1La ville romaine de Thaenae subit dans l’Antiquité tardive une transformation spectaculaire de son paysage urbain. En effet, à une date que cet article se propose de préciser, elle se dote d’une enceinte dont le périmètre est plus étendu que celui de la ville du Haut-Empire, englobant ainsi une partie des nécropoles et des ateliers artisanaux suburbains. Ce cas de figure est assez exceptionnel pour l’ensemble de la Méditerranée occidentale où les remparts tardifs réduisent généralement l’espace urbain et laissent en dehors la cité des morts. Dès lors, il convient de se demander si l’édification de ce mur d’enceinte répond simplement à des considérations sécuritaires et/ou si les conditions politiques générales ou le développement économique de la ville de Thaenae et plus largement de la région de Byzacène méridionale peuvent expliquer cette extension du tissu urbain et sa monumentalisation. L’analyse de l’évolution du paysage de la ville antique de Thaenae prend ainsi une valeur paradigmatique pour l’étude du développement urbain et économique de l’Afrique dans l’Antiquité tardive.
- 1 Guérin 1862, p. 177 : « (…) on distingue les traces d’un mur très-épais et très-bien construit, q (...)
- 2 Tissot 1888, p. 190 : « Le périmètre de la ville proprement dite, encore dessiné par les restes d (...)
- 3 Thirion 1958, p. 209.
- 4 Le doute subsiste sur le nombre de portes qui donnaient sur la mer, au sud, car le rempart est pe (...)
- 5 Picard 1946-1949, p. 305-306.
2Nombreux, depuis Victor Guérin1 et Charles Tissot2, ont été les visiteurs du site impressionnés par le caractère monumental des vestiges de ce rempart. « C’est cet ensemble imposant d’architecture militaire qui frappe le plus lorsqu’on arrive sur le site de Thina »3. De fait, bien que presque complètement arasé, le mur d’enceinte de Thaenae est aujourd’hui encore parfaitement lisible sur les images satellitaires, tout comme sur le terrain (fig. 1). Large de 2,00 m en moyenne, soigneusement construit, il se développe sur près de 3,7 km de longueur, avec un tracé irrégulier, rectiligne uniquement sur sa face nord-est, doté de 84 tours semi-circulaires saillantes régulièrement espacées (tous les quarante mètres environ), délimitant un espace intra-muros d’environ 80 ha. Trois ou quatre portes sont signalées selon les auteurs4 mais seulement deux sont encore visibles : la porte dite de Taparura au nord-est et la porte dite de Tacape au nord-ouest. Sommairement dégagé en 1947-19485, ce rempart reste encore à étudier en détail.
Fig. 1 : Thaenae. Plan du site et tracé du rempart
(relevé INP/DAO R. Rêve)
- 6 Poinssot 1936, p. 35.
- 7 Schulten 1909, p. 205.
- 8 D’après A. Carrée (1969, p. 67).
- 9 Carrée 1969, p. 67 : « La tour orientale de la porte de Taparura est construite sur les restes d’ (...)
- 10 Bonifay 2004, p. 33.
3La datation de ce mur a été longtemps controversée. Louis Poinssot avait suggéré de le placer à l’époque byzantine6, tandis qu’Adolf Schulten le pensait construit au iiie ou ive s. pour protéger la ville contre les « raids berbères »7 et que Mohamed Fendri l’attribuait au ive s. pour les mêmes raisons8. Deux arguments cependant permettaient d’orienter la chronologie, le premier reposant sur les nécropoles et le second sur les ateliers d’amphores. On constatait tout d’abord que cette enceinte avait été construite aux dépens de la nécropole nord, indiquant, selon certains auteurs9, une date postérieure au milieu du iiie s. Ensuite, les prospections menées sur le site avaient permis de distinguer deux catégories d’ateliers d’amphores : d’après la typologie, les premiers, situés à l’intérieur des murs, cessent de fonctionner dans la deuxième moitié du iiie s., tandis que les seconds, à l’extérieur des murs, sont actifs au ive s.10. Ces deux arguments semblaient donc imposer une fourchette comprise entre la deuxième moitié du iiie s. et le milieu du ive s. comme hypothèse de travail.
4C’est cette problématique de la datation du rempart et de son lien avec les nécropoles et les ateliers d’amphores qui a motivé la localisation des recherches entreprises en 2017. Le choix s’est porté sur la porte nord-ouest, dite de Tacape, où il était possible de mettre en relation plusieurs éléments déjà partiellement dégagés : la porte elle-même, flanquée de ses deux tours, un tronçon de courtine compris entre la porte et la première tour située au nord-est de cette dernière, et un enclos funéraire avec un mausolée et plusieurs tombes à caisson, auxquels s’ajoutaient les traces visibles en surface de deux ateliers d’amphores.
5Le terrain concerné par ces recherches prend grossièrement la forme d’un triangle rectangle dont la base serait constituée par le tracé de la voie est-ouest débouchant par la porte de Tacape, son hypoténuse par le tronçon de courtine courant entre cette porte et la première tour vers l’est du rempart, et sa hauteur par une limite conventionnelle nord-sud reliant la face est de cette tour à la voie. Deux monticules cendreux jonchés de tessons (tells F1 et F20), correspondant probablement à des ateliers d’amphores, se dressent hors de ces limites, à l’est et au sud-est (fig. 2).
Fig. 2 : Thaenae. Plan de masse des zones étudiées
(V. Dumas, CNRS-CCJ)
6Quatre secteurs de fouille ont été délimités sur ce terrain, dans deux zones différentes, l’une à l’extrémité ouest (secteur 1) et l’autre au nord-est (secteurs 2, 3 et 4) :
- 11 Picard 1946-1949, p. 306 ; Mokni 2022.
7– Le secteur 1 (fig. 3) occupe l’emplacement de la porte de Tacape, avec un sondage transversal de 7,30 m sur 5,40 m destiné à appréhender l’architecture de la porte et la stratigraphie des niveaux de circulation. Ce secteur a été perturbé par les dégagements anciens qui ont mis au jour puis redressé les deux pierres de seuil dont l’une remploie une inscription honorifique de la fin du iie s., anciennement signalée et récemment publiée11.
Fig. 3 : Thaenae. Secteur 1 : porte de Tacape, vue depuis l’extérieur, vers le sud-est
(cliché L. Damelet, CNRS-CCJ, 2021)
8– Les secteurs 2, 3 et 4 (fig. 4), situés à l’angle nord-est du terrain de recherche, constituent un transect long de 28 m, prenant en écharpe le rempart selon un axe sud-nord :
Fig. 4 : Thaenae. Secteur 2, 3, 4 : rempart et tour 1, enclos funéraire à l’arrière, vue depuis l’extérieur, vers le sud
(cliché L. Damelet, CNRS-CCJ, 2021)
9– Au sud, le secteur 2A est délimité par les quatre murs d’un enclos funéraire de 10,30 m sur 8,40 m, anciennement dégagé, dont l’espace principal, ouvert, abrite un mausolée et des tombes maçonnées.
10– Le secteur 2B (6,90 m × 6,30 m) relie le mur nord de cet enclos funéraire à la face interne du rempart et de sa tour 1.
11– Le secteur 3 (5,30 m × 5,20 m) prolonge le secteur 2B vers le nord, à l’extérieur du rempart et de la tour.
12– Le secteur 4 correspond à l’intérieur de la tour 1.
13– Enfin, mentionnons pour mémoire le sondage 2C, implanté à l’angle sud-est de l’enclos funéraire, à l’extérieur de ce dernier, qui a fait l’objet d’une seule campagne (en 2019).
14Alors même que les fouilles dans certains secteurs ne sont pas achevées, il nous a semblé utile de présenter les premiers acquis de cette recherche. Nous insisterons dans cet article sur la stratigraphie du rempart et de la tour 1 (secteurs 2, 3 et 4) qui permet de proposer une date pour la construction du rempart, puis nous exposerons brièvement les résultats obtenus sur la porte de Tacape (secteur 1), avant de nous interroger sur son élévation architecturale et sur les raisons de son édification.
(NB, SdL, SM, MS, MB)
15Ce transect stratigraphique coupe le rempart à l’emplacement de la première tour située au nord-est de la tour nord de la porte de Tacape. La section de courtine reliant ces deux tours, de plan légèrement courbe, large de 2,07 m et longue de 52 m, a été nettoyée en 2022 des déblais de fouille du milieu du xxe s. qui oblitéraient encore par endroit son tracé. Des consolidations d’urgence ont été réalisées par l’INP dans l’attente d’un programme de restauration concerté (fig. 5).
Fig. 5 : Thaenae. Vue générale du rempart entre la tour 1 et la porte de Tacape.
(cliché S. de Larminat, 2022)
16L’observation de ce mur à l’emplacement des secteurs 2B, 3 et 4 montre que la fondation a été coulée en tranchée perdue (un doute subsiste pour la face interne du mur sud de la tour 1), en superposant plusieurs lits de pierres noyées dans le mortier (fig. 6). Au-dessus du ressaut de fondation, qui, selon les endroits, déborde de 15 à 35 cm de part et d’autre de l’élévation, la construction utilise des petits moellons de calcaire gréseux aux contours relativement irréguliers (en moyenne 10 à 30 cm de long pour 10 cm de haut). Les joints, lorsque ceux-ci sont conservés, sont soigneusement talochés (fig. 7) ; ce détail s’observe en particulier sur la partie de l’élévation interne du rempart (2B) qui a été ennoyée rapidement par les remblais de construction de la période 2.1 (voir infra). Enfin, le parement externe de la courtine présente les traces lacunaires d’un enduit de chaux très solide, de couleur blanc-jaunâtre, bien visible à 1,20 m à l’ouest de la tour, sur 4 m de longueur (fig. 8).
Fig. 6 : Thaenae. Secteur 3. Fondations et semelle de la tour 1, face externe
(cliché M. Bonifay, 2021)
Fig. 7 : Thaenae. Secteur 2B. Vue du parement intérieur du rempart
(cliché M. Zaatour, A. Abdelawi, 2022)
Fig. 8 : Thaenae. Secteur 3. Traces d’enduit sur le parement extérieur du rempart
(cliché M. Bonifay, 2022)
17La tour, de plan semi-circulaire (fig. 9), d’un diamètre externe de 6 m, se projette de 2,50 m en avant de ce dernier et d’1,50 m vers l’arrière en formant un talon rectiligne en décrochement par rapport au parement intérieur de la courtine. On ne distingue aucune rupture de maçonnerie ni à la jonction de la tour avec les tronçons de courtine, ni au contact du mur intérieur. Contrairement aux deux tours qui flanquent la porte de Tacape, aucune ouverture n’est ménagée dans ce mur arrière. L’espace interne (fig. 10) adopte un plan grossièrement triangulaire, à extrémité arrondie, qui, dans un premier temps, est resté vide de tout comblement (voir infra, période 2.2).
Fig. 9 : Thaenae. Secteur 3. Extérieur de la tour 1 et du rempart
(cliché M. Mauger, 2018)
Fig. 10 : Thaenae. Secteur 4. Intérieur de la tour 1
(cliché L. Damelet, CNRS-CCJ, 2021)
18L’examen des vestiges de ce rempart est révélateur du soin apporté à sa construction, visible dans le choix des matériaux et leur mise en œuvre tout autant que dans la régularité de son plan, caractères que l’on observe également dans le secteur de la porte (voir infra, sections 4 ; 5.1).
(NB, MB, RH, MMg)
- 12 de Larminat et alii 2023, p. 199, fig. 7b et c.
19À 6 m en arrière de ce rempart, les vestiges d’un enclos funéraire (secteur 2A) (fig. 11) ont été mis au jour concomitamment au dégagement du mur d’enceinte, en 1947. Délimité par des murs de 2 m de haut, il est constitué de trois parties : l’espace A abrite un mausolée composé d’une rotonde munie de huit niches séparées par des demi-colonnes stuquées et reposant sur un socle de plan carré, autour duquel sont visibles onze tombes à caisson ; l’espace B est muni d’un sol bétonné qui couvre une citerne ; enfin, l’espace C, clos par des murs, dont l’un est muni d’une fenêtre et l’autre d’une porte, correspond à un espace couvert, peut-être par un toit-terrasse. Ce monument funéraire, antérieur au rempart et par la suite englobé dans l’espace urbain par ce dernier, est en cours d’étude12.
(SdL, SC)
Fig. 11 : Thaenae. Vue générale vers le sud de l’enclos funéraire
(cliché L. Damelet, CNRS-CCJ, 2021)
- 13 Menées en collaboration avec Pierre-Etienne Mathé (Aix Marseille Univ, CNRS, IRD, INRAE, CEREGE, (...)
- 14 Par Rémi Rêve, dans le cadre d’une thèse en cotutelle internationale entre l’Université de Sfax e (...)
20On mentionnera enfin les traces d’ateliers de potiers situés en dehors de la zone fouillée et dont les vestiges sont matérialisés par deux tells. Le tell F1, situé à l’intérieur du périmètre du mur tardif, à environ 120 m au sud-est de la porte de Tacape (fig. 12), se présente sous la forme d’un monticule cendreux d’environ 1 000 m2, jonché de tessons de céramiques, parmi lesquels des rebuts de cuisson d’amphores de type Africaine I B. Les prospections géophysiques13 ont révélé la présence de structures circulaires pouvant correspondre à des fours. Le tell F20 est également englobé par le rempart tardif, à 10 m au nord du précédent. Comme ce dernier, il apparaît sous la forme d’un monticule d’assez grande taille (environ 900 m2). Il est cependant de nature moins cendreuse et avec moins de mobilier que le tell F1. Parmi les rebuts de cuisson, domine la céramique architecturale (briques et tubes de voûte). Avec ces deux tells nous sommes probablement en présence, avec plus de certitude pour F1 que pour F20, de vestiges d’ateliers de potiers actifs au iiie s. Ils sont également en cours d’étude14.
(RR)
Fig. 12 : Thaenae. Ateliers d’amphores, vue du tell F1
(cliché R. Rêve, 2019)
- 15 En distinguant autant que possible les données brutes (en petits caractères) de leur interprétati (...)
21La synthèse des observations réalisées dans les secteurs de fouille 2B, 3 et 4 permet de regrouper la stratigraphie en six périodes (fig. 22) que nous présenterons dans leur succession chronologique15.
22Les niveaux les plus anciens atteints par la fouille correspondent aux sols d’utilisation de la nécropole (phase 1) et à leur colmatage (phase 2).
23Phase 1 : sols d’utilisation de la nécropole
À l’issue de la campagne 2022, le niveau d’utilisation de la nécropole a été atteint à l’extérieur du rempart et sous la tour 1 (secteurs 3, 4 et pas encore dans le 2B). Il se compose d’une stratification compacte, sur à peine plus de 10 cm d’épaisseur, de plusieurs sols argileux de couleur grise (3025, 3026, 3027, 3208, 3030, 4041), jonchés de tessons et d’objets complets en céramique. Ces sols sont en contact avec trois tombes à caisson, deux parfaitement conservées, l’une (3032) dans le secteur 3 (établie à partir du sol 3029), l’autre (4039) dans le secteur 4 (cette dernière enrobée de manière très spectaculaire dans la fondation de la tour 1) (fig. 13) et une troisième attenante (4040), très arasée. Le mobilier recueilli sur ces sols se compose de céramique sigillée C (un plat Hayes 50A complet au contact de la tombe 4039), de céramique culinaire (un couvercle Hayes 196 complet dans le secteur 3), de fragments de lampes et de céramique commune, dont une grande jatte présentant des restes de chaux à l’intérieur.
24Ces vestiges apportent la preuve que la construction du rempart s’est faite aux dépens de la nécropole septentrionale. À l’extérieur du rempart, le sol le plus récent (3025) de l’espace funéraire culmine à la cote -245, c’est-à-dire à seulement 10 cm en contrebas du sol en béton de tuileau de l’espace C de l’enclos funéraire (secteur 2A), situé 12 m plus au sud, ce qui indique vraisemblablement une utilisation synchrone des espaces funéraires, du sud au nord. Cette nécropole frappe par son bon état de conservation (fig. 13) : enduits intacts des tombes à caisson 3032 et 4039, céramiques complètes sur les sols 3030 et 4041, à côté des tessons d’un vase ayant peut-être servi à (ré)enduire la tombe 3032. L’ensemble de ce mobilier date de la seconde moitié du iiie s. (voir infra, section 3.2.1).
Fig. 13 : Thaenae. Période 1, phase 1 (secteur 4, tombe 4039)
(cliché S. de Larminat, 2022)
25Phase 2 : colmatage de la nécropole
Les sols de la phase 1 et les tombes à caisson sont entièrement recouverts par une couche d’argile compacte (3013 = 3017 = 4037) épaisse de 50 à 60 cm, de couleur marron verdâtre, pratiquement sans mobilier inclus. Ainsi, dans le secteur 3, on a dénombré moins d’une cinquantaine de petits tessons pour près de 3 m3 de sédiments, au sein desquels figure toutefois un bol en céramique sigillée C (Hayes 44), émietté par la pression de l’argile mais complet. La surface de cette couche d’argile est surmontée par une couche de pierres et de gravats, de couleur orangée, qui a été reconnue dans les trois secteurs (3006 = 3011, 4029, 2078).
- 16 Expertise préliminaire réalisée lors de la campagne 2022 par M. Mohamed Kamoun (GEOGLOB, Universi (...)
26La bonne conservation des niveaux de la phase 1 en incombe à une épaisse couche d’argile compacte (fig. 14) qui, en se déposant, a scellé la nécropole dans son état de la deuxième moitié du iiie s. Sous réserve d’un complément d’expertise géomorphologique à venir, cette couche, presque stérile en mobilier archéologique, présente toutes les caractéristiques d’un dépôt d’origine naturelle16. On pourrait penser, à titre d’hypothèse de travail, aux effets d’une crue de l’oued Agareb qui débouche au nord-est de la ville. Le bol Hayes 44 complet en sigillée africaine C, datable du iiie s., retrouvé à mi-hauteur du comblement, pourrait provenir de la nécropole, après avoir été emporté par cette coulée. On ignore si les gravats en surface de l’argile ont été ou non volontairement déposés pour assainir le terrain mais, dans tous les cas, c’est à partir de cette couche, à la cote -160/-170, que le rempart va être construit.
Fig. 14 : Thaenae. Période 1, phase 2. Vue en coupe de la couche d’argile à l’extérieur de la tour 1 (secteur 3, apport naturel 3013 = 3017)
(cliché M. Bonifay, 2021)
27Il semble que la construction du rempart ait eu lieu en deux temps : édification de la tour et de la courtine (phase 1), puis comblement de la tour (phase 2).
28Phase 1 : construction de la tour 1 et de la courtine
Dans les secteurs 3 et 4, le niveau de construction du rempart est marqué par la semelle de fondation débordante qui coupe la couche de gravats orangée (3006 = 3011 = 4029 = 2078) déjà mentionnée. En effet, comme indiqué plus haut (à l’exception peut-être d’une partie du mur sud de la tour), les fondations du rempart ont été réalisées en tranchée perdue. La fouille de la couche d’argile de la période 1.2 permet cependant d’observer ces fondations, constituées de lits superposés de pierres et de mortier jetés dans la tranchée. À 1,00 m de profondeur (à partir de la semelle débordante), la base de ces fondations n’est toujours pas atteinte.
Dans le secteur 2B, en revanche, on observe une épaisse stratification liée à la construction du rempart. Le niveau le plus profond fouillé laisse apparaître un affleurement de la couche de gravats orangée (2078), à la même cote qu’à l’extérieur du rempart et dans la tour 1, et une série de sols tassés, de composition argilo-sableuse (2087 = 2093, 2077, 2066), portant des traces de foyers et des aménagements sommaires (grande pierre posée à plat). Prenant appui sur ce dernier sol, une succession de couches sableuses et de couches argileuses (2068, 2075, 2076, 2079), certaines en tous points comparables à la couche d’argile qui enserre les tombes de la période 1.2, s’adosse en talus contre le mur nord de l’enclos funéraire, ne laissant subsister qu’une étroite bande horizontale de sol le long de la fondation du rempart. Enfin, sur la pente nord de ce talus se déposent de nouvelles couches argilo-sableuses en fort pendage sud-nord (2058, 2060, 2063) qui finissent de colmater l’espace et rattrapent le niveau supérieur du talus. Le matériel le plus récent récolté dans ces couches de déblais et de remblais est composé de tessons de sigillée africaine C/E où la forme Hayes 58A est représentée de manière presque exclusive, ainsi que de quelques fragments d’amphores africaines Keay 25.1 et de lampes de tradition antique à anse pleine.
- 17 Soit, reporté sur les 3 700 m de son développement, un minimum de 11 100 m3 de déblais.
29La construction du rempart de Thaenae a nécessité le creusement d’une imposante tranchée de fondation large de plus de 2,00 m, générant au minimum 2 à 3 m3 de déblais par mètre linéaire, sans doute en réalité une fois et demie ou deux fois plus17. Si l’on en juge par la stratigraphie, ces déblais ont été, en partie au moins, étalés à l’intérieur de la ville et piétinés au cours du chantier (2068, 2075, 2076, 2079) (fig. 15). L’ensemble de ces couches contient d’une part des éléments visiblement arrachés à la nécropole sous-jacente par le creusement de la tranchée (briques, enduits peints, lampe complète, céramiques communes enduites de chaux), d’autre part de nombreux déchets de taille, liés à la construction du rempart. Le matériel céramique le plus tardif pourrait dater du premier tiers du ive s. (voir infra, section 3.2.2).
Fig. 15 : Thaenae. Période 2, phase 1
Sol de construction du rempart et talus de déblais de la tranchée de fondation du côté interne (secteur 2B, sol 2066 et remblais 2048).
(cliché R. Hamdi, M. Bonifay, 2021)
30Phase 2 : comblement de la tour
L’interface (état 2A) entre le niveau de fondation du rempart (couche de gravats orangée 4007 = 4029) et le comblement supérieur de la tour (4003-4006 = 4013) est marquée par deux abondants dépôts de faune (4027 = 4028 puis 4009, 4017, 4018) séparés par un ensemble de couches sableuses de faible épaisseur (4014 = 4016, 4024, 4021 = 4022, 4023 = 4025). Leur fouille s’est révélée extrêmement spectaculaire, avec des espèces variées (équidés, suidés, caprinés, canidés et même poisson)18, pour la plupart fragmentaires mais présentant de nombreuses connexions anatomiques. Cette interface est recouverte par une mince couche argileuse (4015 = 4020).
Le comblement supérieur de la tour (état 2B) est constitué d’un remblai homogène argilo-sableux beige clair (4003-4006 = 4013), sans trace évidente de pendage des couches pouvant indiquer le sens du comblement, épais de près de 2,00 m, contenant de nombreuses pierres, fragments de céramiques architecturales et tessons de poterie. Ces derniers comprennent des résidus (datables entre l’époque punique et le iiie s. apr. J.-C.), auxquels s’ajoutent des éléments attribuables au ive s. (sigillée C/E Hayes 58A et C3 Hayes 53A).
- 19 L’observation du bâti permet toutefois d’écarter l’hypothèse d’une postériorité de construction d (...)
31Ces données de fouille semblent indiquer que la tour 1 n’a pas été immédiatement remblayée après sa construction. La présence de carcasses d’animaux abandonnées sur le sol de fondation (fig. 16) et le dépôt de couches sableuses, peut-être issues de l’érosion éolienne, pourraient laisser penser à un certain décalage chronologique19, également attesté dans le matériel contenu dans ce remblai (fig. 17) : milieu du ive s. au plus tôt alors que les céramiques retrouvées dans les niveaux de fondation du rempart (phase 1) permettent difficilement de dépasser le premier tiers du ive s. (voir infra, section 3.2.2).
Fig. 16 : Thaenae. Période 2, état 2A.
Dépôt de restes fauniques dans la tour 1 (secteur 4, dépôts 4027 et 4028).
(cliché E. Ben Azouz, M. Arnaud, 2021)
Fig. 17 : Thaenae. Période 2, état 2B
Remblai dans la tour 1 (secteur 4, remblai 4003-4006).
(cliché N. Belmabrouk, T. Mukaï, 2018)
32Postérieurement à la construction du rempart, la stratigraphie est clairement différenciée de part et d’autre de ce dernier.
33Intra-muros
À l’intérieur du rempart, l’espace compris entre ce dernier et l’enclos funéraire est occupé, sur 20 à 35 cm d’épaisseur, par une succession de sols de circulation à dominante sableuse, assez réguliers et horizontaux (2050, 2047, 2044, 2041) mais peu organiques et pauvres en mobilier : sigillée africaine C/E et E, céramique culinaire, fragments de lampes.
34Ainsi, postérieurement à la construction du rempart, l’espace compris entre ce dernier et l’enclos funéraire, libre de toute nouvelle construction, ne témoigne d’aucune activité particulière. Les sols successifs de circulation (fig. 18) ne semblent pas intensément fréquentés. Le matériel recueilli sur ces sols de passage ne paraît pas dépasser la fin du ive ou le début du ve s. (voir infra, section 3.2.3).
Fig. 18 : Thaenae. Période 3, intra-muros entre le rempart et le secteur funéraire (secteur 2B, sols 2041 et 2044)
(cliché R. Hamdi, M. Bonifay, 2019)
35Extra-muros
Au nord du rempart, on n’observe pas d’apport significatif de sédiments. En revanche, l’activité humaine s’y signale par des creusements. On a cru tout d’abord reconnaître la présence d’un chenal (3021) de dimensions modestes (30 cm de profondeur pour 1,00 m de large), longeant le rempart à 50 cm en avant de la tour 1. La position stratigraphique de ce creusement, comblé de couches limoneuses, n’est toutefois pas tout à fait claire. Ce sont ensuite et surtout des tombes, aménagées dans des fosses orientées est-ouest. Quatre d’entre elles (ex. : fig. 19, tombe 3) ont été fouillées, deux en pleine terre (3016 = T 1 et 3019 = T 2), deux autres protégées par des fragments d’amphores de type Keay 25 (3034 = T 3 et 3056 = T 4). Elles ont livré des squelettes d’enfants ou de jeunes adultes. Un mobilier relativement abondant a été recueilli dans ces creusements et sur les sols de fréquentation de la nécropole, comprenant toujours des sigillées C/E de type Hayes 58A, associées à des culinaires B de type Hayes 181D et des amphores d’importation méditerranéenne.
36Contrairement à ce qui a été observé à l’intérieur du rempart, l’exhaussement des sols est faible à l’extérieur de l’enceinte. Les traces d’occupation, pour la plupart en négatif, répondent à deux préoccupations : le drainage du terrain et la fonction funéraire renouvelée de ces terrains extra-muros, marquée par des sépultures nombreuses mais modestes (fig. 19). Le mobilier, toutefois plus abondant que dans la partie intra-muros, s’échelonne des décennies centrales à la fin du ive s., voire même au début du siècle suivant (voir infra, section 3.2.3).
Fig. 19 : Thaenae. Période 3, extra-muros, tombe 3, milieu du ive s. – début du ve s. (secteur 3).
(cliché S. de Larminat, 2022)
37La fin de l’occupation antique se présente de manière différente à l’intérieur et à l’extérieur des murs.
Intra-muros
Dans le secteur 2B, les sols de la période 3 sont recouverts par une couche charbonneuse (2040) surmontée par une succession de couches de gravats en pendage sud-nord (2026 = 2038) puis à nouveau par une couche charbonneuse (2032).
38Ces traces de combustion, peut-être liées à un ou des incendie(s) (fig. 20), et ce dépôt de gravats scellent les niveaux de circulation à l’intérieur des murs. L’induration et l’oxydation de la couche de gravats laissent penser qu’elle a pu rester longtemps à l’air libre. Il semble que son origine soit à rechercher du côté de l’enclos funéraire, vraisemblablement le mur nord sur lequel elle s’appuie, la taille des pierres convenant mieux en outre à cet édifice qu’au rempart. Le niveau charbonneux sous-jacent (2040) pourrait fournir un élément chronologique intéressant (hypothèse à confirmer) : un fragment de sigillée africaine de type Hayes 104A qui, si cette attribution est exacte, indique une datation dans la première moitié du vie siècle. Le reste du mobilier date de la première moitié du ve s. (voir infra, section 3.2.4). Ces tessons (ve ou vie s. : à préciser à l’avenir) ont valeur de terminus post quem pour la destruction et les traces de feu qui marquent la fin de l’occupation de ce secteur (voir infra, section 3.2.4).
Fig. 20 : Thaenae. Période 4, intra-muros, couche 2040 d’incendie (?) (secteur 2B)
(cliché R. Hamdi, M. Bonifay, 2019)
Extra-muros
Le sol de la nécropole est tout d’abord recouvert de manière lacunaire par une couche cendreuse (3006) puis, tout aussi partiellement, par une couche limoneuse et pierreuse (3007). Enfin, une couche d’argile brune compacte de 40 à 50 cm d’épaisseur (3004) se dépose cette fois uniformément sur l’ensemble du secteur.
39Ces importants apports de sédiments marquent la fin de l’occupation antique hors les murs. La couche cendreuse 3006 est le dernier témoin d’activité anthropique. On hésite toutefois à établir une correspondance entre cette couche et celles charbonneuses du secteur 2B. Les couches 3007 et plus encore 3004 sont plus probablement des apports naturels. En particulier, la couche d’argile 3004, tout à fait comparable à celle qui avait scellé la nécropole de la période 1 à la fin du iiie s., témoigne peut-être d’un nouvel épisode d’apport fluviatile massif et soudain. Rien, au sein du matériel recueilli dans ces couches, ne permet de dépasser la fin du ive s. ou le début du ve s. (voir infra, section 3.2.4).
La destruction de l’élévation supérieure du rempart est bien marquée par des couches de pierres en double pendage vers le sud et vers le nord, de part et d’autre du mur (2029 et 3003). La stratigraphie se clôt avec des apports naturels sableux (2024 et 3002) qui recouvrent l’ensemble des structures et leurs couches de destruction.
40Il est impossible de déterminer le moment initial et la durée de cette phase de destruction (fig. 21) (voir infra, section 3.2.5). Elle n’est pas antérieure au ve s. ou au vie s. (période 4) et a pu être motivée par la récupération de matériaux au Moyen Âge, parallèlement à la construction de la médina de Sfax.
Fig. 21 : Thaenae. Période 5, extra-muros, couche de démolition du rempart (3003), vue vers l’ouest (secteur 3)
(cliché M. Mauger, 2018)
41Enfin, la dernière phase correspond aux découvertes mais aussi aux perturbations apportées par les excavations archéologiques entreprises à partir du milieu du xxe siècle.
La plus importante d’entre elles a consisté dans le creusement d’une tranchée de fouille large d’environ un mètre de part et d’autre du rempart (négatifs 2030 et 3001) jusqu’au niveau du ressaut de fondation. Dans le secteur 2B, cette tranchée a vu par la suite sa berme sud s’effondrer (négatif 2035), sans doute en raison d’une trop longue exposition aux intempéries. Cet événement a entraîné une importante perturbation de la stratigraphie à la suite de la chute des pierres (US 2023) de la couche de destruction du rempart au fond de la tranchée de fouille. Un petit sondage (négatif 2032, visible sur la fig. 20) a été entrepris dans les années 1990 entre l’enclos funéraire et le rempart.
(NB, MB, SdL, MA, EBA, SC, OH, RH, MMg, TM)
- 20 Elles sont conservées dans les locaux de l’Inspection régional de l’INP à Sfax, dans le plateau n(...)
42Vingt-trois monnaies ont été découvertes entre 2018 et 202220. Les fouilles n’ont livré que des espèces mal conservées, en cuivre ou en alliage cuivreux, très frustes, de facture souvent médiocre. Du fait de la salinité du sol, elles portent des marques de corrosion avancée et de cristallisation. On observe souvent à leur surface des inclusions de sable ainsi que des traces difficiles à déterminer mais qui peuvent être interprétées avec beaucoup de prudence comme des restes organiques.
43Elles ont toutes été prises en photographie haute définition après un nettoyage sommaire à la brosse et à l’eau déminéralisée. Compte tenu de leur degré prononcé de corrosion, il n’a pas été possible ni nécessaire d’entreprendre une campagne de restauration, sauf pour trois d’entre elles. Pour autant, comme cela est précisé plus loin, ces pièces frustres demeurent exploitables puisque leur module ainsi que leur masse les rattachent dans leur écrasante majorité à des espèces émises entre le dernier tiers du iiie s. et le ve s. inclus.
- 21 On ne tient pas compte dans cet inventaire des monnaies trouvées hors stratigraphie. Manquent éga (...)
44Le tableau 1 recense les monnaies découvertes dans les secteurs 2B-3-421.
Tabl. 1 : Transect stratigraphique sur le rempart
Inventaire des monnaies (télécharger le tableau au format .docx).
(A. Hostein)
Fig. 22 : Thaenae. Coupe stratigraphique (secteurs 2B-3-4) : a) détaillée ; b) périodisée
(dessin Solenn de Larminat)
45Le sol le plus récent (3025) a livré une des deux monnaies les plus « lourdes » (5,01 g) mises au jour dans les secteurs fouillés depuis 2018. En raison de sa masse, de son épaisseur et de son diamètre, il s’agit probablement d’un semis du Haut-Empire très corrodé, ou éventuellement d’une pièce plus ancienne (par exemple un bronze numide ou carthaginois).
46La monnaie no 21 provient des remblais de construction du rempart. Sa datation demeure difficile à préciser. Deux hypothèses doivent être envisagées compte tenu de sa masse et de son module : ou bien il s’agit d’une imitation radiée de la fin du iiie s., ou bien d’un Aes 4 de la fin du ive s. Un nummus léger frappé entre 336 et 348 au 1/192e de livre (1,68 g) n’est pas non plus à exclure, bien que cela paraisse peu probable. Seule l’association avec la céramique peut éventuellement permettre de trancher. Cette dernière fait plutôt pencher pour la première hypothèse (datation de la fin du iiie s.). Le même problème se pose avec la monnaie no 6 de l’US 1048 (voir infra, section 4).
2A : interface
47Pesant c. 2,40 g pour un diamètre de c. 16,9 mm, la monnaie de l’US 4029 (cat. no 23) peut correspondre, avec beaucoup d’incertitude, au module et poids d’une espèce frappée dans les années 330-336 (un nummus des années 330-336 taillé au 1/192e de livre) ou dans le troisième quart du ive s. (un Aes 3 au type Fel Temp Reparat, dont le poids théorique est de 2,7 g).
2B : remblai
48Sur les six monnaies de l’US 4003, deux (cat. nos 12 et 15) peuvent correspondre en raison de leurs poids et modules à des Aes 4 de la fin du ive s. (ou éventuellement à des imitations radiées de la fin du iiie s. ), tandis que les quatre autres, légèrement plus lourdes (entre c. 1,90 et 3 g), peuvent être rattachées à du numéraire produit durant le ive s. (nummi des années 330, Aes 3).
Intra-muros
49Les monnaies nos 18 et 20, dont le poids est de c. 1,5 et 2 g, peuvent correspondre à du numéraire frappé durant l’ensemble du ive s. à compter des années 330. En tenant compte de la perte de masse due à la corrosion, il peut s’agir de nummi légers des années 336-348 taillés au 1/192e de livre ou d’Aes 4 plus tardifs (cat. no 18), ou de monnaies de la deuxième moitié du ive s. (Aes 3 léger d’époque valentinienne pour la pièce no 20). La prudence doit être de mise et seule la confrontation avec les datations proposées par les céramologues peut permettre de préciser la chronologie au cas par cas.
Extra-muros
50La monnaie, d’un poids de 4 g, peut correspondre à une pièce usée originellement taillée au 1/72e de la livre (poids théorique : 4,5 g). Avec la prudence de rigueur, on peut identifier cette pièce comme étant un nummus constantinien des années 310-313 ou bien un Aes 2 léger frappé dans les années 350-360.
Extra-muros
51Ces deux monnaies, très corrodées, peuvent éventuellement correspondre à du numéraire frappé au 1/120e ou 1/132e livre (poids théorique : 2,70 à 2,40 g), c’est-à-dire à des nummi des années 330-336 ou à des Aes 3 légers émis dans les années 350-360.
52Compte tenu de l’état des pièces, on ne peut dater avec aucune d’entre elles avec précision la construction de l’enceinte de Thaenae, même si la production de ce numéraire date principalement de la fin du iiie s. jusqu’au ve s. Il faudrait disposer de nouvelles monnaies identifiables et bien datées dans des US associées aux niveaux de fondation de l’enceinte pour apporter des éclairages plus précis. Il convient donc de se contenter de propositions hypothétiques fondées en particulier sur les monnaies nos 6 et 7 du catalogue. La no 21, rattachée à la période 2, phase 1 de construction du rempart, semble être une imitation radiée produite à la fin du iiie s., tout comme les pièces nos 6 et 7 de la porte de Tacape (secteur 1) (voir infra, section 4).
(AH, SBH)
53L’étude du mobilier céramique, en cours, apporte un certain nombre d’éléments de datation (tableaux 2A-C).
Tabl. 2A : Transect stratigraphique sur le rempart
Assemblages de céramiques. En gras, les objets cités en catalogue (télécharger le tableau au format .docx).
(R. Rêve, M. Bonifay)
Tabl. 2B : Transect stratigraphique sur le rempart
Assemblages de céramiques. En gras, les objets cités en catalogue (télécharger le tableau au format .docx).
(R. Rêve, M. Bonifay)
Tabl. 2C : Transect stratigraphique sur le rempart
Assemblages de céramiques (télécharger le tableau au format .docx).
(R. Rêve, M. Bonifay)
Phase 1 : deuxième moitié ou fin du iiie s.
- 22 Hayes 1972, p. 67, 69 et 73.
- 23 Bonifay 2004, p. 227 : proche de l’exemplaire no 8, provenant de l’épave d’Héliopolis 1, datée de (...)
- 24 L. Anselmino dans Atlante I, 1981, p. 189.
- 25 Ainsi à Pupput : Bonifay et alii 2004, p. 22.
- 26 Bezeczky 2021, fig. 2, type Ephesus 2.
54Au sein de ce mobilier, parfaitement en place sur les sols de la nécropole, la vaisselle sigillée africaine est uniquement représentée par la catégorie C, avec des formes classiques du milieu et de la deuxième moitié du iiie s., encore présentes au début du ive s.22 : Hayes 48, 49 (1) et 50A (2). Le no 2 était déposé au pied de la tombe 4039. La céramique culinaire, avec une variante tardive, à bord épaissi, de la coupe/couvercle Hayes 196 (3), pourrait inciter à choisir plutôt la partie basse (fin du iiie s. ?) de cette fourchette chronologique23. La lampe no 5, en céramique commune, semble inspirée du type Atlante I en sigillée africaine, également daté de la deuxième moitié du iiie s. et du tout début du ive s.24. Ces vaisselles sont associées, comme souvent en milieu funéraire25, à des amphores vinaires MRA 3 importées de la région d’Éphèse26. Enfin, on notera la présence de deux vases en céramique commune (4 et US 3030) portant des traces de chaux à l’intérieur, peut-être destinés à l’entretien des tombes à caisson (fig. 23).
Catalogue (fig. 23) :
1 : sigillée africaine C, plat Hayes 49, bord ; pâte rouge fine, engobe rouge (Inv. 3027.2).
2 : sigillée africaine C, plat Hayes 50A, complet ; pâte orange fine, engobe rouge orangé int./ext., usé (Inv. 4038.1).
3 : céramique culinaire africaine CB, coupe-couvercle Hayes 196, complète ; pâte brun orangé, surface orangée (Inv. 3030.1).
4 : céramique commune africaine, bol, bord et fond (reconstitution graphique) ; pâte et surface oranges, épais dépôt de chaux à l’intérieur (Inv. 3025.1 = 3027.1).
5 : lampe africaine, proche du type Atlante I, graphiquement complète (11 fragments) ; pâte beige, engobe brun-rouge ; anse forée, bec noirci par l’utilisation (Inv. 3025.2).
Fig. 23 : Transect stratigraphique sur le rempart. Céramiques. Période 1
(dessins et clichés R. Rêve, M. Bonifay)
Phase 2 : fin du iiie s. (?)
55Ce contexte ne présente aucune évolution par rapport au précédent. Le seul objet complet, un bol Hayes 44 en sigillée africaine C (1), datable du iiie s.27, provient probablement du même contexte funéraire, charrié par la couche d’argile 3017 (fig. 23).
Catalogue (fig. 23) :
1 : sigillée africaine C, bol Hayes 44, variante Salomonson C10a, graphiquement complet ; pâte rouge fine, engobe rouge (Inv. 3017.1).
Phase 1 : premier tiers du ive s. (?)
- 28 Ennabli 1970-1973, p. 107-108, pl. XXIX-XXX.
- 29 Atlante I 1981 p. 118.
- 30 Bonifay 2004, p. 214.
- 31 Bonifay 2004, p. 239 : proche de l’exemplaire no 5 (Nabeul, début du ive s.).
- 32 Reynolds 2021, p. 329-332, fig. 22, exemplaire d (Athènes, Agora, première moitié ive s.).
- 33 Bonifay 2004, p. 351.
56Dans les remblais de construction déposés du côté intérieur du rempart, on distingue une part importante d’éléments résiduels des iie et iiie s. (amphore Africaine II D, parois fines, sigillée A, sigillée C), qui correspondent sans doute aux bouleversements de la nécropole de la période 1 lors de l’édification du mur. Le contexte 2073, mentionné ci-dessous pour mémoire, est bien significatif à cet égard, de même que la lampe complète no 9, datable de la seconde moitié du iiie s.28 : prise dans de la chaux, elle paraît avoir été arrachée à une structure bâtie, peut-être funéraire. Cependant, dans la plupart des contextes, des éléments plus tardifs semblent pouvoir être considérés comme contemporains de la construction elle-même. On note tout d’abord l’apparition du type Hayes 58A en sigillée C/E (3-4) qui va demeurer omniprésent dans la suite de la stratigraphie. Ce type est daté des trois premiers quarts du ive s.29. Il est associé à d’autres formes en sigillée C/E (5) et en sigillée dite « continentale » (6), de chronologie similaire ou plus ancienne. L’absence de formes de sigillées africaines plus tardives pourrait ainsi inviter à une datation précoce dans le ive s., peut-être pas postérieure au premier tiers du siècle. Le reste du mobilier paraît bien attribuable à la première moitié du ive s. : céramique culinaire B Hayes 181 C/D (7)30, culinaire africaine CR type Sidi Jdidi 4 (8)31, ou au ive s. en général : amphore orientale Agora M234 (1)32, originaire du Péloponnèse, amphore africaine Keay 25.1 (2), peut-être de production locale, lampe africaine tardive Deneauve IX B (10)33 (fig. 24).
Fig. 24 : Transect stratigraphique sur le rempart. Céramiques. Période 2
(dessins et clichés R. Rêve et M. Bonifay)
Catalogue (fig. 24) :
1 : amphore orientale, type Agora M235, bord ; pâte beige compacte (Inv. 2091.2).
2 : amphore africaine, type Keay 25.1, bord ; pâte brune, surface ext. grise, int. brune (2090.3).
3 : sigillée africaine C/E, plat Hayes 58A, bord et fond ; pâte brun-rouge, engobe rouge mat int./ext. (Inv. 2061.1).
4 : sigillée africaine C/E, plat Hayes 58A, bord ; pâte brun-rouge, engobe rouge mat int./ext. (Inv. 2054.2).
5 : sigillée africaine C/E, plat Hayes 48, bord ; pâte brun-rouge, engobe rouge mat int./ext. (Inv. 2063.1).
6 : sigillée africaine « continentale », plat Stern Ia, bord ; pâte beige orangé compacte, engobe rouge orangé brillant int./ext. (Inv. 2054.1).
7 : céramique culinaire africaine B, type Hayes 181C/D, bord ; pâte orange, engobe orange lustré int., bande grise ext. (Inv. 2087.2)
8 : céramique culinaire africaine CR, marmite Sidi Jdidi 4, bord ; pâte et surface brun-gris (Inv. 2056.1).
9 : lampe africaine type Ennabli 15, complète ; disque pris dans un amas de chaux ; pâte beige jaunâtre, sans engobe ; anse forée (Inv. 2073.1).
10 : lampe africaine tardive, type Deneauve IX B ; pâte beige, surface beige-gris (Inv. 2085.7).
Phase 2A : première moitié du ive s. (intérieur de la tour 1)
57Le matériel recueilli parmi les dépôts de restes fauniques, qui constituent l’interface entre la construction de la tour 1 et le remblaiement de son noyau interne, est peu abondant. La lampe africaine tardive no 1, dérivée du type Deneauve VIII, à anse pleine, mise au jour dans le dépôt le plus ancien, s’accorde parfaitement avec un contexte de la première moitié du ive s. (fig. 24).
Catalogue (fig. 24) :
1 : lampe africaine tardive, type Deneauve VIII ; décor de festons sur le bandeau et Diane chasseresse à gauche sur le disque ; pâte beige, traces d’engobe beige orangé ; anse pleine, bec noirci par l’utilisation (Inv. 4027.1).
Phase 2B : milieu – deuxième moitié du ive s. (?)
- 34 Mackensen 2019, p. 214, fig. 101-102 et p. 193, pl. 82, no 172.
- 35 Hayes 1972, p. 82 ; Atlante I 1981, p. 159 ; Mackensen 2019, p. 326, no 184.
58Le remblai homogène de comblement de la tour 1 (la distinction des US 4003 à 4006 étant purement « technique ») a livré un abondant mobilier. Ce matériel étant très fragmenté, il y a fort à parier que l’ensemble des tessons étaient déjà contenus dans la terre choisie pour colmater cet espace. Ces derniers comptent de nombreux résidus, les plus anciens constitués par des céramiques à vernis noir et des amphores d’Italie du Sud, mais on note également une bonne représentation de la sigillée africaine A/D de la première moitié du iiie s. (1). À première vue, le matériel le plus récent, associant des amphores de type Keay 25.1 et des sigillées africaines C/E de type Hayes 58A (3-5), ne se différencie pas de celui des remblais de construction de la phase 1. Cependant, un bord de sigillée africaine C3 de type Hayes 53A (2) pourrait apporter une date plus tardive : même si des variantes précoces de cette forme ont été récemment mises en évidence et datées du deuxième quart du ive s. sur des bases stylistiques34, le no 2, avec un décor plus classique, paraît difficilement antérieur aux décennies centrales du ive s.35 (fig. 24). Cette chronologie relativement avancée dans le ive s. entre en conformité avec les critères très relatifs ‒ mais intrinsèques ‒ de datation apportés par les monnaies 10-11 et 13-14 (à confirmer avec de nouvelles découvertes ; voir supra).
Catalogue (fig. 24) :
1 : sigillée africaine A/D, plat Hayes 32, bord ; pâte orange, engobe orange mat, épais (Inv. 4003.63).
- 36 Cf. Mackensen 2019, pl. 202, no 184, a.
2 : sigillée africaine C3, bol Hayes 53A, bord ; décor d’applique fragmentaire : extrémité de la queue d’un lion (?)36 ; pâte orange fine, engobe rouge orangé, mat (Inv. 4003.66).
3 : sigillée africaine C3, plat Hayes 58A, bord ; pâte beige orangé, engobe orange-rouge écaillé (Inv. 4003.37).
4 : sigillée africaine C/E, plat Hayes 58A, bord ; pâte beige orangé, engobe orange-rouge écaillé (Inv. 4003.67).
5 : sigillée africaine C/E, plat Hayes 58A, bord ; pâte beige orangé, engobe orange-rouge satiné (Inv. 4003.68).
Intra-muros : ive s.
- 37 Atlante I 1981, p. 118.
59Le matériel recueilli sur les sols de circulation intra-muros de la période 3 est peu abondant. Le contexte 2049, pris en exemple ci-dessous, ne présente pas d’évolution notable par rapport au faciès de la période 2. La proportion de résidus reste importante et la forme Hayes 58A en sigillée C/E constitue toujours le principal élément de datation, ne permettant pas de dépasser le troisième quart du ive s.37 (fig. 25).
Fig. 25 : Transect stratigraphique sur le rempart. Céramiques. Périodes 3 et 4
(dessins et clichés R. Rêve et M. Bonifay)
Extra-muros : milieu du ive s. – début du ve s. ?
- 38 Stern 1968, tabl. V, type Id ; Hayes 1972, p. 303, fig. 58, a ; Mukaï et alii 2016, p. 181-182, f (...)
- 39 Bonifay 2004, p. 214.
- 40 Voir note 13.
- 41 Bonifay, Capelli et alii 2013, p. 115, fig. 25.
- 42 Majcherek 1995, p. 166-168, fig. 5.1 (Alexandrie, contexte 375-400).
60L’essentiel de l’activité de la période 3 se concentre hors les murs, en lien avec la fonction funéraire de cet espace. Le type Hayes 58A en sigillée africaine C/E (4-5) reste ici encore le principal fossile directeur pour une datation dans le ive s. ; il est associé à des productions des ateliers dits « continentaux », avec des variantes tardives du type Stern I (6), de même chronologie38. Les variantes tardives C/D et D du plat Hayes 181 en sigillée culinaire B (7-9) indiquent clairement le milieu et la seconde moitié du ive s., voire même le début du ve s.39. Enfin, les lampes sont toutes du type africain tardif, à anse pleine et sans engobe, de type Deneauve VII et VIII.4 (11-12), caractéristiques du ive s. Au sein des amphores, on distingue tout d’abord celles utilisées pour l’aménagement des tombes 3 et 4, qui appartiennent au type Keay 25.1 (3), typique du ive s., avec une forte probabilité de production locale40. Elles sont associées à des conteneurs vinaires d’importation méditerranéenne : amphore sicilienne, avec la variante 3 du type MRA1a (1), bien datée du ive s.41, et amphore orientale de Gaza, avec une variante précoce du type LRA 4a (2), dont la chronologie, principalement ive s., peut déborder sur les premières décennies du ve s.42 (fig. 25).
Catalogue (fig. 25) :
1 : amphore sicilienne, type MRA 1a, var. 3, bord ; pâte orangée, surface beige (Inv. 3049.7).
2 : amphore orientale, type LRA 4a précoce, variante Majcherek 2, bord ; pâte et surface marron (Inv. 3049.6).
3 : amphore africaine, type Keay 25.1, fond ; pâte beige orangé, surface grise ; production de Thaenae probable (Inv. 3034.1).
4 : sigillée africaine C/E, type Hayes 58A, bord ; pâte orange, fine, engobe rouge orangé int./ext. (Inv. 3052.4).
5 : sigillée africaine C/E, type Hayes 58A, bord ; pâte brun orangé, fine, engobe rouge int./ext., surface brûlée (Inv. 3052.5).
6 : sigillée africaine continentale, type Stern I, bord ; pâte orange, engobe orange vif int./ext. (Inv. 3033.1).
7 : culinaire africaine B, type Hayes 181C/D, bord ; pâte orange, engobe orange lustré int., ext. gris (Inv. 3033.3).
8 : culinaire africaine B, type Hayes 181D, bord ; pâte orange, engobe orange lustré int., ext. brun (Inv. 3033.4).
9 : culinaire africaine B, type Hayes 181D, bord ; pâte orange, engobe orange lustré int., ext. brun (Inv. 3049.1).
10 : culinaire africaine CB, type Hayes 183, bord ; pâte beige orangé, surface beige orangé int., grise ext. (Inv. 3052.9).
11 : lampe africaine tardive, type Deneauve VII ou VIII, anse ; pâte beige ; anse pleine (Inv. 3049.4).
12 : lampe africaine tardive, type Deneauve VIII.4, bandeau ; pâte beige, surface grise (surcuit ?) (Inv. 3052.11).
61La faible quantité de mobilier recueillie dans les ultimes niveaux de fréquentation ne facilite pas la datation de cette période 4.
Intra-muros : terminus post quem de la première moitié du ve s.
62La couche charbonneuse 2040 a livré les tessons les plus tardifs de la stratigraphie. Aux côtés d’éléments clairement résiduels, comme le no 1 (sigillée africaine A/D), on remarque ainsi un bord de sigillée africaine E Hayes 70 (2) de la première moitié du ve s. et un bord de culinaire B Hayes 181D à paroi très haute (4), qui pourrait lui être contemporain. En revanche, l’attribution du no 3 à la sigillée D2 et au type Hayes 104, qui permettrait de repousser la chronologie dans la première moitié du vie s., n’est pas sûre. On s’en tiendra donc, pour la fin de l’occupation dans ce secteur, à un terminus post quem de la première moitié du ve s. (fig. 25).
Catalogue (fig. 25) :
1 : sigillée africaine A/D, type Hayes 32 ou 33, bord ; pâte et engobe orange (Inv. 2040.1).
2 : sigillée africaine E, type Hayes 70, bord ; pâte beige orangé, engobe rouge (Inv. 2040.2).
3 : sigillée africaine D2 (?), type Hayes 104 (?), fond ; pâte brun orangé, engobe rouge épais int. (Inv. 2040.3).
4 : culinaire africaine B, type Hayes 181D, bord ; pâte orange, engobe orange lustré int., ext. gris (Inv. 2040.4).
Extra muros : terminus post quem de la fin du ive s. – début du ve s.
63Le matériel recueilli extra-muros, encore plus pauvre que celui de la partie intra-muros, ne présente guère d’évolution par rapport à celui de la période précédente. Les deux éléments les plus tardifs : une forme Stern I en sigillée continentale (1) et une culinaire africaine B Hayes 181 D (2) peuvent dater tout aussi bien de la deuxième moitié du ive s.que du début du ve s.
Catalogue (fig. 25) :
1 : sigillée africaine continentale, type Hayes 1972, fig. 58, a, bord ; pâte orange, engobe orange (Inv. 3006.1).
2 : culinaire africaine B, type Hayes 181 D, bord ; pâte orange, engobe rouge lustré int., ext. gris (Inv. 3007.1).
64Mentionné ici pour mémoire, le rare mobilier recueilli dans les couches de destruction du rempart n’est d’aucun secours pour dater ces dernières. Comme on le voit dans le tableau 2C, il s’agit uniquement de tessons résiduels des iie-ive s.
(RR, TM, MB)
- 43 CIRAM, Technopole Bordeaux-Montesquieu. https://www.ciram-lab.com.
- 44 Les protéines de collagène du prélèvement THN 3 n’étant pas suffisamment bien conservées pour per (...)
65Trois échantillons, un fragment d’os long (THN 1), un charbon de bois (THN 2) et une dent de cheval (THN 3), prélevés respectivement dans les US 4028 (THN 1 et 2) et 4009 (THN 3) de la période 2, phase 2A, au sein des amas de faune déposés à l’intérieur de la tour 1 vraisemblablement peu de temps après la construction de celle-ci, ont été soumis à des datations radiocarbone auprès du laboratoire CIRAM43. Seuls les échantillons THN 2 et 344 se sont révélés exploitables ; ils fournissent des résultats similaires.
66Les datations obtenues remontent à l’Antiquité et comportent deux intervalles chronologiques : le premier compris entre le deuxième quart du iie s. et le milieu du iiie s. (124-248 et 130-255), le second au tout début du ive s. (299-304 et 285-325) (fig. 26 et 27a,b). Rappelons qu’en dépit des pourcentages de distribution de probabilités, aucun intervalle ne peut à priori être écarté. En l’occurrence, les indications fournies par les monnaies et la céramique seraient de nature à conforter la datation suggérée par le second intervalle, c’est-à-dire le début du ive s.
Fig. 26 : Datation radiocarbone. Échantillons THN 2 et 3
Représentation graphique de l’ensemble des distributions de probabilité des datations obtenues.
Fig. 27a : Datation radiocarbone a) échantillon THN 2 ; b) échantillon THN 3
Fig. 27b : Datation radiocarbone b) échantillon THN 3
La mesure (en rouge), exprimée sous la forme d’une gaussienne, est interpolée avec la courbe de calibration bleue, dans le but de corriger l’âge conventionnel. On obtient alors une distribution a posteriori des résultats (en gris), divisée en un ou plusieurs intervalles. Chacun d’entre eux représente une partie de la distribution à deux sigmas. L’événement daté peut se retrouver dans n’importe quel intervalle.
(PR, MB)
67En vue d’étudier l’architecture de la porte de Tacape et l’évolution de la voie grâce à la fouille de ses niveaux de circulation, le sondage a été implanté transversalement dans l’ouverture de la porte, à l’emplacement de fouilles anciennes.
- 45 Picard 1946-1949, p. 305-306.
- 46 Sous la direction de Mme Nabiha Jeddi (INP).
- 47 Mokni 2022.
68Ces dernières, menées en 1947-194845 puis en 199046, avaient permis de mettre au jour la base des deux tours qui flanquent la porte (voir infra, section 5.2), ainsi que deux blocs parallélépipédiques en calcaire coquillier utilisés dans le seuil. Redressés par les fouilleurs, l’un de ces blocs s’était révélé porteur d’une inscription. De fait, tous les deux faisaient partie, à l’origine, d’un même ensemble, la base d’une statue équestre dédiée à Aemilius Pudens, fils de Quintus (AE, 1949, 38). L’inscription rappelle la carrière de ce notable. Après avoir géré cinq centurionats légionnaires successifs, il est admis dans le comitatus de Commode puis obtient une charge municipale, le duumvirat. Le texte rappelle également qu’Aemilius Pudens est le frère du chevalier Aemilius Laetus, préfet du prétoire sous Commode47. Cette inscription, originellement installée dans un espace public central, peut-être sur le forum de la ville, dont l’emplacement reste aujourd’hui inconnu, a été gravée sous le règne de Commode (180-192). Brisée en deux et retaillée, elle a été utilisée en remploi plusieurs décennies après son élévation, au moment de la mise en place du rempart.
69À l’issue des deux campagnes de fouilles menées dans ce secteur en 2018 et 2019, il apparaît que les fouilleurs du xxe s. ont, comme ailleurs à Thaenae, creusé de grandes tranchées pour suivre les murs du rempart de la ville (période 6). Ils ont également creusé une grande fosse (1026, comblée par 1025) au centre de la porte afin de relever et lire l’inscription gravée sur la base de la statue d'Aemilius Pudens. Il semble enfin que ces fouilles ont entamé les niveaux de circulation de part et d’autre de cette fosse, plus profondément encore du côté est (intérieur des murs) que du côté ouest (fig. 28).
Fig. 28 : Thaenae. Vue de la porte de Tacape (secteur 1) en cours de fouille
(cliché A. Quevedo, 2018)
70La stratigraphie se répartit schématiquement comme indiqué sur le tableau 3 et la fig. 29.
Fig. 29 : Thaenae. Passage de la porte de Tacape (secteur 1). Coupe stratigraphique ouest-est
(cliché M. Mazzei, 2019)
Tabl. 3 : Porte de Tacape
Stratigraphie de la voie et indices chronologiques (télécharger le tableau au format .docx).
(M. Mazzei)
Tabl. 4 : Porte de Tacape
Inventaire des monnaies (télécharger le tableau au format .docx).
(A. Hostein)
71Les deux monnaies de l’US 1048 forment un lot cohérent. Il s’agit de numéraires très légères, antoninien de Claude II (non officiel) et imitation radiée, produites dans les années 270-280 (?), dont la circulation a pu continuer jusqu’à l’époque tétrarchique (fig. 30).
Fig. 30 : Thaenae. Monnaie no 7 : antoninien de l’empereur Claude II ? [14,64 mm, 2,18 g], officiel ou imité (émission du vivant du prince ou posthume au type du Divo Claudio ?)
(cliché S. Ben Hmouda)
72Seule monnaie de bronze épaisse et lourde découverte sur le site, cette pièce peut éventuellement être identifiée comme un as frappé sous le Haut-Empire.
73Il est très difficile dans ce secteur de déterminer le niveau de fondation du rempart car les fouilles anciennes ont généralement rompu les connexions stratigraphiques avec les murs. Un lambeau de contact des sédiments avec la tour sud de la porte semble toutefois indiquer que le sol 1048 est antérieur (ou concomitant) à la construction du rempart. De fait l’US 1048 présente certaines analogies de composition et de couleur avec la couche de pierres et de gravats, de couleur orangée, qui a été interprétée comme précédant immédiatement la construction du rempart dans les secteurs 2-3-4 (3006 = 3011 ; 4029 ; 2078). Dans ce cas, 1020 pourrait être le premier sol contemporain de la porte.
74Les monnaies et le matériel céramique recueillis pourraient confirmer ces données de chronologie relative. Tandis qu’il est difficile de faire dépasser la deuxième moitié du iiie s. aux deux sols les plus anciens (1058 = 1054 et 1049) (fig. 31), les deux sols les plus récents (1048 et 1020) peuvent être situés à la transition des iiie et ive s. On notera toutefois l’absence du type Hayes 58 en sigillée C/E qui constitue le marqueur des niveaux de construction du rempart dans les secteurs 2B-3-4.
(MMz, SM, AQ, MS)
Fig. 31 : Thaenae. Porte de Tacape (Secteur 1). Sol 1058
(cliché M. Mazzei, 2019)
75La stratigraphie des secteurs 2B, 3 et 4 et les observations réalisées dans le secteur 1 de la porte de Tacape mettent en évidence un certain nombre d’événements qu’il est intéressant de chercher à contextualiser en tenant compte des maigres connaissances disponibles sur le site de Thaenae.
76Espace funéraire antérieur à la construction du rempart
- 48 Barrier, Benson 1908 ; Fortier, Malahar 1910.
- 49 Voir de Larminat et alii 2023 sur le « mausolée Fendri » et Foy, Zaibi 2023 sur les verres du mus (...)
La fenêtre ouverte à l’extérieur du rempart et à l’intérieur de la tour 1 (secteurs 3 et 4) sur la nécropole septentrionale de Thaenae, première fouille stratigraphique dans un secteur exploré jadis avec les méthodes et les connaissances de l'époque48, semble indiquer que ces espaces funéraires sont encore fréquentés dans la seconde moitié du iiie s. Cette chronologie tranche sur la datation des objets retrouvés dans les fouilles du début et milieu du xxe s., qui ne paraissent guère dépasser le premier tiers du iiie s.49. De même, la reprise de l’étude de l’enclos funéraire tend à prouver que cet espace est déjà partiellement abandonné au milieu du iiie s.Cette datation ressort des éléments céramiques (céramique culinaire A Hayes 197 et B Hayes 181 B/C) mis au jour dans le comblement de la citerne de l’espace B du secteur 2A. De même, le dépotoir découvert dans le secteur 2C (fig. 2) qui s’appuie sur le mur sud de l’enclos en oblitérant les espaces funéraires extérieurs, a livré un abondant mobilier du milieu du iiie s. (amphore Africaine II A, sigillée africaine A/D Hayes 18 et 27/31, culinaire A Hayes 197, lampe Deneauve VIII.1). Il y a là un décalage chronologique que les recherches futures devront s’employer à expliquer, infirmer ou confirmer.
77Colmatage de la nécropole
- 50 Jeddi 2009. Voir dans de Larminat et alii 2023, p. 194, fig. 1.
- 51 Barrier, Benson 1908, pl. VI, 1 ; Fortier, Malahar 1910, pl. XXI ; Jeddi 2009, p. 114, carte no 1 (...)
Un des apports majeurs de la fouille du secteur 3 est la mise en évidence du colmatage de la nécropole par une couche compacte de limon argileux d’apport vraisemblablement naturel. Le dépôt soudain (?) de cette couche à la fin du iiie s. ou au début du ive s. explique probablement l’exceptionnel état de conservation de cet espace funéraire, tel qu’on peut le voir actuellement dans les secteurs 3 et 4 et tel qu’il apparaissait au début du xxe s. sur les cartes postales de la nécropole septentrionale de Thaenae50. Les coupes de terrain visibles sur ces vues anciennes semblent en effet montrer la même nature de sédiment, compact et craquelé51. Une première expertise géomorphologique (voir supra, 2.2, période 1.2, et note 16) ne contredit pas l’hypothèse de travail d’une coulée de boue procédant de la crue soudaine de l’oued Agareb débouchant au nord-est de la ville. Cette hypothèse mériterait cependant d’être vérifiée par des études géomorphologiques plus précises et si possible datée au radiocarbone.
78Construction du rempart urbain
Le croisement des données stratigraphiques, numismatiques, céramologiques et archéométriques réunies au cours des quatre brèves campagnes menées entre 2017 et 2022 permet, avec beaucoup de prudence, de proposer un terminus post quem pour la construction du rempart de Thaenae dans la première moitié du ive s. En cherchant à préciser cette date, on peut vraisemblablement exclure la fin du iiie s. car le faciès céramique caractéristique du ive s. est déjà bien installé dans les niveaux immédiatement antérieurs à la construction. En revanche, il est peu probable qu’il faille repousser la datation dans les décennies centrales du siècle, cette chronologie tardive pouvant être réservée au seul comblement de la tour 1, qui, d’après la stratigraphie, semble intervenir dans un second temps. Dans l’état actuel des recherches, nous proposons de situer le début de l’édification du rempart de Thaenae à la charnière du premier et du deuxième quart du ive s., sans qu’il soit possible d’exclure que sa construction se soit poursuivie sur plusieurs décennies (ce que pourraient indiquer les deux temps de la stratigraphie de la tour 1) ou même qu’elle n’ait pas été totalement achevée. Nous revenons plus bas sur les raisons qui ont pu motiver la mise en œuvre de cet ambitieux projet architectural.
79La voie
Dans l’état actuel des recherches, nous restons mal renseignés sur la voie est-ouest qui emprunte la porte de Tacape, alors même que son tracé est bien visible sur les photographies comme sur le terrain, sans doute en raison de dégagements anciens qui n’ont cependant laissé aucune trace dans les archives. Les fouilles menées depuis 2018 dans l’ouverture de la porte ont permis de retrouver des sols successifs de passage, sans revêtement autre qu’une surface caillouteuse, qui semblent tous, sauf le plus récent, antérieurs à la construction du rempart. La présence d’un seuil en pierre de taille (réutilisant l’inscription dédiée à Aemilius Pudens) pourrait toutefois laisser penser qu’un dallage a pu exister, tout au moins du côté interne. L’exploration de cette voie fait partie des objectifs d’une poursuite éventuelle des recherches dans ce secteur.
80Espace funéraire postérieur à la construction du rempart
- 52 Barrier, Benson 1908, p. 27, 47. de Larminat et alii 2023, période 2, p. 164.
La fouille a mis en évidence la faible fréquentation des espaces intra-muros et le déplacement de la fonction funéraire des lieux à l’extérieur des murs. Toutefois, l’aspect de la nécropole change totalement, les tombes maçonnées à caisson étant désormais remplacées par de modestes sépultures en pleine terre, sans mobilier. Ces tombes tardives, difficiles à fouiller et peu spectaculaires, avaient été brièvement mentionnées dans un autre secteur lors de travaux antérieurs mais sans report sur des plans52. C’est donc un apport important des recherches actuelles de pouvoir les étudier avec plus de minutie.
81Ateliers d’amphores
Un déplacement à l’extérieur des murs s’observe pareillement pour les activités artisanales. Les travaux de prospection des ateliers d’amphores menés en marge du programme de fouille53 ont permis de confirmer que les ateliers englobés par le rempart cessent de fonctionner à la fin du iiie s. C’est le cas des tells 1 et 20 qui ne produisent pas d’amphores postérieures au type Africaine I B daté du iiie s. En revanche, les ateliers situés à l’extérieur du rempart au nord et au sud-ouest de la porte de Tacape, peut-être déjà actifs au iiie s. (type Africaine I B), poursuivent leur production au ive s. (type Keay 25.1).
82Fin de l’occupation antique
- 54 Carrée 1969, p. 70-71 ; Baratte et alii 2014.
- 55 Mesnage 1912, p. 160-161.
- 56 Bendall 1988.
- 57 Thèse de doctorat en cours par Héla Mabrouk, dans le cadre du programme tuniso-français Partenari (...)
Enfin, la datation des derniers niveaux d’occupation, qui ne semblent pas postérieurs à la première moitié du ve s., n’est pas étonnante dans cette zone relativement périphérique mais elle confirme l’impression d’ensemble d’un déclin de la ville à partir de la fin du ive s. En effet, le matériel céramique présent en surface du site est principalement composé de sigillées africaines C/E et E, alors que les éléments plus tardifs sont extrêmement rares. Certes, la ville est toujours occupée durant les époques vandale et byzantine : près du phare ont peut-être été repérés les vestiges d’une basilique chrétienne54 et la ville compte des évêques jusqu’au milieu du viie s.55. Simon Bendall a publié en 1988 un dépôt de 77 pièces d’argent byzantines émises à Carthage entre Heraclius et Constantin IV56. Ce trésor fragmentaire, composé d’environ 150 pièces (et certainement davantage), aurait été mis au jour et acheté dans des conditions obscures près de Thyna ou bien à Sfax même. Dans l’hypothèse où la provenance indiquée dans l’article serait exacte, ce dépôt confirmerait un maintien des activités économiques de la ville de Thaenae dans les dernières décennies de la domination byzantine. Mais à cette période, le principal pôle commercial semble s’être déplacé dans la cité voisine de Iunci dont le port est très actif aux ve-viie s.57.
(NB, SdL, SM, MS, MB, RR)
83La restitution tridimensionnelle du rempart est en cours de réalisation et elle a débuté par la porte de Tacape. Pour cela, il a fallu étudier la porte en plan (fig. 32) puis en élévation (fig. 33) pour parvenir à la représenter avec toutes ses caractéristiques, à bonne échelle, et percevoir les problèmes d’espace que poserait la mise au point de l’image définitive.
Fig. 32 : Thaenae. Secteur 1 : porte de Tacape, ortho-image
(image L. Damelet, V. Dumas)
84La première étape a ainsi été l’analyse du plan de la porte au niveau du sol (fig. 32). Il apparaît que les tours sont particulièrement étroites avec une largeur de 5-6 m. Chaque tour est pourvue d'une porte qui donne accès à une petite pièce (3,60 m de profondeur et de largeur maximale) dans laquelle on ne voit, à ce stade du dégagement, aucune trace d’escalier en maçonnerie. L’espace de ces pièces est donc réduit surtout si on imagine la présence d’un escalier en bois. Il pouvait cependant s’y tenir des gardes ou des contrôleurs. Une autre possibilité est un accès à la courtine par l’extérieur mais pour le moment, aucune trace d’escaliers n'a été observée. Au revers du mur de la tour sud, le décrochement de plus d’un mètre pourrait permettre l’installation d’un tel escalier mais il est peu vraisemblable qu’un dispositif extérieur comme celui-ci ait été en bois. En revanche il est certain qu’il fallait pouvoir monter facilement dans les tours et en toute sécurité. La structure le permettant ne devait gêner ni le passage de la porte ni la circulation au niveau de la courtine. On devait aussi sortir sur la terrasse sans gêner la circulation le long du crénelage. Le seul espace possible pour cet escalier paraît ainsi être au centre de la pièce et la solution technique logique serait la conception d’un escalier à vis en bois.
- 58 À Ksar Lemsa, la citadelle est conservée sur toute sa hauteur qui est de 11 m (Belkhodja 1968, fi (...)
85La seconde étape est la restitution de l’élévation. La faible largeur des tours empêche de leur donner une trop grande hauteur. Il faudrait que celle de l’enceinte, au niveau de la courtine, ne dépasse pas 9 m (contre 10 m en général)58 pour que les tours soient bien proportionnées. L’élévation proposée de 9 m crénelage inclus (fig. 33) donne un résultat satisfaisant : une porte avec arche et un passage large de 4 m. Les battants en bois sont très épais et le linteau est sans doute en bois car la largeur de l’ouverture est trop grande pour imaginer un linteau en pierre, sauf s’il était appareillé. L’imposte aurait été pourvue d’une grille. Les hauteurs ne sont pas suffisantes au-dessus du linteau pour imaginer une herse et son système de levage. La porte se refermerait donc par deux lourds battants avec sans doute une barre de sécurité en arrière. L’ensemble de ces réflexions permet de proposer une esquisse de la Porte de Tacape (fig. 34) qui ne demande qu’à évoluer à la suite des fouilles.
Fig. 33 : Thaenae. Étape de travail pour une proposition de restitution de l’élévation de la porte de Tacape
(dessin J.-Cl. Golvin)
Fig. 34 : Thaenae. Esquisse de restitution de la porte de Tacape
(J.-Cl. Golvin)
(JCG)
- 59 Pour les autres hypothèses, voir section 1.1.
86Les campagnes conduites depuis 2017 permettent désormais d’estimer que le chantier de construction de l’enceinte de Thaenae remonte à la première moitié du ive s.59. Reste cependant à déterminer pourquoi ce vaste mur monumental a-t-il été construit. Deux hypothèses méritent d’être passées en revue.
87La première, celle de l’insécurité liée aux incursions barbares, est la plus fréquemment avancée. Elle a été soutenue en leur temps par A. Schulten et M. Fendri, mais sans arguments précis. Plus qu’une idée développée en lien avec le contexte géopolitique et militaire de l’Afrique de la fin du iiie et de la première moitié du ive s., la théorie des troubles associés aux attaques des Maures semble relever d’un schéma d’interprétations importé d’autres régions de l’Empire. Sur le plan historiographique, elle s’inscrit, avec des aménagements mineurs, dans la lignée des thèses défendues en 1907 par A. Blanchet60, selon lesquelles les cités et les empereurs auraient fait construire à la hâte des enceintes réduites, souvent avec les spolia de monuments du Haut-Empire, pour se protéger des attaques des peuples extérieurs. Profondément ancré dans la littérature historique et archéologique, ce schéma daté du déclin urbain a été remis en cause en Gaule. Dans le contexte africain des années 300, il paraît difficile de l’appliquer au cas particulier de Thaenae pour les raisons qui suivent.
- 61 Laporte 2012, p. 108 ; Rebuffat 2012, p. 29 et 34.
- 62 Modéran 2003a, p. 131-208.
- 63 Lassère 2015, p. 535.
- 64 Pour l’Afrique embrassée dans son intégralité sous le Haut-Empire, voir Guédon 2018, p. 99-136. L (...)
88En premier lieu, l’hypothèse d’une enceinte destinée à se protéger de l’insécurité dans une ville africaine côtière située à la limite de la Byzacène et de la Zeugitane ne résiste pas au contexte des années 300-350. Même si des troubles sont bien attestés ailleurs en Maurétanie et en Numidie61, troubles ayant conduit à l’expédition militaire de Maximien Hercule en 298, la théorie de la migration des Maures au ive s. a été remise en cause par Y. Modéran avec de solides arguments62. L’historien a été suivi par d’autres chercheurs, comme Jean-Marie Lassère, qui écrivait dans son ultime ouvrage que « la pression sur le limes ne s’est guère accrue au ive s. »63. La paix relative dans laquelle se trouvait l’Afrique à cette époque ne justifiait pas la construction d’une vaste enceinte à Thaenae. Les fortins restaurés du Haut-Empire ou construits ex nihilo le long des routes stratégiques dans des régions plus exposées suffisaient64. Surtout, Thaenae possède un trait atypique puisque la muraille, au lieu de resserrer la ville sur un espace réduit, l’étend au-delà de ses limites du Haut-Empire. Par ailleurs, pourquoi élever un mur défensif à Thaenae uniquement et pas dans les villes voisines – Acholla, Bararus, Thysdrus, etc. – où aucune enceinte du même type n’a jamais été construite ?
- 65 Dupuis 1992, p. 253-280.
- 66 En ce sens, il convient de renvoyer à la lecture des nombreuses contributions et cas d’études pri (...)
- 67 Hostein 2012, p. 141 et 219.
89Le destin des villes africaines au iiie s. diffère fortement de celui des villes du reste de l’Occident. En Afrique en effet, malgré un ralentissement sensible des constructions publiques, la prospérité fut importante entre les années 240 et 290, ce en dépit de la pression fiscale, de la peste de Cyprien, ou encore des difficultés générales dans les domaines économiques ou monétaires. Les inscriptions lapidaires témoignent de cette situation atypique65. L’hypothèse de l’insécurité ne tient pas non plus car les fondements mêmes de la théorie de A. Blanchet ont été réfutés par des travaux récents consacrées aux villes des Trois Gaules. Si des enceintes défensives ont bel et bien été érigées dans ces provinces, aussi bien le long du limes qu’à l’intérieur du territoire impérial, leur construction s’est étalée sur plusieurs décennies et ne s’est pas réalisée dans la hâte. C’est ce qui ressort de dossiers aussi différents que ceux de Saintes, du Mans ou de Chalon-sur-Saône pour ne citer que ces exemples66. De telles restaurations ou constructions ex nihilo de remparts ont fait l’objet de financements et de chantiers programmés par les autorités locales, avec l’accord du pouvoir impérial et de ses représentants67.
- 68 Barnes 1982, p. 11-12 ; Kienast 1996, p. 270.
- 69 Rebuffat 1992 ; Hamdoune 2010.
- 70 Drost 2013, p. 17-21.
- 71 Drost 2013, p. 21-24 ; Malingue 2018.
- 72 Sur les princes ainsi que l’histoire événementielle de la période, voir Kienast 1996, p. 283-309 (...)
90Si l’hypothèse de l’insécurité liée aux barbares tombe, celle d’une défense déployée dans le cadre de guerres intestines n’est pas à exclure quand on examine avec attention les événements politiques des années 290-310. L’Afrique a pu être exposée (mais c’est peu probable) aux attaques de Domitius Domitianus et d’Achileus, usurpateurs en Égypte dans les années 297-29868, alors même que Maximien se trouvait à Carthage après ses victoires contre des peuples maures et numides69. C’est surtout au moment où la seconde tétrarchie échoue, à la mort de Constance Chlore et lors de l’acclamation de Constantin le 25 juillet 306, que l’Afrique passe entre différentes mains. Celles de Maxence d’abord, populaire dans un premier temps car fils de l’empereur qui avait honoré Carthage de sa visite70 ; puis celles de Domitius Alexander, vicaire révolté contre le précédent71 ; puis à nouveau celles de Maxence en 311-312, dans un contexte marqué par une cruelle répression politique ; puis enfin dans celles de Constantin après la victoire du Pont Milvius le 28 octobre 312. Pendant toute la période, l’Afrique est une province frontalière au contact de la Cyrénaïque (et au-delà de l’Égypte), deux espaces contrôlés par Galère et Maximin Daïa jusqu’en 313, puis enfin par Licinius jusqu’en 32472. On ne peut donc pas exclure qu’un des ports les plus dynamiques du rivage de la Petite Syrte ait été fortifié, par précaution, sur décision de l’un des empereurs cités ci-dessus, afin de garantir un approvisionnement régulier de Rome en blé ou en huile, que ce commerce relève de l’annone ou du libre commerce.
- 73 Février 1969 ; Hostein 2012, p. 404-406.
- 74 Beschaouch 2002.
91Mais c’est plutôt vers une seconde direction qu’il convient de se tourner, celle d’une volonté de monumentalisation de l’espace urbain – même si aucune de ces hypothèses n’exclut l’autre. Elle s’inscrit dans une tradition remontant au Haut-Empire, associée au prestige du ius moenium, du droit de posséder un rempart, qui faisait la fierté des communautés de droit latin ou romain dès l’époque augustéenne73. Ce prestige symbolique incarné dans une construction monumentale soulignait ainsi la grandeur de la cité, étalait sa prospérité aux yeux de tous, et montrait enfin dans la pierre la dignitas tirée de sa qualité de municipium ou de colonia – Thaenae bénéficie précisément de ce dernier statut. Cette dignitas passait également par l’étalage épigraphique des épithètes qui composaient la titulature coloniale et qui constituaient autant de rappels des relations étroites entretenues avec les gouvernants romains et les grands princes du passé74. En Afrique, où la prospérité s’est maintenue plus qu’ailleurs et où les idéaux civiques traditionnels sont longtemps demeurés vivaces, la construction d’une enceinte à Thaenae ne doit donc pas étonner. S’agit-il pour autant d’une enceinte coloniale à proprement parler construite à une date aussi basse ? Ne peut-on pas l’interpréter d’une autre manière en raison des motivations multiples à l’origine de son érection ?
92Ce type d’enceinte exigeait des efforts et des ressources que seule pouvait assumer une cité prospère dont les finances publiques étaient saines. On rappellera ici le poids économique de Thaenae dans les années 280-400, grand centre de regroupement des produits de l’intérieur (huile et surtout vin à partir du ive s.), prouvé par les arrivages de sigillées africaines C/E, E et continentales. Le port était aussi très actif dans les importations méditerranéennes et son territoire abritait des ateliers d’amphores pour la commercialisation des produits africains. Cette prospérité, bien établie dans le dernier tiers du iiie s., ne cessa de croître après les troubles consécutifs à la révolte de Domitius Alexander entre 308 et 312.
- 75 Hostein 2012.
- 76 Rebuffat 2012, p. 26-27 et 29.
- 77 CIL VI, 1685 = ILMN, 01, 45 = ILS 6111a = AE 2000, 136 = AE 2012, 1803 = EDCS-18100494. La table (...)
93Ensuite, la construction d’un imposant rempart impliquait l’intervention du pouvoir impérial, depuis l’échelon provincial jusqu’en haut lieu75. Pour ces affaires, le prince était l’autorité suprême, la seule habilitée pour autoriser ou ordonner des chantiers de cette ampleur et par ailleurs très sensibles en raison des enjeux stratégiques et de sécurité intérieure qui leur étaient liés. Que l’enceinte ait été donnée, souhaitée ou ordonnée76, peu importait. Le chantier impliquait au préalable d’intenses tractations, un audit des finances locales, une vérification de la solvabilité des élites chargées de prélever l’impôt, etc. En d’autres termes, le chantier s’inscrivait dans une longue et complexe procédure qui nécessitait des visites régulières de contrôle ainsi que l’intervention de différents acteurs à chaque étape : l’empereur, le gouverneur de la Byzacène, l’ordre des décurions, éventuellement des intercesseurs patrons de la cité (patroni ciuitatis) à l’image du sénateur Q. Aradius Valerius Proculus mentionné dans la fameuse table de patronat trouvée à Rome et qui révèle la titulature de la cité77, des ingénieurs et architectes du génie détachés des légions locales, des entrepreneurs ou des artisans qualifiés (artifices).
- 78 Varène 1992, p. 139-178 ; Barrière 2022.
- 79 Lepelley 2001 ; Hostein 2012, p. 379-419.
- 80 Pour l’Afrique, lire en particulier Fentress 1979 p. 83-123 et Laporte 2012, et pour l’Égypte, pa (...)
94Tant la qualité de l’ouvrage que sa remarquable homogénéité, tout, dans le dossier de construction des murailles de Thaenae, plaide pour une réalisation mûrie, planifiée et conduite sur plusieurs mois voire plusieurs années. Aussi, si la morphologie des murs, des tours et des portes de Thaenae ne correspond pas à celle des enceintes coloniales du début du Principat78, doit-on exclure pour autant que l’autorisation d’ériger un tel ouvrage ne fût pas accordée en raison de ce statut, même à une date aussi tardive ? Les privilèges associés aux titres civiques, bien qu’abolis à la fin du iiie s., demeuraient encore très vivants dans les esprits des gouvernants et administrés de la génération de Dioclétien et de Constantin79. Il n’est guère possible de trancher en l’état du dossier. On peut néanmoins se demander si la morphologie particulière des portes et des tours ne livre pas un indice indirect d’une réalisation par des ingénieurs et soldats ayant déjà construit des ouvrages militaires du même genre dans les provinces ou le long des frontières méridionales de l’Empire80. Le dossier reste ouvert.
- 81 Une partie du rempart a pu aussi servir à protéger la ville des inondations. L’enceinte aurait fa (...)
- 82 Di Vita-Évrard 1985, p. 174-175 et p. 177, fig. 2.
- 83 C. Zuckerman (2002), précisant des propositions de T.D. Barnes (1982, p. 201, 205 et 212).
- 84 Voir supra, n. 76.
- 85 Str. XVII, 3, 16 ; Plin., nat., V, 25.
- 86 Christol 2010 ; Lepelley 2004.
95Pour résumer, l’enceinte de Thaenae a été construite avec soin et de manière planifiée afin de satisfaire des exigences multiples et convergentes81, pouvant concerner aussi bien les habitants et les élites de la cité que le pouvoir impérial. Cette monumentalisation a valu pour distinction, assurément. Elle a aussi conféré à la cité un statut particulier de ville portuaire fortifiée. À titre d’hypothèse, s’il fallait chercher un moment idéal, la période la plus propice pour la construction d’une telle enceinte serait celle comprise entre les années 300 et 330. L’année 303 correspond d’abord à un moment important dans les redécoupages des frontières provinciales africaines, comme l’a montré Ginette Di Vita-Évrard82. Une autre source, la Liste de Vérone ou Laterculus Veronensis, liste des provinces rédigée autour de l’an 314 selon Constantin Zuckerman, montre l’état du nouveau maillage administratif à cette date83 avec trois provinces réduites appelées Zeugitane, Byzacène et Tripolitaine pour celles situées dans le voisinage de Thaenae. Plus tard, dans les années 325-330, alors que la ville venait de passer un contrat de patronage avec un puissant sénateur84, furent progressivement mises en place de nouvelles infrastructures administratives, qui jouèrent un rôle majeur dans l’Antiquité tardive : les Préfectures. Pourquoi évoquer ces découpages ? Pour la simple raison que Thaenae comme on le sait par Strabon et Pline était une ancienne ville frontière et un seuil entre l’Africa uetus et l’Africa noua, deux territoires séparés en 146 av. J.-C. par la Fossa regia85. L’enceinte construite au début du ive s., en plus des enjeux défensifs et statutaires invoqués supra, pouvait répondre aussi à d’autres préoccupations symboliques et pratiques, la ville constituant un centre administratif fortifié de premier plan, garant de la prospérité régionale, de la collecte de l’impôt et de la bonne administration de l’annone. Par ailleurs, on sait que dans les autres régions de l’Empire, le resserrement du territoire des provinces avait conduit à la création de cités et engendré de nouvelles hiérarchies urbaines, par élévation de communautés déjà existantes, par création ex nihilo, ou encore par démantèlement des ciuitates jugées trop vastes par le pouvoir central86.
96Ainsi et pour conclure, pour qui souhaite comprendre la situation atypique de Thaenae, le seul site urbain d’Afrique proconsulaire où est attestée dans le premier tiers du ive s une création d’enceinte doublée d’une extension de son assiette urbaine, il convient de convoquer un faisceau de causes diverses et variées plutôt qu’une raison simple et unique.
(AH, SM, NB, MB, SdL)