Le projet d’étude de la collection Aubert-Buès a été conçu par Fr. Verlinden, Y. Chiaramella et M. Bonifay. L’étude a été réalisée en 2015-2016 par T. Mukai et R. Rêve, avec la collaboration d’A. Copetti, sous la coordination de M. Bonifay, en prenant pour base l’inventaire réalisé par Ph. Borgard en 1982. Y. Chiaramella est l’auteur de la recherche d’archives sur la collection et A. Copetti de l’historique de la collection après son dépôt au Musée muséum départemental. D. Foy a réalisé l’expertise du mobilier de verre. Les analyses archéométriques ont été conduites par C. Capelli (pétrographie) et J.-P. Ambrosi (géochimie, XRF portable). Ph. Borgard, T. Mukai et R. Rêve ont réalisé les dessins de céramiques. T. Mukai et Chr. Durand sont les auteurs des photographies d’objets. L’interprétation archéologique et historique des données a été faite par M. Bonifay et T. Mukai, en collaboration avec Y. Aibeche et M. Nasr. Cette étude a bénéficié de financements du Conseil départemental des Hautes-Alpes (Musée muséum départemental et Cellule Alpine de Recherches Archéologiques), de la Société d'études des Hautes-Alpes et de l’Association des Amis du Musée de Gap. La société Ipso Facto a géré les contrats des personnels. La publication finale trouvera sa place dans la série des catalogues du Musée muséum départemental des Hautes-Alpes à Gap.
Fig. 1 : Les donateurs de la collection
a) Clément Aubert (1848-1932) ; b) Jean Buès (1884-1972)
Archives de la Société d’études des Hautes-Alpes
1Cet article fait suite à une note parue dans la précédente livraison de la revue, consacrée au poinçon-matrice de sigillée africaine de Sidi Aïch récemment redécouvert au sein de la collection Aubert-Buès1. Cet ensemble, propriété de la Société d’études des Hautes-Alpes et déposé au Musée muséum départemental des Hautes-Alpes à Gap, est l’une des plus riches collections publiques d’antiquités africaines conservées en France. Cette note a pour but de livrer les premiers résultats de la reprise en 2015 de l’étude de ces objets dans le cadre d’une collaboration entre le musée à Gap, la Société d’études des Hautes-Alpes, propriétaire de la collection, et le Centre Camille Jullian, en coopération avec des chercheurs algérien et tunisien.
2Cette publication préliminaire présentera succinctement l’historique de la collection, les principales catégories d’objets qui la composent, l’approche archéométrique en cours, et l’apport de cette documentation à l’archéologie et à l’histoire de l’Afrique antique.
3L’histoire de cette importante collection d’antiquités romaines en provenance d’Afrique du Nord est évoquée par son nom, qui réunit Clément Aubert, qui en est l’inventeur, et Jean Buès, son héritier, qui en a fait don à la Société d’études des Hautes-Alpes (fig. 1).
- 2 Il devint ingénieur en chef de la compagnie pour l’Algérie et la Tunisie.
- 3 Testament olographe de Clément Aubert (20 mai 1932) – Archives de la Société d’études (...)
- 4 Le 14 novembre 1932, à Nice.
4Cl. Aubert était originaire de Gap où il naquit le 21 août 1848. Issu d’une famille aisée, il fit des études supérieures et c’est en tant que diplômé de l’École centrale des arts et manufactures qu’il débuta, en 1877, une carrière d’ingénieur au service de la « Compagnie des chemins de fer de Bône à Guelma ». La construction de lignes dans cette zone proche de la frontière tunisienne l’amena à côtoyer des sites archéologiques importants, dans le secteur de Tébessa (Algérie), puis de Fériana (Tunisie) lorsque sa compagnie lui confia en 1888 la responsabilité de son réseau dans ces deux pays2. On ne sait si sa passion pour l’archéologie date de cette époque ; il est certain toutefois que l’amitié qui le liait à Alfred-Louis Delattre, le célèbre Père blanc de Tunis, archéologue spécialiste reconnu de Carthage, y a certainement joué un grand rôle. C’est donc sur une période de plus de vingt ans, jusqu’en 1901, date de sa nomination comme directeur des Chemins de fer du nord de l’Espagne, que Cl. Aubert recueillit les centaines de pièces de sa collection, au fil du développement du réseau qu’il construisait. De retour à Gap en 1904, il rapatrie ses « souvenirs » et les installe dans son manoir de Kapados. Son testament olographe3 désigne son cousin, J. Buès, comme légataire universel mais, soucieux de leur préservation, il souhaite léguer ces objets au musée de Gap sous la « condition suspensive que la ville de Gap réalise, sous cinq ans, la fermeture ou le transfert dans un quartier plus discret et moins passager de la ou les maisons de tolérance » de la ville. Cette condition n’ayant pas été remplie, les collections reviennent à J. Buès après le décès de Cl. Aubert survenu peu de temps après4.
- 5 Compte-rendu du conseil d’administration du 16 septembre 1971 – Archives d (...)
- 6 Le Comité de sauvegarde du château de Tallard fut créé sous l’égide de la (...)
5J. Buès, né à Sisteron le 5 juin 1884, était un militaire de carrière, engagé volontaire dès 1902. Sous-officier des Hussards en 1914, grièvement blessé en septembre 1915, il intègre l’aviation, passe son brevet de pilote en octobre 1916 et termine brillamment la Grande Guerre comme commandant de l’escadrille S263. Commandeur de la Légion d’Honneur, admis à la retraite en 1931, il se retire au manoir Kapados dont il a hérité de son oncle, et n’a alors de cesse, à son tour, de veiller à la conservation des collections qui y étaient entreposées. Membre de la Société d'études des Hautes-Alpes, et après de nombreux contacts avec son président Émile Escallier, Georges Dusserre, secrétaire général, et Pierre-Yves Playoust, directeur des Archives départementales, il décida d’en faire don à cette association, charge à celle-ci de prendre le relai. Ce don fut officiellement accepté par la Société d'études5 le 16 septembre 1971. Le souhait exprimé de J. Buès, décédé à Tallard le 21 juin 1972, était que les collections fussent exposées au château de Tallard. La Société d'études, qui était alors fortement impliquée dans la restauration de ce grand monument6, tenta le transfert des objets vers le château, mais dut bientôt y renoncer, les lieux étant insuffisamment sécurisés, et non équipés pour une telle exposition.
- 7 Convention de dépôt du 25 mars 1983 – Archives de la Société d’Études des (...)
6C’est ainsi que la Société d'études prit la décision de déposer cet ensemble au Musée départemental des Hautes-Alpes, ce qui fut fait le 25 mars 1983, sous la dénomination globale de « collection Aubert-Buès », en hommage au créateur et au conservateur de ce riche patrimoine. Les principales conditions stipulées dans la convention7 étaient que le Musée s’engageait à constituer un inventaire de la collection, d’en faire restaurer les pièces et d’entreprendre une « étude scientifique » destinée à en approfondir la connaissance…
7N’est-ce pas dans cette continuité que s’inscrivent les projets décrits dans cet article ?
- 8 Extrait de la lettre de 1971 au conservateur des Archives départementales (...)
8Très tôt en effet, dès l’affirmation de la volonté de confier la collection à la Société d'études des Hautes-Alpes, il est apparu nécessaire de la documenter. Grâce à la curiosité scientifique des président et vice-président de la Société d’études des Hautes-Alpes, P.-Y. Playoust, alors directeur des Archives départementales, et G. Dusserre, alors conservateur du Musée muséum départemental, les premiers liens avec l’Université de Provence sont noués. En 1971, Paul‑Albert Février est invité par le Commandant J. Buès et la Société d'études à expertiser cet ensemble d’objets. Paul‑Albert Février, professeur d’histoire romaine à l’Université de Provence mène simultanément des recherches régionales en Provence et internationales sur l’Afrique du Nord durant l’Antiquité. De cette rencontre il ressort une première étude descriptive et un inventaire de la collection. Plus important, P.-A. Février perçoit immédiatement l’intérêt exceptionnel de ces objets, reconnaissant la qualité du collectionneur et la portée scientifique des céramiques pour l’archéologie de l’Afrique du Nord. Il écrit ainsi dans un courrier adressé au conservateur des Archives départementales des Hautes-Alpes : c’est « une des rares collections complètes constituée au siècle dernier et ramenée d’Afrique du Nord. […] Autant que j’ai pu en juger par les quelques mentions relevées sur les poteries ces objets paraissent tous provenir de la région frontalière algéro-tunisienne : Feriana, Morsott, Haïdra. Nous avons là un ensemble qui n’a pas été réuni par hasard mais qui témoigne du goût d’un collectionneur qui s’est retiré à Gap. Il m’apparaît donc d’un grand intérêt pour l’histoire régionale de conserver l’unité de cette collection en la faisant rentrer dans une collection publique locale. […] Ainsi serait rendue sensible à la fois l’importance de la collection pour l’archéologie de l’Afrique du Nord et aussi pour l’histoire locale »8. Dès lors le souhait de la dévolution publique de la collection, émis par son inventeur Cl. Aubert, se concrétise. En 1982 cette collaboration avec l’archéologie universitaire est approfondie et rationalisée. Une première étude, menée par l’un de nous (P. B.), alors étudiant de P.-A. Février, porte sur le mobilier céramique. Il réalise des dessins, une couverture photographique des principales pièces et aborde plus spécifiquement l’étude typologique des lampes à huile. Cette étude aboutit à la rédaction d’une première synthèse mettant en évidence la diversité de production des céramiques africaines et leur chronologie comprise entre le vie s. av. J.-C. et le vie s. apr. J.-C.
- 9 Escallier 1982, p. 259-263 : Collection Aubert-Buès.
9Par la même occasion, l’inventaire est repris et les objets sont pourvus d’un marquage numérique codifié. La même année, les pièces les plus remarquables sont présentées pour la première fois au Musée muséum départemental à l’occasion de l’exposition du Centenaire de la Société d'études et sont publiées dans le catalogue d’exposition édité dans un numéro spécial du Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes9. Cette exposition, l’étude qui l’a accompagnée ainsi qu’un profond souci de préserver et de conserver au mieux la collection Aubert-Buès ont ouvert une réflexion sur le projet de dépôt au Musée muséum départemental.
10Dès lors les objets, ayant intégré la réserve archéologique du musée aux côtés des collections archéologiques départementales, bénéficient d’une attention et d’un savoir-faire en termes de conservation préventive. Dans le cadre de l’inventaire des fonds archéologiques du Musée, Louis Batut, agent de la Direction régionale des Antiquités, compile les études précédentes et crée un dossier de fiches pour l’ensemble de la collection. S’en suivent plusieurs travaux ponctuels. L’intérêt scientifique et les liens avec l’Université se maintiennent. En 2003, dans le cadre de la préparation de son ouvrage sur la céramique romaine tardive d’Afrique, l’un de nous (M. B.), sur la base de la documentation graphique réunie par son collègue (P. B.), refait une expertise céramologique de l’ensemble de la collection, en regard avec les recherches de terrain réalisées par le Centre Camille Jullian en Tunisie. En 2006, à l’occasion du Centenaire du Musée, un projet d’étude et de valorisation est confié à Laurence Pinet, archéologue chargée de mission. De 2006 à 2014, dans le cadre du récolement lié à l’inventaire général des musées de France, l’équipe du Musée (Fr. Verlinden, conservatrice en chef, L. Pinet, Jérôme Rigaud, gestionnaire des collections, et Carine Déal, archéologue) met en œuvre de nouvelles mesures de conservation préventives, réorganisent les réserves et mettent à jour informatiquement l’inventaire réalisé par L. Batut. Cette longue mission aboutit en 2014 à la rédaction d’un document de synthèse référençant les différents inventaires, archives et sources documentaires existants sur la collection Aubert-Buès.
- 10 Cagnat 1888.
- 11 Bonifay et alii 2015.
11L’exposition « Collection Aubert-Buès. Céramiques nord-africaines antiques et autres objets : un patrimoine exceptionnel déposé par la Société d'études des Hautes-Alpes », a été un événement clé en 2007-2010. Non seulement elle a permis pour la première fois une présentation intégrale de la collection au public – qui en découvrit la nature et la richesse – mais elle a également contribué à relancer la recherche, avec la redécouverte au sein de cet ensemble d’un poinçon en céramique pour la décoration des plats de sigillée africaine, qui avait été publié en 1888 par l’archéologue René Cagnat10 mais dont toute trace avait été perdue depuis. Le récent travail coordonné par M.B. sur ce poinçon11 a motivé la réévaluation complète de la collection. En 2015-2016, un projet pluridisciplinaire a réuni le Musée muséum départemental, la Société d'études des Hautes-Alpes et plusieurs laboratoires de recherche, le Centre Camille Jullian, le Centre Européen de Recherche et de l’Enseignement des Géosciences de l’Environnement (CEREGE) et le Dipartimento delle Scienze della Terra e della Vita (DISTAV) de l’Université de Gênes.
- 12 On considérera que les mentions « Feriana » sur les objets correspondent à des découve (...)
- 13 Nous n’avons pas réussi jusqu’à présent à rattacher cette mention à un sit (...)
12Cette étude (menée par T. M. et R. R.) s’est déroulée en deux phases (de la mi-novembre à la mi-décembre 2015 et de la mi-février à la mi-mars 2016). Elle a été consacrée à l’analyse morphologique et pétrographique (à la loupe x 20) de chaque objet ; l’enregistrement informatisé de chaque pièce (numéro, identification typologique, description physique, mesures) ; la reprise de dessins anciens quand la situation l’exigeait ; et la création d’une documentation photographique de travail pour chaque objet enregistré. L’identification de ces pièces a permis de définir les typologies, ainsi que les régions probables de production, en particulier pour les pièces de vaisselle, mais également d’évaluer, lorsqu’il était possible, le contexte d’acquisition de ces pièces par Cl. Aubert . Il s’agit principalement de la région frontalière algéro-tunisienne, entre Tébessa et Haïdra au nord et Gafsa au sud (fig. 2 et 3), avec une concentration particulière d’objets à Fériana12 (fig. 4) et à Bou Chebka13.
Fig. 2 : Carte de l’Afrique romaine avec localisation de la région d’étude
M. Bonifay
Fig. 3 : Carte de la région d’étude avec localisation des noms de lieux cités
R. Rêve, M. Bonifay
- 14 J.-P. Ambrosi in Bonifay et alii 2015.
13Les premières analyses archéométriques ont également été entreprises. L’approche archéométrique et archéologique intégrée, désormais indissociable de toute étude céramologique, est particulièrement recommandée dans le cas de céramiques provenant de terrains peu explorés, comme le sont les régions internes de l’Afrique romaine, aux confins de l’Algérie et de la Tunisie. Cependant, les céramiques de la collection Aubert-Buès, comme toute collection publique déposée dans un musée, posent également le problème du respect de l’intégrité des œuvres, d’où la nécessité de ne pas utiliser des méthodes d’analyses destructrices. Une de ces méthodes prometteuses est la fluorescence X portable (portable XRF), qui a été utilisée pour l’étude du poinçon-matrice de céramique sigillée14. Cette méthode, appliquée ici par l’un d’entre nous (J.-P. A.), ne fournit cependant que des indications fragmentaires sur les éléments chimiques qui composent la pâte et requiert encore, dans l’état actuel de la recherche, d’être couplée, au moins partiellement, à des méthodes plus classiques nécessitant un prélèvement. C’est pourquoi, lorsque cela était possible (objet fragmentaire ou ébréché), nous avons adossé les analyses chimiques en fluorescence X portable à des analyses pétrographiques au microscope polarisant en lames minces (réalisées par C. C.), qui permettent de caractériser les pâtes céramiques et les revêtements du point de vue de la composition minéralogique-pétrographique et de la technique de production.
Fig. 4 : Collection Aubert-Buès. Ensemble de matériel provenant de Fériana/Thelepte
C. Durand, AMU-CNRS / CCJ
- 15 Touatia Amraoui (mission archéologique algéro-française à Lambèse) ; Célin (...)
14Un travail en archives par la Société d'études et les archéologues du Département, vient compléter les données (Y. C.). D’autres catégories que la céramique, comme le verre (D. F.), ont également fait l’objet d’expertises. De manière plus ponctuelle, plusieurs chercheurs et spécialistes travaillant sur des ensembles similaires et sur les sites antiques tunisiens et algériens ont été conviés à travailler, observer et comparer les céramiques de cette collection avec leurs propres collections d’étude15.
- 16 L’observation sur place faite par Joël Françoise, Conservateur-restaurateur, Directeur d (...)
15La collection Aubert-Buès se compose de 573 objets appartenant à plusieurs catégories : céramique, verre et métal. Le mobilier céramique compte 523 pièces dont 151 plats, assiettes et couvercles, 145 cruches, 5 amphores, 136 lampes ainsi que 70 petits objets (dont 59 petits récipients de type unguentaria/balsamaires) et 16 céramiques architecturales, notamment six carreaux décoratifs. Le mobilier en verre comprend 40 objets et le mobilier métallique dix (tableau 1). Certaines pièces de la collection n’ont pas été prises en considération dans cette étude préliminaire. Il s’agit d’une part du mobilier lapidaire, conservé au Château de Tallard, et composé d’un autel, un sarcophage et un fragment de colonnette, d’autre part des monnaies16.
16Deux urnes de taille moyenne en céramique non tournée peuvent être datées de l’époque protohistorique (ex. AB 160 : fig. 5, no 1).
Fig. 5 : Collection Aubert-Buès. Céramique 1) urne modelée protohistorique (AB 160)
T. Mukai, Ipso Facto
17La céramique grecque compte dix pièces. Un kylix ionien de type B2 porte un vernis noir et brun, mal conservé. La céramique attique à vernis noir comprend un bolsal (AB 001 : fig. 6, no 2), un skyphos, une olpè, un cratérisque (?), deux canthares ainsi qu’un aryballe à fond plat. Toutes ces pièces se rattachent à des productions qui peuvent être datées du vie au iiie s. av. J.-C. Une oenochoé à bord en bobine, avec un vernis noir brillant et un décor surpeint blanc sur le col, se rapproche des productions dites « de Gnathia » datées du ive s. av. J.-C. Enfin, un aryballe peut être identifié comme corinthien.
Fig. 6 : Collection Aubert-Buès. Céramique : 2) bolsal attique à vernis noir (AB 001)
C. Durand, CCJ/CNRS – AMU
18Deux lampes préromaines appartiennent au type Deneauve Gr. V, lampe à large rebord et à corne latérale perforée datable du ive-iiie s. av. J.-C. (AB 1000 : fig. 13, no 41) et au type Ricci E, lampe moulée biconique dite de L’Esquilin.
- 17 Ramon Torres 1995, p. 241, fig. 213, nos 517 à 518.
- 18 Ramon Torres 1995, p. 273, fig. 226, nos 885 à 887.
19Parmi les vingt objets d’époque punique, on note tout d’abord deux amphores. Un exemplaire est de type Ramon T-13.1.1.3. (AB 173 : fig. 7, no 3)17, production de la région de Carthage (?) datée des ive-iiie siècles av. J.-C. L’autre amphore est de type Sagona 618, amphore d’origine orientale très courante dans les tombes de Carthage entre le ve et le iiie s. av. J.-C.
Fig. 7 : Collection Aubert-Buès. Céramique : 3) amphore punique type Ramon T-13.1.1.3 (AB 173)
T. Mukai, Ipso Facto
20Deux vases en céramique à vernis noir punique sont présents : un bol imitant la céramique campanienne avec une inscription post-cuisson (SSVIIR ?) et une petite cruche qui semble être une imitation de vernis noir B, de forme Lamboglia 11. Un exemplaire à vernis rouge punique est recensé : une coupelle imitant le type Lamboglia 27 de la céramique campanienne.
Tableau 1 : Collection Aubert-Buès. Tableau d’effectifs simplifié (hors lapidaire et monnaies)
Matériau |
Catégorie |
Classe |
Nombre |
CÉRAMIQUE |
Amphores |
Amphore punique |
2 |
Amphore romaine |
3 |
Vaisselle préromaine |
Modelée protohistorique |
2 |
Divers céramique fine grecque |
10 |
Divers céramique punique |
16 |
Vaisselle romaine |
Parois fines |
1 |
Sigillée claire B |
1 |
Sigillée africaine A |
3 |
Sigillée africaine A/D |
1 |
Sigillée africaine C ou C/E |
6 |
Sigillée africaine E |
2 |
Sigillées régionales |
77 |
Céramique culinaire africaine |
28 |
Céramique commune africaine |
131 |
Céramique commune engobée africaine |
15 |
Céramique modelée africaine |
1 |
Lampes |
Divers |
136 |
Petits objets |
Unguentaria |
59 |
Divers |
11 |
|
Divers |
16 |
|
Divers |
2 |
VERRE |
Divers |
40 |
MÉTAL |
Divers |
10 |
Total |
573 |
- 19 En revanche, les lampes puniques tournées en forme d’assiette ou de coupe, dont le reb (...)
21Le reste du mobilier punique est constitué d’objets votifs. On note en particulier la présence de trois porte-lampes et/ou couvercles19. Un pot, un biberon, deux amphorettes votives, quatre flacons. Ce mobilier est caractéristique des contextes funéraires puniques du iie s. avant J.-C. (fig. 8).
Fig. 8 : Collection Aubert-Buès. Ensemble de matériel de l’époque punique
C. Durand, AMU-CNRS / CCJ
22Les productions africaines issues des grands ateliers, c’est-à-dire la production des ateliers africains à large diffusion méditerranéenne (catégories A, C, D et E), sont rares ou absentes.
23Deux exemplaires peuvent se rattacher, de façon certaine, à la catégorie des sigillées africaines A : une coupelle de type Hayes 5A et une autre de type Hayes 3C. Le très mauvais état de conservation de cette dernière conduit à émettre l’hypothèse qu’elle pourrait avoir été découverte dans le Midi de la France par Cl. Aubert ou une tierce personne et qu’elle aurait ensuite intégré la collection. Ces deux pièces peuvent être datées du courant du iie s. apr. J.-C. D’autres vases peuvent être attribués à la sigillée C du point de vue de leur typologie mais ils en diffèrent du point de vue de leur aspect extérieur. Parmi ceux qui apparaissent les plus proches de cette catégorie, nous notons une coupe de type Hayes 44 (AB 028 : fig. 9, no 4) et une petite cruche à panse globulaire munie d’une anse à décor moulé, de type Salomonson V, toutes deux datables du iiie s. Un autre exemplaire de type Salomonson V pourrait plutôt appartenir à une production régionale imitant la sigillée C. Trois objets ont été classés dans la catégorie C/E : un plat de forme Hayes 58A et deux coupes de forme Hayes 44. Le plat Hayes 58A est daté de la fin du iiie s. au troisième quart du ive s. Un plat de forme Hayes 57, datable du ive s. (AB 047 : fig. 9, no 5), a été attribué à la sigillée E. Ce type de production est probablement originaire du centre-sud tunisien, comme la catégorie C/E.
Fig. 9 : Collection Aubert-Buès. Céramique
4) sigillée africaine C, Hayes 44 (AB 028) ; 5) sigillée africaine E, Hayes 57 (AB 047) ;
- 20 Hayes 1972, p. 300-304.
- 21 Atlante I, p. 138-140.
24Étant donné que la collection Aubert-Buès provient principalement de découvertes faites dans la région frontalière algéro-tunisienne, la majorité des pièces en sigillée témoigne de productions céramiques spécifiques à cette région. Ces productions se rattachent à la grande famille des Other African Wares de J. W. Hayes20 ou des sigillées de Tunisie centrale, méridionale et occidentale de S. Tortorella21. Cependant, on ne dispose pas pour l’instant d’une typo-chronologie générale de ces productions qui demeurent très mal connues. Au cours de cette étude, nous avons tenté, par une observation attentive de leurs caractéristiques morphologiques et pétrographiques, de distinguer plusieurs groupes de production différents. Tous datent de l’époque romaine tardive (de la fin du iie s. ou du début du iiie s. au ve s.).
25Un premier groupe de production (Groupe 1) se caractérise par une pâte orange fine assez bien épurée, avec des inclusions de quartz de taille homogène. En surface, les plats présentent un engobe orange-brun avec des inclusions de micas visibles. Plusieurs plats ont été rattachés à ce groupe : deux plats de type Hayes 27/31 (ex. AB 061 : fig. 9, no 6), un plat de type Hayes 1972, fig. 58b (AB 064 : fig. 9, no 13), un plat de type Hayes 1972, fig. 58c, une coupelle de type Hayes 1972, fig. 58d (AB 021 : fig. 10, no 15) et un plat de forme Hayes 32 variante. Une cruche en céramique sigillée est également intégrée à ce groupe.
Fig. 10 : Collection Aubert-Buès. Céramique
14) sigillée africaine régionale Groupe 2, Hayes 1972 fig. 58.c (AB 040) ; 15) sigillée africaine régionale Groupe 1, Hayes 1972 fig. 58.d (AB 021) ; 16) sigillée africaine régionale Groupe 2, mortier Sidi Aïch F66 (AB 038) ; 17) sigillée africaine régionale, cruche Sidi Aïch F2 (AB 373) ; 18) sigillée africaine régionale, cruche Sidi Aïch F2 (AB 376) ; 19) sigillée africaine régionale, cruche Sidi Aïch F2 (?) (AB 379) ; 20) sigillée africaine régionale, cruche Sidi Aïch F3 (AB 328) ; 21) sigillée africaine régionale, cruche Sidi Aïch F3 (AB 329) ; 22) sigillée africaine régionale, bol Lambèse 5 (AB 112).
P. Borgard, CNRS/CCJ ; T. Mukai, R. Rêve, Ipso Facto
26Le Groupe 2 correspond à des plats qui peuvent, par comparaison avec les échantillons de référence conservés au Centre Camille Jullian, être rattachés aux productions de l’atelier de Sidi Aïch (dans la partie sud de la région où a travaillé Cl. Aubert ). Ces objets possèdent une pâte orange-rouge, granuleuse avec des grains de quartz apparents, et également un engobe rouge-brun. Un plat proche du type Hayes 27/31 appartient à ce groupe (AB 059 : fig. 9, no 7), ainsi qu’un plat de type Hayes 49 (?) var. (ex. AB 080 : fig. 9, no 9). Ce groupe compte également des plats de type Hayes 1972, fig. 58a et 58c, avec un décor imprimé (AB 040 : fig. 10, no 14), deux bols à listel (ex. AB 038 : fig. 10, no 16), ainsi qu’une cruche. Rappelons ici que le poinçon-matrice pour la décoration des sigillées africaines22 provient de ce site.
27Un troisième groupe de production (Groupe 3) se caractérise par une pâte orange rouge fine granuleuse avec de très nombreux quartz éoliens et quelques grains anguleux. La pâte contient également de rares petits grains calcaires blancs et quelques microfossiles et micas. La surface extérieure est orange vif avec des grains de micas nombreux, bien visibles. Ce groupe compte deux plats de type Hayes 1972, fig. 58 a/b (AB 063 : fig. 9, no 11 et AB 065 : fig. 9, no 12), un plat Hayes 1972, fig. 58a (AB 068 : fig. 9, no 10) ainsi qu’un plat de forme Hayes 27/31 (AB 062 : fig. 9, no 8). Plusieurs autres éléments dont une cruche peuvent également s’y rattacher avec cependant une certaine incertitude.
28De nombreux plats de forme Hayes 1972, fig. 58a et 58b sont présents dans le reste de la collection, ainsi que d’autres formes d’assiettes ou bols. Cependant, ces exemplaires n’ont pu être rattachés à un groupe de production spécifique, compte tenu de la variabilité des pâtes ou des aspects extérieurs, parfois très altérés.
29Ce constat concerne également les cruches en sigillée, au sein desquelles on distingue cependant deux types principaux qui se rapprochent de ceux produits dans l’atelier de Sidi Aïch. Les cruches de type 1 (quatre exemplaires) possèdent un bord en bobine, deux anses attachées sur un col court et une panse globulaire. Elles se rapprochent des cruches F2 de l’atelier de Sidi Aïch23 (ex. AB 373 : fig. 10, no 17, AB 376 : fig. 10, no 18 et AB 379 (?) : fig. 10, no 19). Les cruches de type 2 (également quatre exemplaires) sont mono-ansées, avec un col plus allongé et une panse carénée. Elles correspondent plutôt aux cruches F3 de l’atelier de Sidi Aïch (ex. AB 328 : fig. 10, no 20 et AB 329 : fig. 10, no 21).
- 24 Amraoui, Bonifay à paraître.
30Il est intéressant de noter la présence d’un bol de sigillée africaine régionale, peut-être d’importation numidienne : il s’agit d’un type Lambèse 524 du iie ou iiie s. (AB 112 : fig. 10, no22).
- 25 Desbat 1980, p. 331-332.
31Pour conclure sur la céramique sigillée, nous ajoutons une petite cruche mono-ansée à panse globulaire, à anse plate de section quadrangulaire et avec un col court à bord à section triangulaire. Il s’agit d’un exemplaire de céramique sigillée claire B gauloise, de forme Desbat 8425, produite dans la vallée du Rhône à partir du iie s. apr. J.-C., jusqu’au ive s. (AB 299 : fig. 11, no 23). Le lieu de découverte de cette pièce est incertain.
Fig. 11 : Collection Aubert-Buès. Céramique
23) sigillée gauloise claire B, cruche Desbat 84 (AB 299) ; 24) culinaire africaine régionale, Hayes 184 (AB 123) ; 25) culinaire africaine régionale, Hayes 181 (AB 075) ; 26) culinaire africaine régionale (?), Jebel Oust 3 (AB 125) ; 27) marmite en céramique modelée africaine (AB 126) ; 28) commune engobée, cruche type 1 (AB 240) ; 29) commune engobée, cruche type 2 (AB 281) ; 30) commune engobée, cruche à deux anses (AB 372).
T. Mukai, Ipso Facto
- 26 Voir en dernier lieu Bonifay, Capelli 2013, p. 125, fig. 34.
32Il est difficile, dans l’attente des analyses archéométriques, de classer les céramiques culinaires qui ne semblent pas exactement correspondre aux grandes catégories reconnues de cette production26.
33Ce constat est particulièrement vrai pour la casserole Hayes 23A en céramique culinaire engobée. Parmi les quatre objets appartenant à cette forme, seulement un est proche de la production classique A, tandis que trois autres semblent se rattacher à une production régionale. S’il est possible d’attribuer un exemplaire de marmite Hayes 184 à la production de l’atelier de Sidi Aïch (AB 123 : fig. 11, no 24), l’autre exemplaire est difficile à classer, de même que les différents types de céramique culinaire engobée : un plat à cuire de type Fulford 1, trois plats à cuire de forme Hayes 181 (ex. AB 075 : fig. 11, no 25) et un couvercle Hayes 182. L’ensemble de ces pièces est daté entre la fin du ier s. apr. J.-C. et le ive s.
- 27 Observation personnelle (T. M.).
34Ceci est également le cas des céramiques culinaires dépourvues de revêtement, bien qu’un certain nombre de pièces possède des caractéristiques qui permettent d’envisager une production réalisée dans les régions internes de la Tunisie. La majorité des vases de cette catégorie est constituée de marmites de petite taille. Certains profils se rattachent à la forme Hayes 183. Il est intéressant de noter la présence d’une grande marmite de la forme Jebel Oust 3 (AB 125 : fig. 11, no 26), fréquente dans les contextes du iiie s. sur ce site27. Nous comptons également quelques couvercles apparentés aux formes Hayes 195 et Sabratha 104. Quelques pièces restent indéterminées au niveau de la typologie, notamment un vase proche de la forme Hayes 200 mais de taille inhabituellement grande. Les pièces identifiées sont datées de la fin du iie s. au ive s.
- 28 Amraoui, Bonifay à paraître.
35Un exemplaire unique de marmite en céramique modelée micacée semble se rattacher aux productions attestées à Lambèse au iiie s. (AB 126 : fig. 11, no 27)28.
36Les céramiques communes comportent un certain nombre de formes ouvertes : bols, coupelles, mortiers, couvercle, pot à deux anses. Deux bols (ex. AB 101 : fig. 12, no 31) trouvent un rapprochement morphologique avec le type Uzita 1. Toutefois, ce sont les cruches qui dominent dans cette catégorie, avec 125 exemplaires. Une grande partie d’entre elles est intacte ou possède un profil complet.
Fig. 12 : Collection Aubert-Buès. Céramique
31) commune, bol (AB 101) ; 32) commune, cruche type 1 (AB 336) ; 33) commune, cruche type 2 (AB 211) ; 34) commune, cruche type 3 (AB 233) ; 35) commune, cruche type 4 (AB 201) ; 36) commune, cruche type 5 (AB 213) ; 37) commune, cruche type 6 (AB 287) ; 38) commune, cruche type Bonifay 60 (AB 351) ; 39) commune, cruche type Bonifay 51.1 (AB 200) ; 40) commune, flacon type Bonifay 58 (AB 245).
T. Mukai, R. Rêve, Ipso Facto
37Une série de cruches présente une finition qui se rapproche pour partie de la céramique commune et pour partie des productions locales de sigillées. En effet, la plupart de ces objets sont engobés seulement dans leur moitié supérieure (col et haut de panse). Dans l’attente d’analyses archéométriques permettant une meilleure définition, nous proposons de créer une nouvelle catégorie dénommée céramique commune engobée, avec deux types principaux.
38Le type 1 compte sept exemplaires. Il s’agit, pour six d’entre eux, de cruches mono-ansées à panse piriforme, proche du type Bonifay 52, avec un bord déversé à section triangulaire et un fond plat généralement dégagé par un ressaut ou une cannelure (ex. AB 240 : fig. 11, no 28). Le type 2 compte trois exemplaires (ex. AB 281 : fig. 11, no 29). Il regroupe des cruches à panse globulaire et col allongé, avec un bord à section triangulaire. Enfin, un exemplaire à deux anses (AB 372 : fig. 11, no 30) peut se rapprocher typologiquement des cruches F2 en sigillée de l’atelier de Sidi Aïch29. Cette cruche possède également un bouchon de chaux qui scelle encore son contenu.
39Les cruches en céramique commune non engobée sont les plus nombreuses. Il est possible de dresser une typologie régionale pour environ la moitié d’entre elles. Le type 1 réunit quatorze exemplaires de cruches mono-ansées, à panse carénée à mi-hauteur, à col long et bord déversé avec une gorge interne, pied annulaire muni d’un ressaut (ex. AB 336 : fig. 12, no 32). Les types 2 à 4 se rapprochent du type piriforme Bonifay 52. Le type 2, qui compte douze exemplaires, est caractérisé par un bord simple légèrement déversé, une anse plate collée sous le bord, la présence généralement de deux cannelures sur le col et un fond dégagé, sans pied (ex. AB 211 : fig. 12, no 33). Le type 3 comprend sept exemplaires. Proches du type 2, ces cruches mono-ansées à panse piriforme possèdent un bord beaucoup plus évasé, un fond plat ainsi que des traces de tournage bien visibles (ex. AB 233 : fig. 12, no 34). Le type 4 réunit trois cruches à bord arrondi déversé (ex. AB 201 : fig. 12, no 35). Les huit cruches communes africaines regroupées dans le type 5 se rapprochent un peu du type Bonifay 51.2. Ce sont des cruches mono-ansées à panse piriforme avec une anse plate et un bord en bandeau (ex. AB 213 : fig. 12, no 36). Le type 6 compte six exemplaires. Ces cruches mono-ansées (à section plate) ont une panse globulaire avec un long col et un bord généralement déversé à lèvre pendante (ex. AB 287 : fig. 12, no 37). Un exemplaire possède un bord à section triangulaire.
- 30 Bonifay 2004, p. 390.
- 31 Bonifay 2004, p. 282.
- 32 Bonifay 2004, p. 285-287.
40Quelques cruches semblent originaires d’autres régions de Tunisie. Par exemple, trois exemplaires de type Bonifay 60 (ex. AB 351 : fig. 12, no 38) pourraient provenir de la région de Carthage où ce type est attesté de la fin du ive s. au vie s.30. Quelques cruches sont proches des formes mises au jour dans la fouille de la nécropole de Pupput (Hammamet). On note deux exemplaires proches du type Pupput 1 (?) et un exemplaire proche du type Pupput 2. Ces formes sont bien connues au iie s. sur le littoral de la Byzacène31. Enfin, une cruche de type Bonifay 51.1 (AB 200 : fig. 12, no 39), attesté à la fois en Byzacène et à Carthage, peut être datée de la seconde moitié du iie s.32.
41Par ailleurs, il n’est pas inintéressant de signaler ici la présence de trois flacons de type Bonifay 58 (ex. AB 245 : fig. 12, no 40). Bien que ce type de récipient soit présent en Afrique dès l’époque punique, les exemplaires de la collection Aubert-Buès se rapprochent des productions datées du iie s. à la fin du ive s.
- 33 Bailey 1988, p. 98. Une provenance africaine n’est toutefois pas à exclure (voir (...)
42Les marques de potiers nous permettent d’identifier certaines lampes du Haut-Empire à de probables productions italiques. Une lampe appartient au type Loeschcke I/Deneauve IV A qui est caractérisé par un bec triangulaire orné de volutes, l’absence d’anses, un bandeau plat et horizontal. Cette lampe porte une marque incisée L M SV (L. Munatius Successus ?) sur le fond (flavien tardif-Trajan)33. Une lampe à canal fermé avec marque OPPI RES (C. Oppius Restitutus) en creux sur le fond ressort du type Loeschcke IX/Deneauve IX A de la famille des Firmalampen, datable de la fin du ier au milieu du iie s. Deux lampes correspondent au type Deneauve VII A, à bec rond limité par un sillon : AB 1105, avec une marque incisée L M SV (?) sur le fond, et AB 1112 avec une marque C OPPI RES en creux sur le fond.
43Nous comptons également deux lampes italiques de l’époque tardive : un type Bailey R daté du ive au ve s.34 et une possible lampe sicilienne d’époque byzantine. Ces deux dernières lampes ne sont peut-être pas issues d’un contexte archéologique africain.
- 35 Bailey 1988, Q1967, p. 240.
- 36 Bailey 1988, Q2178 et 2179.
- 37 Bailey 1988, Q2263.
44Les lampes produites en Égypte sont représentées par trois exemplaires. La plus ancienne d’entre elles est en pâte brune et fine avec un décor géométrique d’oves alternant avec des fers de lance sur le bandeau, une palmette sur le bec. Elle est datable du iie s. apr. J.-C.35 Le type « lampe-grenouille »36, caractéristique des iiie-ive s., est représenté par un exemplaire. Enfin, une lampe tardive37 est datable de la fin du vie – début du viie s. apr. J.-C. Il paraît assez peu probable que ces trois lampes aient été découvertes en Afrique.
45Parmi les lampes d’époque républicaine, on remarque trois lampes de type Deneauve Gr. XVI, lampes à bec large et corne latérale saillante datable de 150-27 av. J.-C. (ex. AB 1004 : fig. 13, no 42) et une lampe Dressel 3, à ailerons latéraux, datable du ier s. av. J.-C.
Fig. 13 : Collection Aubert-Buès. Céramique
41) lampe africaine, Deneauve Gr. V (AB 1000) ; 42) lampe africaine, Deneauve Gr. XVI (AB 1004) ; 43) lampe africaine, Deneauve 7A (AB 1110) ; 44) lampe africaine, Deneauve 8B.2/Bonifay 11 (AB 1107) ; 45) lampe en céramique commune, Bussière E VI 4 (AB 1032) ; 46) lampe en sigillée africaine, Atlante I (AB 1082) ; 47) lampe sigillée africaine, Atlante IVA (AB 1078) ; 48-49) lampes en sigillée africaine, Atlante IV variante (AB 1046 et 1049) ; 50) lampe en sigillée africaine, Atlante VI (AB 1064) ; 51) lampe en sigillée africaine, Bonifay 45a/Atlante VIII (AB 1074) ; 52) lampe en sigillée africaine, Atlante X variante locale (AB 1071).
T. Mukai, Ipso Facto
46Nous avons classé parmi les productions africaines, en raison de l’aspect de la pâte et de la surface, deux lampes Deneauve IV A, une lampe Deneauve V A, à bec arrondi orné de volutes doubles, et deux lampes Deneauve V D, à bec arrondi orné de volutes simples. Ces objets sont datés entre le deuxième quart du ier s. et la première moitié du iie s. apr. J.-C.
- 38 Bailey 1988, p. 99. Il n’est pas impossible que le même producteur ait eu d’autres (...)
- 39 Bonifay 2004.
47Avec quinze exemplaires, le type Deneauve VII est le plus représenté dans cet ensemble (ex. AB 1110 : fig. 13, no 43). On distingue de nombreuses variantes, signe probablement de la multiplicité des ateliers à l’origine de ces produits. L’exemplaire AB 1155, avec un bandeau orné de protubérances et une marque M NOV IVST (M. Novius Iustus) en creux sur le fond, pourrait provenir d’un atelier d’Hadrumète38. Le type Deneauve VIII, à bec cordiforme, est aussi bien présent. Sa réorganisation récente en quatre sous-types39 concerne principalement la variante B de Deneauve. Nous retrouvons ces quatre sous-types dans la collection. Le sous-type 1, à bandeau orné de rameaux d’olivier, compte un exemplaire. En revanche, sont présents huit exemplaires du sous-type 2, caractérisé par un bandeau orné d’une guirlande de laurier noué (ex. AB 1107 : fig. 13, no 44). Nous comptons également deux lampes du sous-type 3 dont le bandeau est orné de pampres de vigne et une du sous-type 4, avec son bandeau orné de rangées de globules.
- 40 Bonifay 2004, p. 333-337 ; Bussière 2000, nos 3662-3680.
- 41 Bussière 2000, nos 4172-4235.
- 42 Cf. Bonifay 2004, fig. 191.
48Parmi les types de lampes minoritaires, nous trouvons un exemplaire du type Deneauve IX B, à canal ouvert (AB 1152, avec marque M NOV IVST en creux sur le fond), une lampe à bec triangulaire du type Deneauve X sous-type 2, et une autre proche du sous-type 3 à décor géométrique (type Bussière E I 2)40. Une lampe à côtes de melon et à bec rond correspond au type Bussière E III 141. Elle est datable de la première moitié du iiie s., voire plus tard. Enfin, deux lampes trouvent des comparaisons dans la typologie de Tunisie centrale établie à Raqqada (types Ennabli 14 et Ennabli 15 / Salomonson h)42.
49Les lampes en céramique commune de l’Antiquité tardive sont représentées d’une part par plusieurs exemplaires de variantes tardives des types du Haut-Empire, sans engobe et avec une anse pleine, et d’autre part par des lampes tournées. L’exemplaire AB 1080 appartient à un des types Bonifay 26, une des variantes tardives de type Deneauve VII datable du ive au début du ve s. Quatre objets correspondent à une autre variante, attribuable au type Bonifay 27. Deux lampes peuvent être identifiées comme Bonifay 32A qui est une des variantes tardives de type Deneauve VIII, sous-type 4 (lampe à bandeau orné de rangées de globules). En revanche, deux autres appartiennent au type Bonifay 33A/Deneauve XI B qui est une variante tardive du type Bussière E III 1 (lampes à côtes de melon et à bec rond). Toutes ces variantes sont datables des ive-ve siècles.
- 43 Bussière 2000, nos 6907-7073.
- 44 Bussière 2000, nos 7074-7125.
- 45 Bonifay 2004, p. 430.
- 46 Bussière 2000, p. 401.
50Au sein des lampes tournées, deux types sont attestés : l’un est le type Bussière E VI 343, caractérisé par un corps circulaire, muni d’une petite anse conique et d’un bec percé (datable du milieu du ve s. au viie s. ?), et l’autre est le type Bussière E VI 444 qui est la lampe tournée à bassin circulaire ventru profond, munie d’une petite anse conique et d’un bec rond (datable des vie-viie s., voire plus tardive selon les données de fouilles de la région du Cap Bon45). Ce dernier type est représenté dans la collection par sept exemplaires (ex. AB 1032 : fig. 13, no 45). De nombreuses lampes de ce type ont été trouvées dans la ville de Tébessa46 dont le nom a été inscrit de la main de Cl. Aubert sur l’un de nos exemplaires.
51Dans la catégorie des lampes en sigillée africaine, nous regroupons toutes les lampes issues des grands ateliers à large diffusion et aussi des ateliers locaux. La présence, au sein de ces dernières, de types datés du iiie s. est particulièrement intéressante en raison de leur très faible diffusion dans le nord du bassin méditerranéen.
- 47 Cf. également Bussière 2007, type E VII 2, noC5-C20, notamment C17 (...)
- 48 Nasr 2005, Pl. CI, fig. 5 et Pl. CVII, fig. 16.
- 49 Atlante I, p. 190, tav. CLV, no9.
- 50 Bussière 2007, noC1609-1663 : principalement attesté à Hippone.
52Nous attribuons au type Atlante I, variante en sigillée du type Deneauve VIII, un exemplaire caractérisé par un bec cordiforme (AB 1082 : fig. 13, no 46), de datation toutefois incertaine en raison de son bandeau anormalement large et à décor atypique. Le type Atlante III est représenté par trois exemplaires. Il s’agit d’une lampe à bec court et rond comportant un canal bordé d’un filet, à disque fermé, bordé de deux bourrelets alternant avec deux larges sillons (seconde moitié du iiie s.). Avec ses quatorze exemplaires, le type Atlante IV A (ex. AB 1078 : fig. 13, no 47) est le type le plus représenté dans ce groupe de production régionale. Il est caractérisé par un bec à canal ouvert sur un disque limité par des sillons larges et profonds. Sa datation s’étend de la seconde moitié du iiie jusqu’à la première moitié du ive s. ou plus tard encore si l’on tient compte de possibles variantes régionales tardives (AB 1046 et 1049 : fig. 13, nos 48–49)47. Ces dernières semblent caractéristiques des productions de l’atelier de Sidi Aïch48. Un seul exemplaire de la variante B est présent, avec le bandeau orné d’une palme49. Enfin, deux lampes pourraient être attribuables au type Bussière E XI 4750.
- 51 Atlante I, p. 191, tav. CLV, no6.
- 52 Bonifay 2004, p. 355, 357.
53Le type Atlante VI51 est représenté par sa variante Bonifay 4152 caractérisée par les parois latérales à profil rentrant : deux exemplaires appartiennent à sa variante 1 sans canal, à bandeau lisse, et trois à la variante 2 avec canal, à bandeau lisse (ex. AB 1065 : fig. 13, no 50) ; enfin un objet correspond à la variante 3 (sans canal, à bandeau décoré). Elles sont datables des iiie – ive (?) siècles.
- 53 Atlante I, p. 194-198 pour Atlante VIII, p. 200-204 pour Atlante X(...)
54Les deux principaux types de lampes en sigillée, Atlante VIII et X sont très diffusés dans le monde méditerranéen de la fin du ive jusqu’à la fin du viie s.53.
- 54 Bonifay 2004, p. 359, 362.
55Les variantes A et B du type Bonifay 4454/Atlante VIII A1c/A2b, caractérisées par le bandeau convexe et le disque à rosace centrale, sont attestées dans cet ensemble : AB 1091 appartient à la variante A avec le décor de palmes sur le bandeau, tandis que AB 1157 correspond à la variante B (stries obliques sur le bandeau). Elles sont produites en Tunisie centrale, avec une datation supposée vers la première moitié du ve s. Deux exemplaires
(ex. AB 1074 : fig. 13, no 51) du type Bonifay 45/Atlante VIII A1a/A2a, dont le bandeau est convexe et le décor du disque libre, représentent la variante A (palmes sur le bandeau) de ce type. Comme le type précédent, elles ont été produites en Tunisie centrale.
- 55 Ennabli 1976, no1233.
- 56 Bonifay 2004, type 52.1.
56Au sein du type Atlante X, nous avons recensé un exemplaire du groupe C2/Bonifay 54 (ve s.), un du groupe D2/Bonifay 65 (fin du ve – troisième quart du vie s.), identique à un exemplaire de Carthage55, et une lampe du groupe D3/Bonifay 66 (fin du ve – troisième quart du vie s.). Enfin, un objet assimilable au type Atlante IX pourrait être une imitation régionale d’un type de Tunisie septentrionale56, en raison de son engobe orange brunâtre (AB 1071 : fig. 13, no 52).
57Deux des trois amphores d’époque romaine appartiennent au type Bonifay 7, à anses sur l’épaulement (ex. AB 177 : fig. 14, no 53) et sont peut-être des productions locales. Ce type de cruche de transport est fréquent dans les régions internes de la Tunisie actuelle57. L’origine de la troisième amphore romaine reste à déterminer (Afrique ou Sicile ?).
Fig. 14 : Collection Aubert-Buès. Céramique
53) amphore africaine Bonifay 7 (AB 177) ; 54) unguentarium (AB 2047) ; 55) figurine votive (AB 2022) (T. Mukai, Ipso Facto) ; 56-58) carreaux décoratifs (C. Durand, AMU-CNRS / CCJ).
58Signalons un nombre important d’unguentaria ou balsamaires en céramique. On compte en effet 59 de ces objets (ex. AB 2047 : fig. 14, no 54) dont certains présentent des recollages intempestifs, réalisés anciennement : des exemplaires sont « entiers », mais le pied, le corps et le bord n’appartiennent pas au même objet. La datation de ces exemplaires s’étend du iie s. av. J.-C. au ier s. apr. J.-C.
59Parmi les sept figurines en terre cuite, ont été identifiées une figurine zoomorphe (coq), deux têtes de personnages moulées, sans doute à vocation votive (une d’un jeune homme – AB 2022 : fig. 14, no 55 – et une d’une jeune femme), une figurine de divinité féminine (?) et une de divinité masculine (Sérapis ou Saturne), auxquelles s’ajoute la représentation d’un joueur de flute, probablement une applique de lampe à huile ou de vase (?). Plusieurs fragments anthropomorphes (haut et bas du corps, fragments de bras et jambes) semblent appartenir à une même statuette (ou jouet) en terre cuite. Enfin, une intaille en terre cuite porte la représentation de deux personnages incisés.
60La collection compte six carreaux décoratifs, dont trois portent des décors géométriques ou floraux et trois autres des représentations zoomorphes (canidés ou félins ?, capridé ?) encadrées par deux colonnettes ou, dans un cas, inscrite dans un cercle (fig. 14, nos 56-58). Ces éléments architecturaux peuvent être datés de l’Antiquité tardive et servaient au décor des plafonds et murs des basiliques chrétiennes. Des recherches de comparaison sont en cours afin de déterminer si ces éléments architecturaux ont la même origine que les vaisselles.
61On peut déjà noter qu’un seul de ces carreaux est du groupe « à réglettes de type A »58, caractéristique des productions du nord de la Tunisie, tandis que les autres appartiennent aux groupes dits « à colonnettes » bien connus en Tunisie centrale ou ne sont pas classifiables avec exactitude.
62On note également huit tubes de voûte. Trois d’entre eux semblent appartenir à une production du nord de la Tunisie, d’après l’observation de la pâte.
63Les objets non céramiques sont minoritaires. Nous comptons néanmoins 40 récipients en verre au sein desquels dominent les balsamaires, avec 35 exemplaires. La majorité d’entre eux appartient au type Isings 8, datable du milieu et de la seconde moitié du ier s. (ex. AB 2086 : fig. 15, no 59). Une grande urne en verre incomplète, de forme globulaire et à fond ombiliqué, est également présente. Un seul objet pourrait être daté du ive s. : il s’agit d’un gobelet tronconique à bord coupé de couleur vert olive appartenant au type Isings 106 (AB 2038 : fig. 15, no 60).
Fig. 15 : Collection Aubert-Buès. Verre
59) unguentarium Isings 8 (AB 2086) ; 60) gobelet Isings 106 (AB 2038).
C. Durand, AMU-CNRS / CCJ
- 59 Dont six sont vraisemblablement d’époque contemporaine. Cela semble également être le (...)
64Les objets en métal sont difficiles à dater. Une hache-marteau en fer avec les restes du manche en bois, un lot de tiges métalliques, huit clous en fer59. Bien que sa datation soit incertaine, une paire de ciseaux ou de forces en fer est intéressante à signaler (AB 2108 : fig. 16, no 61). Cet objet a été donné à Cl. Aubert par un pharmacien résidant en Algérie (Bône).
Fig. 16 : Collection Aubert-Buès. Métal
61) Ciseaux ou forces en fer (AB 2108)
T. Mukai, Ipso Facto
65Une carte de visite signée de la main de ce pharmacien permet de situer l’origine de la pièce : « L. Nègre envoie à M. Aubert une paire de ciseaux trouvés à Benier [?] (ouest – Zanati [?]) dans un tombeau, à 1 m 50 au-dessous du sol. Son bien dévoué Nègre » (inscription recto/verso). Enfin, une plaque et une anse en plomb appartiennent peut-être à une même urne ou coffret antique.
66La recherche archéométrique intégrée, pétrographique et chimique en fluorescence X, qui sera appliquée à terme à l’ensemble de la collection a été testée dans cette phase préliminaire sur les seules sigillées africaines. Une série de douze échantillons a été étudiée au microscope polarisant sur lames minces et soumise à une analyse élémentaire en spectrométrie de fluorescence X sur un appareil portable Bruker Tracer IV SD. Pour chaque objet analysé en XRF portable, les mesures ont été prises en trois points : a) sur la surface engobée (intérieure pour les plats, extérieure pour les cruches), b) sur la surface extérieure non engobée (extérieur des plats et fond des cruches) et c) sur la tranche fraîche (à l’emplacement du prélèvement pétrographique).
67On remarquera :
68– que les mesures croisées pétrographiques et en fluorescence X portent sur un faible effectif ;
69– qu’il y a un certain nombre de convergences entre les deux méthodes ;
70– que ces convergences s’observent principalement avec les mesures XRF effectuées sur la surface engobée, sauf pour AB 376 dont la mesure sur engobe n’est pas exploitable, et pour AB 112 (sigillée faiblement engobée) dont, en revanche, la mesure sur tranche est la seule corrélable avec les données pétrographiques ;
71– que les comparaisons avec des ateliers déjà caractérisés portent sur un référentiel restreint pour la pétrographie, voire très restreint (atelier de Sidi Aïch et atelier de Sidi Khalifa) pour la fluorescence X.
72Les analyses pétrographiques au microscope polarisant sur lames minces de douze échantillons de sigillée africaine ont permis de reconnaître un groupe principal, assez variable, un groupe minoritaire (mais homogène) de deux échantillons et trois échantillons isolés (fig. 17).
Fig. 17 : Étude archéométrique. Micro-photos en lames minces (Nx) d’échantillons représentatifs
C. Capelli
Groupe 1 : AB 059, 061, 080, 328, 373, 376, 379
73Les pâtes montrent une matrice argileuse riche en fer oxydé et des inclusions assez fines, généralement anguleuses, composées principalement de grains de quartz et de feldspath (<0,2 mm), avec de plus rares micas (généralement fins) et des fragments ou nodules (jusqu’à 0,5 mm) d’argile/argilite et de grès (et parfois limon) à quartz et feldspath. Les grains isolés dérivent probablement, au moins en partie, de la désagrégation de ces dernières roches. Caractéristique est aussi la présence constante de plusieurs feldspaths zonés (probablement à cause de températures de cuisson généralement assez hautes). Toutes les pâtes présentent d’abondantes vacuoles fines, aplaties et iso-orientées par le façonnage au tour. L’engobe est toujours fin (<20-30 microns) et assez régulier (la surface est peu régulière seulement dans AB 328).
74Tandis que la fraction silteuse est toujours abondante, on observe une discrète variabilité dans les pourcentages de la fraction sableuse, qui permet, avec d’autres caractéristiques de la matrice, de distinguer cinq sous-groupes. AB 328 et 376 (1.1) se différencient par des inclusions assez bien classées et nombreuses (spécialement en AB 328), lorsque les inclusions sableuses sont assez rares en AB 059 et 080 (1.2). Les pâtes de ces quatre échantillons (1.1 et 1.2) sont bien cuites et macroscopiquement rouge-orange vif, tandis que les autres (1.3 à 1.5) montrent des températures de cuisson moins hautes.
75AB 061 et 379 se rapprochent du sous-groupe 1.1, mais AB 061 (1.3) présente une matrice plus claire (orange) et une fréquence de mica un peu plus abondante. AB 379 (1.4) est particulièrement riche en mica fin. Enfin, AB 373 (1.5) est plus similaire au sous-groupe 1.2.
- 60 Bonifay, Capelli, Brun 2012.
76En ce qui concerne l’hypothèse archéologique d’une provenance de Sidi Aïch pour la plupart de ces échantillons, on note d’assez bonnes comparaisons entre les pâtes des références de cet atelier à notre disposition60 et celles du sous-groupe 1.1, même si, dans les premières, les pourcentages d’inclusions fines sont mineurs (et les vacuoles aplaties rares).
- 61 Même si les pâtes sont assez différentes, les ressemblances chimiques (et techniques) (...)
77Toutefois, les différences sont plus importantes entre les références de Sidi Aïch et le sous-groupe 1.2, à pâte fine. Si la provenance de Sidi Aïch est possible pour le sous-groupe 1.1, l’origine de cet atelier pour le sous-groupe 1.2 ne peut pas être confirmée par la pétrographie sur la base des données actuellement disponibles. Les autres échantillons présentent également des différences texturales et/ou techniques plus ou moins importantes avec les références de Sidi Aïch. Il reste la présence en commun des grès/silt (et du feldspath zoné), qui pourrait indiquer, en tout état de cause, une provenance d’au moins deux ateliers de la même région géologique61. Par ailleurs, on peut observer la présence (rare) de grès à quartz et feldspath (zoné) également dans nos références de l’atelier de Djilma et de la sigillée E (dont les pâtes sont bien distinguables de celles de Sidi Aïch). D’autre part, en général, les pâtes des ateliers «continentaux» sont bien distinguables de celles des ateliers plus côtiers (parmi les caractéristiques plus évidentes on cite la présence de quartz éolien et la rareté de feldspath et mica).
Groupe 2 : AB 062, 063
78Ces deux échantillons, similaires entre eux, sont très différents de tous les autres. Les pâtes, bien cuites, montrent une matrice argileuse riche en fer oxydé et des inclusions assez abondantes et bien classées, à distribution bimodale. La fraction silteuse est formée par du quartz avec de rares micas et minéraux lourds (épidote, tourmaline). Les inclusions sableuses, assez grossières (jusqu’à 0,5 mm, probablement ajoutées), sont composées de quartz (anguleux ou plus souvent arrondi/éolien, spécialement en AB 062) et de rares feldspath. L’engobe est assez épais (30-50 microns), plus sombre que la matrice de la pâte en AB 062, tandis qu’il est moins épais (et peu visible sur la lame mince) en AB 063.
AB 047
79La pâte, riche en inclusions assez fines, montre quelques similitudes avec les pâtes du sous-groupe 1.2 (supra), parmi lesquelles la présence de grès et silt à quartz et feldspath. Elle se distingue principalement par l’abondance relative de fragments d’argilites et de silt et, du point de vue technique, par la haute température de cuisson (la pâte est presque complètement vitrifiée).
- 62 Bonifay, Capelli, Brun 2012.
80Même si l’échantillon est attribué à la sigillée E, la pâte est très différente des références typiques de cette catégorie qui est beaucoup moins riche en inclusions silteuses62. Les différences typologiques avec le groupe précédent et avec la production de Sidi Aïch suggèrent d’isoler cet échantillon problématique, qui pourrait de toute façon appartenir à une production de la même région.
AB 028
81La pâte est caractérisée par des inclusions moyennement abondantes, anguleuses, assez bien classées (à distribution bimodale), de dimensions assez fines (<0,2 mm), composées de quartz, de feldspath subordonné, de mica (fin), de rare grès et nodules d’argile. Les vacuoles planaires sont rares. L’engobe est très fin (10 microns).
- 63 Bonifay, Capelli, Brun 2012.
82Cette pâte est très différente de celles, très fines à inclusions essentiellement quartzeuses, de l’atelier de sigillée C de Sidi Marzouk Tounsi. Il y a également peu de comparaisons avec Djilma, tandis que la pâte est assez similaire à celle de la catégorie C/E63.
AB 112
83La pâte se caractérise par une matrice argileuse semi-pure, sans vacuoles planaires, avec une probable composante calcaire subordonnée à la composante ferrugineuse (la couleur est orange et non pas rouge comme dans les autres échantillons). Les inclusions sableuses sont abondantes, anguleuses, bien classées (<0,3 mm, principalement <0,2 mm), peut-être ajoutées. Elles sont composées principalement de quartz, plus rares fossiles (dissociés par la cuisson), feldspath et occasionnels minéraux lourds (zircon, amphibole, rutile).
- 64 Amraoui, Bonifay à paraître.
84Les comparaisons avec une des productions régionales de Lambèse64 sont précises.
85Ces analyses sont comparées à celles obtenues dans une précédente étude65 sur les surfaces engobées des références de l’atelier de Sidi Aïch et de Sidi Khalifa (tableau 2).
Tableau 2 : Étude archéométrique
Échantillon |
Al |
Si |
P |
S |
K |
Ca |
Ti |
Mn |
Fe |
AB028 |
22,06 |
49,16 |
0,09 |
1,41 |
10,89 |
5,40 |
1,41 |
0,06 |
9,52 |
AB047 |
18,57 |
51,11 |
0,17 |
0,51 |
9,71 |
9,09 |
1,24 |
0,08 |
9,50 |
AB059 |
24,77 |
46,95 |
0,04 |
1,63 |
10,16 |
6,13 |
1,54 |
0,06 |
8,71 |
AB080 |
26,57 |
43,50 |
0,12 |
0,67 |
10,83 |
7,04 |
1,64 |
0,10 |
9,54 |
AB373 |
24,99 |
40,92 |
0,03 |
2,96 |
12,29 |
7,30 |
1,48 |
0,05 |
9,98 |
AB061 |
19,77 |
44,31 |
0,25 |
6,56 |
8,23 |
7,77 |
1,65 |
0,09 |
11,36 |
AB063 |
24,12 |
50,99 |
0,16 |
0,58 |
4,76 |
3,64 |
1,62 |
0,09 |
14,04 |
AB062 |
22,72 |
41,19 |
0,13 |
1,34 |
4,53 |
4,78 |
1,69 |
0,12 |
23,50 |
AB328 |
28,45 |
44,26 |
0,30 |
0,51 |
11,29 |
5,30 |
1,48 |
0,05 |
8,35 |
AB379 |
21,50 |
49,83 |
0,15 |
0,85 |
10,34 |
5,73 |
1,57 |
0,06 |
9,97 |
ACD397 |
27,03 |
50,85 |
0,12 |
0,24 |
5,71 |
4,12 |
1,76 |
0,06 |
10,12 |
ACD395 |
24,88 |
54,06 |
0,13 |
0,21 |
5,16 |
4,30 |
1,66 |
0,05 |
9,56 |
SA15 |
25,12 |
43,75 |
0,13 |
0,59 |
10,63 |
9,23 |
1,43 |
0,07 |
9,04 |
SA12 |
24,41 |
42,77 |
0,02 |
0,23 |
14,73 |
7,18 |
1,54 |
0,10 |
9,03 |
Mesure en fluorescence X portable (Bruker Tracer IV SD) sur les surfaces engobées des sigillées africaines de la collection Aubert-Buès (AB), des échantillons de référence de l’atelier de Sidi Aïch (SA) et des échantillons de référence de l’atelier de Sidi Khalifa (ACD). (Analyses en % masse des éléments analysés, ACD et SA d’après Bonifay et alii 2015).
J.-P. Ambrosi
86Aluminium et silicium montrent des variations entre des échantillons moins riches en silicium et proches des références de Sidi Aïch et des échantillons plus riches comme les références de Sidi Khalifa (fig. 18).
Fig. 18 : Étude archéométrique
Diagramme binaire silicium – aluminium des sigillées africaines de la collection Albert-Buès (AB), de l’atelier de Sidi Aïch (SA) et de l’atelier de Sidi Khalifa (ACD). (Analyses exprimées en %, cf. tableau 2).
J.-P. Ambrosi
87Ainsi AB 062, AB 080 et AB 373 sont très proches en concentration en Al et Si tandis que AB 328 est plus alumineux et AB 061 moins. AB 059 est légèrement plus siliceux et intermédiaire vers AB 379 ; AB 028 et AB 063 plus siliceux et moins alumineux ; AB 047 étant nettement moins alumineux. Le potassium montre de faibles valeurs pour les échantillons AB 062 et AB 063 proches de celles des références de Sidi Khalifa (fig. 19). Les teneurs en potassium sont plus élevées pour les autres échantillons mais trois groupes se distinguent en fonction de la teneur en aluminium. Ainsi un premier groupe autour des références de Sidi Aïch à aluminium et potassium élevés (AB 059, AB 373, AB 080 et AB 328, fig. 19) se distingue d’un groupe à aluminium plus faible (AB 061 et AB 047) ; AB 379 et AB 028 se situant en position intermédiaire.
88Le calcium montre également des valeurs bien différenciées, tandis que le fer montre des valeurs extrêmes pour AB 062.
Fig. 19 : Étude archéométrique
89D’un point de vue chimique, les objets de la collection que nous avons analysés sur leurs surfaces revêtues d’un engobe montrent une diversité chimique qui peut être tributaire, au moins en partie, de l’épaisseur de l’engobe.
En effet, selon cette épaisseur, la réponse du rayonnement de fluorescence peut provenir d’une profondeur intégrant une partie plus ou moins importante de la zone sous engobe. Donc, il est possible que l’analyse soit le résultat de la somme de la composition de l’engobe et d’une partie de la pâte. Cependant, la chimie différentie trois échantillons relativement isolés : AB 062 (forte teneur Al+Fe et faible Ca+K, fig. 20), AB 047 (faible Al+Fe et fort Ca+K) et AB 063 proche des références Sidi Khalifa. AB 061, AB 028 et AB 379 sont identiques d’un point de vue chimique. Ils sont proches de AB 059, lui-même comparable aux échantillons de Sidi Aïch et AB 373 ; AB 080 et AB 328 (fig. 20).
Fig. 20 : Étude archéométrique
Diagramme binaire aluminium + fer– calcium + potassium des sigillées africaines de la collection Albert-Buès (AB), de l’atelier de Sidi Aïch (SA) et de l’atelier de Sidi Khalifa (ACD). (Analyses exprimées en %, cf. tableau 2).
J.-P. Ambrosi
90On remarque que quelques échantillons se rapprochent des compositions chimiques des références de Sidi Khalifa, ceci n’indique pas une origine de ces échantillons (par ailleurs peu vraisemblable) à cet atelier, mais la distance par rapport à la production de Sidi Aïch.
91Cette étude en cours permet de faire cinq observations (tableau 3) :
Tableau 3 : Étude archéométrique
Inv. |
N° |
Classe |
Type |
Pétrographie |
XRF |
Interprétation pétrographique |
Interprétation XRF |
Interprétation archéologique |
AB 328 |
20 |
Sig. régionale indét. |
Cruche SA F3 |
1.1 |
Proche AB 373, 080 |
Proche SA |
Proche SA |
Régional, SA exclu |
AB 376 |
18 |
Sig. régionale indét. |
Cruche SA F2 |
1.1 |
Altéré |
Proche SA |
? |
Régional, SA exclu |
AB 059 |
7 |
Sig. régionale Gr. 2 |
H. 27/31 (SA F12.2) |
1.2 |
Proche AB 028, 061, 379 |
SA pas confirmé |
Comparable SA |
SA |
AB 080 |
9 |
Sig. régionale Gr. 2 |
H. 49 var. (SA F3) |
1.2 |
Proche AB 373, 328 |
SA pas confirmé |
Proche SA |
SA |
AB 061 |
6 |
Sig. régionale Gr. 1 |
H. 27/31 |
1.3 |
= AB 28 = 379, proche AB 59 |
SA pas confirmé |
Comparable SA |
Régional, non SA ? |
AB 379 |
19 |
Sig. régionale indét. |
Cruche SA F1/2 |
1.4 |
= AB 28 = 61, proche AB 59 |
SA pas confirmé |
Comparable SA |
Régional, non SA ? |
AB 373 |
17 |
Sig. régionale indét. |
Cruche SA F2 |
1.5 |
= réf. SA 15 |
SA pas confirmé |
= SA |
Régional, non SA ? |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
AB 062 |
8 |
Sig. régionale Gr. 3 |
Hayes 27/31 var. |
2 |
Isolé |
Régional, SA exclu |
Proche SK |
Régional, SA exclu |
AB 063 |
11 |
Sig. régionale Gr. 3 |
LRP, fig. 58a/b |
2 |
Isolé |
Régional, SA exclu |
Proche SK |
Régional, SA exclu |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
AB 047 |
5 |
Sigillée E |
H. 57 |
Isolé |
Isolé |
Isolé |
Proche SK |
Non régional |
AB 028 |
4 |
Sigillée C ? |
H. 44 |
Isolé |
= AB 61 = 379, proche AB 59 |
Proche C/E |
Comparable SA |
Non régional |
AB 112 |
22 |
Sig. rég. numidienne |
Lambèse 5 |
Isolé |
Isolé (mesure tranche) |
Lambèse |
|
Lambèse |
Tableau de synthèse des données pétrographiques, XRF et archéologiques. Abréviations : Gr. = groupe ; LRP = Late Roman Pottery = Hayes 1972 ; SA = Sidi Aïch ; SK = Sidi Khalifa.
Collectif.
92– Du point de vue méthodologique, l’analyse en XRF portable du vernis des sigillées semble constituer un angle d’attaque pertinent et relativement corrélable aux méthodes pétrographique et archéologique.
93– Les sept premiers échantillons s’intègrent dans un grand groupe dont l’attribution à Sidi Aïch (SA) n’est pas exclue en tenant compte pour chacun d’eux d’au moins un – généralement deux – type(s) de donnée(s) (pétrographique et/ou XRF et/ou archéologique). On note toutefois un certain nombre de problèmes : les données archéologiques semblent contester cette attribution pour AB 061, 379 et 373, tandis que les données XRF y sont plutôt favorables. D’autre part, la pétrographie ne confirme pas l’attribution à Sidi Aïch des échantillons AB 059 et 080 alors que les données archéologiques sont en revanche très favorables à cette attribution qui n’est pas contredite par la XRF.
94– La pétrographie, la XRF et l’archéologie confirment l’association des plats AB 062 et 063 (sigillée régionale groupe 3). La comparaison XRF avec Sidi Khalifa, dont l’origine est totalement exclue par l’archéologie (et la pétrographie), renforce le caractère isolé de ce groupe et sa différentiation chimique vis-à-vis des références de Sidi Aïch.
95– La pétrographie et l’archéologie confirment une origine de Lambèse pour AB 112. Le caractère isolé de cet échantillon est confirmé par la mesure XRF sur la tranche.
96– Sont également isolés du point de vue pétrographique et archéologique les échantillons AB 047 et 028 (sigillée E et C non régionale). La comparaison XRF avec Sidi Khalifa de AB 047 est totalement exclue par l’archéologie (et la pétrographie) mais renforce le caractère isolé de cet échantillon. Toutefois l’attribution à la catégorie E n’est pas confirmée par la pétrographie. De même l’association XRF de AB 028 avec AB 061 et 379 et, par conséquent, le rapprochement de cet échantillon avec Sidi Aïch, ne semblent validés ni par l’archéologie (sigillée non régionale) ni par la pétrographie (bonne compatibilité avec la sigillée C/E). Ce qui est également intéressant, c’est que les deux autres échantillons (AB 061 et 379) se regroupent du point de vue pétrographique et XRF tandis que leur attribution à Sidi Aïch n’est pas appuyée par l’archéologie. On signalera que la cruche AB 379 porte la mention « Gafsa ».
97En conclusion, même si elle soulève de sérieux problèmes de convergence des données, cette première étude intégrée pétrographique, XRF et archéologique, semble relativement prometteuse. Il est prévu de porter à une centaine le nombre total d’échantillons analysés conjointement avec les deux méthodes et d’élargir la caractérisation des références d’ateliers, notamment par la chimie.
98Cette expertise du mobilier archéologique de la collection Aubert-Buès a permis de confirmer que la majorité de la céramique correspond à des productions sans doute originaires des régions internes de l’Algérie et de la Tunisie actuelles, entre Tébessa et Morsott au nord et Gafsa et Fériana au sud (fig. 2 et 3). Un certain nombre d’objets porte des inscriptions au crayon ou à la mine. Ces inscriptions, très vraisemblablement de la main de Cl. Aubert , indiquent le lieu ainsi que la date de leur découverte (ou acquisition ?) et nous permettent ainsi de reconstituer les phases de constitution de la collection, mais surtout de déterminer une origine géographique en particulier pour les pièces de fabrication régionale.
- 66 Le fait que ce type d’inscription au crayon n’a été porté que sur une seule des (...)
99Plusieurs localités reviennent régulièrement : Fériana (35 occurrences) (fig. 4), Bou Chebka (12 occurrences), Tébessa (10 occurrences), Gafsa (9 occurrences), Morsott (5 occurrences), « Haydra » [Haïdra] (3 occurrences) et Guelma (1 occurrence). Toutes ces localités se trouvent sur la frontière algéro-tunisienne actuelle et sont proches des lignes de chemin de fer que Cl. Aubert a construites au Maghreb66.
100On peut donc imaginer que ce lot a été recueilli par Cl. Aubert sur ses chantiers du chemin de fer (traversant des sites de nécropoles ?), ou au cours d’achats, lors de son séjour dans cette région. Leur datation s’étend principalement du iiie s. apr. J.-C. au ve s.
101Un autre groupe se distingue : la série de cruches en céramique commune de type 1 (voir supra, 2.2.3). Cette catégorie de cruches pourrait avoir été associée au lot de balsamaires en céramique et en verre de type Isings 8. Une hypothèse serait que cet ensemble provient d’une ou plusieurs nécropole(s) de la région datée(s) du Haut Empire.
102Le mobilier punique et grec pourrait provenir de nécropoles carthaginoises. Il a pu être acquis par Cl. Aubert sur des marchés à Carthage ou ailleurs. L’hypothèse de dons faits par son ami archéologue le père Alfred-Louis Delattre (voir supra, 1.1) n’est pas non plus à exclure.
103Enfin, nous pouvons supposer que la découverte ou l’acquisition de quelques objets a été faite en France pendant la retraite de Cl. Aubert dans les Alpes. Il s’agit notamment d’une coupelle Hayes 3C dont le mauvais état de conservation (fragmenté et fortement altéré) détone par rapport au reste des objets et d’une cruche Desbat 84 dont la diffusion est faible hors de Gaule méridionale.
104Dès 1971, P.-A. Février avait bien souligné la cohérence géographique de la collection Aubert-Buès. Si l’on exclut les objets grecs ou puniques provenant probablement de la région de Carthage, cet ensemble illustre principalement un faciès archéologique relativement méconnu, celui de l’Afrique interne67.
- 68 Pour l’état des connaissances sur ces villes, voir Desanges et alii 20 (...)
- 69 Par exemple l’huilerie de Tébessa Khalia.
- 70 Seule exception notable à cet état de fait : la publication exhaustive (...)
105De fait, l’archéologie des régions internes de l’Afrique romaine est peu développée en comparaison de celle des régions et des villes côtières. Sur le tracé de la frontière algéro-tunisienne où Cl. Aubert a effectué l’essentiel de sa collecte, on ne connaît relativement bien, par des fouilles récentes, que les villes de Tébessa et de Haïdra, alors que l’on sait assez peu de choses sur Morsott et Thelepte (Fériana) et presque rien sur Gafsa68. Dans la plupart des cas, les fouilles ont porté sur les monuments chrétiens et, même lorsque l’étude de sites ruraux a été entreprise69, la céramique n’a guère suscité d’intérêt70.
- 71 Bonifay 2013, p. 546.
- 72 Voir notamment Vegas 1994. Étude en cours par H. Möller.
- 73 Ben Moussa, Revilla Calvo à paraître.
- 74 Amraoui, Bonifay à paraître.
- 75 Jacquest 2009. Étude en cours par C. Huguet.
- 76 Neuru 1987 et 1990.
- 77 Sur ces ateliers, voir Nasr 1992, 1994, 2005 et 2015.
106Ce n’est que très récemment que les faciès céramiques des régions internes ont commencé à être étudiés comme tels. En effet, les typologies de la céramique africaine établies en Méditerranée occidentale sont difficilement applicables à ces régions continentales, sauf à risquer de sérieux contresens chronologiques et commerciaux71. Les comptes-rendus des fouilles récentes sur les sites de Chemtou72, Althiburos73, Lambèse74 ou – plus au cœur de la région qui nous intéresse – Haïdra75 et la région de Kasserine-Thelepte76, permettent de progresser dans la typo-chronologie des productions continentales. Quelques ateliers commencent à être mieux caractérisés du point de vue de la typologie et de la pétrographie des productions : Sidi Aïch en tout premier lieu mais également Thelepte et Majoura77.
107Les apports de cette collection sont principalement typologiques. L’absence de contextualisation chronologique des objets est compensée par leur bon état de conservation. On prendra ainsi l’exemple des céramiques sigillées.
- 78 Hayes 1972, p. 300-304.
- 79 Atlante I, p. 138-141 : terra sigillata della Tunisia meridionale, terra sigillata d (...)
- 80 Bonifay à paraître, fig. 12.7.
108Comme on a pu le voir dans la présentation générale, la grande majorité des sigillées africaines de la collection Aubert-Buès se range dans la catégorie des Other African Wares de John W. Hayes78 ou des Produzioni per uso regionale de Stefano Tortorella79. Ces productions des ive–ve s. possèdent une typologie distincte de celles à large diffusion méditerranéenne, dont elles se distinguent également par leur aspect extérieur. On a récemment souligné le lien entre ces productions tardives et le tronc commun des sigillées africaines de la catégorie A/D : les formes Hayes 1972, fig. 58a et Février 1965, fig. 32.10 pourraient n’avoir été que des évolutions tardives de la forme Hayes 27/31 en sigillée A/D, sans influence aucune des sigillées africaines D (forme Hayes 61A) de la région de Carthage80.
109L’examen attentif des objets permet désormais de compléter ce schéma évolutif où restait en effet posé le problème du plat Hayes 1972, fig. 58b. Particulièrement bien diffusée d’Althiburos à Thelepte et de Sétif à Sbeïtla, cette forme paraissait échapper à toute ligne évolutive au sein de la sigillée. On avait même suggéré un lien avec les productions régionales de céramiques non tournées81. Or la collection fait clairement apparaître des exemplaires de transition entre les formes Hayes 1972, fig. 58a et fig. 58b. Il est dès lors envisageable de proposer une intégration de cette forme dans le schéma général de développement des sigillées de l’Afrique interne (fig. 21), au même niveau que la forme Février 1965, fig. 32.10 en Numidian Red Slip Ware et Hayes 3 en Tripolitanian Red Slip Ware. Les jalons chronologiques restent flous mais c’est le lot de la plupart des productions de cette région, faute de stratigraphies précises.
Fig. 21 : Proposition d’évolution des sigillées régionales des régions internes de l’Afrique romaine
M. Bonifay
110Il est plus difficile, à partir de la collection, de réfléchir sur le contexte de production. L’expérience d’une simple observation visuelle des mêmes formes (par ex. Hayes 27/31 ou Hayes 1972, fig. 58b) sur des sites différents (par ex. Althiburos, Haïdra, Lambèse) fait apparaître une grande diversité de fabrics (pâtes et engobes). Parallèlement, comme cela a déjà été signalé, les références d’ateliers sont peu nombreuses. L’étude archéométrique en cours est-elle susceptible d’apporter des éléments de réponse ?
111Les analyses pétrographiques révèlent tout d’abord une grande variabilité de détails des pâtes de sigillées régionales, qui ont cependant en commun des composants peu fréquents dans d’autres zones de production africaines (inclusions de feldspath zoné, voir supra).
- 82 Nasr 2005, p. 490-492 ; Nasr à paraître.
- 83 Nasr 2005.
112Ensuite, on peine à apporter des preuves de la diffusion de l’atelier de Sidi Aïch, que l’on pouvait a priori supposer importante82. Les arguments de la typologie et l’aspect macroscopique, partiellement appuyés par les mesures XRF de l’engobe, ne sont pas entièrement validés par la pétrographie. Le doute subsiste dans l’attribution à cet atelier de quelques plats Hayes 27/31 (types Sidi Aïch F3 et F12.2)83 ainsi que de cruches Sidi Aïch F1-3, même si elle reste plausible du point de vue des données archéologiques.
113Enfin, en examinant les rares importations des grandes classes de sigillée de Tunisie centrale ou méridionale, on s’aperçoit, avec l’aide de la pétrographie, que l’on a affaire à des productions peu classiques : sigillée C/E, plutôt que C classique (type Sidi Marzouk Tounsi), et atelier alternatif de sigillée E (non référencé).
114Ce que révèle la collection Aubert-Buès, en tenant compte tout à la fois du caractère aléatoire de sa constitution et de sa parfaite cohérence avec les contextes archéologiques sûrs des sites archéologiques avoisinants, c’est le caractère extrêmement endogène de la production et de la consommation de vaisselle de table (sigillée).
- 84 Hitchner 1993, p. 504 et note 25 ; Fentress et alii 2004, p. 147, 150, 157 ; Heslin 2010 ; Bonifay(...)
- 85 Nasr 2005.
115Le phénomène de substitut d’importation ou de remplacement d’importation, évoqué de manière récurrente par les chercheurs qui se penchent sur l’économie des régions internes de l’Afrique romaine84, est patent dès la fin du iie s., ce que semble bien confirmer l’étude typo-chronologique de la collection. La fermeture, dès cette date, de la région des Hautes Steppes aux importations des grands ateliers de sigillée africaines A, puis C et enfin D se poursuit jusqu’aux ve-vie s., comme le montrent les stratigraphies de Tébessa et de Haïdra, et a pour corollaire le développement d’une production locale de vaisselle de table : sigillée A/D et sigillée tardive de Byzacène occidentale. C’est visiblement la chronologie de l’atelier de Sidi Aïch, de la fin du iie s. ou du début du iiie s. aux décennies centrales du vie s.85.
- 86 L’archéologie rurale est peu développée en Afrique interne et d’une manière plus (...)
- 87 Dossey 2010.
- 88 Brun 2004, p. 220-229 ; Hobson 2015, p. 85-91 et fig. 3.15.
- 89 Marlière, Torres Costa 2007. La situation change au ve s. avec la production (...)
- 90 Pour la Numidie, voir Fentress 2013, avec bibliographie.
- 91 Bonifay 2013.
- 92 Bonifay à paraître.
116En l’absence d’autres indicateurs plus sûrs86, le développement considérable de la production régionale de vaisselle de table aux ive-ve s. a été considéré comme un témoin du développement économique de l’Afrique interne87. La question de l’intégration de ces territoires aux réseaux économiques méditerranéens à partir de la fin du iie s. reste cependant posée. Du point de vue des exportations, la région est l’une de celles qui ont livré le plus de traces de pressoirs à huile – la production de vin n’étant toutefois pas exclue88. Si les surplus de cette production étaient destinés à l’exportation, il est difficile d’en suivre la trace car ils ont été vraisemblablement acheminés vers la côte dans des conteneurs périssables puis transvasés dans des amphores produites sur le littoral89. D’autres productions ont été suggérées, celles issues de l’élevage (laine et tissages)90, qui n’ont guère laissé plus de traces. La vaisselle de table continentale, enfin, n’a été qu’exceptionnellement exportée outre-mer. Dans le domaine des importations, la céramique n’est pas d’un plus grand secours. Les amphores méditerranéennes sont rares dans les régions de l’Afrique interne91, sauf exception (par exemple dans une ville de garnison comme Lambèse où des grands crus ont été importés). Mais cela n’exclut peut-être pas des arrivages de vins de qualité courante dans des conteneurs plus faciles à transporter par voie terrestre (outres ou tonneaux), invisibles par l’archéologie92.
- 93 Trousset 2002-2003.
- 94 La découverte d’une lampe de type Hayes II /Atlante X A1a, avec les caract (...)
117La vaisselle de table et culinaire, comme celle présente dans la collection Aubert-Buès, montre à la fois l’existence de nombreux (?) ateliers locaux, difficiles à distinguer par la typologie et la pétrographie, et la commercialisation de productions régionales dans le sens est-ouest (atelier de Sidi Aïch, sigillée C, C/E et E) et ouest-est (sigillée de Numidie), à l’exclusion de tout arrivage des ateliers de la région de Carthage. L’importance de ces mouvements commerciaux internes, établie par le tarif de Zaraï93, se confirme par l’émergence de nouvelles agglomérations sur les lieux des domaines impériaux. Elle a été favorisée aussi par la densité des voies de communications est-ouest et la disposition des chaînes de montagnes, notamment pour la Numidie et la Maurétanie Sitifienne94.
118La céramique de la collection est donc en parfaite conformité avec les rares données de terrain disponibles pour les régions internes de l’Afrique romaine. Ce territoire apparaît relativement fermé aux importations méditerranéennes ou des grands centres de la région de Carthage, tout en étant relativement dynamique sur le plan de la production de substituts d’importation et parcouru par des voies commerciales est-ouest reliant les Hautes Steppes de Zeugitane méridionale et de Byzacène occidentale aux Hautes plaines de Numidie et de Sitifienne méridionales.
119Près de quarante ans après son dépôt au Musée muséum départemental des Hautes-Alpes à Gap par la Société d'études des Hautes-Alpes et la réalisation d’un premier inventaire par Ph. Borgard, la collection Aubert-Buès a bénéficié en 2015-2016 d’une étude archéologique et archéométrique intégrée, réunissant une équipe pluridisciplinaire issue des deux rives de la Méditerranée. Le catalogue exhaustif des pièces de cet ensemble constituera un outil de référence pour tous ceux qui s’intéressent à la culture matérielle de l’Afrique romaine et tout particulièrement de ses régions internes. Il permet dès maintenant de réfléchir sur l’économie et l’histoire de territoires restés peu explorés à ce jour.
120Cette étude rejoint ainsi une problématique très actuelle de la recherche archéologique qui réaffirme depuis peu son intérêt pour l’Afrique interne. Les fouilles de Lambèse, d’Althiburos, de Haïdra, les travaux de deux d’entre nous, sur l’occupation du sol dans la région de Sétif (Y. A.) et sur les ateliers de potiers de Sidi Aïch, Thélepte et Majoura (M. N.), en sont autant d’exemples. Cependant, ce regain d’intérêt intervient au moment même où l’accès à ces régions devient difficile. Ce n’est donc pas le moindre intérêt de la collection Aubert-Buès que de permettre à des spécialistes du Maghreb antique, quelle que soit leur nationalité, de travailler à distance et en commun sur un terrain d’étude qui a tendance à se fermer. Peut-être même doit-on considérer que l’étude exemplaire de cette collection au Musée muséum départemental des Hautes-Alpes est susceptible d’ouvrir la voie à d’autres études d’ensembles d’antiquités africaines déposés dans les musées de France et, plus généralement, d’Europe. Ces collections sont nombreuses, la demande des collectivités de disposer d’inventaires scientifiques précis existe, et il y a là un terrain propice au développement d’un nouveau volet de collaboration entre les archéologues des deux rives de la Méditerranée.
121Mars 2016