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Dossier thématique
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La limitation des transferts et des évacuations sanitaires de patients comoriens vers Mayotte et La Réunion : une opération fondamentalement politique ?

Limiting medical transfers and evacuations of Comorian patients to Mayotte and La Réunion: a fundamentally political operation?
Anne Vega

Résumés

Cet article porte sur les déplacements sanitaires de patients depuis les trois îles de l’Union comorienne vers les départements français de Mayotte et de La Réunion. Prenant appui sur une étude ethnographique collective, il explore les expériences de déplacement, légal ou non, du point de vue des patients et des professionnels les prenant en charge et interroge la légitimité de l’accès aux soins : il s’agit de mieux comprendre, d’une part, les logiques de parcours de soins contrastés socialement dans ces territoires où les inégalités sociales de santé continuent à se creuser et, d’autre part, de questionner (les effets de) l’aide à la coopération.

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Notes de l’auteur

Une partie de cette enquête collective a été financée par l’INCa (étude Corsac3) : https://annevega.wordpress.com/current-projects/corsac/.

Texte intégral

  • 1 Terrain réalisé avec l’anthropologue Ibtissem Ben Dridi.
  • 2 Transfert de patient entre deux établissements de santé.

1« Avec nous, tout est politique » nous avaient répété en 2019 des patients venus des Comores et hébergés à Saint-Denis de La Réunion1 pour suivre des traitements contre le cancer. Si tous avaient bénéficié d’un transfert sanitaire2 depuis Mayotte, tous étaient venus de l’Union des Comores (UC) à Mayotte par des barques de pêcheurs, communément appelées kwassa-kwassa. Une fois arrivés au centre hospitalier de Mayotte, nous découvrîmes que la plupart des patients interviewés venaient également de l’UC via ce mode de transport – principalement d’Anjouan, la plus pauvre des trois îles de l’archipel, puis de Grande Comore. Ces traversées occasionnent des centaines de morts en mer chaque année, soit environ 20 000 personnes noyées et disparues depuis 1995 (Ahmada, 2017 ; Hachimi et al., 2013). Cette date correspond à celle de l’introduction du « visa Balladur » consacrant la séparation des Comores d’avec Mayotte via l’établissement d’une nouvelle frontière politique. Cette frontière maritime a compliqué des systèmes d’échange et de relations séculaires car au-delà de leur proximité géographique (voir carte ci-dessous), ces îles de l’archipel sont unies par des liens historiques, ethniques, culturels et familiaux. Bien que contraintes, les circulations de marchandises et de personnes – dont des femmes enceintes, des malades et accidentés – n’ont pourtant jamais cessé entre elles (Roudot, 2014).

Figure 1 – Les routes maritimes des Comores

Figure 1 – Les routes maritimes des Comores

© Philippe Rekacewicz, visionscarto.net, 2002.

  • 3 Évacuation sanitaire : transport médicalisé de patients permettant l’accès à une offre de soins non (...)

2S’intéresser de plus près au déplacement des personnes en quête de soins médicaux dans l’archipel des Comores nous avait conduit à questionner dans une première étude les motivations des patients de l’UC à risquer leur vie en kwassa-kwassa, dans le champ d’une anthropologie du corps souffrant fondée sur l’expérience intime des patients (Vega & Ben Dridi, 2024). Le rôle de leurs familles était apparu central dans ces voyages sanitaires vers Mayotte (département et région française depuis 2011) : dans les usages courants des ressortissants comoriens, aider à l’« évasan », « s’évasaner » ou « s’auto-évasaner », c’est avoir organisé un départ (clandestin) pour soi ou ses proches. Si le terme « évasan » était entré dans le langage courant aux Comores, seule une minorité d’enquêtés bénéficiait d’évasan tel que définit administrativement3. De même, peu de patients enquêtés étaient évasanés vers l’île de La Réunion (département français depuis 1946), principale destination des évacuations sanitaires depuis Mayotte. À cette époque, il y avait alors près « de 1 200 évasans par an, donc en moyenne 84 patients évacués par mois […] plus tous les retours, plus les cas spécialisés des Comores [évacuation de patients grands brulés] ». (Responsable du service des évasans de Mayotte, 2019).

3Cette limitation des circulations légales depuis l’UC et vers La Réunion nous a renvoyé à la question de la légitimité d’accès aux soins et/ou aux pratiques de tri entre les patients, nécessitant de convoquer également l’expérience des professionnels chargés de leur prise en charge.

  • 4 Les travaux de Juliette Sakoyan portaient sur les (trajectoires familiales de) patients mineurs, ég (...)

4Au regard de la littérature déjà relativement riche sur les circulations thérapeutiques entre les Comores et Mayotte et entre Mayotte et La Réunion, qui révèlent des inégalités de l’accès aux soins (Sakoyan, 2012), notre apport réside dans le fait d’avoir travaillé avec des professionnels et des patients à partir d’une anthropologie de l’expérience (Turner & Bruner, 1986). Pour ce faire, nous avons d’une part interviewé des patients adultes et leurs proches venant de l’île d’Anjouan4. D’autre part, il nous a semblé nécessaire d’en déplier plus largement le contenu car les circulations thérapeutiques se développent dans « un contexte géopolitique et sanitaire contraint » (Lotte Hoareau et al., 2023 : 47) : depuis la distribution inégale de la santé, de la maladie et des soins de santé au maintien de frontières entre les corps et les collectivités sociales, en passant par les politiques et les États-nations (changements de régimes juridiques, transformations du statut des malades voire de leurs états de santé, politisation étatique de la migration). Toutes ces dimensions, incluant ici des strates néocoloniales (Blanchard, 2007 ; Stoler, 2008 ; Slama, 2016), influent sur les possibilités de circuler de manière légale ou non dans les trois espaces étudiés, convoquant des perspectives d’analyses élargies. Plus précisément, les résultats des travaux recensés relatifs aux expériences des patients, à leurs stratégies et à leurs limites questionnent des logiques contradictoires portées par les États (comorien et français). Quels sont les patients pris en charge ou écartés, par quel(s) État(s), depuis quand et suivant quels enjeux ? En quoi ces enjeux exacerberaient-ils les difficultés d’accès aux transferts et évacuations sanitaires, et plus largement les inégalités sociales de santé ?

5Ici, nous nous proposons de décrire chronologiquement les étapes du parcours des patients enquêtés et les principales contraintes rencontrées au moment de l’enquête, en s’attachant au préalable à remettre en contexte chaque territoire. Au vu du résultat – le renforcement des inégalités sociales entre ressortissants comoriens –, nous émettons une hypothèse qui relève davantage des études politiques puisqu’elle tient aux paradoxes des accords de coopérations entre l’UC et la France en matière de santé, et renvoie aux récents travaux sur les aides publiques françaises au développement (Marchesin, 2021).

  • 5 Où les soins de santé et la démographie médicale sont pratiquement dans les moyennes nationales (Ha (...)

6Notre approche inductive et descriptive s’inscrit dans une étude anthropologique collective, prolongée à la suite de la pandémie, réalisée dans le cadre du troisième volet du projet CORSAC (« Renforcer l’empowerment des patients démunis face au cancer », financement INCa), courant 2019-2020 et durant l’été 2022 et menée à La Réunion, à Mayotte et dans l’UC (Anjouan et Grande Comore). Sur les trois territoires, outre l’observation des lieux de prise en charge ou d’hébergement dans les principales structures de santé, une soixantaine d’entretiens approfondis semi-structurés retranscrits et/ou traduits ont été menés auprès de malades adultes aux propriétés sociales contrastées et/ou de leurs proches aidants, avec un double recueil d’itinéraires thérapeutiques et de talons sociodémographiques. Ils ont été complétés par plus de cinquante entretiens de (para)médicaux, assistants sociaux, traducteurs, thérapeutes et représentants d’association dont les patients nous avaient parlé (échanges enregistrés, informels ou en groupes dirigés), également de toutes origines. Recueillir leurs voix permettait d’« entendre des logiques sociales que l’observation seule ne permet pas toujours de mettre au jour » (Canut & Pian, 2017 : 7) : en matière de conditions d’exercice (para)médical et d’organisation des soins – dont les critères de sélection concernant les évasans –, mais aussi d’accommodements avec le droit et l’éthique qui n’étaient pas connus ou identifiés par les malades interviewés. De plus, la plupart de ces derniers ont eu tendance à valoriser leur prise en charge médicale à Mayotte et plus encore à La Réunion5, comparativement à celles expérimentées dans l’UC. Par ailleurs, certains ressortissants comoriens ont dissimulé les difficultés rencontrées au quotidien du fait notamment de leur situation administrative précaire et d’expériences de violences passées traumatisantes (désirs de se protéger, d’oublier des traitements ou le fait d’avoir survécu aux traversées). Enfin, certains proches ont refusé de témoigner et n’ont pu le faire car trop malades, en fin de vie.

  • 6 Complexité, opacité des décisions politiques et manque de fiabilité des données de santé (comme des (...)

7Le choix de faire un court terrain exploratoire à Anjouan et à Grande Comore a été motivé par le besoin à la fois d’avoir une vue d’ensemble sur les déplacements thérapeutiques au sein de l’archipel et de recueillir sur place des informations sur les structures de soins locales et les modalités réelles d’évacuation sanitaire, en diversifiant les sources (observation de lieux de départ « clandestins », recueil de témoignages de responsables gouvernementaux et indépendants in situ et sur internet). Malgré un terrain d’enquête qualifié de difficile par la plupart des chercheurs6 et des ressortissants comoriens rencontrés, il nous a permis de mieux comprendre les premiers récits des malades rencontrés à La Réunion. Aux Comores, nous sommes parvenues à échapper à des visites « téléguidées » par des membres proches du gouvernement donnant à voir une « bonne » image des ressources en santé. S’il est ainsi possible de visiter des blocs opératoires flambants neufs, ils sont en fait désertés par les malades faute de moyens et aucun ne fonctionne normalement. De même, des bureaux médicaux et des locaux associatifs demeurent vides.

8Nous avons volontairement choisi de ne pas ou peu donner d’indications sur les propriétés sociales des personnes rencontrées ni sur leur parcours afin de ne pas compromettre des enquêtés professionnels, a fortiori lorsqu’ils critiquaient la politique de l’UC, de la France et/ou celle de leurs directions professionnelles, ou lorsqu’ils témoignaient de discriminations (Fassin et al., 2001).

Origines des déplacements des Comores vers Mayotte et obstacles étatiques rencontrés

9Il s’agit de comprendre, outre les difficultés à (partir) se soigner, pourquoi et depuis quand la plupart des personnes venant des Comores, même gravement malades, sont-elles contraintes de venir illégalement à Mayotte ?

Pauvreté et/ou attrait pour l’eldorado

  • 7 Lors de la conférence de Paris de 2019, la France s’est engagée à verser à l’UC 150 millions d’euro (...)

10Mayotte, enclave française dans l’océan Indien occidental, fait figure d’eldorado au regard de la situation socio-économique de l’UC, jugée préoccupante par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2018 (Commission de l’Union africaine et OCDE, 2018). Le produit intérieur brut par habitant des trois autres îles voisines de l’archipel des Comores (Grande Comore, Anjouan, Mohéli) est dix fois inférieur à celui de Mayotte, et l’État ne parvient pas à nourrir une population de moins d’un million d’habitants. La diaspora comorienne est l’une des plus importantes au monde, conséquence des migrations scolaire, universitaire, économique et sanitaire (Stratégie régionale, AFD, 2020), auxquels il convient d’ajouter des migrations politiques. Sur place, la population reste majoritairement rurale et vit dans un contexte d’inégalités profondes de l’offre de soin. En dépit de l’aide publique fournie par la France7, le pays porte un « double fardeau » : la persistance de maladies transmissibles et la progression des maladies non transmissibles, dont des tumeurs cancéreuses. Comme dans d’autres pays africains et des Suds, ces nouvelles pathologies restent peu prises en charge, notamment parce que les soins nécessitent des infrastructures lourdes et l’accès à des produits de santé onéreux. Aussi, « le cancer, les maladies cardio-vasculaires, le diabète, les insuffisances nutritionnelles et la faible qualité des services de santé entraînent une morbi-mortalité très élevée ». Quant à « l’effondrement du système national de santé », il est souvent officiellement imputé au seul « manque criant de spécialistes », notamment en cancérologie (Assises nationales des Comores, 2018 : 269).

11Parmi les raisons qui poussent des personnes malades à quitter l’UC, on retrouve en effet la dégradation progressive du système de santé (Gaussein, 2014), c’est-à-dire le manque de matériels divers, d’infrastructures médicales développées et accessibles financièrement, de spécialistes et de services de santé – dont ceux dédiés au cancer. Les examens et les soins demeurent inaccessibles à la majorité de la population du fait d’hôpitaux et d’un secteur privé lucratif couteux. De nombreux professionnels de santé s’investissent dans ce secteur qu’ils jugent plus rémunérateur que les hôpitaux publics. Dans ces derniers – dont les urgences sont comparées à des « poulaillers » par certains patients enquêtés –, non seulement une frange importante du personnel ne vient plus travailler faute de salaires réguliers depuis environ dix ans, mais des surtarifications sont imposées aux patients pour compenser le non-versement de ces salaires.

  • 8 À l’analyse, il est souvent assimilé à « quelque chose qui est pourri », qui risque « d’envahir le (...)

12Cette situation générale explique pourquoi les malades les plus pauvres – les plus souvent anjouanais et mohéliens – ne peuvent partir : le coût des visas et celui de la traversée en kwassa-kwassa leur est inabordable, et le réseau migratoire leur fait de surcroît défaut. Ceci constitue toujours la plus forte inégalité entre les familles spatialement immobiles et mobiles (Sakoyan, 2012 ; Bréant, 2020). Ces dernières adoptent toujours les mêmes stratégies, et cela depuis plus de vingt ans à en croire les témoignages de professionnels de santé recueillis par l’anthropologue Karine Viollet : « ils n’ont pas les ressources là-bas et ils doivent payer tous leurs soins […]. Et ici ils savent qu’il y a et les ressources et les moyens donc, donc ils payent le kwassa. » (Viollet, 2001 : 267). Une autre constante est à souligner. Partir à Mayotte – parfois après avoir tenté sa chance ailleurs – relève le plus souvent de migrations « de survie » (Pian, 2012 ; De Souza, 2014), de derniers recours, dans l’espoir de soigner des cancers souvent avancés, voire incurables, caractérisant une situation d’urgence et de menace vitale immédiate. Cette pathologie garde d’ailleurs une connotation extrêmement péjorative aux Comores : « le cancer pour nous là-bas c’est la mort, le début de la mort », « c’est pire que le sida »8 et « le gouvernement n’en parle pas » nous ont répété des ressortissants comoriens.

13Pour finir, le renforcement des contrôles maritimes « imposé » par la France à l’UC afin de lutter contre l’immigration illégale n’avait rien changé en 2022 : « on se risque et on nous demande encore de l’argent pour passer. » (Patiente traitée à La Réunion) Les traversées sont toujours le fait de passeurs des régions pauvres d’Anjouan, une île où des velléités de séparatisme vis-à-vis du pouvoir central de Grande Comore ont régulièrement été exprimées et réprimées. « Les Anjouanais préfèrent mourir dans l’eau qu’aux Comores » concluait ainsi un médecin généraliste comorien installé à La Réunion.

Entraves à l’accès aux évasans

14« Finalement en 2018 je me suis dit : “t’as pas d’autres solutions, tu te hasardes ! Tu vas à Mayotte”. » (patient de Mohéli transféré à La Réunion) Instauré le 18 janvier 1995, le « visa Balladur » visant à lutter contre l’immigration a édifié « un mur maritime » et « une fracture sanitaire entre l’UC et Mayotte » (Florence et al., 2010). En effet, jusqu’en 1995, les populations avaient pour habitude de circuler librement entre les îles de l’archipel des Comores et bénéficiaient d’un libre accès aux infrastructures de santé mahoraises. Aussi, selon les médecins rencontrés dans l’UC, auparavant « on mettait le malade dans le bateau, dans l’avion. Depuis le visa Balladur, c’est vraiment la mobilité des personnes qui était restreinte quoi, donc c’est ce qui a ouvert la porte des kwassa » (médecin, hôpital d’Hombo, Anjouan). Les médecins urgentistes travaillant ou ayant travaillé à Mayotte tiennent les mêmes propos.

  • 9 Cette dernière y a ensuite entraîné d’autres glissements et exceptions juridiques, sur lesquels nou (...)

15Plus précisément, et c’est un premier paradoxe, « l’instauration d’une frontière a transformé la mobilité transfrontalière en immigration clandestine, sédentarisé les migrants, et l’afflux de financements consécutifs au changement de statut de Mayotte a accentué la pression migratoire9 » (Roudot, 2014 : 76). De plus, « depuis plus de dix ans », les patients comoriens vivant en UC doivent avancer les frais pour leurs soins à l’ambassade de France à Moroni ou à l’antenne consulaire d’Anjouan avant leur départ (à la suite des rumeurs de certificats de complaisance réalisés par des médecins comoriens) : « prouver qu’ils peuvent payer ces factures, puis payer le trajet – normalement c’est remboursé après mais c’est pas toujours le cas –, et ça c’est quand ils ont le visa : c’est très rare. » (oncologue, clinique Sainte Clotilde, La Réunion). Il faut en effet pouvoir disposer de moyens financiers, c’est-à-dire payer jusqu’à 5 000 euros pour partir en avion et être hospitalisé à Mayotte selon les professionnels enquêtés.

16Les entretiens menés sur place avec des médecins comoriens ne nous ont pas permis de comprendre pourquoi l’aide française était désormais quasi inexistante pour organiser des évacuations sanitaires depuis l’UC vers Mayotte. Ainsi, entre 2004 et 2007, 113 malades en moyenne par an bénéficiaient d’évacuations, mais « des troubles politiques » auraient mis fin à la présence d’un médecin et d’une infirmière française à Anjouan en 2008 (Gaussein, 2014 : 19). Dès 2009, les « évasans acceptées » vers Mayotte étaient qualifiées de « très rares » selon Médecins du monde (Alix & Lamarque, 2009 : 10). Enfin, à partir de 2012, les demandes d’évasans de Comoriens et les accords favorables pour la prise en charge à Mayotte ont été presque totalement écartés, probablement en raison de la hausse constante de l’immigration depuis la départementalisation de Mayotte le 31 mars 2011. Avec le passage à la législation de droit commun sur ce territoire, les autorités françaises estiment ne pas avoir à soigner ou prendre en charge des personnes qui ne sont pas résidentes sur son sol. Ainsi, à la suite d’un changement de ligne directrice de l’agence régionale de santé (ARS), le paiement intégral des frais de santé par le patient devient la condition pour accéder à une évacuation sanitaire depuis les Comores jusqu’à Mayotte et pour acquérir le visa sanitaire avant le départ de l’UC (ces frais ne devant plus incomber aux caisses de Mayotte). De ce fait, en 2018, on ne comptait plus que onze demandes d’évacuations sanitaires en provenance de l’UC (Gaussein, 2014). En 2019, c’était « un grand maximum de trois à quatre par an, plutôt pour des maladies spécifiques d’enfants, mais c’est très long », explique le responsable des évasans du centre hospitalier de Mayotte (CHM), du fait aussi du manque de personnels adaptés au CHM.

17Les soins à l’étranger en cas de maladies ou d’accidents graves étant toujours nécessaires, des traversées clandestines vers Mayotte sont conseillées plus ou moins directement par les médecins sur place – a fortiori en cas de suspicion de cancer. Et elles sont parfois organisées par des représentants associatifs travaillant pour l’État comorien, ce qui brouille les frontières entre mobilités autonomes et mobilités autorisées (encadrées par des décisions institutionnelles).

Le coût de l’eldorado : reconduites aux frontières et législations inégalitaires à Mayotte

18Pourquoi la plupart des déplacements sanitaires vers Mayotte et/ou La Réunion sont-ils qualifiés rétrospectivement par des patients de « voyage vicieux, paradoxal », et d’« itinéraire de soin souvent chaotique » par des médecins (Gaussein, 2014 : 91) ?

L’envers du décor mahorais

  • 10 Défenseur des droits, « Établir Mayotte dans ses droits, rapport 2020 : https://juridique.defenseur (...)
  • 11 Sources MDM : Vega et al., 2022. Autrement dit, « beaucoup de personnes mahoraises ou étrangères ne (...)
  • 12 Pratiques accélérées depuis la période du covid, tout comme les arrestations de kwassa-kwassa par l (...)
  • 13 Les inégalités territoriales et sociales (de santé) restent très importantes à Mayotte comparativem (...)
  • 14 Sur l’histoire de Mayotte, voir Morano (2022) et Cottereau (2021) qui reflètent des analyses politi (...)

19Pour les raisons déjà exposées, et malgré les risques élevés de noyades et d’interception en mer, les Comoriens sont toujours aussi nombreux à tenter la traversée pour Mayotte, illégalement, et les malades parmi eux à se rendre dans l’unique structure de soins publique. Si en comparaison de celui de l’UC, le système de soins français établi à Mayotte (où la plupart des médecins sont d’origine métropolitaine) est nettement plus développé et performant, la situation doit être relativisée. D’une part, le nombre de lits d’hospitalisation est insuffisant par rapport aux besoins10, et le recrutement et la fidélisation des médecins difficiles. Des associations et des organisations non gouvernementales (ONG) tentent de pallier les défaillances du système de soins (Roudot, 2014). L’offre de soins en oncologie s’avère également limitée, expliquant les évacuations sanitaires vers La Réunion. D’autre part, le code de la sécurité sociale ne s’applique pas : une grande partie de la population, notamment celle en situation de précarité et d’irrégularité, est exclue de l’affiliation à la Sécurité sociale (absence d’aide médicale d’État [AME] et de complémentaire santé solidaire11). Plus largement, Mayotte pâtit de retards d’investissements publics malgré un développement économique rapide. C’est actuellement le département français ayant la plus forte densité de population après la région parisienne, dont la population est la plus la jeune, la plus pauvre et comptant le plus d’étrangers (Insee, 2020, 2023). Ce contexte nourrit le ressentiment des Mahorais et conduit à la multiplication des « décasages » (destructions violentes d’habitation), des contrôles policiers d’identité et des demandes de justificatifs administratifs12, d’autant que l’État français ne cesse de politiser l’immigration et d’en faire un « problème social » (Hachimi et al., 2013 ; El Idrissi, 2018 ; Blanchy et al., 2019). Dans cette société « qui subit des changements rapides » (Morano, 2022 : 481), la compétition pour l’accès aux ressources (de soin) est exacerbée13. Enfin, le rattachement de Mayotte à la France est toujours contesté au niveau régional et par les instances internationales. Territoire non décolonisé aux yeux des Nations unies, l’île serait bel et bien « comorienne » selon nos interlocuteurs comoriens. Ce sujet est également source de tensions avec les Mahorais et de controverses historiques14. Faute de recensement fiable, les données de chiffrage sont régulièrement l’objet de polémiques. Les étrangers en situation irrégulière – majoritairement comoriens – sont estimés à 100 000 personnes par le ministère de l’Intérieur (incluant les mineurs isolés non scolarisés en recrudescence avec l’accélération de la lutte contre l’immigration clandestine). Et on estime que les patients comoriens présents au CHM représentent entre 40 %, voire « de 60 à 90 % des patients : on ne nous donne jamais de chiffres » (cadre de santé, CHM).

Difficultés à accéder et à poursuivre les traitements

  • 15 Ces menaces de renvoi aux Comores, souvent synonyme de mort, se prolongent jusqu’en métropole pour (...)
  • 16 Sahraoui N., « Mayotte : comment la France a fragmenté le droit de la nationalité », The Conversati (...)

20À l’instar des malades interviewés, les professionnels de santé du CHM expliquent que faute de médicalisation des maladies chroniques aux Comores, les nouveaux patients qui arrivent « attendent le miracle – le produit miracle qui va les guérir en une seule fois […], quand ils réalisent que ce n’est pas comme ça, ça c’est dur ». Mais d’après tous nos interlocuteurs à Mayotte (soignés et soignants), le plus grand risque est toujours d’être « pafé » (attrapé par la police aux frontières), et surtout par la police mahoraise. En effet, les contrôles d’identité, les interpellations et les expulsions de personnes « non autochtones » sont permanents15 (Lafarge et al., 2007 ; Roudot, 2014). Autrement dit, « s’il y a autant de personnes sans papiers à Mayotte, c’est qu’il y est particulièrement difficile de régulariser sa situation administrative16 » : « le paradoxe c’est que dans la rue, même si vous êtes trouvé malade, mais sans papiers, vous devez retourner aux Comores. Alors que c’est pas évident de trouver des papiers à Mayotte ! » (Patiente traitée au CHM). En parallèle de leurs traitements, des patients se voient en effet contraints d’attendre à la préfecture et d’insister : « indéfiniment : c’est au bon vouloir de la personne dernière le guichet ! Il fallait mendier, se mettre à genoux – en plus c’est que trois mois [carte de séjour à renouveler]. En plus il m’a dit : “tu n’es pas mariée, retourne chez toi” » (patiente traitée à La Réunion après une rechute de son cancer). La complexité du régime juridique en vigueur à Mayotte, la diversité du statut « irrégulier/régulier » et l’effet de « boucle interminable dans les démarches administratives » sont autant de problèmes déjà mentionnés dans les rapports de Médecins du monde (voir figure 2).

Figure 2 – Difficultés d’ordre administratif

Figure 2 – Difficultés d’ordre administratif

© Médecins du monde, « Obstacles à l’accès aux soins à Mayotte. Étude socio-anthropologique », 2019-2020, p. 11 (www.migrantsoutremer.org/IMG/pdf/recherche_acce_s_aux_soins_mayotte_msh.pdf)

  • 17 En cas de diagnostic de pathologie chronique grave, la demande de titre de séjour pour raison médic (...)

21D’autres récits d’enquêtés font état de refoulement ou de mise en attente par des agents mahorais aux urgences du CHM, où certains professionnels se voient attribuer « un rôle de tri sanitaire », y compris dans l’accès aux premiers soins (Gaussein, 2014 : 89)17. Il semble alors crucial de maîtriser le français pour tenter de capter l’attention de médecins métropolitains. En outre, les reconduites aux Comores touchent désormais des malades en cours de traitement munis de certificat médicaux, dont certaines doivent être transférées à La Réunion. « Les policiers mahorais, ils arrêtent tous les taxis. […]. Ils déchirent les certificats. Et ils [les patients] partent tous au CRA [centre de rétention administrative de Mayotte]. » Ces pratiques, bien que connues de l’État, occasionnent des retours ultérieurs en kwassa-kwassa dans des états de santé encore plus dégradés, selon un cadre de santé du CHM.

Surcoûts et exploitation politique des tensions

22Confrontés aux difficultés des patients, une partie des professionnels métropolitains se retrouvent ainsi « en tension entre réalités vécues sur le terrain […] et prérogatives fixées par le système légal […] » (Hoyez, 2011 : §17). Les politiques de lutte contre l’immigration prévalent et elles nourrissent des tensions néocoloniales qui se manifestent dans le secteur de la santé notamment par des pratiques discriminatoires à l’encontre de jeunes Comoriens, comme le relate l’étude de l’anthropologue Alison Morano (2022). Outre des douleurs non traitées, de tentatives de facturation illégale de médicaments et d’hospitalisations au CHM ont été rapportées par nos enquêtés. Cependant, en matière de surcoûts, la plupart des malades enquêtés pâtissent des interprétations de textes législatifs visant à lutter contre l’immigration clandestine. En effet, depuis la création de la caisse de sécurité sociale de Mayotte et en lien avec le décret ministériel n° 2004-942 du 3 septembre 2004, les personnes non affiliées – étrangères, sans titre de séjour – « doivent payer un forfait dont les tarifs ont été fixés localement » (Florence et al., 2010), dit aussi « paiement d’une consignation » ou encore « provisions financières » demandées à l’hôpital. Dans une section consacrée à l’immigration ultramarine, la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration stipule ainsi que « compte tenu de l’intensité exceptionnelle de la pression migratoire à Mayotte, il sera évidemment nécessaire d’y maintenir une législation des étrangers dérogeant, à bien des égards, au droit commun » (Roudot, 2014 : 76).

  • 18 « Il n’y a pas d’AME aujourd’hui pour ne pas attirer de clandestins. » ; « Il faut davantage de coo (...)

23Sur le terrain, « faire participer les patients » financièrement renvoie à diverses pratiques plus ou moins licites émanant également de professionnels métropolitains, le plus souvent sous couvert de politiques de restrictions budgétaires. Ainsi, des surcoûts peuvent survenir en dispensaire (« une consultation ouverte sans rendez-vous, c’est dix euros, sinon c’est 25 euros ») et en médecine de ville (« l’idée c’est de faire payer à un maximum de patients 15 euros la consultation via un paiement de 10 euros et le reste en liquide »). De plus, alors que l’hôpital de jour est « censé être gratuit, en médecine tout le monde paie sauf les gens ayant aucun moyen. Faire payer, c’est la direction qui l’a institué de façon informelle » ; donc pour le patient « tout dépend de la personne qui gère les entrées à l’hôpital » (médecins spécialistes du CHM). Et en dépit des discours de la direction hospitalière ou de l’ARS, il existerait des prises en charge à plusieurs vitesses en chirurgie, en médecine ainsi qu’en matière de prévention du cancer – dont pâtiraient également les Mahorais. Toutes ces pratiques semblent être justifiées de façon non officielle par « le discours global : “les migrants viennent ici pour profiter” […]. On doit faire des réductions budgétaires donc les Anjouanais passent en dernier ». Ce discours entre en résonance avec celui sur « l’invasion comorienne » et « l’appel d’air », repris en 2022 par des sénateurs18. L’ensemble continue à nourrir « la violence sociale » (Morano, 2022 : 477).

Les difficultés à être « évasanés » vers La Réunion et à vivre sur place

Limitation des évasans et/ou pratiques de tri

  • 19 La grande majorité des évasans en oncologie se font aussi vers La Réunion, « soit environ cinq par (...)
  • 20 La demande de prise en charge financière portant sur le transport « mais aussi sur l’hébergement, l (...)
  • 21 En cancérologie, les patients en provenance de l’île de Mayotte sont pris en charge pour 28 % dans (...)

24En phase avec les politiques de lutte contre l’immigration et de restrictions budgétaires, le dispositif d’évacuation sanitaire – créé en 2000 dans le cadre d’une convention entre les centres hospitaliers de Mayotte et de La Réunion – vise également à rationaliser les flux informels de malades (Sakoyan, 2012). Cependant, le CHM ne réalise ni radiothérapie ni curiethérapie, et certaines chimiothérapies, chirurgies et examens complémentaires sont limités, nécessitant des transferts secondaires à La Réunion19. De plus, la cancérologie « est une filière qui coûte cher. Et après il faut que le CHM qui est déjà en tension arrive à absorber tout ça » (médecin des évasans du CHM). En conséquence, comme le soulignaient en 2019 des médecins spécialistes du CHM, les évasans sont de plus en plus rares, depuis Mayotte vers La Réunion : « Il y a de plus en plus de contrôle des évasans, donc y’aura de moins en moins d’avions, même pour des [patients] mahorais. » En outre, ces transferts résultent de décisions complexes et spécifiques (du directeur du CHM après avis du comité Evasan, et du service receveur notamment)20. Or, selon nos informateurs, des obstacles émanent également de structures de soins privées récalcitrantes. Les praticiens de cliniques se disent régulièrement débordés21, ou se justifient ainsi : ces derniers « sont payés trois-quatre voire cinq ans après… C’est des grandes familles hein réunionnaises […] qui disent : “tu as vu combien ça nous coûte ?!” », « ils réservent les places pour leurs clientèles ».

25Le service des évasans du CHM étant en cours d’informatisation pendant notre enquête, nos données restent partielles. Selon le rapport interne des évasans de Mayotte de 2018, le profil des patients évasanés a changé. Depuis 2008, en termes de nationalités, les patients de nationalité française sont devenus majoritaires par rapport aux Comoriens, avec un recul des patients évasanés non affiliés à la Sécurité sociale depuis 2013. De plus, un certain nombre de patients français ou comoriens, bien qu’éligibles à une affiliation, sont considérés comme non affiliés : « C’est les médecins en amont qui gèrent le dossier, qui trouvent leur interlocuteur, qui signent un accord de transfert, c’est validé en commission évasan et signé par l’ARS si non affilié avec un laisser passer aller-retour signé du préfet de Mayotte. » (responsable des évasans de Mayotte). Enfin, pour être affilié, il fallait déjà « présenter un relevé d’identité bancaire, ce qui n’est normalement pas une pièce obligatoire » (Gaussein, 2014 : 89).

Le rêve, ou le cauchemar réunionnais ?

  • 22 Comme à Mayotte, le manque d’interprètes salariés rend aussi les échanges difficiles à La Réunion c (...)
  • 23 Soulignées aussi récemment par la Cimade : Rapport d’observation « Évacuations sanitaires entre May (...)

26En définitive, une minorité de patients comoriens adultes parviennent à être transférés vers La Réunion, où tous arrivent avec l’espoir de guérir, et plus encore : « à La Réunion, ils ont l’AME et y’a la CAF [Caisse d’allocations familiales]. Et y’a pas de contrôles policiers. » (cancérologues, CHM) Cependant, les conditions de séjour peuvent être compliquées faute de ressources et d’hébergements à l’arrivée du transfert. Les malades enquêtés sont également confrontés à des lourdeurs administratives en raison de la pénurie d’assistantes sociales. Or, selon ces dernières, les patients en provenance de Mayotte souffrent en règle générale d’« une méconnaissance de leur parcours de soins et de leurs droits ». Selon tous les professionnels enquêtés, ce sont à nouveau les personnes non francophones22 issues de milieux ruraux qui cumulent les difficultés. À La Réunion plus encore qu’à Mayotte, elles doivent « apprendre à vivre ici quasiment comme en France ». Des récits traduits de ces patients enquêtés attestent d’un manque d’information, même a minima, quant aux tenants et aux aboutissants de leurs traitements, et de situations de déracinement sanitaire ayant de lourdes conséquences : des patients complètement désorientés (observés) refusent de poursuivre des traitements et/ou de s’alimenter – constats corroborés par des médecins et des chirurgiens. En outre, des séparations de parents avec leurs enfants occasionnent d’autres souffrances23, a fortiori en cas de divorce du conjoint : du fait d’incertitude quant aux devenirs des enfants (à Mayotte ou dans l’UC).

27Deux constats communs relatifs aux expériences de ces patients sont encore à souligner, à commencer par le risque d’être renvoyé sans préavis et/ou trop tôt vers Mayotte. Ces départs impromptus de patients – comoriens comme mahorais – seraient liés officiellement à des problèmes persistants de logistique24, mais aussi à « un problème de racisme » selon de nombreux professionnels métropolitains :

  • 25 Mayotte étant le seul département français dont la majorité de la population est de confession musu (...)

Les Réunionnais détestent Mayotte […], des confrères le cachent un peu plus parce qu’ils sont médecins […]. Donc à un moment, ils signent les retours et puis y’a pas de discussion avec le patient quoi. Grosso modo c’est : « Mahorais ou Comoriens, c’est déjà bien qu’on vous ait soignés. » Que ce soit à La Réunion ou à la métropole, ce qu’on dit en gros : « c’est des noirs et en plus ils sont musulmans25, et y’a de la violence à cause d’eux. » (Infirmier du CHM ayant travaillé à La Réunion)

28L’état de santé dégradé des patients pourrait également expliquer ces pratiques (refus de prise en charge, retours précoces, étiquetages négatifs). Selon les professionnels travaillant à La Réunion, les transferts s’effectueraient « trop tard, in extremis souvent, en dernier recours ». Ainsi, « 70 % des femmes venant de Mayotte sont comoriennes, arrivées à des stades très avancés, dont des femmes atteintes de cancers de l’utérus arrivant trop tardivement pour être opérées ». Et « il n’y a pas des trucs jolis, parfois la chirurgie sert à gagner juste un peu de temps » (PU-PH et infirmière, CHU Sud de La Réunion). De même, des chimiothérapies seraient mises en route alors que le patient est « sur la fin », ce qui pose des problèmes éthiques : « Est-ce que ce ne sont pas les malades qui font fonctionner les hôpitaux ici, en particulier les cancers rares avec des essais cliniques ? Ici en tous cas, tous se les arrachent. » (Infirmières réunionnaise et comorienne travaillant à La Réunion)

Des circulations sanitaires à plusieurs vitesses : le renforcement des inégalités entre ressortissants comoriens

29L’analyse croisée des expériences de patients comoriens et de professionnels les prenant en charge met en exergue des parcours de soins extrêmement contrastés socialement, qui dévoilent d’autres paradoxes institutionnels dont les enjeux dépassent de loin les questions de santé.

Différentes trajectoires selon l’origine sociale et les réseaux politiques

30Pour le petit nombre de Comoriens qui parviennent à quitter l’UC pour Mayotte, on distingue deux types de déplacement : ceux qui se font directement en kwassa-kwassa (comprenant des femmes sans emploi, non scolarisées et non francophones dans notre étude) et ceux qui interviennent après des passages infructueux dans des hôpitaux privés de divers pays de l’océan Indien (le plus souvent en Tanzanie ou à Madagascar pour soigner des cancers). Ces voyages plus coûteux sont financés par des familles de Comoriens de la classe moyenne et supérieure : il s’agit de fonctionnaires, de personnes titulaires de diplômes de niveau master et ayant des parents originaires de Grande Comore ou de Madagascar dans notre étude. Dans ces situations, le choix de partir clandestinement à Mayotte fait toujours suite à des échecs thérapeutiques et/ou à des contraintes financières. Cependant, ce sont les barrières administratives qui précipitent leur décision. En effet, obtenir le visa est devenu difficile, voire inaccessible dans une administration de passe-droits : « On ne donne pas à n’importe qui le visa ! », « Y’a du business du passage et aussi avec les médecins, des bakchichs », « pour un visa malade, il faut avoir beaucoup d’argent à la banque aux Comores, et des garanties » (patients grand comorien traités à La Réunion). Et cela n’est pas toujours suffisant, car des agents de l’ambassade de France à Moroni peuvent encore refuser sa délivrance. Aussi ces personnes ne peuvent plus attendre « des mois et des mois » pour obtenir les autorisations, alors que leur maladie s’aggrave. Pour eux comme pour une majorité de leurs compatriotes, la traversée en kwassa-kwassa vers Mayotte devient alors leur dernier recours, à ceci près que certains de ces patients peuvent financer une traversée individuelle à 1 500 euros, mieux sécurisée que les départs collectifs (regroupant de dix à soixante passagers afin de rentabiliser les traversées, selon des informateurs).

31D’un point de vue médical, cette seconde distinction entre les ressources financières des patients présente néanmoins des limites, principalement soulignées par des médecins comoriens ayant travaillé dans des hôpitaux privés malgaches et tanzaniens. En effet, même financièrement dotés et accompagnés, des patients y sont souvent confrontés à des abus financiers, du manque de matériel, voire des incompétences médicales. Des voyages et traitements s’avèrent injustifiés ou même fatals car ils aggravent leur état de santé alors que certains ont déjà des cancers métastasés avancés. Certaines personnes décèdent sur place.

  • 26 Lors de l’indépendance des Comores, en 1975, les Comoriens ont pu, pendant deux ans, demander à con (...)

32A contrario, une minorité de personnes peuvent circuler librement et légalement – le plus souvent via les lignes aériennes – car elles disposent de passeports français26 : membres du gouvernement, (familles de) médecins et responsables d’établissements de santé, et (familles de) députés exerçant dans l’UC ou d’origine comorienne à Mayotte. De plus, l’obtention de visas ou de « passe-droits » pour se rendre à Mayotte et/ou Maurice est facilitée pour des proches du gouvernement, comme le confirment des praticiens travaillant à Mayotte : « C’est les familles un peu élevées, qui ont des contacts politiques là-bas avec l’ambassade, et ils ont des visas sanitaires de suite. » (médecin des évasans du CHM) Enfin, il existe également des « circuits de visas touristiques pour les personnes ayant des postes importants » (médecin d’une ONG, Grande Comore), donc affiliées à l’actuel président. Autrement dit, « les familles qui ont de l’influence et de l’argent ont accès aux Evasan pour des pathologies parfois peu graves » (Gaussein, 2014 : 84). Dans notre étude, il s’agit le plus souvent de malades en provenance de Grande Comore, ce qui corrobore l’étude référence de Sophie Blanchy (1992 : 35). D’un niveau socio-économique plus élevé que dans les deux autres îles comoriennes, ils ont toujours « une offre de soins de meilleure qualité sur place et la possibilité d’accéder plus facilement au système de soin français » (Thocaven, 2014 : 78), jusqu’en métropole.

Trajectoires sanitaires mortifères et « pacte colonial »

Les autorités sont en train de jongler avec notre vie, ce ne sont pas des gens sérieux. (professeur de français retraité, Anjouan)

33La limitation des évasans depuis l’UC et Mayotte concerne en revanche une majorité de Comoriens, dont la liste des morts par noyades reste longue, et cela avant même la traversée. Ainsi, selon un responsable d’une maison médicale non gouvernementale à Anjouan, « des vedettes chavirent parfois ici sans être parties ; mais le gouvernement s’en fout, c’est comme des souris écrasées ». De même, les récits de pêcheurs qui racontent avoir trouvé des morceaux de corps humains dans l’estomac de requins font écho à ceux de médecins généralistes envoyés depuis La Réunion à Mayotte pour traiter les corps noyés abîmés, échoués sur les plages. Quant aux survivants, beaucoup arrivent aux urgences dans des états non seulement de détériorations physiques, mais aussi de prostrations et de traumatismes consécutifs à ces traversés (médecin du CHM).

34Du fait d’errances diagnostiques ou d’échecs thérapeutiques et de cancers à mauvais pronostic, la plupart des patients arrivent avec des pathologies avancées et souvent trop tard médicalement parlant. Des rapatriements légaux depuis Mayotte aux Comores ont d’ailleurs été organisés par l’ARS depuis 2017, pour les personnes en fin de vie dits « évasans compassionnelles : cela rendait beaucoup moins cher de leur payer leur retour que de les garder en hospitalisation jusqu’à leur décès ». Mais ces cas restaient rares en 2019. Légalement ou pas, certaines personnes enquêtées sont parvenues à rentrer chez eux pour y mourir, mais beaucoup décèdent en cours de traitement à Mayotte. Leurs proches sont alors confrontés aux coûts du transport funéraire du corps placé à la morgue. Cette situation est encore plus inextricable lorsque le patient décède à La Réunion, à des milliers de kilomètres. On y observe un plus grand isolement en fin de vie et un moindre investissement dans l’accompagnement rituel des morts qu’à Mayotte, du fait du coût du voyage, des difficultés majorées pour obtenir des visas pour des familles également plus compliquées à joindre (les relais associatifs communautaires étant moins denses qu’à Mayotte), mais aussi en raison de la nécessité de se distancier de ces décès encore plus démoralisants pour les patients en traitement.

  • 27 Pratiquement inchangée depuis 2007, elle est présentée d’ailleurs de façon très synthétique par l’A (...)

35Ces morts font donc aussi partie du lourd quotidien des professionnels de santé (tant comoriens que métropolitains), dont certains estiment que ces patients venant de l’UC devraient être d’emblée évacués à La Réunion, sans passer par Mayotte. Plus globalement, comme une large partie des patients enquêtés, certains médecins et soignants contestent l’aide politique de coopération ou l’aide publique française au développement en matière de santé fournie à l’UC27. De fait, comme dans d’autres pays africains, cette aide bénéficie aux élites dont le but est pour la plupart de se maintenir au pouvoir. Il s’agit rarement de lutter contre la pauvreté de leur État (Dimier, 2014), mais plutôt de faire des bénéfices y compris à caractère personnel, d’où une « évaporation de l’aide » (Marchesin, 2021 : 392) : « chaque président [français] pour Mayotte-Comores donne des sous, il donne des sous qui s’évaporent. » (Responsable d’une maison médicale non gouvernementale, Anjouan) Le soutien économique et politique du gouvernement français est donc également source de questionnement de l’autre côté de la frontière. À Mayotte, le président de l’UC est en effet connu pour ses détournements de fonds publics opérés par ses proches (Djaffar, 2017) : 

Il n’y a rien à attendre du ministère de la santé à Moroni […] : à quoi bon donner de l’argent qui sera capté, détourné par le dirigeant [le président de l’UC] et sa grande famille […] au détriment de la population poussée à trimer comme des esclaves ? (Cadre de santé du CHM)

  • 28 Voir la note précédente.

36Peu de professionnels soulignent en revanche les intérêts croisés des deux parties – à savoir de l’État comorien et de l’État français –, faisant écho au marché que permettait déjà le « pacte colonial » : « le receveur utilise l’argent capté pour la corruption personnelle et sociale », tandis que le donateur récupère « une part conséquente de l’aide à travers ses entreprises sur place, les biens de consommation qu’il vend au receveur et ses banques » (Marchesin, 2021 : 396). En tout état de cause, dans le secteur de la santé, les velléités de changements exprimées par le gouvernement français sont inchangées depuis les travaux recensés en 2007 (début de l’aide française dans la santé28). Il s’agit toujours de désengorger les structures mahoraises en renforçant le système de santé et les infrastructures de soins de l’UC. Or, les apports et dons budgétaires extérieurs successifs ne modifient en rien les inégalités structurelles dans la santé au sein de l’UC, favorisant même le développement de médecines à « plusieurs vitesses ».

Prééminence d’enjeux géopolitiques dans l’archipel des Comores

37Sur place, le rôle historique de la France dans l’UC et ses intérêts restent controversés. À peine sorti du giron français – peu après l’indépendance en juillet 1975 –, l’État comorien n’a cessé d’être déstabilisé, livré à des mercenaires français pour la plupart (Caminade, 2003). Ceci a participé à l’accroissement de la paupérisation des zones rurales. Les aides proposées par les entreprises ou par la coopération française se sont d’abord taries, puis l’austérité budgétaire a été imposée par le programme d’ajustement structurel signé en 1991 avec le Fonds monétaire international (Bréant, 2020). Même si le pouvoir central de Grande Comore est qualifié d’État totalitaire (Peccia & Meda, 2017), « la France n’a aucun intérêt à abandonner ce territoire qui lui permet de renforcer, avec l’île de La Réunion, sa présence stratégique dans l’océan Indien et précisément dans le canal du Mozambique » (El Idrissi, 2018 : 12). Les îles des Comores constituent en effet un point de passage névralgique pour les pétroliers du Proche-Orient à destination de l’Amérique et de l’Europe, à l’instar d’autres territoires composant avec des modes de gouvernance postcoloniaux pour lesquels la mer constitue un enjeu de souveraineté majeur (Le Meur & Muni Toke, 2021). L’ensemble relève donc avant tout de problématiques géopolitiques et d’héritages coloniaux intriqués.

Conclusion

38Les témoignages croisés de patients atteints de cancer et de professionnels de santé les prenant en charge font apparaître la persistance de paradoxes en matière d’aide et d’action sanitaires étatiques dans l’archipel des Comores se prolongeant jusqu’à La Réunion. De multiples dimensions intriquées continuent à sous-tendre et à exacerber des difficultés d’accès aux soins – aux transferts et aux évasans – de la plupart des ressortissants comoriens.

39La diminution drastique des dispositifs d’évasan depuis l’UC organisés avec la France vers Mayotte répond à des enjeux géopolitiques et de sécurité. Cependant, l’action législative de l’État français explique aussi pourquoi la plupart des adultes en quête de soins arrivent sur l’île française illégalement, tout en produisant des situations paradoxales à Mayotte : la politique de lutte contre l’immigration clandestine a conduit à la fois à une sédentarisation des migrants, à la recrudescence de mineurs non scolarisés et à des violences sociales accrues. En outre, alors qu’elle vise à diminuer la pression sur le système de soins, elle est instrumentalisée par des politiques et des acteurs locaux du fait d’exceptions juridiques qui font une large place à l’interprétation des situations. C’est ici que les pratiques de discrimination officieuse et/ou illégale sont les plus ouvertement marquées : via des pratiques d’exclusion de l’affiliation à la Sécurité sociale, de frein au renouvellement des cartes de séjour et de surcoûts financiers. Faute de couverture sociale et donc dans l’incapacité de financer leurs soins, la plupart des patients comoriens sont alors délégitimés dans leur volonté d’être soignés et pris en charge, et la spécificité des relations au sein de l’archipel est niée. Pour finir, la complexité des relations entre les populations sur place et la permanence de forts contrastes sociaux se traduisent par des formes de racisme « à plusieurs niveaux ». Perceptibles à La Réunion, elles se concrétisent par des refus d’évacuations sanitaires ou par des retours précipités de patients à Mayotte encore à étudier. Mais ces pratiques discriminantes s’inscrivent dans un dispositif de rationalisation des flux informels de malades (Sakoyan, 2012), et de rejet de prise en charge de population venant de Mayotte.

40Autrement dit, l’analyse met en exergue l’influence des milieux sociaux, de la nationalité et du statut administratif sur les parcours de soins de personnes comoriennes. Ainsi, les patients les plus démunis restent dans l’UC. Quant aux autres, s’ils ne disparaissent pas en mer, ils arrivent souvent à Mayotte dans des états de santé aggravés, voire en situation palliative. Ceci obère leurs chances de survie, y compris en cas de transfert vers l’île de La Réunion. Il en est de même lorsqu’ils sont arrêtés et reconduits à la frontière, même en justifiant un traitement médical. Les plus jeunes patients et les personnes ne parlant pas le français cumulent les obstacles : des difficultés d’accès à l’hôpital public, à connaître leurs droits administratifs, à se nourrir et se loger dignement. Dans tous les cas, seule une minorité de Comoriens – a fortiori dotés de ressources familiales et de réseaux politiques – peut accéder à des soins privés (dans l’UC et dans l’océan Indien) et bénéficier d’évacuations sanitaires. L’organisation des transferts comme des « évasans » ne serait alors qu’un miroir, voire un instrument d’une politisation de la santé et de logiques de tri également à étudier de plus près.

  • 29 Au niveau mondial, aucun acteur politique n’a pu freiner le mouvement « inéluctable » des migration (...)

41Dans cette perspective, deux pistes seraient à creuser. Loin d’enrayer les départs clandestins et périlleux par voie maritime vers Mayotte29, les accords de coopération et les soutiens financiers du gouvernement français à l’UC semblent surtout permettre la perpétuation des rapports de force en faveur de la France, et d’une élite au sein de l’UC (Marchesin, 2021). L’aide française à la coopération ne servirait pas tant des buts sanitaires qu’elle contribuerait à aggraver les inégalités socio-économiques comoriennes, en confortant une élite à la fois dans son pouvoir politique et dans sa capacité à capter la rente de la logique développementiste et géopolitique française. On peut aussi émettre l’hypothèse qu’à l’instar des aides techniques de coopération, celles des évacuations et des transferts sanitaires dans les territoires étudiés seraient plus influencées par des « opérations fondamentales de politiques » que par des enjeux de santé. Il s’agirait alors de parler plutôt d’échange, de transaction, voire de don contre don entre les États toujours selon Phillipe Marchesin (2021), pour qui la politique française de coopération est actuellement davantage axée sur des objectifs de sécurité et de lutte contre l’immigration.

42Les processus de politisation de la santé et de la migration gagneraient également à être élargis à d’autres territoires ultramarins où des logiques politiques et territoriales restent initiées, transposées et partagées par et avec l’État français (Roudot, 2014). Autrement dit, des inégalités et paradoxes se retrouvent aussi en métropole (Geeraert, 2016 ; Aron et al., 2021), dépassant à la fois la question des « évasans » et la catégorie de population étudiée ici (Vega et al., 2022).

Remerciements à Maya Ronse, Caroline Izambert et Sara Menestrel pour la relecture de cet article.

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Notes

1 Terrain réalisé avec l’anthropologue Ibtissem Ben Dridi.

2 Transfert de patient entre deux établissements de santé.

3 Évacuation sanitaire : transport médicalisé de patients permettant l’accès à une offre de soins non disponible sur un territoire, organisé institutionnellement).

4 Les travaux de Juliette Sakoyan portaient sur les (trajectoires familiales de) patients mineurs, également priorisés par les évasans (Lotte Hoareau et al., 2023). De nombreux travaux, dont ceux d’Hugo Bréant en 2020, sont centrés sur les ressortissants de Grande Comore.

5 Où les soins de santé et la démographie médicale sont pratiquement dans les moyennes nationales (Hagège et al., 2022), malgré des inégalités sociales marquées en termes de revenus (https://www.inegalites.fr/Les-inegalites-de-revenus-selon-les-regions?id_theme=25, page consultée le 14/10/2024).

6 Complexité, opacité des décisions politiques et manque de fiabilité des données de santé (comme des références et sites médicaux sur internet), expliquant pourquoi nous ne donnons pas de statistiques médicales.

7 Lors de la conférence de Paris de 2019, la France s’est engagée à verser à l’UC 150 millions d’euros sur trois ans au titre de l’aide au développement, notamment dans le domaine de la santé, dans le cadre du Plan de développement France-Comores.

8 À l’analyse, il est souvent assimilé à « quelque chose qui est pourri », qui risque « d’envahir le corps ». Ces assimilations renvoient à des cas de diabètes graves répandus, mais aussi à des situations de cancer métastasé (Livingston, 2012).

9 Cette dernière y a ensuite entraîné d’autres glissements et exceptions juridiques, sur lesquels nous reviendrons.

10 Défenseur des droits, « Établir Mayotte dans ses droits, rapport 2020 : https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=19556 (page consultée le 14/10/2024).

11 Sources MDM : Vega et al., 2022. Autrement dit, « beaucoup de personnes mahoraises ou étrangères ne sont pas affiliées à l’Assurance maladie, alors même qu’elles remplissent les conditions d’accès » (Lotte Hoareau et al., 2023 : 64).

12 Pratiques accélérées depuis la période du covid, tout comme les arrestations de kwassa-kwassa par la police aux frontières (d’après les journaux Médiapart et Le Journal de Mayotte).

13 Les inégalités territoriales et sociales (de santé) restent très importantes à Mayotte comparativement aux autres territoires d’outre-mer.

14 Sur l’histoire de Mayotte, voir Morano (2022) et Cottereau (2021) qui reflètent des analyses politiques divergentes.

15 Ces menaces de renvoi aux Comores, souvent synonyme de mort, se prolongent jusqu’en métropole pour de jeunes patients enquêtés transférés depuis La Réunion du fait de la dégradation du droit de séjour pour raison médicale des populations étrangères (expliquant aussi des stratégies de mariages avec des personnes de nationalité française).

16 Sahraoui N., « Mayotte : comment la France a fragmenté le droit de la nationalité », The Conversation, 3 juin 2020. L’auteure détaille les nombreuses « exceptions » en matière de droit des étrangers à Mayotte (https://theconversation.com/mayotte-comment-la-france-a-fragmente-le-droit-de-la-nationalite-139373). Sur les nombreuses barrières à la régularisation, dites politiques d’« irrégularisation » participant de l’augmentation continue du nombre de personnes sans papiers sur l’île, voir aussi : Sahraoui N., « À Mayotte, la lutte contre l’immigration affecte l’accès aux soins des femmes sans papiers », The Conversation, 8 septembre 2022 (https://theconversation.com/a-mayotte-la-lutte-contre-limmigration-affecte-lacces-aux-soins-des-femmes-sans-papiers-190002, page consultée le 15/09/2024).

17 En cas de diagnostic de pathologie chronique grave, la demande de titre de séjour pour raison médicale doit être faite par un médecin hospitalier avec un certificat non circonstancié pour la préfecture, un certificat circonstancié pour le médecin de l’ARS, une photocopie du passeport, un extrait de naissance original et une photocopie de la carte d’identité.

18 « Il n’y a pas d’AME aujourd’hui pour ne pas attirer de clandestins. » ; « Il faut davantage de coordination entre les Comores et Mayotte. C’est l’immigration qui nourrit l’engorgement du système de santé et l’insécurité. » Rapport d’information du Sénat n° 833 fait au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l’accès aux soins à Mayotte, 27 juillet 2022 : www.senat.fr/rap/r21-833/r21-8331.pdf (page consultée le 14/10/2024).

19 La grande majorité des évasans en oncologie se font aussi vers La Réunion, « soit environ cinq par semaine – et beaucoup en oncopédiatrie pour de grosses chimio pédiatriques au CHU Nord ». Les pathologies tumorales sont « devenues la deuxième cause des évasans vers La Réunion en 2018 » (médecin des évasans du CHM).

20 La demande de prise en charge financière portant sur le transport « mais aussi sur l’hébergement, le forfait hospitalier et les repas » (Lotte Hoareau et al., 2023 : 59).

21 En cancérologie, les patients en provenance de l’île de Mayotte sont pris en charge pour 28 % dans ce secteur privé (rapport interne des Evasans année 2018, Tableau IX : Hôpitaux réunionnais de destination, année 2017, 2018).

22 Comme à Mayotte, le manque d’interprètes salariés rend aussi les échanges difficiles à La Réunion ce qui reste d’actualité (Lotte et al., 2023).

23 Soulignées aussi récemment par la Cimade : Rapport d’observation « Évacuations sanitaires entre Mayotte et La Réunion. Soigner, séparer, précariser », 7 février 2024 (www.lacimade.org/wp-content/uploads/2024/02/Rapport-Evasan.pdf, page consultée le 14/10/2024).

24 https://www.clicanoo.re/node/336140

25 Mayotte étant le seul département français dont la majorité de la population est de confession musulmane.

26 Lors de l’indépendance des Comores, en 1975, les Comoriens ont pu, pendant deux ans, demander à conserver la nationalité française sous conditions (Gaussein, 2014 : 16).

27 Pratiquement inchangée depuis 2007, elle est présentée d’ailleurs de façon très synthétique par l’ADF : https://www.afd.fr/fr/carte-des-projets/renforcer-les-services-de-sante-aux-comores-pasco-2 (page consultée le 16/09/2024).

28 Voir la note précédente.

29 Au niveau mondial, aucun acteur politique n’a pu freiner le mouvement « inéluctable » des migrations, en dépit du renforcement de la fermeture des frontières, de « régimes des visas » ou d’inégalités de droit à la mobilité (www.publisocial.fr/seminaire-de-la-rfas-migrations-et-sante/).

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Les routes maritimes des Comores
Crédits © Philippe Rekacewicz, visionscarto.net, 2002.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anthropologiesante/docannexe/image/13982/img-1.png
Fichier image/png, 117k
Titre Figure 2 – Difficultés d’ordre administratif
Crédits © Médecins du monde, « Obstacles à l’accès aux soins à Mayotte. Étude socio-anthropologique », 2019-2020, p. 11 (www.migrantsoutremer.org/IMG/pdf/recherche_acce_s_aux_soins_mayotte_msh.pdf)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anthropologiesante/docannexe/image/13982/img-2.png
Fichier image/png, 253k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Vega, « La limitation des transferts et des évacuations sanitaires de patients comoriens vers Mayotte et La Réunion : une opération fondamentalement politique ? »Anthropologie & Santé [En ligne], 29 | 2024, mis en ligne le 28 novembre 2024, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anthropologiesante/13982 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12s9b

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Auteur

Anne Vega

Sophiapol (Université de Nanterre) et Cens (Université de Nantes), France
ORCID : 0000-0002-4713-3738
annevega97@gmail.com

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