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Dossier : Circulations matérielles et immatérielles dans le Sud global

Circulations matérielles et immatérielles aux Suds : revisiter la « globalisation par le bas »

Introduction
Giorgio Blundo
p. 9-28
Traduction(s) :
Material and immaterial circulations in the Global South: Revisiting “globalisation from below” [en]

Texte intégral

  • 1 Dans ce texte, « Suds » et « Sud global », ainsi que « mondialisation » et « globalisation », sont (...)

1Dans la littérature en sciences sociales sur les interconnexions au sein du Sud global1, l’étude des mobilités humaines a longtemps prévalu sur celle des circulations matérielles et immatérielles. Les travaux se sont ainsi concentrés sur les acteurs et les routes de la « mondialisation par le bas », non sans quelques lectures réductrices ou misérabilistes. Les chaînes de marchandise, les filières économiques, le mouvement de techniques, de savoir-faire, d’idées, les infrastructures ont été relégués à l’arrière-plan.

  • 2 Ce numéro réunit une sélection d’articles issus du 13e colloque international que l’APAD et le dépa (...)

2Ce dossier spécial d’Anthropologie & développement2 propose d’aborder à nouveaux frais les multiples facettes de la globalisation à travers le prisme des circulations dans les Suds, en insistant sur leur dimension matérielle et immatérielle.

3D’aucuns diront, non sans raison, qu’il s’agit de questions qui sont au cœur du « tournant global » depuis trois décennies. La mondialisation mobilise depuis les années 1990 historiens, sociologues, économistes, politistes et anthropologues, et l’ethnographie des circulations remonte aux travaux de Malinowski (1922) sur la kula voire au diffusionnisme (Hahn, 2008). En prenant le parti de travailler sur la globalisation aux Suds, et par les Suds (cf. aussi Lombard et al., 2006), à partir des circulations d’objets, techniques et idées, ce numéro entend néanmoins contribuer à renouveler les approches.

Qu’est-ce qui circule (dans ce numéro) ?

4Cette parution d’Anthropologie & développement explore empiriquement et de façon interdisciplinaire plusieurs dimensions des circulations qui traversent le Sud global, à partir de travaux d’anthropologues, de géographes et d’urbanistes. Avant d’en présenter le contenu, il faut clarifier l’usage du terme « circulations ». Nous le préférons à celui de « flux », qui a soit une signification relativement précise en économie et en statistique, et renvoie à des efforts de mesure et de quantification dont la difficulté est évoquée dans plusieurs contributions (Blundo, Doron, Le Borgne, Mininel), soit un sens métaphorique qui n’est pas le meilleur descripteur de ce qu’on observe sur le terrain. En effet, la vision de la globalisation comme des flux réguliers se propageant à la façon d’une tache d’huile et fondés sur des connexions stables est largement révolue. Bien au contraire, les liens et les routes translocaux et transnationaux de la globalisation s’avèrent mouvants, aléatoires et en constante reconfiguration (Knowles, 2014 ; Hulme, 2015). Au lieu de s’écouler, le « global » procède par « sauts », connectant des espaces et en excluant d’autres (Ferguson, 2006 : 47), ou par « frictions », jaillissant des contacts interculturels et des résistances qu’opposent aux circulations des infrastructures, des normes ou des acteurs (Tsing, 2020). Et si l’amélioration des technologies de transport et de communication donne l’impression d’un monde qui se rétrécit, ceci varie considérablement en fonction des lieux et des sociétés (Inda et Rosaldo, 2008 : 6).

5La notion de circulation épouse mieux les contours d’une approche qualitative attentive au rythme, à la vitesse et aux itinéraires des mouvements des choses et des idées (Blaszkiewicz, 2019). Elle permet également de mieux caractériser des déplacements non linéaires, heurtés, aux mutations de trajectoires et de parcours, ainsi que des temporalités et des processus non planifiés.

6Nous n’ignorons pas les pièges et les limites du « prisme circulatoire » (Vauchez, 2013). Derrière ce mot-valise se cache par ailleurs une variété de conceptualisations appartenant à de nombreux champs disciplinaires et thématiques. Ce numéro n’échappe pas à la polysémie du terme. Les « circulations » concernent dans ces pages des objets ou des conceptions en mouvement (marchandises, minéraux, outils et savoir-faire, techniques, modèles et référentiels, capitaux), mais aussi des infrastructures (ports, frontières) qui supportent les mobilités ainsi que des choses par essence mobiles, comme des motos ou des bateaux. Elles font enfin référence aux périples des chercheurs qui pistent, traquent, suivent, accompagnent les personnes et les choses.

7Ce volume présente des données empiriques collectées en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Dans les « sauts » du « global », les Suds sont en effet bien moins marginalisés qu’il n’y paraît. Si la mondialisation n’est ni récente ni synonyme d’occidentalisation, comme l’ont montré les travaux d’histoire globale (Stanziani, 2018), et si les relations économiques afro-asiatiques remontent au premier millénaire avant notre ère (Norel, 2011), les deux premières décennies du xxie siècle, qui débutent avec l’adhésion de la Chine à l’OMC, inaugureraient de nouvelles polarisations autour d’un « East-South turn », signe d’un « global rebalancing » (Pieterse, 2011). Incontestablement, les interactions et les interconnexions au sein du Sud global s’étoffent, se complexifient et se déploient en relation avec des pôles politiques et économiques émergents. Sur le plan macropolitique, le nouveau millénaire voit des pays comme la Chine, l’Inde, la Turquie, la Russie ou le Brésil investir durablement le paysage économique, politique et culturel du continent africain. En 2023, le groupe commercial des BRICS compte deux nouveaux partenaires africains, l’Éthiopie et l’Égypte, et l’Union africaine a intégré le G20. À l’échelle des individus, l’ouverture des pays africains aux marchés globalisés, et notamment l’importance de leurs échanges économiques avec l’Asie, transforme profondément les modes de consommation, les styles culturels, les manières d’entreprendre et les modèles de développement.

8Chaque contribution de ce dossier se consacre ainsi à des circulations insérées dans des circuits et des chaînes globales qui ne se dessinent plus exclusivement en fonction d’un axe Nord-Sud, mais aussi d’un axe Sud-Est (Afrique-Chine-Asie du Sud-Est). Les auteurs le font à partir soit de marchandises mondialisées (motos, vêtements, or, produits vaginaux), soit de lieux globalisés (marchés, frontières, ports), soit de modèles d’ingénierie sociale ou d’expériences militantes qui s’exportent à l’international. Les régions majoritairement représentées sont le Maghreb, le Sahel, l’Afrique centrale et le golfe de Guinée, la Chine et l’Amérique latine.

9Les trois premiers textes (Blundo, Le Borgne, Doron) se concentrent sur les aspects méthodologiques et épistémologiques de l’étude ethnographique de diverses circulations marchandes mondialisées, à partir de terrains multisitués mais opérant à des échelles d’observation différentes : globale pour la filière sino-africaine des motos reliant la Chine à l’Afrique de l’Ouest ; régionale pour le cas des textiles invendus importés dans le golfe de Guinée ; locale et transfrontalière à propos d’un réseau de marchés tunisiens connectés à des places marchandes asiatiques. Les deux articles suivants (Mininel et Traoré) documentent la circulation de savoir-faire, des biens et des outils qui leur sont associés, à partir respectivement de l’étude de la commercialisation et des usages de produits sexuels de provenances diverses au Ghana et au Togo, et de l’exemple des normes et des techniques d’orpaillage au Mali et dans les pays limitrophes. Kopf, d’un côté, et Valitutto, Simonneau et Denis, d’un autre côté, offrent des cas très contrastés de circulation ou de transfert de modèles et de référentiels d’action publique, aussi bien en termes d’ancrage géographique (la frontière sénégalo-mauritanienne pour la première et l’espace latino-américain pour les seconds) que d’acteurs impliqués (une agence des Nations unies et un réseau associatif militant). Lambertz et Sylvanus clôturent le volume en abordant la question des conditions matérielles et spatiales des circulations, et donc des technologies et des infrastructures qui les permettent ou les entravent, également à partir d’objets diamétralement opposés : des infrastructures artisanales comme les baleinières du fleuve Congo et un grand port aux technologies de pointe comme celui de Lomé. Comme on le verra dans la suite de l’introduction, cette présentation sommaire n’épuise nullement la richesse des pistes et des perspectives de recherche offertes par les études réunies dans ce dossier.

Les trois approches des ethnographies globales

  • 3 On trouvera d’autres classifications des approches ethnographiques de la globalisation dans Inda et (...)

10Les ethnographies globales ont pris trois directions3 : étudier l’impact des « forces globales » sur le local ; s’intéresser aux projets globalistes (Tsing, 2000) et aux acteurs transnationaux qui se réclament du global ; documenter les circulations humaines, matérielles et immatérielles et les connexions qu’elles occasionnent.

11La première approche correspond grosso modo à ce que Marcus (1995) a appelé « ethnography in the world ». Ici, la référence à un système global sert à éclairer des dynamiques locales. L’ethnographie se concentre classiquement sur un terrain délimité, tout en dévoilant ce qui le lie à d’autres parties du monde. L’extended case method de l’École de Manchester est une des premières tentatives d’articuler des situations sociales locales au système global colonial (Berger, 2013). Cette posture sera magistralement développée par Nash (1979) dans son étude des villes minières boliviennes ou, plus récemment, par l’ouvrage de Piot (1999) sur l’« isolement global » des Kabyès du Togo. Des chercheurs de l’APAD ont aussi contribué à cette littérature sur la globalisation au village, dans l’optique de comprendre les dynamiques locales de réponse et d’adaptation à la mondialisation (Mazzocchetti et De Lame, 2012 ; Bréda et al., 2013).

12La deuxième approche s’est construite autour de ce qu’Abélès (2008) a appelé le « global-politique ». Elle rend compte empiriquement de l’idéologie et des pratiques d’acteurs supranationaux et transnationaux qui s’ajoutent ou se superposent aux États dans leur rôle de régulation de l’économie et la société. Ces travaux explorent les coulisses d’organisations internationales comme l’OMC (Abélès, 2011), le PNUD (Atlani-Duault, 2005), le HCR (Fresia, 2010 ; Scalettaris, 2022) ou les réseaux des élites transnationales globalisées (ONG internationales et locales, fondations privées), investis dans la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance (Jackson, 2005 ; Guilhot, 2005 ; Pétric, 2012 ; Blundo, 2012).

  • 4 Parmi les nombreux ouvrages de synthèse sur la question, cf. Abélès (2008) et Eriksen (2014).

13Au cœur des ethnographies présentées dans ce dossier, la troisième approche se focalise sur les connexions, les mobilités et les circulations transnationales. Elle interroge les processus de globalisation par ce qui les caractérise, à savoir : l’accélération et l’intensification des circulations humaines, matérielles et immatérielles ; l’accroissement des interdépendances et des connexions à l’échelle planétaire ; une conscience accrue de ces interrelations, et donc l’avènement d’une expérience à la fois individuelle et partagée de l’appartenance au « global4 ». On doit à Marcus (1995) la première systématisation d’une approche qui investit frontalement et empiriquement les flux et les circulations de la modernité globalisée. Dans son célèbre texte sur l’ethnographie multisituée, l’anthropologue américain incitait à « suivre » littéralement les individus, les objets, les métaphores, les intrigues, les histoires ou les allégories, les vies et les conflits.

14Alors que les deux premières démarches sont plutôt statiques, celle-ci s’inscrit d’emblée dans une « ethnographie mobile » (Büscher et al., 2010). Située à la confluence de plusieurs « tournants » – global, mobilités et matérialités –, l’entrée par les circulations s’est avérée particulièrement féconde et a pris plusieurs directions : les phénomènes migratoires et diasporiques, les chaînes de marchandises et les chaînes d’approvisionnement, l’histoire et l’anthropologie de la circulation des techniques, les « modèles voyageurs ».

Une revisite de la distinction entre globalisation « par le haut » et « par le bas »

15Transversale aux trois approches de l’anthropologie de la globalisation, la distinction entre globalisation « par le haut » et « par le bas », qui a nourri de nombreuses recherches, mérite d’être réexaminée.

16Dans la décennie qui a suivi les premiers travaux théoriques sur la globalisation, de nouvelles propositions ont émergé. Portées par des anthropologues et des sociologues, elles suggéraient que la globalisation n’était pas seulement l’œuvre d’institutions formelles supranationales à la fois moteurs et gardiennes d’un ordre mondial, comme la constellation des organisations du système onusien ou les puissantes multinationales de l’industrie agroalimentaire ou d’armement. La globalisation se construisait également à travers les activités quotidiennes d’une myriade d’individus et de communautés qui traversaient les frontières des États-nations et s’engageaient dans des périples intercontinentaux pour fuir le danger ou la pauvreté, commercer, travailler ou faire du tourisme. Des auteurs comme Appadurai ou Portes ont suggéré qu’il fallait s’intéresser à ces formes de « grassroots globalization » ou de « globalization from below ». Les premières formulations de ce concept étaient plutôt ouvertes quant aux phénomènes sociaux de référence. Alors qu’Appadurai faisait surtout allusion à des réseaux transnationaux d’ONG militant contre les dérives du capitalisme global (Appadurai, 2000 : 15), Portes avait forgé cette notion en 1997 pour décrire les réseaux économiques et politiques tissés par les entrepreneurs et commerçants transnationaux, latino-américains ou asiatiques, implantés aux États-Unis (Portes, 1997). C’est la proposition de Portes qui fit mouche, engendrant une filiation nourrie de recherches ayant comme dénominateur commun de s’intéresser aux pratiques économiques de la partie de l’humanité laissée en marge de la globalisation néolibérale. Tarrius (2002) en fera la toile de fond des territoires circulatoires euro-méditerranéens, Ribeiro (2009) décrira des formes de « non-hegemonic globalization », Mathews et Yang (2012) opposeront la globalisation « high end » et « low end » en étudiant les entrepreneurs transnationaux africains en Chine et à Hong Kong. D’après Mathews et Alba Vega (2012 : 1), « ‘globalization from below’ is globalization experienced by most of the world’s people. It can be defined as the transnational flow of people and goods involving relatively small amounts of capital and informal, often semi-legal or illegal transactions, often associated with the ‘developing world’ but in fact apparent across the globe ». Ce champ de recherche est à l’origine de travaux pionniers, notamment sur les présences africaines en Chine (Bertoncello et Bredeloup, 2007) ou chinoises en Afrique (Giese, 2013). Mais leur focalisation sur des acteurs situés dans les segments terminaux des circulations marchandes (les colporteurs, les commerçants à la valise, les entrepreneurs « nomades », les intermédiaires, etc.) a accentué l’analyse de ces processus comme des échanges économiques « entre pauvres » (Tarrius, 2022 : 67) et encouragé des récits sur la « mondialisation des pauvres » (Choplin et Pliez, 2018) qui surestimaient le caractère souterrain, illégal ou informel de ces transactions mondialisées. En outre, concentrées sur les acteurs du commerce transnational, ces études n’ont pas porté la même attention sur les biens objet de ces négoces, aboutissant ainsi paradoxalement à des ethnographies de marchands sans marchandises. Enfin, même si l’un des auteurs les plus influents de ce courant rappelle que « la mondialisation par le bas n’est pas un circuit indépendant de la mondialisation hégémonique (…). À divers moments, elles s’entrecroisent et forment une relation symbiotique » (Alba Vega, 2011 : 109), on garde l’impression que juxtaposer – et parfois même opposer – la globalisation des puissants et celle des subalternes a contribué à les réifier et à les penser séparément, perdant ainsi de vue leur interdépendance et les dynamiques qu’elle génère.

Suivre « ce qui circule » pour recomplexifier les circulations mondialisées aux Suds

17Un premier correctif de taille au corpus de la globalisation par le bas a été apporté par des géographes, à un moment où « the routes of transnational exchange (…) once confined to regional frameworks, often North-South interfaces, (…) [have been] connected to each other and have become fully global » (Choplin et Pliez, 2015 : 3). Ils proposaient de se focaliser sur la dimension spatiale de ces « mondialisations discrètes » (ibid.), en visitant des villes secondaires, des clusters industriels et des places marchandes globales afin de dévoiler les « routes secondaires de la globalisation » (globalization’s backroads) (Knowles, 2014) et les circuits apparemment périphériques et négligés des échanges globalisés.

18Les études publiées dans ce dossier apportent une contribution complémentaire mais différente. Si elles partagent l’entrée ethnographique du corpus de travaux sur les globalisations « par le bas », elles sont plus nuancées face à des typologies qui réifient et simplifient des processus plus complexes et fluides. Elles s’appuient pour ce faire sur des ethnographies de « ce qui circule ». Cette posture permet de ne pas préjuger de la nature des canaux et des circuits empruntés, ni des acteurs qui font circuler, ni des échelles d’observation de ces phénomènes, ni de leur degré de formalité ou informalité. Derrière une marchandise, une norme, un modèle, une technique, une infrastructure, il y a en effet des institutions de régulation et de gouvernance, des acteurs politiques et économiques, des formes spécifiques de conception, de production, de diffusion et de réception/consommation, enchâssées dans des modèles culturels ou d’organisation sociale. En adoptant cette perspective, le haut et le bas, l’hégémonique et le subalterne, le high end et le low end n’apparaissent plus comme des mondes séparés, mais des dimensions à la fois incontestables et inextricablement liées au sein d’une chaîne globale d’approvisionnement ou tout au long du voyage intercontinental d’un modèle standardisé d’intervention sociale.

19Ainsi, assimiler les circulations économiques dans le Sud global à des transactions opaques et informelles est un raccourci relativement éloigné des réalités observables aujourd’hui sur le terrain. Certes, l’étude d’Adrien Doron sur les marchés tunisiens confirme l’hypothèse de l’importance des circuits informels dans les circulations marchandes Sud-Sud. Toutefois, une même filière peut présenter des circuits d’approvisionnement aux contours très différents, comme l’a découvert Nicolas Le Borgne à propos de la chaîne des textiles invendus en provenance d’Asie, d’Europe ou des États-Unis : d’une part, un circuit aux flux modestes, se jouant des réglementations fiscales et douanières, structuré autour de réseaux diasporiques présents en Europe ; d’autre part, une filière industrielle, reliant les marchés ouest-africains à des places marchandes disséminées dans le Sud-Est asiatique, aux États-Unis et en Europe, animée par des entrepreneurs africains qui déclarent leurs importations. Le dosage entre pratiques formelles et informelles peut aussi varier en fonction des phases de circulation d’un produit. Les enquêtes de Giorgio Blundo montrent qu’une partie des motos importées formellement au Togo depuis la Chine et déclarées en transit vers le Burkina Faso sont vendues hors taxes dans le port sec de Cinkassé et alimentent la contrebande avec les pays limitrophes. Mais la « fraude » n’est qu’une étape dans un processus d’accumulation d’un capital nécessaire à la conversion au commerce « légal » (cf. Scheele, 2011, pour le commerce transsaharien). Toujours au Togo, un même importateur de motos chinoises peut jouer le rôle de représentant formel d’un géant mondial du motocycle tout en distribuant des modèles fabriqués dans des usines spécialisées dans la copie et la contrefaçon, s’insérant ainsi à la fois dans des « petty commodity chains » (Haugen, 2018 : 308) et dans des chaînes d’approvisionnement plus conventionnelles.

20En deuxième lieu, insister sur le faible statut économique des acteurs « fourmis » de la globalisation empêche de reconnaître que certains d’entre eux « rule portions of the market, own factories, and dominate commodity chains » (Röschenthaler et Jedlowski, 2017 : 7). La mondialisation des pauvres produit aussi de temps à autre des success stories, bien au-delà de celle du cimentier nigérian Aliko Dangoté que l’« or gris » a rendu le plus riche homme d’affaires d’Afrique (Choplin, 2020). Le commerce sino-africain des motos est également à l’origine de fortunes considérables, aussi bien dans le cluster industriel de Chongqing qu’à Lomé ou à Ouagadougou, à la tête d’entreprises qui n’ignorent pas les réglementations fiscales, commerciales et industrielles tant locales qu’internationales (Khan-Mohammad, 2016 ; Blundo, 2022).

21En troisième lieu, le commerce transnational n’est qu’une des diverses dimensions des processus de globalisation auxquels participent les Suds. Les pays « sous régime d’aide » (Lavigne Delville, 2017) sont aussi traversés par des circulations de techniques de gouvernance, d’instruments d’action publique, de modèles gestionnaires, de normes internationales et de flux financiers, au service d’une ingénierie sociale globalisée véhiculée par les institutions de l’aide ou de régulation internationales (cf. Kopf). De même, les pratiques et les circuits des entrepreneurs transnationaux s’adaptent et dépendent des nouvelles formes de coopération économique et industrielle au sein du Sud global. Le vif intérêt que suscitent les « nouvelles routes de la soie » sur le continent africain et le processus concomitant de modernisation des grandes infrastructures de transport et de communication n’en sont que la dimension la plus visible (cf. Sylvanus). En outre, si l’importation massive de produits industriels asiatiques représente l’exemple le plus criant des processus susmentionnés, l’intensification des interconnexions « par le bas » fait voyager aussi des productions culturelles, à l’instar des vidéos nollywoodiennes, qui ont essaimé dans toute l’Afrique subsaharienne, puis en Europe et aux États-Unis (Jedlowski, 2013). La démocratisation de l’Internet à haut débit et de la téléphonie mobile 4G permettent également la diffusion rapide, massive et incontrôlée d’informations – mais aussi de rumeurs – bien au-delà des frontières nationales.

22Décentrer le regard des mobilités humaines aux circulations matérielles et immatérielles ouvre de nouvelles pistes de compréhension des manifestations quotidiennes, banales de la globalisation dans les Suds et des mutations sociales, politiques et culturelles qui l’accompagnent. Ce changement de perspective n’est certes pas totalement inédit. Mais sa traduction en recherches empiriques est beaucoup plus récente, surtout en ce qui concerne les Suds.

Les thing-following studies : des ethnographies complexes des chaînes globales d’approvisionnement

  • 5 On orientera le lecteur vers Thiemann (2022).

23Plusieurs articles de ce numéro spécial documentent la vie économique, sociale et culturelle d’objets de nature et de provenance différentes : motos, vêtements invendus, biens de consommation banals, produits sexuels, or, dragues, concasseurs, moteurs allemands et chinois, pour ne citer que les principaux. Pour la plupart d’origine industrielle, ils circulent au sein de chaînes d’approvisionnement transnationales et transcontinentales. Les auteurs de ces ethnographies dialoguent ainsi, chacun à sa manière, avec un corpus relativement important de « thing-following studies » (Hulme, 2015). Ce n’est pas le lieu pour tenter une synthèse, même très partielle, de cette littérature5. Trente ans séparent la publication de Sweetness and Power (Mintz, 1985), étude pionnière sur l’histoire sociale du sucre inspirée par les réflexions sur les chaînes de marchandises initiées dans les années 1970 par Hopkins et Wallerstein (1986), et le récent et novateur The Mushroom at the End of the World (Tsing, 2015, éd. française 2018), dans lequel les tribulations d’une friandise japonaise, le champignon matsutake, inaugurent une anthropologie multi-espèces de la globalisation qui s’interroge sur les mutations actuelles du capitalisme. Entre l’approche socio-économique des Global Value Chains (Gereffi, 2018), qui a sous-estimé les processus socioculturels qui contribuent à forger la valeur d’une marchandise (Foster, 2006), et les travaux de la géographie « radicale » anglophone essayant de « de-fetishise commodities, re-connect consumers and producers », pour « thereby provoke moral and ethical questions » (Cook et al., 2004 : 642), c’est surtout l’anthropologie (Appadurai, 1986 ; Kopytoff, 1986 ; Marcus, 1995) qui a ouvert la voie à des recherches qui « humanisent » (Knowles, 2014) ou « repeuplent » (Blaszkiewicz, 2019) les chaînes de marchandises. Il s’agit de suivre le parcours d’un bien entre les lieux de production et les lieux de consommation pour saisir les liens et les connexions créés par ce mouvement ainsi que les transformations du sens et de la valeur du bien au cours de cette circulation.

24La majorité des ethnographies globales couvrant la totalité d’une chaîne d’approvisionnement, à savoir « n’importe quel processus qui connecte producteurs et consommateurs de marchandises » (Tsing, 2018), a exploré des circulations marchandes entre les Nords et les Suds. Dans ces échanges, l’Afrique exporte des produits agricoles vers l’Europe et les États-Unis, comme le haricot vert (Freidberg, 2001), le beurre de karité (Chalfin, 2004) ou le khat (Lesourd, 2019), et importe de ces mêmes régions des produits industriels souvent usagés, comme la fripe (Hansen, 2000) ou les voitures d’occasion (Rosenfeld, 2017). La reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales par l’Inde et la Chine a stimulé des recherches sur des commodités dont les trajectoires brouillent les anciennes bipolarisations et dessinent de nouveaux espaces globalisés d’échanges commerciaux. Désormais, la ville-supermarché de Yiwu approvisionne aussi bien les marchands de jeans maghrébins (Pliez, 2007) que les boutiques londoniennes de « tout à 1 pound » (Hulme, 2015). Parallèlement, la Chine s’éveille au vin et importe depuis la France cépages et savoirs œnologiques (Pétric, 2022).

25Les ethnographies relatant des échanges commerciaux, culturels et technologiques dans le Sud global, et notamment au sein de la « Chindiafrique » (Boillot et Dembinski, 2014), sont relativement plus récentes. Les tribulations du rickshaw indien en Égypte et en RDC (Tastevin, 2015), la chaîne globale des tongs, éclatée entre le Koweït, la Corée du Sud, le Sud-Est de la Chine et l’Éthiopie (Knowles, 2014), les circulations du wax entre les Pays-Bas, le Togo et la Chine (Sylvanus, 2016), la filière de la verroterie entre la Chine et le Ghana (Haugen, 2018) sont les rares exemples d’études sur des univers commerciaux et relationnels qui demeurent largement inconnus pour l’heure. On peut également citer le livre très original d’Armelle Choplin (2020), consacré à une filière de production locale en Afrique, celle du ciment.

26Dans ce dossier, seule la recherche présentée par Giorgio Blundo rejoint le peloton des études qui tentent de mener une ethnographie embrassant toutes les phases d’une chaîne de marchandises Sud-Sud. Il expose ici le déroulement d’une enquête qui s’étend depuis les usines de motocycles en Chine jusqu’à leurs usages locaux au Togo, en passant par leurs circulations commerciales et leurs biographies techniques.

La vie sociale des marchandises globalisées : appropriations, innovations, hybridations

27Les autres contributions réunies dans ce dossier se basent sur des ethnographies en aval des chaînes d’approvisionnement globales. Elles se concentrent ainsi sur des phases de la circulation qui correspondent à la commercialisation/diffusion et à la consommation/réception des « choses » étudiées. Une importante littérature anthropologique sur la consommation a montré comment cet acte n’est ni passif ni un moment terminal du cycle d’une marchandise. Bien au contraire, il est « source and site of value creation » (Foster, 2006 : 289). Dans cette parution, on voit des moteurs agricoles chinois propulser des bateaux au Congo (Lambertz), des médicaments et cosmétiques asiatiques bouleverser la sexualité des couples en Afrique de l’Ouest (Mininel), des vêtements invendus connaître une nouvelle vie dans les villes côtières du golfe de Guinée après avoir reçu le statut de rebut industriel ou commercial (Le Borgne), des motos « low cost » devenir des symboles de réussite et d’ascension sociale (Blundo). Ce n’est pas juste leur valeur monétaire qui change, mais leur signification sociale et leurs usages.

28L’intensification des échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Asie (et la Chine en particulier en tant qu’usine ou atelier du monde) est généralement analysée comme une opportunité pour les sociétés africaines d’entrer dans une ère de consommation de masse s’accompagnant de l’émergence d’une nouvelle culture matérielle (Kernen et Khan-Mohammad, 2014). Cette observation, que nous partageons, ne doit pas faire oublier que les Africains étaient des consommateurs de biens manufacturés importés bien avant l’irruption massive des produits chinois depuis deux décennies et même avant le moment colonial : « Africans did not need imperial masters to teach them how to become consumers », rappelle Trentmann (2017 : 125). Ce sont plutôt les pouvoirs coloniaux qui limitèrent l’accès des indigènes aux styles de consommation occidentaux, par crainte que cela ne se traduise en velléités d’émancipation (Trentmann, 2017 : 136), tout en renforçant la légitimité de leur domination et de leur mission civilisatrice à travers des technologies et des infrastructures suscitant émerveillement et intimidation auprès des sujets (Larkin, 2008).

29Ces rappels, quoique bien trop rapides, nous semblent utiles pour évoquer les processus d’appropriation des biens globaux (Hahn, 2004) dont on a quelques exemples dans ce numéro. L’origine, perçue ou réelle, d’un produit importé, joue un rôle central dans l’évaluation de ses qualités et dans son appropriation. Il suffit de se promener dans n’importe quel marché d’Afrique de l’Ouest pour constater l’importance que vendeurs et consommateurs attribuent à l’authenticité d’une marchandise, opposant ce qui est « original » à ce qui relève de la « copie ». Généralement, est original, donc authentique, ce qui a été fabriqué dans le monde occidental et qui se présente dans les marchés africains comme une marchandise de seconde main, ou neuve mais réservée au pouvoir d’achat des élites. Le rang de copie a été attribué largement aux « chinoiseries », adaptées certes aux poches de la majorité des consommateurs mais réputées peu prestigieuses et peu durables. Pour cacher cette origine dévalorisante, les commerçants ghanéens se livreraient, d’après Alina Thiel (2016 : 355), à des « technologies de mobilisation de l’authenticité », en modifiant les étiquettes ou les emballages afin de leur forger une origine européenne. Le Borgne a observé des stratégies similaires dans ses enquêtes sur les vêtements neufs invendus au Bénin et au Togo.

30S’arrêter à ce constat empêche toutefois de saisir la complexité des processus en cours et de s’intéresser à la vie sociale de ces produits, relégués trop vite au statut de « pacotilles » (Racaud, 2018), symboles de l’accès à une « second-class modernity » (Chappatte, 2014 : 30). Des enquêtes prenant au sérieux les marchandises ont souligné la diversité des trajectoires d’appropriation des produits d’origine asiatique en Afrique, surtout si l’on adopte une perspective historique (Ferme et Schmitz, 2014). Face à l’inflation des copies chinoises des wax et des contrefaçons de marques prestigieuses, les consommatrices togolaises ont développé des savoir-faire sensoriels leur permettant d’évaluer la qualité des tissus et d’établir de nouvelles hiérarchies entre les copies (Sylvanus, 2016 ; voir aussi Röschenthaler, 2020, pour le Cameroun). De même, plus de vingt-cinq ans d’importation de motos depuis la Chine ont brouillé complètement la frontière entre original, copie et contrefaçon, comme le montrent Khan-Mohammad (2020) et Blundo (2022 et ce dossier). D’une part, l’acte de copier n’exclut pas des éléments d’innovation et valorise indirectement la marque qui est copiée ; d’autre part, certains modèles passent du statut de « copie » à celui d’« original » et acquièrent une identité de marque flatteuse et inédite, signe que l’image de la Chine évolue aussi dans les représentations et les imaginaires locaux. Étudier ces processus permet aussi d’apprécier l’agencéité des opérateurs économiques transnationaux (Pairault et al., 2023). Au lieu de se limiter à inonder les marchés africains de produits industriels anonymes, ces derniers interviennent – dans certains secteurs tout au moins – en amont, directement sur la phase de production, aboutissant ainsi à l’importation de biens « Made in Chinafrica », correspondant aux goûts et aux désirs des consommateurs locaux.

31À côté d’objets dont la possession ou l’usage confère un certain prestige, il est d’autres produits mondialisés qui contribuent à l’émergence de formes de technologie et d’innovation frugales, aussi bien en milieu urbain que rural, comme le rappellent les contributions de Lambertz et de Traoré. En RDC, les baleinières artisanales qui naviguent sur le fleuve Congo « allient (…) diverses traditions d’artisanat et de navigation locales au transfert technologique transnational Sud-Sud » (Lambertz : 177). Elles sont propulsées par des moteurs monocylindres chinois montés séparément appelés dakadaka. Plus fragiles mais aussi plus simples à réparer que les traditionnels moteurs diesel marins pluricylindres, leur disposition autonome permet de ne pas arrêter l’embarcation en cas de panne. Au Mali, la mécanisation de l’orpaillage artisanal a été largement facilitée par une « ingénierie locale d’assemblage » qui fabrique des dragues en adaptant des engins importés (vieilles batteuses, moteurs de Mercedes 190) ou en s’approvisionnant auprès d’ateliers de soudure chinois installés dans les régions aurifères.

32Enfin, la multiplication et l’imbrication des filières d’approvisionnement favorise des modes d’appropriation de produits procédant d’une forme d’hybridation culturelle. Au Togo et au Ghana, Francesca Mininel a suivi les trajectoires de substances industrielles asiatiques (aphrodisiaques, stimulants sexuels, etc.) qui se transforment en « secrets » de l’ars amatoria et outils de domination et d’envoûtement, en jouant sur des références culturelles multiples : l’islam, les représentations de femmes blanches ou asiatiques, des figures du panthéon vodou, etc. Des produits chinois sont « domestiqués » en les associant à des huiles protectrices de tradition chrétienne ou musulmane ; d’autres, destinés à des usages conçus dans des contextes culturels lointains, sont adaptés aux mutations contemporaines des rapports de genre et des pratiques sexuelles en Afrique de l’Ouest.

Les conditions matérielles et immatérielles des circulations : des infrastructures aux modèles voyageurs

33Cette parution ne pouvait pas faire l’impasse sur le thème des infrastructures, « matter that enable the movement of other matter » (Larkin, 2013 : 329). Cette définition minimaliste nous permet, dans un premier temps, de penser la question des supports des circulations de personnes, biens et idées, en nous débarrassant, comme nous y invite Peter Lambertz, de l’image moderniste des infrastructures « en dur » afin d’élargir le regard à tout « ensemble de dispositifs matériels, qui a l’objectif d’accomplir une tâche permettant le fonctionnement d’une autre activité » (Lambertz : 170). Dans cette optique, il est possible de faire dialoguer son ethnographie avec l’étude de Nina Sylvanus sur le port de Lomé. Ce dernier, désormais le premier port à conteneurs d’Afrique de l’Ouest et l’un des sept ports africains « devenus millionnaires en conteneurs équivalent vingt pieds (EVP) » (Aurégan, 2023 : 30), est représentatif d’un mouvement plus global de rationalisation, de modernisation et d’internationalisation des infrastructures portuaires. Il symbolise autant la participation croissante du continent africain dans les circulations marchandes mondialisées que la privatisation de ses ports par l’entremise du capitalisme maritime mondial (Chauvin et al., 2017). En RDC, l’effondrement du réseau routier et ferroviaire et la réduction des voies fluviales navigables ont favorisé l’émergence d’« infrastructures artisanales », des assemblages épisodiques mais réglés de force humaine, force mécanique et force hydraulique qui permettent le fonctionnement des baleinières. À l’opposé, Lomé représente le projet, pour le moment inachevé en Afrique, d’une automatisation totale de l’infrastructure qui se passerait de l’intervention humaine. L’exemple congolais montre comment, en dépit de l’absence d’infrastructures fixes et modernes, les circulations et les mobilités sont tout de même assurées, à des rythmes et des vitesses certes aux antipodes de ceux requis par le système des chaînes d’approvisionnement mondiales. Ceci évoque l’invitation de Blaszkiewicz (2019 : 41) à prendre en compte également les entraves aux circulations, leurs décélérations et leurs moments d’arrêt.

34En outre, au-delà d’une dimension purement technique, toute infrastructure est portée par une idéologie et un projet politique, comme le démontre Nina Sylvanus en éclairant l’évolution du port de Lomé par l’histoire politique mouvementée de ce petit État-entrepôt. En tant qu’incarnation de projets sociaux et politiques, les infrastructures constituent autant des supports des circulations que des instruments de leur encadrement et de leur contrôle. C’est entre autres choses le cas des frontières, objet de l’article de Charline Kopf. Son enquête au sein d’un programme de l’Organisation internationale pour les migrations, mis en œuvre dans des localités situées sur la frontière sénégalo-mauritanienne, est à la fois une analyse d’un modèle de contrôle des circulations transfrontalières « par les communautés » et une ethnographie de certaines phases de sa propre circulation en tant que « modèle voyageur standardisé » (Olivier de Sardan, 2021). Conformément à la doctrine du nexus migration-sécurité-développement (Deridder et al., 2020), la « porosité » des frontières est perçue par l’agence onusienne et ses partenaires étatiques sahéliens comme un facteur de fragilité face à de multiples menaces (trafics en tout genre, catastrophes, terrorisme). Le programme de l’OIM mêle la matérialisation de la frontière par la création d’infrastructures étatiques et communautaires à des activités de sensibilisation des populations à travers des séances de théâtre, des bandes dessinées et des exercices de simulation de crises de nature diverse. Cet ensemble d’activités est censé produire l’internalisation de la frontière auprès d’acteurs qui, habitués à la traverser quotidiennement, ne la voient littéralement pas. L’étude de Charline Kopf se concentre sur le moment dans la vie de ce modèle voyageur qu’Olivier de Sardan a appelé « l’épreuve du contexte » (2021 : 49 et suiv.), à savoir sa mise en œuvre dans un contexte spécifique. Kopf pointe les incohérences d’une intervention qui prétend susciter rapidement l’appropriation locale d’une « culture du contrôle de la frontière » tout en reposant sur des dispositifs standardisés et reproduits quasiment à l’identique au Ghana, au Burkina Faso, au Mali et en Tanzanie.

35L’histoire racontée par Irene Valitutto, Claire Simonneau et Éric Denis se déroule en revanche « bien loin des arènes politiques nationales et multilatérales, des experts de l’aide au développement ou des décideurs » (p. 146). Elle concerne la circulation du modèle des coopératives de logement par aide mutuelle (CLAM), né au milieu des années 1960 en Uruguay et s’étant diffusé progressivement dans une dizaine de pays latino-américains. Contrairement à l’intervention d’ingénierie sociale standardisée décrite par Kopf, les modalités de circulation de cette expérience sont lentes, souples et horizontales (dans la mesure où elles reposent sur des échanges entre habitants et entre habitants et réseaux associatifs et qu’elles gardent ce mode de transmission même lorsqu’elles acquièrent, des décennies après leur naissance, une dimension transnationale). Les chercheurs s’intéressent moins au « modèle », désormais appuyé par les donateurs qui ont tardivement découvert le réseau, qu’aux formes de circulation d’un référentiel – la représentation d’un problème et de ses solutions sous-jacentes à la formulation d’une politique publique (Lavigne Delville, 2018) – qui s’impose dans toute l’Amérique latine et au-delà comme un « contre-référentiel » novateur en matière d’habitat abordable.

Les terrains des circulations

36L’ensemble des contributions à ce volume partage, à différents degrés et niveaux, la pratique de terrains transnationaux abordés à travers des approches multisituées. On évoquera ici les principales problématiques que suscitent ces ethnographies des circulations matérielles et immatérielles. Traitées frontalement par les trois premiers articles du dossier, elles traversent en filigrane ce numéro, apportant ainsi cohérence et unité à l’apparente collection d’études de cas sui generis.

37Comme le rappelle Blundo dans son essai, l’ethnographie multisituée a été parfois assimilée à la multiplication des lieux d’enquête au service d’une démarche comparative. L’anthropologie du développement africaniste s’est par exemple emparée de la notion de multisite dans le cadre d’enquêtes collectives (Bierschenk et Olivier de Sardan, 1997) où il est question de « comparaison entre sites localisés », à rebours d’une « ethnographie expérimentale quelque peu prétentieuse, délibérément "anti-localiste", argumentant au nom d’une globalisation et d’une mondialisation conçues largement comme des déterritorialisations » (Olivier de Sardan, 2008 : 320). Or, l’intuition du coauteur de Writing Culture a consisté justement en la suggestion de traquer des choses, des personnes ou des idées en circulation entre des espaces sociaux et géographiques afin de saisir le sens des connexions qu’elles établissent.

38Les études présentées ici ont adapté ce cadre général chacune à leur manière, en fonction de leur inscription disciplinaire, de la nature des « choses » en mouvement, des terrains et de leurs aléas, du temps et des moyens à leur disposition, des questions de recherche. Blundo décide d’abandonner le projet initial de suivre les commerçants transnationaux (shadowing) pour suivre la piste des marques de motos chinoises jusqu’aux lieux de fabrication en Chine, en choisissant des « hubs ethnographiques » où se croisent marchandises, producteurs, revendeurs et consommateurs. En géographes, Doron et Le Borgne préfèrent « suivre la route » des circulations commerciales (Choplin et Lombard, 2010), tout en accompagnant des commerçants en déplacement et visitant marchés et entrepôts. Doron propose en particulier une méthodologie permettant d’apprécier la dimension spatiale des réseaux sociaux structurés par les connexions qui ponctuent une chaîne d’approvisionnement. Mininel a découvert les sites de commercialisation des produits vaginaux en suivant les pistes fournies par les consommatrices de ces substances. Traoré a combiné une approche multisituée reconstruisant la circulation de techniques, outils et normes de l’orpaillage entre plusieurs sites aurifères au Mali avec une enquête longitudinale approfondissant certaines questions dans un seul site. En adoptant « the engines’ point of vue » (Lambertz, 2023), Lambertz a voyagé à bord des baleinières entre diverses provinces de la RDC, tandis que Valitutto, Simonneau et Denis ont suivi la diffusion d’un modèle de coopératives d’habitat en Amérique latine à travers des entretiens et la participation à des réunions organisées par ce réseau d’acteurs.

39Le suivi d’une marchandise, d’une technique, d’un modèle, d’une idée, d’un répertoire d’action collective morcelle le terrain entre un vaste éventail d’acteurs, d’actants et de situations appartenant à des espaces sociaux, culturels et politiques transculturels et transnationaux. Ceci a des implications sur plusieurs dimensions de l’enquête ethnographique.

40En premier lieu, l’attention portée dans le même temps à la matérialité des échanges et des circulations, aux acteurs des circulations (qui les animent ou les régulent, individuels et collectifs) et à la dimension spatiale de ces dernières, demande le déploiement de multiples compétences (linguistiques, culturelles, historiques, disciplinaires, techniques) qui sont rarement réunies en un seul chercheur, et un investissement considérable en temps et en ressources financières. Ceci explique sans doute pourquoi les ethnographies globales publiées dans ce numéro s’intéressent à des circulations à partir d’un terrain circonscrit, à l’échelle d’un pays ou à une échelle transfrontalière, en approfondissant un segment ou une phase d’une chaîne mondiale. Au moins deux recherches, celle de Traoré et celle de Valitutto, Simonneau et Denis, sont le fruit d’un programme collectif, suivant une tendance actuelle à inventer des formes de recherche collaborative pour pallier le manque de temps, d’argent et de compétences (Baby-Collins et Cortes, 2019 ; Matsutake Worlds Research Group, 2009). Une seule étude, celle de Blundo, tente d’embrasser une filière globale dans sa totalité, sans pour autant prétendre à une quelconque exhaustivité. Comme l’observe à juste titre Doron, « l’on n’étudie jamais qu’une portion déjà complexe d’un ensemble plus vaste qui s’est constitué aussi dans d’autres lieux et selon d’autres temporalités » (p. 73).

41En deuxième lieu, on peut également observer que la « suivabilité » des choses en circulation varie selon leur nature et les itinéraires qu’elles dessinent. Il est des « unfollowable things », comme les nains de jardin (Hulme, 2015) ou les perles en plastique de la fête du Mardi Gras à La Nouvelle-Orléans (Redmon, 2015), dont l’origine se perd dans les innombrables ateliers industriels de l’empire du Milieu. Il est aussi des filières consolidées, comme celle des motos chinoises, qui se donnent à voir plus facilement, si on arrive à obtenir la confiance de quelques opérateurs économiques. Souvent, la « discrétion » des filières globales est surtout celle des entrepreneurs, qui, pour assurer la perpétuité de leur négoce transnational, cultivent la confidentialité et gardent jalousement leurs « secrets de circulation » (Le Borgne). Dans tous les cas, ce type d’enquête confronte le chercheur à des enjeux de multipositionnalité et à des dilemmes éthiques et déontologiques, lorsqu’il est pris dans un jeu de dissimulation et de dévoilement de son identité professionnelle (Le Borgne, Blundo).

42En troisième lieu, en évitant le piège du présentisme qui guette parfois la littérature sur les processus de globalisation, plusieurs contributions à ce dossier adoptent une approche attentive aux dynamiques historiques et aux variations d’échelles : Valitutto, Simonneau et Denis en reconstruisant plus d’un demi-siècle d’expériences coopératives en Amérique latine, Lambertz qui situe l’essor actuel des baleinières à la lumière d’une histoire des transports fluviaux qui remonte à la période coloniale, Sylvanus qui retrace le rôle du port de Lomé depuis la colonisation allemande.

Conclusion

43Au moment où l’on décrète que « the global does not consist merely of a series of flows floating above or between national spaces or sets of interconnected sites, but rather refers to emergent problems – from climate change to sustainability design to religious reform – that unevenly permeate relations on a planetary scale » (Rudnyckyj et Whitington, 2020 : 1043), nous avons tenté plus modestement de rouvrir le dossier de la « globalisation par le bas » en mettant l’accent sur la dimension des circulations matérielles et immatérielles, sur « ce qui circule » dans et par les Suds, en dissociant en quelque sorte le « prisme circulatoire » du « prisme migratoire ».

44On a poursuivi cet objectif de manière résolument éclectique, en assumant de considérer le mot « circulation » dans toute sa dimension polysémique : circulations d’objets, marchandises, modèles et expériences, savoir-faire, capitaux, de chercheurs qui s’engagent souvent dans des ethnographies mobiles, d’infrastructures qui encadrent les mobilités et de lieux emblématiques de ces mobilités, de choses qui bougent elles-mêmes.

45Forcément, les pistes inachevées ou inexplorées demeurent nombreuses. On aurait aimé pouvoir documenter le voyage au long cours d’une production culturelle, interroger les modèles entrepreneuriaux ou les styles de vie qui émergent de ces interconnexions globalisées, analyser les pratiques et les imaginaires politiques et économiques dont sont porteurs les acteurs arrimés aux circulations transnationales. On voudrait en savoir davantage sur les ateliers de soudure chinois au Mali, sur les usines de fabrication des produits sexuels en Asie, sur l’impact réel des simulations des situations de crise sur les populations frontalières, etc. Mais c’est le propre de ces enquêtes, comme toute enquête mais encore davantage, que d’ouvrir de multiples pistes sans pouvoir toutes les approfondir. L’ethnographie globale doit faire le deuil d’une ethnographie totale, quitte à se renouveler en s’ouvrant à des formes de recherche collaborative. Voilà sans doute un thème pour un futur dossier…

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Notes

1 Dans ce texte, « Suds » et « Sud global », ainsi que « mondialisation » et « globalisation », sont utilisés comme des synonymes, ces distinctions n’existant pas en anglais qui n’a recours qu’aux termes de globalization, South ou Global South.

2 Ce numéro réunit une sélection d’articles issus du 13e colloque international que l’APAD et le département d’anthropologie et des études africaines de l’Université de Lomé ont organisé dans la capitale togolaise du 29 novembre au 3 décembre 2021. Cet événement scientifique, qui coïncidait avec le trentenaire de l’APAD, aurait dû se tenir du 23 au 26 juin 2020, mais il a été reporté à deux reprises à cause de la crise sanitaire engendrée par la pandémie de COVID-19. Cette manifestation a bénéficié du soutien de plusieurs institutions : l’Agence française de développement, l’École des hautes études en sciences sociales, l’Institut de recherche pour le développement, le PNUD, le Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade de France au Togo.

3 On trouvera d’autres classifications des approches ethnographiques de la globalisation dans Inda et Rosaldo (2008).

4 Parmi les nombreux ouvrages de synthèse sur la question, cf. Abélès (2008) et Eriksen (2014).

5 On orientera le lecteur vers Thiemann (2022).

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Pour citer cet article

Référence papier

Giorgio Blundo, « Circulations matérielles et immatérielles aux Suds : revisiter la « globalisation par le bas » »Anthropologie & développement, 54 | 2023, 9-28.

Référence électronique

Giorgio Blundo, « Circulations matérielles et immatérielles aux Suds : revisiter la « globalisation par le bas » »Anthropologie & développement [En ligne], 54 | 2023, mis en ligne le 19 décembre 2023, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anthropodev/1983 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anthropodev.1983

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Auteur

Giorgio Blundo

EHESS, Centre Norbert Elias, Campus EHESS Marseille ; giorgio.blundo[at]ehess.fr

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