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In memoriam
Georges Devallet (1927-2024)

Jean Meyers
p. 5-7

Texte intégral

1Le 7 février 2024, Georges Devallet, maître de conférences, HDR, émérite de langue et littérature latines à l’université Paul-Valéry (Montpellier 3), nous a quittés. C’est un latiniste d’exception que nous perdons et qui était très attaché à la littérature latine d’Afrique romaine.

2Georges était né en Algérie. À l’université d’Alger, il avait été l’élève d’André Mandouze, pour qui il a toujours eu une grande admiration, même s’il ne partageait pas toutes ses idées, ce qui l’avait tenu loin des extrêmes. Exilé de sa terre natale, qu’il savait évoquer sans aucun ressentiment, ni hostilité et qu’il décrivait souvent avec des accents si touchants qu’on en sentait l’atmosphère et les parfums, il était venu s’installer à Montpellier. C’est là qu’il fit sa thèse de doctorat consacrée à l’édition, la traduction et le commentaire des deux premiers chants des Punica de Silius Italicus, préparée sous la direction du Professeur Pierre Miniconi et soutenue en 1974. Très vite, il fut ensuite intégré à une petite équipe avec son directeur de thèse et avec Josée Volpilhac-Lenthéric pour assurer l’édition complète dans la Collection des Universités de France de ce poème épique sur la deuxième guerre punique, qui compte 12 000 hexamètres en 17 chants. Les volumes de cette édition allaient se succéder à un rythme rapide : t. I en 1979, t. II en 1981, t. III en 1984 et t. IV, cette fois en collaboration avec Michel Martin, en 1992 (les 4 volumes ayant été réédités en 2003). Cette édition critique a beaucoup contribué à relancer la recherche sur un poète en général mal jugé depuis l’Antiquité même, où Pline estimait déjà que Silius écrivait maiore cura quam ingenio. Dans Les genres littéraires à Rome (Paris, 1981, p. 65), R. Martin et J. Gaillard soulignaient encore, à propos de l’épisode du siège de Sagonte, que « tout cela est d’une cocasserie involontaire qui pourrait faire ranger les Punica parmi les plus grandes œuvres de la littérature comique ». Comme Georges Devallet lui-même l’a écrit, on admet aujourd’hui, et c’est en grande partie grâce à ses travaux et à ses articles, que « Silius n’a pas de génie, mais qu’il a un réel talent, celui de la variation ; ou, pour employer un terme plus adapté […], celui de la retractatio », « un art dans lequel il excelle » (« La description du bouclier d’Hannibal chez Silius », p. 189 et p. 197).

3En 1983, à la suite d’une conversation avec son ami d’enfance, né comme lui en Algérie, le grand historien et épigraphiste Jean-Marie Lassère (2011), Georges et lui créèrent le Groupe de Recherches sur l’Afrique Antique (GRAA). À une époque où, dans nos disciplines en tout cas, personne n’en parlait encore, ils venaient d’imaginer tout ce que l’interdisciplinarité pourrait apporter à l’étude de l’Afrique romaine. Le premier travail du GRAA, consacré à l’étude de poèmes d’époque vandale, fut publiée dans Antiquités africaines en 1985. Ce fut le début pour le GRAA d’un succès et d’une réputation durables, tant au niveau national qu’international. Il y eut ensuite en 1993 le volume sur les Flauii de Cillium, qui entra cette fois dans la prestigieuse collection de l’École française de Rome, puis deux volumes sur des textes hagiographiques, celui sur Les miracles de saint Étienne (2006) et celui sur la Passio sanctae Salsae (2015) et deux anthologies commentées de poèmes épigraphiques d’Afrique romaine, édités par Christine Hamdoune (2010 et 2016).

4La participation de Georges à chacun de ces volumes a toujours été fondamentale, alors même qu’il était à l’époque à la retraite, mais jamais il n’a fait défaut au GRAA, qui était un vrai groupe interdisciplinaire, élaborant en commun édition, traduction et commentaire des textes, ce qui explique le temps que prenaient ses recherches : avant d’adopter une leçon ou une traduction, il fallait en effet batailler pour convaincre les autres. Malgré les inévitables disputes que cet exercice provoquait, spécialement entre Georges et son vieil ami Jean-Noël Michaud, tout cela se faisait en partageant, dans la gaieté, une égale passion et une vraie amitié.

5Pour le dernier travail du GRAA consacré à un recueil de sermons africains que la recherche a longtemps considéré comme un recueil donatiste, issu donc de cette Église dissidente d’Afrique du Nord, le rôle de Georges a été plus que jamais crucial. L’idée de travailler sur ces sermons avait été suggérée par Sabine Fialon. Mais ces sermons avaient fini par lasser plusieurs membres de notre groupe. Nous avions même un moment abandonné le travail. Ce furent Georges et Jean-Noël qui proposèrent de finir quand même le recueil en nous répartissant les sermons qui restaient à traduire selon une méthode qui n’était pas la nôtre. Cette fois, ils avaient suggéré de confier un ou plusieurs sermons à un traducteur et un réviseur et de ne discuter en groupe que les points de désaccord entre les deux. Du coup nous avons pu finir d’autant plus vite que Jean-Noël et Georges, qui n’était pourtant pas très emballé par la rhétorique de notre prédicateur, en ont pris plus que leur part. C’est ainsi que le travail a pu être achevé et publié chez Brepols. Malgré tous les travaux savants destinés à prouver l’origine donatiste de ce recueil, Georges était toujours resté très sceptique et répétait volontiers : « Il n’y a rien de donatiste là-dedans ! ». Lors des journées d’études sur ces sermons, organisées en 2019 à Montpellier par le GRAA à la mémoire de Jean-Noël Michaud et de Christine Hamdoune, Georges, malgré ses 92 ans, était présent. Nous y avions invité une des plus grandes spécialistes du donatisme, l’historienne romaine Elena Zocca. Jamais je n’oublierai le sourire de Georges et la satisfaction, bien méritée, que j’ai vu briller dans ses yeux lorsqu’elle a conclu sa communication par ces mots : « Si l’auteur de ce recueil est donatiste, il a dû subir une lobotomie ».

6Le GRAA a été une chance unique pour chacun de ses membres, car c’était une merveilleuse école de formation continue. On s’y amusait beaucoup, mais on y apprenait beaucoup aussi. Sans Georges Devallet, sans son humour, sa culture, son érudition, son sens unique des textes latins et de la traduction, ce groupe de recherches sur l’Afrique antique n’aurait jamais été ce qu’il a été.

Bibliographie africaine de Georges Devallet

1979

7Silius Italicus, La Guerre punique, T. I : livres I-IV, Texte établi et traduit par G. Devallet et P. Miniconi, Paris (Collection des Universités de France).

1981

8Silius Italicus, La Guerre punique, T. II : livres V-VIII, Texte établi et traduit par G. Devallet, P. Miniconi, J. Volpihac-Lenthéric, Paris (Collection des Universités de France).

1984

9Silius Italicus, La Guerre punique, T. III : livres IX-XIII, Texte établi et traduit par G. Devallet, P. Miniconi, J. Volpihac-Lenthéric, Paris (Collection des Universités de France).

10« Un thème guerrier de l’épopée antique : la bataille des remparts », Pallas 31, p. 5-28.
https://www.persee.fr/​doc/​palla_0031-0387_1984_num_31_1_1144

1985

11GRAA, « Memorabile factum. Une célébration de l’évergétisme des rois Vandales dans l’Anthologie latine », AntAfr 21, p. 207-262.
https://www.persee.fr/​doc/​antaf_0066-4871_1985_num_21_1_1116

1987

12« Tite-Live et les “morts parallèles” : Hannibal, Cicéron », dans Lalies 5, Sessions de linguistique et de littérature d’Aussois, Paris, p. 255-264.

1990

13« Jules Lemaître en marge de l’Énéide », dans R. Martin (éd.), Énée et Didon : naissance, fonctionnement et survie d’un mythe, Paris, p. 148-156.

1992

14Silius Italicus, La Guerre punique, T. IV : livres XIV-XVII, Texte établi et traduit par G. Devallet, M. Martin, Paris (Collection des Universités de France).

15« La description du bouclier d’Hannibal chez Silius Italicus (Pun., II, 395-456) : histoire et axiologie », dans M. Woronoff (éd.), L’univers épique : rencontres avec l’Antiquité Classique, II, Besançon, p. 189-199
https://www.persee.fr/​doc/​ista_0000-0000_1992_act_460_1_2589

1993

16« Nitentes consensus lapidum : l’architecture du poème et celle du monument », dans GRAA, Les Flavii de Cillium. Étude architecturale, épigraphique, historique et littéraire du mausolée de Kasserine, Rome (CEFR 169), p. 169-189.
https://www.persee.fr/​doc/​efr_0000-0000_1993_arc_169_1

1996

17« Perfidia plus quam punica : l’image des Carthaginois dans la littérature latine, de la fin de la République à l’époque des Flaviens », dans Lalies 16, Sessions de linguistique et de littérature d’Aussois, Paris, p. 17-28.

2001

18« “Anne, ma sœur Anne !” ou les avatars des deux Anna dans la mythologie des Romains », dans Chr. Hamdoune (éd.), Vbique amici. Mélanges offerts à Jean-Marie Lassère, Montpellier, p. 403-416.

2006

19Les miracles de saint Étienne. Recherches sur le recueil pseudo-augustinien (BHL 7860-7861) avec édition critique, traduction et commentaire, J. Meyers (éd.), Turnhout (Hagiologia, 5).

20« Thème et structure du récit », ibid., p. 163-170.

2008

21« L’analyse littéraire au secours de l’épigraphie, un exemple dans trois carmina funéraires », dans F. Bejaoui (éd.), Actes du Ve Colloque international sur l’histoire des steppes tunisiennes. Sbeïtla 2006, Tunis, p. 195-204.

2010

22GRAA, Vie, mort et poésie dans l’Afrique romaine avec un choix de poèmes funéraires édités et commentés, Chr. Hamdoune (éd.), Bruxelles (Coll. Latomus, 330).

2015

23La Passio sanctae Salsae. Recherches sur une passion tardive d’Afrique du Nord. Avec une nouvelle édition critique d’A. M. Piredda et une traduction annotée du GRAA, S. Fialon, J. Meyers (éd.), Bordeaux (Scripta Antiqua, 72).
https://www.academia.edu/​100377574

24« Le caché et le révélé : des Miracles de saint Étienne à la Passion de sainte Salsa », ibid., p. 75-82.

2016

25« Exegi monumentum aere perennius (Horace, Odes, 3, 30, 1). Le poème et le monument », dans Chr. Hamdoune (éd.), Parure monumentale et paysage dans la poésie épigraphique de l’Afrique romaine. Recueil de carmina latina epigraphica, Bordeaux (Scripta Antiqua, 85), p. 35-40.
https://www.academia.edu/​101117856

2024

26Les sermons du manuscrit de Vienne (ÖNB Ms lat. 4147). Interrogations sur leur unité, leur datation et leur origine avec une nouvelle édition critique et une traduction annotée des vingt-deux sermons Leroy par le GRAA, J. Meyers (éd.), Turnhout, (Instrumenta patristica et mediaevalia, 95).

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Meyers, « In memoriam
Georges Devallet (1927-2024) »
Antiquités africaines, 60 | 2024, 5-7.

Référence électronique

Jean Meyers, « In memoriam
Georges Devallet (1927-2024) »
Antiquités africaines [En ligne], 60 | 2024, mis en ligne le 30 novembre 2024, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/antafr/6935 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12qu6

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