elle estime qu’il constitue une tâche « délicate », lorsque le parent doit prévenir l’enfant de son départ. Cette tâche me revient également et j’ai beaucoup de difficulté à m’en aller lorsque la fin de la journée arrive. Chercheur·e·s (Bluebond-Langner, 1978), bénévoles et parents optent alors pour la même stratégie consistant à attendre que l’enfant s’endorme pour partir, non sans un certain sentiment de culpabilité.

57Plusieurs travaux d’ethnographie hospitalière soulignent la difficulté des chercheur·e·s à s’intégrer en milieu hospitalier, se sentant mis·es à l’écart et devant négocier leur présence auprès des soignant·e·s, patient·e·s et proches (Svensson, 2020 ; Wind, 2008). À l’inverse, dans ma recherche, ma présence est non seulement acceptée mais activement sollicitée par les enfants et les soignant·e·s. Je me retrouve ainsi dans l’impossibilité de ne pas participer. Les enfants me demandent de les accompagner lors de soins ou d’examens, et les soignant·e·s me témoignent leur reconnaissance quand je nourris un enfant, change une couche ou reste auprès de lui lorsqu’aucune visite n’est prévue ou lors de soins longs et/ou douloureux. Dans les situations où je dois m’en aller ou souhaite me rendre auprès d’un autre enfant, les équipes expriment parfois leur frustration face à l’absence d’une personne de référence auprès des enfants, dont le temps serait illimité, renvoyant aux attentes contemporaines vis-à-vis des parents.

58Finalement, tout comme je mets en évidence dans cet article que la venue d’enfants ouest-africains en Suisse bénéficie aux hôpitaux et aux soignant·e·s, je souhaite souligner ici que l’absence des parents conduit à une situation très rare en termes de recherche, qui comporte également certains bénéfices pour la chercheuse que je suis. En effet, il est extrêmement rare d’avoir l’occasion d’interagir avec des enfants hospitalisés et de pouvoir assister à leurs interactions avec des soignant·e·s sans le « filtre » et la médiation de leurs parents (Mougel, 2022).

Conclusion : Des effets inattendus de l’aide humanitaire

59Comme le souligne Elizabeth Lanphier (2021 : 172), « [l]e projet humanitaire a tendance à construire le·la travailleur·se expatrié·e comme l’aidant·e et la population ou l’individu bénéficiaire comme l’aidé·e ». Ma recherche permet de complexifier la question de la relation entre aidant·e et aidé·e qui structure le champ de l’aide humanitaire en montrant qu’il existe plusieurs bénéficiaires de l’aide. En effet, j’ai souligné la façon dont le dispositif de transferts médicaux étudié profite au système de santé suisse tout en venant en aide à des familles ouest-africaines ne possédant pas d’accès facilité à la chirurgie cardiaque pédiatrique.

60Comme en témoignent les extraits d’entretiens et d’observations mobilisés dans cet article, un tel dispositif peut réduire certaines inégalités – d’accès aux ressources de santé – tout en en générant d’autres. Parmi ces dernières, des inégalités entre différents pays, partenaires du programme ou non ; entre différentes régions à l’intérieur des pays partenaires, les régions les plus proches des capitales économiques où se situent à la fois les infrastructures principales de santé et les bureaux de l’ONG étant privilégiées ; entre les familles possédant ou non des relations à travers lesquelles elles sont orientées vers l’ONG ou pouvant les aider financièrement dans l’obtention d’un diagnostic ou pour leurs déplacements vers les capitales. Finalement, en se focalisant principalement sur la vie biologique et le cure, le dispositif génère des inégalités importantes entre enfants une fois ces derniers accueillis dans les services pédiatriques suisses, étant donné qu’ils ne bénéficient pas de la présence de leurs proches auprès d’eux ni, dans un grand nombre de cas, d’une personne parlant leur langue maternelle, contrairement aux enfants résidant en Suisse. Ainsi, les inégalités concernent à la fois l’accès des enfants aux soins techniques – justifiant leur « évacuation sanitaire » – et au care, compris ici au sens de « reconnaissance sociale et politique de l’individu dans le besoin » (Sakoyan, 2010 : 148).

61Un tel dispositif, qui apparaît en décalage avec les développements de la pédiatrie contemporaine tant en matière d’inclusion des familles au sein des services que de pratiques de médiation linguistique et culturelle en milieu hospitalier, produit in fine des pratiques compensatoires. Ces dernières prennent la forme de « petits privilèges » octroyés par les équipes soignantes, les bénévoles et la chercheuse en contact avec les enfants, ou d’un travail de substitution qui, bien que nécessaire, connaît des limites.

62Les inégalités de traitement et paradoxes mis en évidence dans ce texte illustrent certains effets inattendus et non souhaités des politiques d’aide humanitaire et des dispositifs sanitaires étatiques. Ces effets ont été précédemment identifiés par Didier Fassin (2010), Miriam Ticktin (2011) ou Susan Huschke (2014), qui soulignent la façon dont les politiques d’aide participent à maintenir leurs bénéficiaires dans des positions subalternes, perpétuant ainsi différents niveaux de dépendance.

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Notes

1 Le terme de « privilège » est employé dans ce texte au sens commun, afin de désigner des faveurs accordées à des individus en particulier, dans des circonstances particulières. Il est à distinguer de ses usages en sciences sociales, renvoyant notamment aux avantages systématiques (et souvent invisibilisés) dont jouissent certains individus ou collectivités (on peut penser par exemple au « white privilege » ou au « male privilege » décrits par Peggy McIntosh en 1989). Les enfants dont il est question ici ne font nullement partie d’une classe pouvant être considérée comme « privilégiée » d’un point de vue de sciences sociales. Mon usage du terme est également à distinguer de celui qu’en fait Erving Goffman (1968), bien que je reprenne son expression de « petits privilèges » (« minor privileges »). En effet, dans les situations décrites par Goffman, les privilèges s’entendent au sens de récompenses en échange de bons comportements et entrent en tension avec un système de punitions, dans une visée de contrôle des conduites.

2 Dans cet article, le terme de soignant·e désigne autant des médecins cadres, médecins assistant·e·s que le corps infirmier.

3 Les termes entre guillemets sont ceux employés par l’ONG dans ses communications publiques.

4 Parmi une cinquantaine de bénévoles à travers trois hôpitaux partenaires, il n’existe qu’un seul « parrain » au moment de ma recherche, raison pour laquelle le terme de « marraine » est employé dans cet article.

5 Les enfants reçoivent un « visa humanitaire » valable trois mois et dont les coûts sont couverts par l’ONG. Si leur séjour se prolonge au-delà de six mois, une demande de permis de séjour de courte durée est effectuée.

6 La thèse de doctorat dont est tiré ce texte souligne la façon dont les enfants naviguent entre différents ensembles de normes culturelles et sociales et retournent au Bénin et au Togo « transformés » sur plusieurs plans : biologique, développemental, identitaire et moral (Vaucher, 2023).

7 La notion de « trajectoire » englobe « à la fois le développement physiologique de la maladie d’un·e patient·e, mais également l’organisation du travail déployé autour de la maladie et du·de la patient·e, ainsi que son retentissement sur les personnes impliquées dans le travail et son organisation » (Strauss et al., 1982 : 257). Le terme de « travail » souligne quant à lui que les pratiques mises en œuvre requièrent « de l’énergie, du temps, des compétences […] et une division du travail » (Strauss et al., 1982 : 254).

8 J’exclus ici la littérature concernant les mineur·e·s non accompagné·e·s (MNA) migrant en Europe qui renvoient à d’autres enjeux politiques et sanitaires et qui font l’objet de mesures spécifiques (voir par exemple Depallens Villanueva & Ambresin, 2010).

9 Les enfants et jeunes pris en charge par l’ONG ont l’autorisation d’appeler leurs familles environ une fois par semaine depuis l’hôpital, et une fois toutes les deux semaines depuis l’institution d’accueil. Leur communication est néanmoins limitée par des contraintes institutionnelles et la disponibilité du personnel éducatif et soignant. Les jeunes qui possèdent leurs propres appareils peuvent entretenir une communication plus régulière avec leurs proches, mais celle-ci demeure contrôlée au sein de l’institution d’accueil (heures limitées), principalement en raison de craintes liées à des projets migratoires, de la part du personnel ne comprenant pas la langue parlée. Pour les plus jeunes, la communication est davantage limitée du fait que les enfants se retrouvent souvent dans un état émotionnel difficile à gérer pour le personnel éducatif, après avoir entendu la voix ou vu le visage de leurs parents. L’institution ne travaillant pas avec des interprètes, les éducateur·ices sont alors démuni·e·s pour rassurer les parents au bout du fil sans langue commune.

10 Tous les prénoms ont été remplacés par des pseudonymes.

11 Il s’agit d’une mesure préventive visant à éviter la transmission du MRSA (staphylocoque doré résistant à la méticilline). La mesure implique l’isolement de l’enfant dans sa chambre d’hôpital et le port d’un masque, de gants et d’une blouse pour toute personne y entrant.

12 Les langues maternelles les plus fréquentes chez les enfants suivis dans le cadre de cette recherche sont le fongbé pour les enfants béninois et l’éwé pour les enfants togolais. D’autres langues fréquemment parlées sont le mina, le goungbé, l’adja et le yoruba.

13 Au Bénin et au Togo, la langue officielle, parlée dans les médias et dans les communications officielles et politiques, est le français. Néanmoins, comme me l’explique le père d’un enfant bénéficiant du dispositif, « la politique [informelle] chez nous, c’est d’abord la langue natale à la maison, et dès la maternelle [optionnelle] on introduit le français. » L’école est obligatoire au Bénin et au Togo à partir de 6 ans. Il n’est donc pas rare que les enfants de moins de 6 ans ne parlent pas le français et s’expriment uniquement dans leur langue maternelle.

14 Il est fréquent que soignant·e·s et membres de l’ONG accolent le nom de l’ONG lorsqu’ils·elles désignent les enfants pris en charge par le dispositif.

15 Les équipes soignantes n’ont aucun contact direct avec les parents avant, durant ou après le séjour des enfants en Suisse. Toute communication se fait par l’intermédiaire du siège de l’ONG qui contacte les antennes locales, lesquelles à leur tour transmettent les informations – majoritairement médicales – aux familles.

16 Les informations récoltées par les employé·e·s béninois·es et togolais·es au sujet des habitudes des enfants lors de la préparation des dossiers en amont de leur transfert sont maigres. En général, le dossier indique si l’enfant marche, parle le français, se nourrit seul, porte des couches ou non. Ces informations servent principalement à départager les jeunes enfants qui seront orientés vers une famille d’accueil de ceux qui seront hébergés par l’institution.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Carla Vaucher, « Des « petits privilèges » pour compenser de grandes inégalités : les effets de l’absence de familles auprès d’enfants béninois et togolais opérés du cœur en Suisse »Anthropologie & Santé [En ligne], 29 | 2024, mis en ligne le 22 novembre 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anthropologiesante/14051 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12s9c

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Auteur

Carla Vaucher

Laboratoire d’étude des sciences et des techniques, Institut des sciences sociales, Faculté des sciences sociales et politiques, Université de Lausanne, Quartier UNIL-Mouline, Bâtiment Géopolis, 1015 Lausanne, Suisse
Carla.vaucher@unil.ch

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Droits d’auteur

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