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Le métier de procurateur

Introduction

Zheira Kasdi

Texte intégral

  • 1 https://www.casadevelazquez.org/recherche-scientifique/programmes-scientifiques-de-lehehi/axe-i-c (...)

1Ce dossier est le fruit d’une première rencontre organisée dans le cadre du projet « Procuratèles : fonctions, mobilités et réseaux des procurateurs impériaux dans l’Occident romain (fin ier s. a.C. – ive s.). Inscrit pour une durée de trois ans dans la programmation scientifique de l’École des Hautes études hispaniques et ibériques1, il est porté par Antony Álvarez Melero (université de Séville), Alberto Dalla Rosa (université de Bordeaux), Benoît Rossignol (université d’Avignon) et l’auteure de cette présentation.

2Si, en 27 a.C., la délimitation des pouvoirs et le partage des prouinciae entre Auguste et le Sénat prétend sauver et conserver la res publica, cet état de fait inaugure la mise en place du principat et jette les fondements d’une organisation administrative inédite de l’Empire romain. Les procuratores Augusti occupent dès lors, progressivement, au fur et à mesure de la création des postes, une place de premier choix dans ce nouvel ordre et plus particulièrement au sein des provinces, où ils sont envoyés pour exercer leurs activités. Désigné par le prince, ce personnel impérial reçoit différentes attributions, selon qu’il est affranchi impérial ou membre de l’ordre équestre. Chargé du gouvernement d’une province, de la gestion des ressources financières d’un territoire, de la direction de bureaux palatins ou d’une mission particulière comme l’administration de services décentralisés (le patrimonium par exemple), les procurateurs avaient pour principal objectif la préservation des intérêts de l’empereur, quelle qu’en soit la nature. Le titre même de procurator rappelle cette finalité : sous la République, il s’applique aux mandataires des particuliers qui, en tant qu’amis ou clients, peuvent gérer les affaires de leur mandant en cas d’empêchement.

  • 2 Hirschfeld 1878 ; Liebenam 1886.
  • 3 von Domaszewski 1908.
  • 4 Pflaum 1950.
  • 5 Sa thèse secondaire conformément aux exigences de l’époque : Pflaum 1960-1961 ; suppl. 1982.
  • 6 Une banque de données et de nouveaux fastes sont également en cours de préparation : Demougin, Da (...)

3Ancrées au cœur du système administratif impérial, les carrières procuratoriennes retiennent depuis plus d’un siècle l’attention des chercheurs2. Les études dans ce domaine ont été et continuent d’être menées de façon cloisonnée : les procurateurs équestres d’un côté, les procurateurs affranchis de l’autre. Dans un premier temps, ce sont surtout les procurateurs équestres qui suscitent la curiosité mais de façon disproportionnée selon les critères des charges et les régions. En rupture avec l’analyse réalisée par Alfred von Domaszewski3, Hans-Georg Pflaum est le premier à proposer une classification précise et à établir une hiérarchie des différents postes de la carrière procuratorienne équestre. Sa thèse de doctorat4, ainsi que la vaste prosopographie des chevaliers passés par une procuratèle durant leur cursus5, qui vient la compléter, constituent aujourd’hui encore des ouvrages de référence pour les chercheurs qui traitent des questions relatives à l’administration impériale. À travers ses nombreuses notices établies à partir des sources épigraphiques, littéraires et papyrologiques, H.-G. Pflaum s’est efforcé de dégager les grandes règles de la hiérarchie équestre, les étapes des carrières procuratoriennes et les marqueurs de leur évolution dans le temps. Ce travail a permis d’apporter un regard neuf sur le système administratif, mais il a également mis au jour les difficultés et les limites des restitutions des cursus. Il ouvre par ailleurs la voie des études autour des procuratèles équestres, à l’origine d’une production pléthorique qui depuis se décline en monographies et surtout en une multitude d’articles consacrés à des fonctions précises ou au parcours de personnages clairement identifiés, donnant lieu à une bibliographie très féconde mais éclatée6.

  • 7 Demougin 1992 ; Faoro 2011.
  • 8 Parmi d’autres références : Besnier 1950, p. 439-459, qui a proposé une analyse des procuratèles (...)
  • 9 Pallu de Lessert 1896.
  • 10 Thomasson 1960 ; 1972 ; 1996.
  • 11 Christol, Magioncalda 1989.

4Les publications postérieures aux Carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire s’intègrent dans une réflexion plus large, mais nécessaire, autour de l’ordre équestre7. D’autres travaux proposent, au contraire, une réflexion thématiquement et/ou chronologiquement plus localisée8. L’abondance des sources épigraphiques en provenance du Maghreb est à l’origine d’importants ouvrages sur le gouvernement des provinces africaines qui, de fait, réservaient une place importante aux procurateurs-gouverneurs, aux côtés des proconsuls et légats propréteurs. Déjà en 1896, Clément Pallu de Lessert publiait les Fastes des provinces africaines9. Le sujet fut repris par Bengt E. Thomasson qui consacra trois livres aux gouverneurs des provinces d’Afrique d’Auguste à Dioclétien (Afrique Proconsulaire, Numidie, Maurétanies Césarienne et Tingitane) constitués de notices prosopographiques progressivement mises à jour (au fur et à mesure des publications), parmi lesquelles celles des procurateurs-gouverneurs de Tingitane et de Césarienne10. En 1989, Michel Christol et Andreina Magioncalda ont publié un ouvrage consacré spécifiquement aux procuratèles des deux Maurétanies11. Ils y dressent le tableau des procuratèles en recensant tous les gouverneurs de chaque province, en analysant leur carrière et leurs titres, en revenant sur les questions de datation et les singularités révélées par certains textes.

  • 12 Pflaum 1968.
  • 13 Boulvert 1970.
  • 14 Weaver 1972. Voir par ailleurs 1980.
  • 15 Claude Domergue a beaucoup écrit sur la question, voir en particulier son volume sur les mines de (...)
  • 16 Christol 2015.
  • 17 Des exemples récents : Chaouali 2014 ; Rossignol, Mignon, Hairy 2019 ; Silvestrini 2020.

5Les procurateurs affranchis n’ont pas reçu le même traitement que leurs homologues équestres. Si, en abordant la mise en place des procuratèles financières, Pflaum leur consacre une importante étude en 196812, le sujet a été traité en profondeur par Gérard Boulvert dans sa thèse, remaniée et publiée en 1970 sous le titre Esclaves et affranchis impériaux sous le Haut-Empire romain : rôle politique et administratif13. Il est également au centre des travaux de P. R. C. Weaver14. Par la suite, la question est abordée à partir d’analyses ponctuelles portant sur des aspects spécifiques – comme le rôle des procurateurs affranchis qui accompagnaient le procurateur des mines (metalla) de Vipasca en Lusitanie15 – , sur une carrière en particulier16 ou au gré des découvertes épigraphiques qui mettent au jour de nouveaux personnages17.

  • 18 L’article proposé est une version remaniée de l’analyse consacrée aux propriétés impériales de Cé (...)

6Les articles réunis dans ce dossier s’inscrivent dans une réflexion autour du métier de procurateur, premier axe de recherche du programme qui a donné lieu à un colloque les 1er et 2 juin 2023 à Bordeaux. Il s’est donné pour objectif d’aborder de près la nature des charges attribuées aux différents procurateurs : qu’il s’agisse de procuratèles de gouvernement, de procuratèles financières ou spécialisées dans d’autres missions, nombreuses sont les sources à fournir de précieuses données sur les activités de ces agents du pouvoir. C’est notamment le cas pour le dossier épigraphique des domaines impériaux de Maurétanie Césarienne qui fait l’objet d’un article, fruit d’une réflexion poursuivie à l’issue du colloque qui s’est tenu à Bordeaux18. Il propose, après avoir rassemblé la documentation relative aux propriétés princières afin d’en dresser un état des lieux documentaire, chronologique et topographique, d’évaluer les champs de compétence des procurateurs-gouverneurs et des procurateurs-financiers dans ces grands domaines.

7À la lumière d’inscriptions méconnues ou inédites, l’article de Xavier Dupuis renouvelle et complète nos connaissances sur une circonscription domaniale, celle de Theueste. Il insiste sur la diversité et la complexité de sa structure et de son organigramme administratif, qui apparaissent, au moins dans certains secteurs, tout à fait comparables à ce qu’on trouve dans le nord de la Proconsulaire. Les textes mentionnent des procurateurs affranchis de regiones, tandis qu’un dernier document, pratiquement inédit, semble mentionner un procurateur équestre et un bureau comptable dont nous n’avions jusque-là aucune attestation directe et explicite.

8Derrière le titre de procurator, largement implanté dans les cadres de l’administration romaine, se cache une variété de fonctions et de situations qu’il n’est pas toujours facile de cerner et qui prête parfois à confusion. Le titre même de procurator Augusti peut engendrer une certaine ambiguïté sémantique. En effet, le procurateur-gouverneur comme le procurateur­financier arborent régulièrement ce titre, alors que leur fonction respective correspond à des prérogatives distinctes, et seul un complément d’informations dans les textes permet d’établir la différence entre les postes. Gian Luca Gregori revient sur une inscription récemment publiée et qui porte à notre connaissance un nouveau procurateur impérial de l’époque sévérienne, Nicocles. Le document pose justement la question de la nature de la fonction et de l’aire de compétence de ce procurateur et affranchi impérial.

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Bibliographie

Besnier R. 1950, « Les procurateurs provinciaux pendant le règne de Claude », RBPh, 28-2.

Boulvert G. 1970, Esclaves et affranchis impériaux sous le Haut-Empire romain : rôle politique et administratif, Napoli.

Chaouali M. 2014, « Une épitaphe inédite de Mustis sur l’administration des domaines impériaux en Afrique du Nord au début du iie siècle apr. J.-C. », CCG 25, p. 81-88.
https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2014_num_25_1_1815

Christol M. 1999, « Un aspect de l’administration impériale : le procurateur des mines de Vipasca», Pallas 50 = Mélanges Claude Domergue 2, p. 233-244.
https://www.persee.fr/doc/palla_0031-0387_1999_num_50_1_1552

Christol M. 2015, « La carrière de Lucius Cominius Vipsanius Salutaris, procurateur de Bétique », Habis 46, p. 297-313.

Christol M., Magioncalda A. 1989, Studi sui procuratori delle due Mauretaniae, Sassari (Pubblicazioni del Dipartimento di Storia dell’Università degli Studi di Sassari 13).

Demougin S. 1992, Prosopographie des chevaliers romains julio-claudiens (43 av. J.-C. – 70 apr. J.-C.), Rome (CEFR 153).
https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1992_ths_153_1

Demougin S., Daguet-Gagey A. 2018, « La banque de données “Procurateurs” et les nouveaux fastes procuratoriens équestres », CCG 29, p. 217-220.

Domaszewski von A. 1908, Die Rangordnung des römischen Heeres, Bonn.

Domergue Cl. 1990, Les mines de la péninsule ibérique dans l’Antiquité, Rome (CEFR 127).
https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1990_ths_127_1

Faoro D. 2011, Praefectus, procurator, praeses: genesi delle cariche presidiali equestri nell’alto impero romano, Firenze.
https://www.academia.edu/1026374

Hirschfeld O. 1878, Untersuchungen auf dem Gebiete der roemischen Verwaltungsgeschichte, Berlin.

Lefebvre S. 1998, « Profils de carrière : douze procurateurs des Gaules et Germanies », CCG 9, p. 247-264.
https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_1998_num_9_1_1477

Liebenam W. 1886, Beiträge zur Verwaltungsgeschichte des römischen Kaiserreichs. I. Die Laufbahn der Procuratoren bis auf die Zeit Diokletians, Iena.

Ojeda Torres J. M. 1993, El Servicio administrativo imperial ecuestre en la Hispania romana durante el alto imperio, Sevilla.

Pallu de Lessert C. 1896, Fastes des provinces africaines (Proconsulaire, Numidie, Maurétanies), sous la domination romaine, Paris.
https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k5729804f

Pflaum H.-G. 1950, Les procurateurs équestres sous le Haut-Empire romain, Paris.

Pflaum H.-G. 1960-1961, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire romain, 1-3, Paris.

Pflaum H.-G 1968, « La mise en place des procuratèles financières sous le Haut-Empire », RD 46, p. 367-388.

Pflaum H.-G. 1982, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire romain. Supplément, Paris.

Rossignol B., Mignon J.-M., Hairy G. 2019, « Un nouveau procurateur ducénaire anonyme à Orange », Tyche 34, p. 151-158.
https://www.academia.edu/87367814

Silvestrini M. 2020, « Un inedito procurator XX libertatis dall’Apulia » dans C. Soraci (dir.), Fiscalità ed epigrafia nel mondo romano. Atti del convegno internazionale (Catania, 28-29 giugno 2019), Roma-Bristol, p. 51-59.

Thomasson B. E. 1960, Die Statthalter der römischen Provinzen Nordafrikas von Augustus bis Diocletianus, Lund.

Thomasson B. E. 1972, Laterculi praesidum, Göteborg.

Thomasson B. E. 1996, Fasti africani: senatorische und ritterliche Amtsträger in den römischen Provinzen Nordafrikas von Augustus bis Diokletian, Stockholm.

Weaver P. R. C. 1972, Familia Caesaris: A Social Study of the Emperor’s Freedmen and Slaves, Cambridge.

Weaver P. R. C. 1980, « Two Freedman Careers », Antichthon 14, p. 143-156.

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Notes

1 https://www.casadevelazquez.org/recherche-scientifique/programmes-scientifiques-de-lehehi/axe-i-cites-territoires-citoyennetes/procurateles/procurateles.

2 Hirschfeld 1878 ; Liebenam 1886.

3 von Domaszewski 1908.

4 Pflaum 1950.

5 Sa thèse secondaire conformément aux exigences de l’époque : Pflaum 1960-1961 ; suppl. 1982.

6 Une banque de données et de nouveaux fastes sont également en cours de préparation : Demougin, Daguet-Gagey 2018.

7 Demougin 1992 ; Faoro 2011.

8 Parmi d’autres références : Besnier 1950, p. 439-459, qui a proposé une analyse des procuratèles provinciales mais sur le court terme et en faisant une large place aux affranchis impériaux ; Ojeda Torres 1993 ; Lefebvre 1998, p. 247-264, publié dans un dossier consacré aux procurateurs des Gaules et des Germanies paru en 1998, dans le neuvième volume les Cahiers du Centre Gustave Glotz.

9 Pallu de Lessert 1896.

10 Thomasson 1960 ; 1972 ; 1996.

11 Christol, Magioncalda 1989.

12 Pflaum 1968.

13 Boulvert 1970.

14 Weaver 1972. Voir par ailleurs 1980.

15 Claude Domergue a beaucoup écrit sur la question, voir en particulier son volume sur les mines de la péninsule ibérique (1990). Christol 1999.

16 Christol 2015.

17 Des exemples récents : Chaouali 2014 ; Rossignol, Mignon, Hairy 2019 ; Silvestrini 2020.

18 L’article proposé est une version remaniée de l’analyse consacrée aux propriétés impériales de Césarienne, dans la thèse en cours de publication de Zheira Kasdi, « Mauretania Caesariensis : prosopographie et aspects administratifs, judiciaires et militaires du gouvernement de la province de Maurétanie Césarienne » (soutenue en 2017).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Zheira Kasdi, « Introduction »Antiquités africaines [En ligne], 60 | 2024, mis en ligne le 30 novembre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/antafr/8131 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12quf

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Auteur

Zheira Kasdi

Université Paris 1, AnHiMA (UMR 8210, 2 rue Vivienne, 75002 Paris) (Zheira.Kasdi[at]univ-paris1.fr.).

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