1La saison de fouille s’est déroulée du 1er juin au 30 août 2022, soit 3 mois complets pour donner suite à la demande des autorités locales qui nous invitait à allonger nos périodes d’activités de terrain. C’est notamment la raison pour laquelle la prospection archéologique, habituellement placée avant la fouille, s’est déroulée simultanément à cette dernière, du 13 au 24 juin inclus.
2Cette dernière a permis de revenir sur plusieurs sites découverts dans le courant de l’année 2021 mais qui n’avaient pas pu faire l’objet d’une documentation adéquate. Cette année, nous sommes donc intervenus sur 7 des sites repérés en 2021, principalement dans le quadrant oriental de notre zone d’étude. Nous avons, en outre, pu commencer à compléter la zone septentrionale avec la découverte de 7 nouveaux sites archéologiques.
3Les fouilles ont concerné cette année l’ensemble des périodes d’occupation du site de Labraunda (Fig. 1) : dans la stoa est, datée de la période hékatomnide, il s’agissait de terminer la fouille de l’andrôn 4 entamée en 2021 et d’explorer les fondations du portique ; sur la terrasse 2 du site, il convenait de procéder au décapage partiel de la stoa (complexe ouest) dont un segment de stylobate avait été mis au jour dans le courant de la saison 2021, de dater la structure et d’en préciser la fonction ; l’opération sur les bains est visait à terminer le plus gros de la fouille commencée en 2015 et d’aboutir à un plan complet des thermes ; dans le bassin romain, il s’agissait de poursuivre le dégagement de la piscine dont la chronologie d’érection et de comblement posait encore problème ; enfin, les opérations menées dans le cimetière byzantin avaient pour objectif d’essayer de déterminer les limites de la zone funéraire.
Fig. 1 Vue orthonormée de Labraunda et implantation des secteurs de fouilles
O. Henry
4Outre les travaux de fouilles, nos activités ont également porté sur des actions de documentation, de conservation, de restauration et de mise en valeur. Les conservations/restaurations ont concerné, sur le site, le bassin romain et le bâtiment des Oikoi, tandis que dans notre dépôt archéologique de Kargıcak nous avons poursuivi la restauration du matériel métallique et céramique. Parmi les nombreuses études architecturales de cette année, l’année 2022 a vu le lancement d’un nouveau projet ambitieux sur le stade de Labraunda. Enfin, la mise en valeur a porté à la fois sur l’anastylose des colonnes de la stoa ouest et sur le remplacement des 13 panneaux d’affichage du site.
5Cette année encore, nous avons pu compter sur un financement qui nous a permis de remplir l’ensemble des objectifs que nous nous étions fixés. Nous tenons à remercier, en préambule de ce rapport, l’ensemble des amis, partenaires et institutions qui, françaises ou étrangères, ont très largement participé au succès de la saison 2022 : le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’université Bilkent, l’Association Française des Amis de Labraunda (AFAL), le laboratoire de recherche HiSoMA (UMR5189), le laboratoire de recherche AOrOc (ENS Paris), l’université d’Heidelberg, l’Académie des Lettres de Suède, le Swedish Research Institute in Istanbul (SRII), l’université Lumière Lyon 2, la MSH de Lyon St Etienne, l’entreprise Özgen Elektrik, YIKOB (Direction du Suivi et de la Coordination des Investissements de la région de Muğla) et l’entreprise ESAN.
6Nous tenons enfin à souligner l’excellent déroulement du partenariat signé il y a trois ans avec l’université de Bilkent. Grâce à ce protocole, ce sont plus d’une douzaine d’étudiants de Bilkent (de licence comme de master) qui ont pu participer à la saison de cet été (en prospection comme en fouille).
7L’équipe de fouille de cette année a réuni 63 personnes dont des archéologues, restaurateurs, conservateurs, architectes, historiens de l’art et de nombreux étudiants. Le caractère international de la fouille s’est encore confirmé avec la participation de 8 nationalités différentes : 31 Turcs, 22 Français, 3 Américains, 2 Suédois, 1 Suisse, 1 Bosniaque, 1 Bulgare, 1 Russe et 1 Anglais. L’équipe de fouille était complétée par la présence de 21 ouvriers locaux.
8Cette année fut aussi l’occasion d’accueillir, pour la deuxième fois, une cohorte d’étudiants de l’université de Lyon (français comme turcs). Mentionnons également que, dans le cadre de nos activités d’enseignant-chercheur le site de Labraunda et la Carie font l’objet de nouveaux thèmes de recherche développés dans le cadre de Master, en France comme en Turquie : trois Master (M2) ont été soutenus cette année, dont deux à Lyon et un à Bilkent.
9Nous tenons aussi à remercier Tayfun Selçuk, représentant du ministère de la Culture et du Tourisme, dont la bonne humeur, la gentillesse, la patience et le soutien furent décisifs pour le bon déroulement de la saison 2022.
10Enfin, soulignons que nous avons eu la chance de recevoir la visite simultanée, le 29 juillet 2022, de son Excellence l’Ambassadeur de France en Turquie, Hervé Magro, et du sous-préfet de la région, Mr Mustafa Ünver Böke. Le 1er septembre 2022, Labraunda a également reçu la visite de Mr le gouverneur de la province de Muğla Orhan Tavlı.
11L’équipe de fouille 2022, dirigée par Olivier Henry assisté d’İpek Dağlı et Cem Ardıl (codirecteurs), était composée de :
12Alpar, Ongun Eren ; André, Nathalie ; Başoğlu, Utku ; Blid, Jesper ; Bölükbaşı, Ravza ; Boşdurmaz, Burak ; Bost, Christophe ; Bozkurt, Çise ; Bratko, Audrey ; Capelle, Jeanne ; Carless Unwin, Naomi ; Çelik, Fulya Elif ; Ceran, Kaan ; Charlier, Fabrice ; Chevallier, Raphaëlle ; Chevance, Martin ; Çimen, Görkem ; Cote, Pierre ; Davis, Elizabeth ; de Bats, Guillaume ; Delibaş, Demet ; Demirci, Zehra ; Duchamps, Melissa ; Durak, Çagla ; Esener, Deniz Can ; Gögen, Ömer ; Gürel, Selma ; Hedlung, Ragnar ; Henry, Sebastien ; Hirsch, Zeki Ülgür ; Kayaalp, Aziz Cem ; Konuş, Meryem ; Korolkov, Maxim ; Lamarre, Nicolas ; Lamesa, Anaïs ; Lepan, Halid ; Marchand-Beaulieu, Frédérique ; Mert, Recep Can ; Miora, İpek ; Oyuktaş, Sena ; Pagnoux, Clémence ; Rabot, Alexandre ; Rivière, Nicolas ; Sabatier, Lucas ; Sassi, Mohamed ; Şen, Yığın ; Şen, İnci Nil ; Sitz, Anna ; Spühler, Alexandra ; Streinu Muşat, Alina ; Szostek, Anne Emmanuelle ; Trézéguet, Céline ; Tuğ, Damla Büşra ; Ünel, Sevgi ; Üstünel, Damla ; Vergnaud, Baptiste ; Vişne, Rabia Buse ; Yiğit, Ömer Faruk ; Yıldız, Cemre ; Yücedağ, Melis.
13La campagne 2022 de prospection archéologique autour de Labraunda s’est déroulée du 13 au 24 juin 2022. Prévue initialement pour débuter le premier juin et se terminer le 15 du mois, elle a dû être décalée du fait de l’indisponibilité temporaire du représentant du ministère de la Culture et du Tourisme, retenu au musée de Milas pendant quelques jours.
- 1 À l’exception de Orta-2022_02, un site archéologique très prometteur mais situé sur une parcelle pr (...)
14L’objectif de la saison 2022 était de compléter la documentation des nombreux sites repérés en 2021, dont la saison avait été écourtée pour des raisons administratives, et terminer de prospecter la zone septentrionale de notre permis. Ainsi, au cours de nos pérégrinations, nous avons été en mesure de documenter quatre sites de la zone occidentale et trois sites de la zone septentrionale. La carte archéologique s’est également agrémentée de quatre nouveaux sites à l’est et de trois nouveaux sites au nord. Ce sont donc quatorze sites archéologiques qui ont pu être documentés et analysés cette année (Fig. 2)1.
15L’équipe a souffert du décalage inopiné de la prospection puisque la plupart des membres qui devaient participer à l’opération ont dû repartir à la mi-juin, date initialement prévue de la fin de cette opération. Ainsi, la prospection a été menée par Olivier Can Henry (directeur) et Fatma Zehra Demirci (étudiante à l’université de Bilkent). Nous étions accompagnés de Mehmet Kaçmaz, archéologue au musée de Milas et représentant du ministère de la Culture et du Tourisme pour cette saison 2022.
16La plupart des sites étudiés cette année sont liés à l’organisation agricole du territoire de la région. La seule exception concerne le site Isik_02 qui, bien qu’éloigné de notre permis de prospection doit se comprendre comme un élément clé de l’organisation défensive du Sud-Latmos. Il semble difficile de l’associer à telle ou telle localité ou centre de pouvoir tant il est isolé. Sa position dominante (à plus de 1100 m d’altitude) lui permet cependant d’être en contrôle visuel de la vallée qui permet d’accéder, depuis le nord, vers Labraunda, et en contact direct avec les fortifications de son territoire, dont notamment Asar_Nord, repéré en 2018. Ces deux sites ont aussi pour particularité de dater de la même période, hellénistique, et pourraient tous deux appartenir à un même mouvement d’organisation du territoire. Un troisième site semble devoir être classé parmi les sites de fortification, il s’agit de Çilekli tepe. Ce dernier offre de beaux vestiges, malgré une destruction avancée. Il est, de plus, localisé à l’intersection de deux vallées qui permettaient de rejoindre Labraunda depuis le nord et l’est, et il n’est pas impossible que sa fondation soit également liée à l’installation d’une importante communauté sur le site d’Asar_Ouest, à 2 km à vol d’oiseau de Çilekli tepe.
Fig. 2 Carte générale de la prospection après la saison 2022
17Concernant les autres sites, plus modestes, si quelques-uns semblent avoir été fondés dans le courant de la période hellénistique (Orta_2022_03, Isik_2022_02, Orta_2021_11, Çilekli_tepe), on note une très nette augmentation des installations à la période romaine, en particulier dans le courant des 1er-3e s. ap. J.-C. qui semble révéler un quadrillage très serré de la région. On s’étonnera cependant de l’absence de donnée pour la zone la plus septentrionale de notre prospection. Une telle absence pourrait s’expliquer, pour partie, par la topographie particulièrement marquée et des altitudes importantes, qui devaient rendre difficile toute forme d’occupation et de production. En revanche, d’autres espaces beaucoup plus propices à une installation antique méritent encore d’être explorés, comme le périmètre autour du village de Çamköy Yaylası (Aydın/Karpuzlu/Hatıpkışla) qui bénéficie de larges zones de cultures au relief particulièrement doux.
18Au cours de la campagne 2022, plusieurs prélèvements de sédiments effectués en 2021 et 2022 dans les différents secteurs en cours de fouilles ont été tamisés afin d’en extraire des macrorestes végétaux (charbons, graines et restes de fruit).
19Les objectifs de l’étude archéobotanique, dont la flottation est la première étape, sont de reconstituer les pratiques agraires et alimentaires des occupants du site, d’en caractériser l’économie végétale et les modes d’exploitation des ressources végétales.
20À Labraunda, comme c’est le plus souvent le cas en milieu méditerranéen et tempéré, les restes sont conservés sous forme carbonisée. Ils sont issus de prélèvements effectués dans des contextes supposés favorables (ici : fosses, zone de rejet, canalisation, zone de stockage, couche brûlée). Les prélèvements provenaient de différents secteurs en cours de fouilles : les bains est d’époque romaine (10 prélèvements : pièce 4, canalisation et pièce 12, zone contenant des éléments brûlés sans trace de feu associée), la stoa est (9 prélèvements : zone d’occupation associée à un pithos) et le bassin romain (2 prélèvements).
21Ces prélèvements ont été traités par flottation à l’aide d’une machine constituée d’un bidon alimenté en eau, dans lequel est placé un tamis de maille 2 mm. Le sédiment est versé dans ce tamis petit à petit, les éléments carbonisés flottent et sont conduits, grâce à l’alimentation constante en eau, dans un tamis de maille 0,3 mm situé sous le déversoir du bidon. Cela permet de récupérer d’une part la fraction minérale dans le tamis de 2 mm et la fraction fine dans le tamis de 0,3 mm.
22La fraction minérale (récupérée dans le tamis placé à l’intérieur du bidon) a été triée immédiatement. La fraction fine (récupérée dans le tamis) de certains prélèvements a été rapidement examinée sous loupe binoculaire au laboratoire de restauration du dépôt archéologique.
23Les prélèvements ne sont pas riches (Fig. 3). Les contextes semblaient pourtant bien choisis : leur nature pouvait tout à fait laisser supposer la présence de matériel végétal (dépotoir, évacuation, zone de stockage), et tous contenaient un abondant matériel carbonisé, bien qu’il s’agisse principalement de bois. Il semble donc que l’absence de carporestes ne soit pas imputable à un biais taphonomique, mais plutôt à la nature de l’occupation des zones échantillonnées.
24Par ailleurs, on peut noter que les seuls restes identifiés appartiennent à deux taxons fruitiers, très courants dans la région méditerranéenne : la vigne (Vitis vinifera) et l’olivier (Olea europaea), pour l’instant seulement observés dans un prélèvement de la pièce 4 des bains est (comblement d’une canalisation) et dans plusieurs prélèvements de la stoa est. D’autres taxons fruitiers sont potentiellement présents également dans les échantillons provenant de ces deux contextes, mais ils n’ont pas pu être identifiés. Enfin, deux restes de légumineuses ont été observés : le pois (cf. Pisum sativum) dans la pièce 4 des bains, et une légumineuse non identifiée dans un prélèvement de la stoa. Toutefois aucun reste de céréale, alors que cette catégorie de plantes est la plus fréquente dans la plupart des assemblages.
Fig. 3 Liste des prélèvements traités en 2022
25La campagne 2023 permettra d’étudier les prélèvements qui n’ont pu l’être en 2022, mais aussi d’en traiter de nouveaux, afin d’obtenir de nouvelles données sur l’économie végétale et l’alimentation à Labraunda et d’enrichir plus largement la connaissance des pratiques alimentaires et de l’économie végétale dans l’ouest de la Turquie durant l’Antiquité.
26Ce projet vise à documenter les bâtiments des périodes hellénistique et romaine entourant la terrasse du temple.
27Au cours de la campagne 2021, un certain nombre de blocs de marbre architecturaux ont été déplacés vers leur emplacement d’origine présumé, sur les côtés sud et est de la terrasse du temple, et placés sur des plateformes. Ces blocs ont ainsi pu être étudiés en détail lors de la campagne 2022. Lors des premières fouilles, un certain nombre de blocs d’architrave trouvés sur la terrasse avaient été répartis en trois groupes, dénommés A, B et C. Le déplacement des blocs en 2021 a été l’occasion d’effectuer une évaluation de cette répartition. Ainsi, il s’avère que plusieurs fragments ont pu être réunis afin de reconstituer des éléments architecturaux entiers. D’autre part, plusieurs des blocs de frises attribués au groupe B montrent des différences telles qu’elles peuvent difficilement avoir appartenu à la même façade. Certains blocs sont beaucoup plus proches dans leur style d’un groupe de blocs d’architrave trouvés sur la terrasse Y, à l’est de la terrasse du temple, et attribués à la façade est du propylée du temple. Nous attribuons donc ces blocs à la façade ouest du même propylée. De plus, nous suggérons que cette dernière comportait un fronton auquel un certain nombre de blocs du groupe B peuvent être attribués.
Fig. 4 Le fragment d’un chapiteau Blattkelch documenté en 2022
R. Hedlund
28Parmi les blocs restant sur la terrasse, nous avons également découvert un fragment bien conservé d’un chapiteau dit Blattkelch qui a été documenté (Fig. 4), et qui nous donne de nouvelles informations quant à la structure des bâtiments de la terrasse à la période impériale.
29Enfin, l’analyse des blocs restants nous a permis d’identifier la présence d’un petit naiskos (dimensions d’environ 2,5 x 1,5 m) avec des frontons sur les deux côtés ; un type de monument assez commun dans l’Asie mineure romaine. L’emplacement exact de ce monument est difficile à déterminer, cependant nous serions tentés de suggérer une localisation sur le côté nord de la terrasse du temple, à proximité de la stoa nord et de l’exèdre hellénistique.
30Vingt-huit figurines ont été découvertes en 2019 dans un sondage près de l’oikos L (d’époques hellénistique ou romaine), dans la stoa X (près de la stoa nord, les remblais datant du 4e siècle) et dans la stoa est où le fond d’une pièce vidée date du 5e siècle.
31Les figurines sont réalisées dans une argile brun orange extrêmement micacée typiquement carienne, attestant d’une production locale.
32Certains types datent du 4e s. ou du début du 3e s. av. J.-C. et dérivent d’une influence tanagréenne présente en Asie mineure, l’éphèbe tenant un fruit (inv. 2020/992) en étant l’exemple le plus marquant (Fig. 5). La tête féminine coiffée d’un diadème haut (inv. 2020/293) se situe dans la mouvance praxitéléenne (Fig. 6). Une jambe de cavalier chevauchant sa monture (inv. 2020/994) appartient plutôt à l’époque hellénistique par le réalisme de la tête du cheval.
33Une femme voilée debout fragmentaire (inv. 2019/75 A) trouvée dans la stoa X et le bas d’une figurine de femme drapée (2019/70) sont les plus anciennes et datables du 5e s. av. J.-C. Le reste du matériel appartient à l’époque hellénistique.
34Un bras d’homme et une main (inv. 2019/95, 2019/79), sont de très grande taille et doivent appartenir à des statuettes de près de 80 cm de hauteur.
Fig. 5 Ephèbe tenant un fruit
Isabelle Hasselin Rous
Fig. 6 Tête féminine coiffée d’un diadème
Isabelle Hasselin Rous
35En dehors d’une patte de lion, le reste du matériel (7 fragments) se compose de bases de figurines ou d’autels.
36Au total, la majorité des figurines montre des types féminins debout, dont il est difficile de dire s’il s’agit de types divins ou de simples mortelles. Une tête d’hydrophore indique clairement le lien avec des rituels religieux en lien avec une déesse.
37Nous sommes donc en présence d’ex-voto dédiés par des pèlerins sans que l’on puisse les rattacher précisément au culte de telle ou telle divinité.
38Un projet de fouille du stade a été préparé cette année par une étude préliminaire, du 25 au 30 juillet. Ce monument public majeur du sanctuaire, de loin le plus grand par ses dimensions, est aussi une clé de l’histoire des équipements de concours qui, en Asie mineure, se sont diffusés généralement après la période hékatomnide, à partir de la fin du IVe s. avant notre ère.
39Situé en contrebas du centre architectural, à 655 m d’altitude environ, le stade fut découvert dans les années 1960, lors de prospections opérées par la mission suédoise alors en charge de l’exploration du site. Si P. Roos rendit compte à plusieurs reprises des vestiges apparents (Roos, 1977, 2011, 2017), le monument n’a jamais fait l’objet de fouilles, et n’avait pas non plus connu de nettoyage facilitant la description.
40Cette première campagne s’est concentrée sur la terrasse située à l’ouest de la piste. On y a nettoyé : la ligne de départ, l’important éboulement au sud de la terrasse constitué de blocs provenant de l’effondrement de la ligne de départ et du mur de soutènement sud (Fig. 7), la crête et le parement des murs, dont le mur nord de la terrasse inférieure ouest (à l’ouest de la terrasse ouest, en contrebas).
41Une couverture photogrammétrique de l’ensemble a été réalisée à l’aide d’un drone et complétée pour certains blocs par des photogrammétries de détail, servant d’appui à une série de relevés. Un premier calage topographique des terrasses ouest et est a été réalisé à l’aide d’une station GPS.
Fig. 7 Terrasse ouest, vue aérienne depuis le sud
O. Henry
42Un premier nettoyage, partiel, a dégagé la roche naturelle aplanie pour la mise en place de la ligne de départ, qui affleurait en un point, montrant que les blocs de l’extrémité nord de la ligne ne se trouvent pas beaucoup plus bas que leur position originale. La ligne de départ était solidement fondée de ce côté au moins (Fig. 8) : le premier bloc depuis le nord repose sur une assise de substruction installée sur de petits blocs. L’ensemble paraît avoir pivoté vers le nord-est, sous la pression des racines. Le deuxième bloc, qui devait reposer en partie sur le même long bloc de substruction, a probablement basculé dans un second temps en arrière, côté ouest.
43Nous avons repris l’étude des blocs architecturaux attribués par P. Roos à la ligne de départ. Ils ont été décrits, photographiés et ont été l’objet de croquis cotés. De nouveaux éléments du système de départ sont apparus lors du nettoyage, comme la présence sur certains blocs d’une rainure (balbis) ou d’une mortaise pour potelet de bois. Un grand évidement dans le lit de pose du premier bloc a été dégagé : il suit l’axe longitudinal à partir du joint sud, sans rejoindre le joint nord (L. 91 cm, l. 30 cm, ht. 11 cm). Soigneusement taillé à la pointe, il a une section en U très aplati. Il est situé au-dessus d’une fracture irrégulière au lit d’attente du bloc de substruction, dont la section s’apparente à un V, et se trouve également sous la mortaise circulaire de la colonne, probablement en bois, qui constituait l’extrémité de la ligne de départ. Un autre bloc, éclairé par de récentes publications, plaide pour l’existence d’un hysplex : sa mortaise trapézoïdale rappelle celles que l’on trouve dans les dispositifs de Corinthe, Némée, pour recevoir un assemblage de pièces de bois (Valavanis, 1999, fig. 11-12 : Corinthe, reconstitution fig. 27-28, 32 ; fig. 15-17 : Némée ; Riegert, 2004).
Fig. 8 Terrasse ouest, extrémité nord de la ligne, depuis l’est. À gauche des deux premiers blocs de la ligne, le bloc recevant une partie de l’hysplex
J. Capelle
44Le système de départ du stade de Labraunda, en l’état actuel de nos connaissances, semble éminemment singulier. C’est le seul d’Asie mineure à être doté d’une ligne continue. La rainure qui parcourt la ligne de départ se caractérise par une certaine simplicité : elle est unique, et non double, de section quadrangulaire, et non triangulaire. Est-ce un indice d’ancienneté ? Rien n’est moins sûr. En tout cas la restitution d’un mécanisme plaide pour une date qui ne soit pas antérieure à la fin de la première moitié du 4e s., époque à laquelle apparaissent de tels dispositifs en Grèce continentale, simultanément au développement de la poliorcétique et des machines à mécanisme sous tension. Mais c’est aussi l’époque où les Hékatomnides construisent les grands monuments de Labraunda, si bien que l’on peut se demander si au stade comme ailleurs, la dynastie n’a pas cherché à se distinguer par une forme de modernité empreinte de philhellénisme.
45L’observation des maçonneries de la terrasse ouest et de la terrasse inférieure ouest a également révélé certaines particularités, qui laissent soupçonner une succession de phases ou d’étapes de construction. Les deux angles de la terrasse ouest, au nord-ouest et au sud-est, présentent un chaînage remarquable. Si dans la face de parement, la présence de deux bouts côte à côte sur une même assise est bien connue comme une caractéristique hékatomnide, le dispositif du stade se distingue par la juxtaposition de deux à quatre bouts, une assise sur deux. Ainsi à l’extrémité sud du mur ouest, au-delà d’un coup de sabre dans la partie basse, mais aussi à l’extrémité ouest du mur nord. Dans ces deux zones, les joints sont parfaitement rectilignes, verticaux ou horizontaux, sans décrochement des joints de lit.
46On n’observe pas de scellements, mais quelques trous de pince. Le seul repéré sur un bloc en place (L. à l’ouverture : 4 cm ; au fond : 2,5 cm) est comparable aux petits trous de pince des monuments hékatomnides de Labraunda (bastion au-dessus de la tombe monumentale par exemple). Sur un bloc remployé dans ce que P. Roos identifie comme un escalier à l’angle nord-est de la terrasse inférieure ouest, le trou de pince est près de deux fois plus long, ce qui irait bien dans le sens d’un état postérieur, avec remploi de blocs ne provenant pas eux-mêmes du premier état, reposant sur un blocage de blocs irréguliers. Cependant une feuillure dans le mur ouest de la terrasse ouest, le long du joint inférieur de la face antérieure d’un bloc, à l’endroit où les blocs attribués à un escalier prennent appui sur le mur, pourrait témoigner d’un certain soin accordé à l’aménagement d’un premier escalier à cet emplacement, doté de marches d’une hauteur plus attendue. Un dernier trou de pince, sur un bloc erratique de la terrasse ouest, est lui aussi d’un module plus important : il se trouve dans une série de blocs appelés « C » par P. Roos, tous erratiques ou pour l’un d’eux remployé dans l’escalier.
47Le gneiss employé au stade comme dans les autres monuments de Labraunda provient manifestement de zones d’extraction locales (notamment Z et ZB à quelques dizaines de mètres des deux terrasses constituant les extrémités du stade) : dans un même mur on peut trouver associés divers faciès locaux, gneiss très micacés, gneiss à phénocristaux, micaschistes (voir la section Carrières du présent rapport). Ont également été repérées des traces d’extraction typiques de Labraunda sur les blocs erratiques ou en place, que l’on a inventoriées et photographiées. La plupart semblent liées à l’équarrissage plus ou moins réussi de blocs mis en œuvre dans le stade. Il s’agit généralement de petites emboîtures trapézoïdales au fond légèrement concave (L. à l’ouverture : 9 à 13 cm, prof. 4-6 cm, l. au fond : 2 cm), presque toujours taillées en série suivant une ligne parfois courbe, bordant une face qu’elles ont servie à établir ; elles peuvent se trouver au fond d’une saignée en V. Plus rarement, on trouve des emboîtures deux fois plus profondes (ca 10 cm), partant de l’arête du bloc, qui semblent isolées ou du moins plus espacées. On relève aussi deux encoignures courtes sur les blocs erratiques, dont l’une relèverait plutôt d’une tentative de débitage postérieur. Des traces d’extraction ont également été observées sur des blocs effondrés en contrebas de la terrasse est, côté est.
48Enfin, à l’ouest immédiat de la ligne de départ de la terrasse est, on a procédé à un nettoyage ciblé pour mieux comprendre un creusement trapézoïdal dans le rocher naturel. Il paraît probable qu’on a là les vestiges d’une niche d’ancrage pour un mât de pressoir à huile postérieur à l’utilisation de la piste comme telle. Sa date constituerait un terminus ante quem pour la période d’utilisation du stade. Il est malheureusement très lâche : un tel pressoir pourrait remonter à l’époque paléochrétienne, ou être beaucoup plus récent.
49Les prospections ont été menées du 7 au 15 juillet (7 jours), par Anaïs Lamesa (pensionnaire scientifique de l’Ιnstitut français d’études anatoliennes) et Lucas Sabatier (master 2 sous la direction de Olivier Henry, Lyon 2).
50L’étude des zones d’extraction à Labraunda a commencé en 2016 (Lamesa, 2017). Lors de ces prospections, plusieurs zones comportant des traces de débitage avaient pu être observées et étudiées. Celles-ci avaient été menées à partir des résultats de la recherche doctorale d’Axel Frejman portant sur le paysage de Labraunda autour du site (Frejman, 2020, p. 83-91). Les espaces déjà identifiés en 2016 ont été revisités afin d’y mener une analyse oculaire du substrat extrait. Le travail a été systématisé grâce à l’usage d’une fiche de terrain comprenant les éléments suivants :
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Tracéologie : les traces de débitage ont été décrites et mesurées quand cela était possible, un cliché a été pris.
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Analyse géologique : avec une description de la matrice rocheuse.
51Le temps imparti pour ces prospections et la nature du terrain nous empêchent de réaliser des prospections de manière systématique. Ainsi, les conclusions que nous proposons concernant le type de roche mise en œuvre sont conditionnées par le caractère opportuniste de nos observations. Il serait nécessaire de conduire tant sur le terrain que sur les monuments encore en élévation des analyses physico-chimiques pour confirmer nos hypothèses.
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Résultats de la prospection
- 2 Tranchée verticale suffisamment large pour qu’un carrier puisse s’y introduire entièrement et la cr (...)
52La prospection de 2022 a permis d’identifier de nouvelles zones et d’augmenter le corpus de traces de débitage ou d’extraction (Fig. 9). Il est à noter que les enjarrots2 observés en 2016 n’ont pas été retrouvés cette année.
53La zone est située à l’ouest du site, sur une crête où des lignes à hautes tensions sont installées. La zone est coupée en deux par un chemin. À l’est, elle semble prendre fin au niveau d’une gorge abrupte. Elle est composée de nombreux blocs de gneiss de grandes dimensions.
Fig. 9 Carte de localisation des zones d’extraction et de débitage
54Dix blocs rocheux de plusieurs mètres de long portent les traces d’une extraction. Généralement, la roche observée est litée, microgrenue, avec une granulométrie millimétrique. Elle possède des inclusions de mica. Parfois la matrice est altérée avec des parties rouille/orange alternant avec des parties blanches. La patine extérieure est grise avec des taches orangées.
55La zone ZB se situe à l’ouest du site, au nord-ouest du stade. Un chemin passe au sud de la zone et longe un muret de pierre. La zone est composée de grands affleurements rocheux bien visibles, formant des terrasses naturelles, interrompues par des bosquets de buissons épineux et par des conifères. La zone s’étend également vers le nord, où elle remonte en pente douce vers la zone d’hébergement des fouilleurs.
56Quatorze blocs ont été observés. Généralement la roche présente un aspect lité, microgrenu, avec une granulométrie millimétrique et une forte présence d’inclusions de mica et de quartz. La patine extérieure est grise avec une faible présence de taches orangées.
57La zone est composée de l’acropole et du versant sud de la colline qui surplombe le site. Elle est extrêmement escarpée et la végétation très dense y rend compliquée la prospection.
58Seuls deux blocs ont pu être observés. La roche est compacte, de granulométrie millimétrique. Contrairement à ce qui a été observé dans les premières zones, la matrice de la roche est très homogène et tire vers la couleur jaune. La patine extérieure n’a pas pu être observée.
59La zone est située à l’est du site. Elle est relativement plane, mais la végétation y est très dense. Un chemin se dessine néanmoins entre les blocs. Cet espace est composé de nombreux affleurements rocheux disséminés et fracturés.
60Cinq blocs y ont été observés.
61La zone se situe en contrebas de la maison cuisine de la fouille. Elle s’organise par paliers et est recouverte d’une végétation de type chardons. Elle fait face à un affleurement rocheux séparé par un vallon, situé sur la crête (ZF).
62Deux blocs y ont été observés.
63La zone est située sur une crête (celle faisant face à ZE). La zone est escarpée dans sa partie nord-est mais son sommet est accessible. La végétation est peu dense et essentiellement composée de buissons. À l’ouest, elle surplombe un chemin partant des hébergements des fouilleurs et descend jusqu’au stade. Elle est pourvue de nombreux aménagements (encoche, escalier, etc.).
64Neuf blocs y ont été observés. La roche est microgrenue, de granulométrie millimétrique ; il pourrait s’agir d’un gneiss rubané, avec une présence relativement importante de micas. La patine extérieure est grise avec peu de taches orangées.
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Des zones de débitages plus que d’extractions
- 3 Pour la correspondance avec Lamesa, 2017, voir le tableau ci-après.
65Les prospections ont confirmé la première impression de 2016. Il n’existe pas à proprement parler de front d’extraction et donc de carrières autour du site. Nous nuançons cependant nos premières conclusions de 2016 (Lamesa, 2017, p. 205). Ce que nous avions désigné comme carrières extensives en 2016 s’apparente davantage à des zones d’activités extractives de grandes ampleurs. Grâce à la prospection de 2022, il est possible de confirmer que dans les quatre zones (ZA, ZD, ZE, ZF)3 précédemment prospectées, un grand nombre de blocs ont été laissés en cours de débitage. Cela pourrait permettre de quantifier, par extension et par défaut, le nombre de blocs qui en ont été extraits.
66Toutefois, pour la majorité des zones, comme en 2016, nous pensons que la prise des blocs s’est effectuée de manière opportuniste, sans qu’une organisation de type semi-industriel soit observable. Les blocs sont issus de pierres roulées présentes sur les pentes du site ou prélevés sur des blocs de grande taille, situés à proximité des zones de construction (voir par exemple le stade, nous renvoyons à la section Stade du présent rapport).
67Une exception doit être signalée : dans un abri-sous-roche, des bancs de pierre où des empreintes de blocs se dessinent sont visibles, laissent supposer une extraction plus organisée. Cet abri-sous-roche a été observé par P. Roos et mentionné par A. Frejman (Roos, 2016, CT1, p. 272-273 ; Frejman, 2020, p. 118). Il se situe non loin du site, sur un chemin que nous pensons être une ancienne voie de communication entre le site et le plateau (voir ci-dessous). Un sarcophage rupestre a été aménagé sur le proche plateau. Il paraît difficile de considérer que cet espace d’extraction a servi à pourvoir au couvercle de ce tombeau, toutefois, rien ne permet non plus de l’infirmer.
68En contrebas, on remarque la présence d’un bloc équarri (Fig. 10) qui pourrait provenir de cette zone d’extraction, bien que son gabarit soit beaucoup plus petit que les empreintes de blocs observées. Il ne fait aucun doute que ce bloc a été repris après extraction, ces faces présentant de nombreuses traces d’outil, malheureusement trop usées pour être identifiées avec certitude. Cette observation pourrait être un indice de l’organisation du chantier : les blocs extraits sont équarris avant d’être transportés à pied d’œuvre.
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Peu de variétés dans les techniques
69Généralement, les empreintes d’emboîtures nous renseignent sur l’activité de débitage. Parfois, comme en ZA_06, le débitage ne s’est pas déroulé correctement et le bloc ne s’est que partiellement détaché. Une excroissance rocheuse est bien visible sur le nu de la paroi à une extrémité du bloc et une emboîture est conservée entière à l’autre extrémité.
70Lors de la prospection, plusieurs phases de débitage d’un bloc ont été observées. Le plus bel exemple se trouve dans la zone ZD (ZD_03 à ZD_05). Un premier bloc de très grande taille a été débité en deux. L’un des deux blocs, de grandes dimensions également, a été abandonné en cours de débitage pour des blocs de moyen appareil.
Fig. 10 Bloc errant sur la voie de communication au nord-ouest de la zone prospectée
71Les fractures naturelles sont évidemment privilégiées pour faciliter cette opération. Toutefois, tous les blocs ne semblent pas avoir été extraits à partir d’utilisation de fractures, il arrive généralement qu’une encoignure soit utilisée pour introduire les coins et obtenir un bloc de taille souhaitée. Cela explique le grand nombre de zones où le débitage des blocs n’a pas abouti.
72Des traces de pics ou de broches sont visibles dans divers espaces de la zone prospectée : ZB_01, ZC_01, ZF_07. Pour ZB_01, l’identification du pic est indiscutable (Bessac, 1986, p. 109).
73Ces traces rendent compte d’une réflexion de la part des ouvriers qui ont eu besoin de redresser le nu du bloc pour prélever un second bloc. Dans ces zones, il est tentant de parler d’extraction plutôt que de débitage puisque l’espace a été l’objet d’une organisation pragmatique.
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Le bardage et les voies d’accès
74Le bardage est l’opération la plus coûteuse en carrière et a dû également l’être à Labraunda, plus qu’ailleurs puisque les blocs étaient débités dans les pentes du cirque naturel du site.
75Comme mentionné plus haut, un bloc de dimensions moyennes a été retrouvé gisant sur le sol, sur le bas-côté d’un chemin. Après avoir interrogé les habitants locaux, il est apparu que ce chemin est une voie d’accès encore utilisée pour atteindre le plateau au nord du site. Sa proximité avec le haut de la zone A et notamment l’abri-sous-roche nous incite à l’identifier à une voie utilisée pour le bardage des blocs extraits. Cette voie aboutie non loin de celle identifiée en 2016 (Lamesa, 2017, p. 206).
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La géologie du site
76Il s’agit dans cette partie de proposer des réflexions qui devront être validées par un géologue.
77Majoritairement, il semble que le gneiss ait été privilégié pour l’extraction. Les ouvriers ont choisi, nous semble-t-il, une roche litée, possédant des fragilités dans sa matrice ; le gneiss est en effet une roche possédant des inclusions de quartz, de mica, de micaschiste qui peuvent fragiliser le bloc lors de son débitage ou de son équarrissage. Cette roche est toutefois assez homogène pour ne pas rompre et est affleurant sur l’ensemble du site.
78Toutefois, cette première observation est liée principalement au caractère opportuniste de notre démarche de prospection. L’observation des affleurements ainsi que des blocs mis en œuvre doit être réalisée pour confirmer ou infirmer notre première impression.
Tableau des correspondances
Prospections 2022
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Lamesa 2017
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ZA
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ZO2
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ZB
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« Carrières » autour du stade
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ZC
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« Carrières » autour de l’acropole
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ZD
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ZE
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ZE
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ZO1
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ZF
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ZO1
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- 4 L’équipe comprenait Görkem Çimen (archéologue, restauratrice, et les archéologues Sena Nur Oyuktaş (...)
79Les travaux de conservation et de restauration de la saison 2022 ont été menés du 4 au 29 juillet4. L’objectif de cette saison était de réviser le travail effectué dans les Oikoi les années précédentes et d’appliquer des traitements de conservation et de consolidation aux éléments découverts au cours de la saison actuelle.
80Les travaux précédents dans les Oikoi ont été réalisés en 2016 et 2019. Quatre piliers, composés de blocs de gneiss, de tuiles et briques de différentes tailles, placés dans chaque coin de la salle sud ont été nettoyés, restaurés et stabilisés. En 2022, l’état général de conservation des piliers sud-ouest, sud-est et nord-ouest était particulièrement mauvais et ils nécessitaient un entretien et de nouveaux traitements. La plupart des tuiles sur les surfaces supérieures étaient déplacées, le nouveau mortier appliqué sur les côtés et les surfaces supérieures était en partie fissuré et fragmenté et certains blocs de gneiss et tuiles qui avaient été placées afin de consolider l’application du nouveau mortier étaient également tombés. Le pilier sud-ouest était le plus endommagé (Fig. 11).
81Les travaux de cette saison dans les Oikoi ont commencé par un nettoyage général des piliers. La poussière, la terre et les morceaux de mortier émiettés sur les surfaces et les bords des piliers ont été nettoyés à l’aide d’une brosse. Ensuite, une solution biocide a été appliquée sur toutes les surfaces (5 % de solution biocide dans 1 litre d’eau). Puis, la mousse et les lichens qui se sont développés sur les tuiles et les pierres ont été enlevés à l’aide d’un savon naturel à base d’huile de pin mélangée à de l’eau de source, puis par action mécanique à la brosse et au scalpel. Sur les surfaces supérieures et les côtés des piliers, nous avons identifié toutes les zones où les pierres, les tuiles et le mortier étaient tombés après leur restauration de 2019. Ces trous ont été comblés avec un nouveau mortier à base de matériaux anciens. Ce nouveau mortier est composé de chaux hydraulique, de mortier et de carreaux anciens provenant des fouilles des bains est, et de caséine. Après l’application du nouveau mortier, des tuiles et des pierres aux endroits requis, tous ces matériaux ont été nettoyés avec une solution de vinaigre (20 % : 200 ml de vinaigre dans 1 litre d’eau). Enfin, une solution de Paraloid B72 (10 % : 100 g de Paraloid dans 1 litre d’acétone) a été appliquée sur les matériaux (Fig. 12).
Fig. 11 Pièce sud des Oikoi, surface du pilier sud-ouest, avant le nettoyage et la restauration, vue depuis le nord
Görkem Çimen
Fig. 12 Pièce sud des Oikoi, surface du pilier sud-ouest, après le nettoyage et la restauration, vue depuis le nord
Görkem Çimen
82Le mortier ancien et le plâtre recouvrant le mortier mis au jour sur le mur intérieur sud du bassin romain présentaient un bel état de conservation. Deux types de traitements ont été effectués pour stabiliser et protéger le matériau ancien. Tout d’abord, deux couches de solution primale (10 % : 100 ml de primale dans 1 litre d’eau) ont été appliquées sur le mortier et l’enduit anciens à l’aide d’un pinceau doux. Ensuite, les bords du mortier et du plâtre anciens ont été renforcés avec un mortier nouvellement préparé à base de matériaux anciens, contenant de la chaux hydraulique, du mortier ancien broyé et des tuiles provenant des fouilles des bains est, ainsi qu’une solution primale pour la consolidation du mortier.
83Un nouveau bloc de marbre avec une inscription complète a été trouvé lors des fouilles de la terrasse 2 (voir la section Le complexe ouest (terrasse 2) du présent rapport). Chaque lettre de l’inscription était lisible avant même le premier nettoyage. Certaines lettres inscrites, en particulier sur les deuxième et quatrième lignes, présentaient des traces de peinture rouge. Aucune mousse n’a été trouvée sur la surface du bloc, mais des algues noires et des lichens blancs étaient présents, en particulier dans les lettres. Le marbre était suiffé et les bords du bloc étaient particulièrement usés.
84Un nettoyage général du bloc a été effectué à l’aide d’un savon naturel à base d’huile de pin, d’eau de source et de brosses. Les algues sur la face antérieure ont été nettoyées à l’aide d’un scalpel. Afin de préserver les restes de peinture, les lettres ont été nettoyées à l’eau claire. Après le nettoyage, le traitement de consolidation a été effectué. Une couche de solution de diammoniumphosphate (50 gr. de grains de diammoniumphosphate dans 1 litre d’eau) a été appliquée sur chaque surface du bloc à l’aide d’un pinceau. Les surfaces ont ensuite été recouvertes de trois couches de papier de soie humide sous un film plastique qui a été laissé en place pendant quatre jours jusqu’à ce qu’il soit completement sec. Les restes de peinture rouge détectés dans la plupart des lettres sont devenus beaucoup plus visibles après les traitements de conservation.
85Cette saison, face aux dégradations que nous avons constatées sur le mobilier année après année, priorité a été donnée à la mise en place de nouvelles mesures de conservation, afin de tenter d’assurer la préservation de la collection métallique au sein du dépôt.
86Le travail de mise en état du mobilier pour identification et étude ne devait cependant pas être oublié. Ainsi, les interventions se sont concentrées sur certaines pièces nouvellement découvertes, particulièrement sensibles ou à l’identification cruciale pour la datation des structures archéologiques.
87Enfin, il fallait poursuivre la réalisation de l’inventaire du mobilier métallique, instrument essentiel à la gestion de la collection et au bon déroulement des traitements de conservation-restauration, en incluant les nouvelles trouvailles.
88L’enregistrement du mobilier métallique a constitué l’activité principale de l’unité de conservation-restauration. Une importante quantité d’objets a en effet été mise au jour cette saison, notamment sur les fouilles de la terrasse 2 et de la stoa est. Plusieurs éléments étaient, en outre, en attente d’enregistrement, depuis la fin de la saison dernière. D’autres encore, issus de fouilles plus anciennes et retrouvés dans le dépôt, devaient également être inventoriés ou récolés.
89Le travail comprenait, en plus de l’enregistrement des données sur le fichier informatique, la pesée et la prise de vues de chaque objet. De la sorte, les archéologues disposent désormais d’un inventaire à même d’apporter une documentation dense et quasi exhaustive de leurs découvertes métalliques de l’année.
90Les interventions réalisées au dépôt ont majoritairement concerné des monnaies en alliage cuivreux. Un objet en or ainsi qu’un lot d’objets en matière dure animale ont également été traités.
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Traitements réalisés sur l’objet en or
91L’objet en or, provenant de la nécropole proche du Tétraconque (Fig. 13), est un petit anneau décoré de granulations, élément d’une probable parure vestimentaire. Il a été débarrassé des sédiments qui recouvraient sa surface au moyen de coton imbibé d’éthanol.
Fig. 13 Anneau en or (LAB.Metal 1587- nécropole du Tetraconque) et lot d’objets en matière dure animale (Water Pool), avant et après traitements (R. Chevallier)
Fig. 14 Prélèvement du parement en marbre (Paroi sud du bassin froid des bains est)
R. Chevallier
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Traitements réalisés sur le lot d’objets en matière dure animale
92Les cinq objets en matière dure animale ont été découverts dans le secteur de fouille « Water Pool » (voir Fig. 13). Ils ont été nettoyés au coton très légèrement imbibé d’eau déminéralisée ou d’éthanol, puis à l’aiguille et au bâtonnet de bois. L’identification de ces objets de forme circulaire pose question. Le traitement a mis en évidence que les doubles perforations présentes sur les côtés n’étaient pas traversantes ni ne communiquaient entre elles latéralement. Leur matériau reste encore lui aussi à identifier.
93Une intervention de sauvetage a été réalisée sur la fouille des bains est : un important morceau de parement en marbre, qui ornait la paroi sud du bain froid, a été prélevé afin d’en faciliter l’étude par A. Spühler, chargée de l’étude des décors architecturaux.
94L’objectif était de déposer le vestige en conservant autant que possible la position relative de ses différents fragments. Pour se faire, la surface visible du parement a tout d’abord été protégée afin de préserver le marbre des effets néfastes de l’infiltration potentielle du matériau de maintien choisi pour la dépose. Des bandes plâtrées ont ensuite été positionnées sur l’ensemble de la partie à prélever. Après séchage, le parement a été déposé : différents outils ont été insérés entre le mur et le revers du décor afin d’en faciliter la bascule, côté revers visible, sur un nouveau support. La section de parement a pu ensuite être transportée au dépôt pour la réalisation de son étude (Fig. 14).
95La lutte contre la reprise de la corrosion sur les objets métalliques demeure notre principale mission. Le dépôt offrant la possibilité de réaliser des aménagements à plus grande échelle, nous considérons désormais la collection métallique entière dans nos recherches de traitements, laissant de côté les solutions individuelles qui se sont révélées peu efficaces après plusieurs années d’expérimentation.
96Notre nouvelle stratégie nécessite de connaître et de suivre l’évolution de l’état global de la collection. À cette fin, la première phase d’organisation d’une veille sanitaire a été réalisée cette année. Un tableau de collecte des données, dont l’utilisation est basée sur l’analyse d’un échantillonnage représentatif de la totalité de la collection, a été conçu. Il permet, à partir de critères descriptifs choisis, de suivre l’évolution des altérations de la collection sur plusieurs années et d’estimer la nature et la quantité d’interventions à prévoir sur les objets.
97Cette évaluation ne pouvant être réalisée sans connaître la localisation définitive des objets au sein du dépôt, l’intégralité de l’organisation du mobilier a été repensée. Les objets sont désormais conservés dans des caisses standards, identifiées selon leur provenance sur le site et l’année de leur découverte.
98357 objets ou lots d’objets métalliques, nouvellement découverts et redécouverts dans le dépôt, ont été inventoriés, pesés, photographiés.
9911 objets, déjà inventoriés mais non directement observés au moment de leur intégration dans l’inventaire lors de saisons précédentes, ont été retrouvés dans le dépôt. Ils ont été pesés et photographiés.
100Au total, 577 prises de vues ont été réalisées, nommées et archivées.
10118 objets ou lots d’objets ont reçu un traitement de conservation-restauration complet.
1021 fragment de décor architectural a été prélevé sur le site.
103Près de 1700 objets métalliques ont été déplacés et reconditionnés dans le dépôt.
104L’objectif principal de la saison prochaine sera d’engager la deuxième phase de la veille sanitaire de la collection métallique conservée au dépôt. Les propositions d’interventions présentées à l’issue de ce travail permettront d’amorcer la mise en place de solutions de conservation, que nous espérons à long terme, appuyées sur des données solides, collectées méthodiquement.
105Le travail de mise en état pour étude du mobilier devra reprendre, comme les réflexions sur l’exploitation de la documentation produite par l’unité conservation-restauration, qui n’ont pu être poursuivies cette année.
106Enfin, l’élargissement des activités de l’unité devra être interrogé : la prise en charge des traitements de biens non métalliques l’oriente vers une diversification de ses fonctions au sein du site, qui peut être profitable à la connaissance et la préservation de tous les types de mobiliers sensibles.
107Cette année, cinq zones ont été fouillées à Labraunda. Elles couvrent l’essentielle de la chronologie du site. Avec la fouille de la stoa est, il s’agissait de terminer la mise au jour du bâtiment pré-hékatomnide découvert lors de la saison de 2021 ainsi que de mieux connaître l’histoire de la construction et de l’occupation de la stoa elle-même. La fouille menée sur la terrasse 2 visait à confirmer la datation de la construction dans le courant de la période hékatomnide et sa réfection partielle à l’époque impériale. La fouille des bains est avait pour objectif de boucler le programme entamé depuis de nombreuses années sur ce bâtiment romain et d’en obtenir un plan complet, en particulier des parties froides. La fouille du bassin romain avait pour but de poursuivre l’exploration de cette piscine et d’en mieux déterminer l’usage à Labraunda. Enfin, les opérations sur le cimetière byzantin cherchaient à en déterminer les limites et la relation avec l’église ouest du site.
108Durant les premières saisons de fouilles, de 2014 à 2016, nous avions concentré notre attention sur l’étude du secteur chauffé des bains et ainsi mis au jour trois salles, identifiées respectivement comme un tepidarium (PCE2), un laconicum (PCE1) et un caldarium (PCE5), un espace technique, le praefurnium (PCE8) et des espaces de circulations (PCE7) (Fig. 15). Puis, lors de la campagne de l’été 2021, nous avions abordé la fouille des salles froides et ainsi révélé une première pièce (PCE4) dans le prolongement du tepidarium, communiquant à l’est avec une salle PCE13, dont seules les arases de murs avaient été repérées, et, au sud, avec l’espace du bain froid, PCE12. Pour cette nouvelle saison, il convenait d’achever la fouille du secteur froid (Fig. 16).
Fig. 15 Plan des bains
Fig. 16 Photo zénithale du secteur froid des bains
109Le couloir de circulation reliant PCE7 à la salle PCE12 avait été en partie dégagé lors de la dernière campagne, il restait à étudier l’espace inscrit entre le mur du praefurnium à l’ouest et le mur de PCE12, à l’est. À cet endroit, une découverte importante vient compléter la liste des aménagements balnéaires de l’édifice. En effet, la fouille a révélé un bassin non chauffé, installé contre le mur sud des bains. Occupant l’espace disponible entre MR6059 et MR6032, il forme approximativement un rectangle de 1,75 m de grands côtés E/O et 1,42 m de petits côtés N/S. L’accès se faisait en enjambant une margelle, large de 0,33 m, dont il ne reste que le lit de support et une marche. La profondeur du bassin, incomplète en raison de la disparition de la margelle, est de 0,50 m. Sur le fond, le revêtement de marbre gris est en grande partie conservé. Il est composé de plaques particulièrement fines, d’une épaisseur souvent inférieure à 1 cm, posées sur une couche de béton de tuileau rosé. À l’angle sud-est, s’ouvre une bouche d’évacuation qui permettait la vidange du bassin par un système de canalisation en terre cuite. La stratigraphie de comblement montre, dans les niveaux inférieurs, de fortes concentrations de fragments de marbres, restes de placages mais aussi chambranles, plinthes et corniches. Il convient également de souligner la découverte de nombreux éclats de verre à vitre, notamment au pied du mur sud des bains, signalant sans doute la présence d’une fenêtre qui s’ouvrait au-dessus de ce petit bassin froid.
110Lors de la campagne de 2021, les travaux de décapage, entrepris afin de compléter le plan du complexe balnéaire, avaient révélé l’existence d’une salle au plan absidial, occupant l’angle sud-est des bains. Dès la découverte, nous avons proposé de voir là la salle du bain froid. Une fenêtre de fouille large d’1,5 m et implantée au nord de la pièce avait alors permis de confirmer la présence d’un grand bassin. Il convenait, cette année, d’achever la fouille.
111La partie sud du comblement du bassin a ainsi été minutieusement fouillée et de nouvelles observations sont venues compléter la documentation. On trouve, dans les niveaux supérieurs des décombres, de nombreux restes – blocs plus ou moins façonnés, briques et tuiles – provenant de l’effondrement des murs et couvertures. Ainsi, des fragments de briques, dont certains, encore liés entre eux par du mortier de chaux sont tombés de la voûte recouvrant la salle.
112Sous ces vestiges qui témoignent de l’effondrement d’une grande partie des élévations de l’édifice, on a pu distinguer une succession d’épisodes de réoccupations et de démolitions de l’espace du bassin, à une époque où il n’était plus utilisé comme piscine froide. Une première phase de réoccupation se matérialise par une accumulation de sédiment sableux au contact du revêtement de marbre. L’aspect général de cette couche est marqué par une couleur sombre, due à la forte présence de charbons, sans qu’il soit pour autant possible de repérer des zones de chauffe ou de foyers bien délimitées. La mise au jour de restes de faune et de tessons de céramique régulièrement disposés à plat tend à démontrer l’existence d’une surface de circulation et de piétinement qui marque l’abandon du bassin comme piscine froide des bains. Sur ces premiers niveaux, principalement présents dans la partie ouest, au pied de l’escalier, on trouve un amas de fragments de marbre avec d’innombrables éléments de placages, des moulures, baguettes et chambranles. Puis, situés entre 0,30 et 0,40 m au-dessus du sol du bassin, quelques niveaux de circulation signalent une nouvelle séquence de réoccupation. De gros fragments de briques posés plus ou moins à plat constituent un véritable pavement présent sur toute la moitié nord du comblement. Vers le sud, le sol se poursuit par une bande en terre battue et s’appuie sur un alignement de blocs qui marque une limite E/O (Fig. 17). Enfin, l’ensemble est scellé par un épandage de blocs de tailles variables. La disposition régulière des blocs semble montrer un dépôt volontaire. En surface, on a distingué un fin niveau de circulation.
Fig. 17 Phase de réoccupation du bassin PCE12
Fig. 18 Escalier d’accès au bain
113Le bassin ainsi mis au jour forme un U d’une longueur de 3,55 m, d’une largeur de 3,03 m et d’une profondeur conservée de 0,85 m. On accédait par un escalier à trois degrés, après avoir enjambé une margelle revêtue de marbre, haute de 0,30 m (Fig. 18), dont deux éléments ont été retrouvés réemployés dans les niveaux de comblement. Le sol en marbre est particulièrement bien conservé et on note, en de nombreux endroits, des traces de réfections. Enfin, on remarque la présence d’une bouche de vidange positionnée au pied des marches, à l’angle sud-ouest du bassin.
114À l’ouest, le sol de la salle a été entièrement dégagé. Contrairement au fond du bassin, le revêtement de plaques de marbre a été ici en grande partie démonté et récupéré mais les traces des cordons de joints laissés au sol permettent de restituer le plan de pose. Au-dessus, vers l’angle sud-est de la pièce, on a mis au jour des débris de massif de maçonneries de briques liées au mortier de chaux, vestiges effondrés de la couverture voûtée. La fouille complète du secteur a permis, en outre, la découverte d’une absidiole aménagée dans le parement interne du mur sud. Sans doute protégée par des éléments précocement tombés de la voûte, l’absidiole conserve son revêtement de marbre sur le sol et en pied de paroi.
115Si l’on retient comme définition classique du frigidarium, la salle du bain froid, alors, il faut admettre qu’en fouillant la pièce PCE12 nous avons découvert le frigidarium des bains est.
116Suite aux opérations de décapages, menées en 2021, le plan des bains s’était vu agrémenté d’une nouvelle salle sur son flanc est, PCE13, de plan rectangulaire, 5,80 m N/S et 5,00 m E/O, et d’une superficie de 29 m2.
117La fouille des niveaux de comblement de la pièce voisine, PCE4, avait montré la présence, sur une forte épaisseur, des vestiges d’une voûte effondrée. Or, le faciès de comblement de PCE13 s’est révélé bien différent. En effet, les couches supérieures étaient principalement composées de terre sableuse brunâtre, comportant de nombreux fragments de TCA, des pierres, des blocs de gneiss et de fortes inclusions de mortier de chaux, le tout sans aucune organisation significative.
118Une fois ces niveaux évacués, différentes structures sont apparues, qu’il convient de tenter de distinguer et de décrire. Au nord d’abord, conservé sur un lambeau d’un demi-mètre de large, au pied du mur MR6041, on remarque une chape de béton de tuileau, d’une dizaine de centimètres d’épaisseur qui servait de support à un revêtement de marbre, dont il ne reste que quelques fragments de plaque, à l’angle nord-est. La stratigraphie complète de ce qui était le sol en dur de la salle, observée en coupe, montre, posée sur un remblai, une couche de mortier de chaux, mêlé à de la terre et du gravier, d’une épaisseur comprise entre 0,20 et 0,30 m, recouverte d’un radier d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, armé de pierres de gneiss de tailles variables, liées à la terre et au mortier. L’ensemble soutenait la chape de béton.
119À l’ouest, une autre découverte devait retenir notre attention. Il s’agit d’un mur antérieur, MR6067, arasé et recouvert par les niveaux de sol de la salle. Orienté N/S, il présente une largeur comprise entre 0,90 et 0,95 m. Son élévation, conservée sur une à deux assises, montre une maçonnerie à deux parements de moellons et blocs à faces dressées avec blocage central lié au mortier de chaux blanc. L’implantation d’un sondage profond dans la partie nord de la pièce, a permis d’observer la fondation du mur. Un niveau de réglage en ressaut, composé de pierres non taillées liées au mortier, assure la transition avec la première assise d’élévation. Au-dessous, le système de fondation se développe en tranchée large, débordante de l’aplomb de l’élévation de 0,80 m sur une profondeur d’1 m et creusée dans le sol naturel, jusqu’à atteindre la roche en place. Blocs et pierres de gneiss non taillés et irréguliers viennent combler la tranchée dont les niveaux supérieurs ont été, en partie, arasés par des remblais postérieurs.
120Vers le sud, il nous a semblé opportun d’ouvrir une fenêtre de fouille supplémentaire afin d’observer le rapport entre le mur MR6067 et le mur nord du frigidarium, MR6057. Au contact de ce dernier, les assises supérieures de MR6067 semblent avoir été démontées mais les blocs de parements de l’assise inférieure, en partie engagés dans l’élévation du mur 6057 suffisent à montrer que les deux maçonneries étaient liées avant une phase de transformation, dont il reste à préciser les caractéristiques. D’autres observations menées plus au nord, entre le mur de refend MR6047 et MR6067 apportent, elles-aussi, d’intéressantes informations de chronologies relatives. Il est admis, depuis les fouilles de 2021, que le mur non fondé MR6047 est un ajout tardif, construit alors qu’une grande partie des revêtements de sol et de parois avait été arrachée. Ainsi, il recouvre les restes de sol en marbre de la salle PCE4, qui avaient échappé aux spoliations. Rappelons l’existence dans cet espace, sous le revêtement en marbre, d’un sol mosaïqué plus ancien. Or, nous avons mis au jour quelques tesselles in situ de cette mosaïque, visibles sous le mur de refend et entre ce dernier et MR6067. De la sorte, il semble que la mosaïque venait s’appuyer contre le mur MR6067. Il conviendrait alors de restituer un premier état correspondant au sol mosaïqué, dans lequel la salle PCE4 était fermée, côté est, par MR6067. Puis, lors de l’installation d’un nouveau sol, revêtu de marbre, le mur fut arasé afin d’agrandir l’espace ; le mur MR6060 devenant alors la limite est du bâtiment thermal. L’analyse stratigraphique minutieuse menée dans les différents sondages et le mobilier récolté à cette occasion devraient nous permettre d’attribuer à ces observations de chronologie relative, des données fiables de chronologie absolue.
121Au centre de la pièce, un assemblage de blocs hétéroclites forme un pavement monumental. De cet ensemble, on distingue des dalles de gneiss, mais également une grande quantité de blocs de marbres architecturaux en situation de réemploi. Parmi ces derniers, on remarque notamment plusieurs fragments de blocs de corniche, ornés de denticules et de blocs de couronnement, décorés d’un astragale de perles et pirouettes, surmonté d’une frise de rais-de-cœurs. Ces éléments semblent, selon les premières observations, très similaires aux blocs utilisés dans les Propylées. Reste à discuter de l’interprétation à donner à cet aménagement. Deux hypothèses peuvent être proposées. Dans la première, il faudrait voir là un radier destiné à recevoir la chape de béton de tuileau et le sol en marbre. Cependant, on doit noter que les dalles sont d’un module bien plus imposant que les pierres utilisées sous le sol, dans sa partie conservée. En outre, elles ne portent aucune trace d’accroche de béton. Autant d’indices qui nous orientent vers une autre interprétation qui ferait de ce pavement le sol de circulation d’un état tardif de l’espace PCE13. Les dalles ont été posées sur les restes d’un remblai de mortier, alors que le radier, la chape de béton et le revêtement en marbre du sol précédent avaient été arrachés. Dans ce cas, ce sol pavé pouvait fonctionner avec le mur de refend MR6047. Plus ou moins au centre de pièce, en lien avec ce sol, une maçonnerie formée de blocs réemployés liés au mortier semble marquer la base d’un socle de support de pilier.
122Pour conclure, après deux campagnes de fouille, le scénario de l’histoire architecturale de cette partie du secteur froid des bains semble se préciser. On distingue trois grandes phases : une première comprend une salle au sol mosaïqué qui s’étend à l’est du tepidarium (PCE2), jusqu’au mur MR6067. Puis, dans une phase d’agrandissement, le mur est arasé, le sol revêtu d’un placage de marbre et l’espace de la salle agrandi vers l’est, jusqu’au mur MR6060. Enfin, après l’abandon de la fonction balnéaire et le démontage d’une grande partie des matériaux de revêtement, un mur de refend (MR6047) et un sol dallé sont mis en place pour créer l’espace PCE13.
123La fouille dans le secteur du bassin romain situé entre le mur de la terrasse sud et la route asphaltée moderne a été réalisée du 27 juin au 17 juillet. Il s’agissait de poursuivre le dégagement de l’année dernière, vers l’ouest. Cette année, une nouvelle tranche de 4 m a pu être fouillée (Fig. 19). On observe que la stratigraphie révélée au cours des opérations de 2021 se poursuit en grande partie (Henry et al., 2021). Une nouvelle unité stratigraphique, US 1015, a cependant été mise au jour. Située sous la terre végétale, elle est composée d’un niveau grisâtre limoneux, dépourvue de matériel archéologique. Cette couche semble avoir été formée par un ruissellement régulier après l’abandon de la structure.
124La fouille de 2022 a fourni des données supplémentaires sur la construction de la piscine. Deux nouvelles tubulures, insérées dans le mur nord ont été mises au jour. L’une d’entre elles, à l’est, était obstruée par un petit fragment de tuile retaillé. La couche de mortier recouvrant les murs sud et nord est partiellement préservée et a fait l’objet de mesures de conservation. La série de petites briques rectangulaires taillées, qui forment un quart-de-rond à l’angle formé par le sol du bassin et les murs nord et sud, se poursuit vers l’ouest, mais le mortier qui les recouvre n’est pas préservé.
Fig. 19 Le bassin romain après la fouille de 2022
Fig. 20 Vue aérienne de la stoa est
125Parmi les découvertes, on trouve une grande quantité de vaisselles céramiques, terres cuites architecturales, d’ossements et de fragments de verre. En outre, parmi les petits objets mis au jour, notons la présence de trois pièces de monnaie en bronze, un fragment de figurine en terre cuite et cinq objets en os rond.
126Les recherches futures sur cette zone viseront à compléter la fouille du bassin, à déterminer sa phase initiale de construction et d’abandon, et sa relation avec les autres bâtiments liés à l’eau qui l’entourent, tels que la fontaine hypostyle et les bains est.
- 5 Les fouilles ont été réalisées du 20 juin au 23 juillet 2022 avec l’efficace concours de Damla Üstü (...)
127La fouille de la stoa est (Fig. 20), commencée en 2017, a continué à livrer des informations majeures sur l’histoire du bâtiment mais aussi sur celle du site de Labraunda5. En 2021, une pièce d’un édifice antérieur à la stoa (Early Building Room 4 ou EB-R4) avait été découverte dans le cadre de nos recherches qui visaient à mettre au jour les fondations à l’intérieur d’une des salles de banquet (Room 4) (Henry et al., 2022). Cette construction, composée de trois murs et d’une succession de niveaux de sols, fut mise au jour dans la moitié sud de l’espace fouillé. L’opération menée en 2022 consistait à fouiller l’autre moitié de la pièce afin de répondre aux questions liées à la chronologie de la stoa ainsi qu’à la mise au jour du bâtiment ancien évoqué ci-dessus. Nos recherches suggèrent que ce dernier pourrait remonter à la fin du 5e s. av. J.-C., une époque encore assez largement méconnue à Labraunda et plus généralement en Carie. Un sondage d’ampleur limitée a également été ouvert dans l’espace situé entre le seuil de la pièce 5 (au sud de la précédente) et le mur de stylobate. L’objectif était de connaître les modalités d’utilisation de cet espace dont la fonction reste énigmatique.
Fig. 21 Le pithos surmonté par le bac à chaux
- 6 Sur les premières recherches sur la stoa est, voir Hellström, 1991.
128La fouille de la pièce 4 avait débuté en 2018 avec pour objectif de dater la construction de la stoa ainsi que ses différentes phases d’occupation. Aucune trace de l’occupation initiale n’a été découverte car le bâtiment a fait l’objet de plusieurs phases de réoccupation ainsi que d’une réfection partielle. Les fouilles menées par P. Hellström au tournant des années 1980-1990 avaient révélé l’existence d’une maison datée des 3e-4e s. ap. J.-C. établie en face de la pièce 1, soit dans la partie nord de la stoa, partiellement constituée de spolia issues de la stoa et notamment d’un linteau de porte encore visible aujourd’hui en position verticale6. Cette phase nous paraît devoir être mise en relation avec les découvertes effectuées dans le cadre du nouveau projet à l’intérieur de la pièce 4. Celle-ci a livré une quantité importante de céramiques d’époque romaine ainsi que du verre. Quelques traces d’une construction quadrangulaire avaient été découvertes dans les années 2018-2019 mais son pauvre état de conservation ne nous a pas permis d’en établir la fonction.
- 7 Ces marques feront l’objet d’une discussion dans un article séparé.
129Sous ce niveau, nous avons découvert les traces d’une autre phase d’occupation caractérisée par la présence de lambeaux de sols en terre battue mis au jour en 2019 dans l’angle S-E de la pièce ainsi que dans l’angle N-O en 2022. Ces sols se trouvent vers le milieu de l’assise de réglage en débord, celle portant les marques de carriers en alphabet carien7. La découverte d’un pithos associé à ce dernier lors de la dernière campagne est particulièrement intéressante (Fig. 21). Celui-ci était visiblement enfoui et son col, dont les fragments ont été découverts à l’intérieur du vase de stockage, s’ouvrait au niveau dudit sol. La datation du matériel découvert dans son remplissage, une action clairement volontaire, devrait permettre de nous fournir un terminus post quem pour l’utilisation du pithos et du niveau de circulation qui lui est associé. La datation du remblai de préparation de ce dernier devrait à son tour fournir des informations sur la datation de sa mise en place. Le pithos, d’un diamètre maximum de 1 m, comprenait un remplissage hétérogène composé de larges blocs de pierre, de tuiles, de céramiques, fragmentées mais entières, ainsi que de pointes de flèche et d’une monnaie. Notons enfin que le bac à chaux, dont une description précise sera fournie ultérieurement, surmontant l’embouchure du pithos, ne semble pas en relation avec celui-ci. Il est à mettre en relation avec la phase ultétieure et sans doute doit-il être associé au four à chaux circulaire découvert par P. Hellström lors des fouilles réalisées par lui devant le stylobate (Hellström, 1991).
130Si aucun niveau d’occupation lié à l’occupation initiale de la stoa n’a pu être découvert, nous avons été en mesure de mettre en évidence les tranchées de fondations liées à sa construction. Sans doute munies d’un coffrage, elles furent creusées dans une série de couches de destruction et d’abandon postérieures au bâtiment EB-R4 évoqué en introduction. La largeur de ces tranchées oscille entre 60 cm (contre le mur est) et 1 m (contre les murs nord et ouest). Elles se composent de deux remplissages différents : un premier composé principalement de gravats et un second composé de terre. Le matériel contient beaucoup de matériel céramique qui semble, d’après les informations préliminaires, devoir être daté dans le courant du 4e s. La découverte en 2022 de l’inscription dédicatoire attribuant la construction de la stoa située sur la terrasse 2 à Mausole doit être versée au dossier (voir la section Le complexe ouest (terrasse 2) du présent rapport). Les deux stoai présentant des caractéristiques architecturales communes, il est possible de penser que les deux ouvrages firent l’objet d’un même projet de construction. La datation devra toutefois être confirmée par l’analyse du matériel issu des tranchées de fondations.
131La découverte la plus inattendue des deux dernières campagnes est celle d’un bâtiment à deux pièces mis au jour dans les fondations de la pièce de la stoa (EB-R4) (Fig. 22). Cette construction fondée sur le rocher naturel fut en partie détruite lors de la construction de la stoa bien qu’elle semble avoir été en ruine avant la mise en œuvre du projet du 4e s. EB-R4 paraît avoir été à l’origine une seule et même pièce qui fut par la suite divisée en deux espaces distincts, EB1 au sud et EB2 au nord, par un mur de refend. La première fut fouillée en 2021 et avait livré plusieurs niveaux de sols et de remplissages. La seconde, ouverte en 2022, a livré la même séquence stratigraphique. Les deux ont été fouillées jusqu’au rocher naturel. L’ensemble de ce bâtiment était recouvert par une épaisse couche de pierres probablement issue de son élévation originale. Celui-ci se compose d’un long mur N-S de 4,93 m de long et de 0,54 m d’épaisseur. Il est chaîné à une portion de mur orienté E-O qui se suit sur une distance d’1,54 m. Il fut démantelé en partie lors de la construction du mur sud de la pièce 4 de la stoa sur lequel l’une de ses pierres s’appuie. Le mur nord de l’édifice a complètement disparu mais l’on a pu repérer son empreinte sur le rocher naturel. Il en est de même pour le mur est de la pièce EB2. Le mur est de la pièce EB1 a totalement disparu, emporté par les travaux de fondation de la stoa. Le mur de refend, conservé sur une longueur de 3,30 m, n’est pas fondé sur le rocher. Il est établi sur les couches appartenant à la première phase du bâtiment. Comme les autres, il est à double parement et possède en outre une grande dalle plate qui doit être interprétée comme un seuil qui assurait la communication entre les deux pièces. Le sol 4031 découvert en 2021 dans l’EB1 se trouve au même niveau que le sol 4040/4218 de l’EB2 et sont contemporains. Deux autres niveaux de sol et leurs remplissages ont été découverts sous le seuil dans les deux pièces. D’autres comblements ont été enfin été fouillés. Ils correspondent à une action de nivellement du rocher naturel avant ou à l’occasion de la construction du bâtiment en question. La céramique issue des différentes couches tend à indiquer que le bâtiment fut utilisé vers la fin du 5e s. av. J.-C. Si la fonction de EB-R4 reste inconnue, il est possible d’envisager qu’il s’agît d’une série de salles de service liées au fonctionnement du sanctuaire avant sa monumentalisation par les Hékatomnides. Il pourrait également être interprété comme un habitat.
Fig. 22 Vue aérienne de la pièce 4 à la fin de la fouille (rocher naturel et tranchées de fondation)
Fig. 23 Sondage devant la pièce 5, vue vers l’est (trous de boulins)
- 8 La fouille de ce sondage a été dirigée par Damla Üstünel (Université de Bursa). Les relevés à paraî (...)
132Les travaux de la campagne 2022 ont également eu pour but de clarifier certaines caractéristiques architecturales de la stoa8. Le choix d’ouvrir un sondage (voir Fig. 20 et Fig. 23) dans l’espace entre le stylobate de la stoa et l’entrée d’une des salles de banquet était motivé par le besoin de savoir quelle était la ou les fonctions de cet espace et si ce dernier reposait sur un remblai préparatoire ou sur un système de poutrage comme c’était le cas en avant de la pièce 6. À l’issue des fouilles, il s’avère que la circulation dans cet espace se faisait sur un plancher soutenu par des poutres comme en attestent les trous de boulins découverts dans les assises sous le seuil de la pièce 5. Le matériel des couches de remblai découvertes sous ce niveau fera l’objet d’une étude approfondie qui devra permettre de le comparer à celui découvert à l’intérieur de la pièce 4 ainsi qu’à celui mis au jour dans la tranchée ouverte dans l’esplanade à l’ouest de la stoa en 2018 et qui avait permis de mettre en évidence des travaux de terrassement datables des tournants des époques hellénistique et romaine.
133La campagne 2022 a été particulièrement fructueuse en ce qu’elle a permis de répondre à un certain nombre de questions liées à l’architecture et aux différentes phases d’occupation de la stoa tout en explorant le passé pré-hékatomnide de Labraunda. Si la fouille de la pièce 4 est terminée, plusieurs questions restent en suspens, notamment celles liées aux travaux de terrassement postérieurs à l’occupation originale de la stoa et celles liées à l’étendue de l’occupation antérieure à cette dernière. La campagne prochaine tentera de répondre à ces questions au travers d’une fouille extensive qui s’étendra vers l’ouest depuis les seuils des pièces 3 et 4 et englobera une partie de l’esplanade en avant de la stoa. En parallèle à l’extension des fouilles, l’étude architecturale de la stoa et des bâtiments environnants se poursuivra sous l’égide J. Blid de même que sera réalisée une étude complète du matériel céramique.
- 9 Cette fouille a été menée par une équipe dirigée par O. Henry, assisté de C. Ardıl (université Mima (...)
134L’objectif de la saison 2022 était de poursuivre la mise au jour de la stoa découverte en 2021, de tenter d’en préciser la date de construction et d’identifier sa fonction au sein de Labraunda9. Il s’agissait notamment d’élargir le sondage effectué l’année précédente en procédant à un décapage de la structure vers l’ouest.
135Le décapage a atteint une emprise de 120 m2 (11 m de côté). Il a permis de mettre au jour une section supplémentaire du stylobate de 8,50 m, portant la longueur totale de la structure découverte à 11,40 m (Fig. 24). Les dalles supérieures du stylobate y sont parfaitement conservées, à moins de 80 cm sous le niveau du sol actuel, et portent encore les traces laissées par les tambours inférieurs des colonnes. La stratigraphie révélée par le décapage est assez simple et présente la succession suivante : une couche de surface (US1001), un niveau de remblai composé de cailloutis, petits blocs et larges fragments de terre cuite (céramique et TCA) (US1004), un niveau limoneux clair d’abandon comprenant très peu d’inclusions (US1010) au contact du stylobate qu’il recouvre d’une épaisseur d’une vingtaine de centimètres et s’étend sur l’ensemble du décapage. Les niveaux de sol antiques apparaissent ensuite, alignés avec le lit de pose des dalles supérieures du stylobate. Le décapage s’est arrêté au contact du sol antique au sud du stylobate (US 1013), tandis que nous avons fouillé une partie du sol au nord de celui-ci (US1011). Ce dernier s’est révélé être extrêmement riche en matériel de toute sorte (verre, métal, céramique).
136Le décapage a aussi révélé la présence de deux murs tardifs (M150 et M151), orientés nord/sud. Ceux-ci sont perpendiculaires au stylobate qu’ils enjambent, alignés chacun sur un axe de colonne et séparés de deux entrecolonnements. Ces murs, composés essentiellement d’un matériel de remploi, ne semblent pas fondés mais plutôt reposer directement sur les sols 1011 et 1013. L’espace séparant les deux murs, au sud du stylobate, contient l’essentiel de ce qui semble appartenir au matériel de destruction du bâtiment. On y remarque notamment : la présence de très nombreux parpaings de gneiss dont certains semblent avoir appartenu à des linteaux de porte ou de fenêtre ; une plinthe en marbre de piédroit de porte (Fig. 25) ; plusieurs éléments d’élévation en marbre, dont un chapiteau d’ante. Cet amoncellement hétéroclite de blocs étonne puisque le dégagement des niveaux de sol situés de part et d’autre des murs M150 et M151, à l’ouest du mur occidental et à l’est du mur oriental, n’avait pas révélé de tels niveaux d’effondrement (pas plus qu’au nord du stylobate où on a mis au jour les tambours de colonnes tombés in situ sur un sol dégagé).
137La fouille ultérieure de cet espace, prévue après le dégagement complet de la stoa, permettra sans doute d’éclaircir ce qui s’apparente pour l’instant à un stockage chaotique d’éléments issus de l’effondrement des bâtiments sud sur la terrasse 2.
138Le matériel mis au jour lors de la fouille a été abondant, tant en termes de vaisselle céramique que d’éléments architecturaux ou encore d’objets métalliques. Néanmoins, la découverte la plus étonnante reste un bloc d’ante en marbre portant une inscription dédicatoire intacte. Elle nous apprend que Mausole fut le commanditaire d’andrônes dont il dédia la construction et ses fournitures à Zeus Labraundos. Bien que le bloc n’ait pas été découvert in situ, mais abandonné face contre le niveau de sol antique, il fait peu de doute que l’inscription appartient bien à la stoa. Cette inscription permet de confirmer les hypothèses que nous émettions en 2021, à savoir que l’ensemble du complexe ouest fut érigé à la période hékatomnide, mais aussi que les pièces mitoyennes au sud de la stoa sont autant de petites salles de banquet à l’image du complexe de la stoa est.
Fig. 24 Orthophotographie de l’intervention de 2022
O. Henry
Fig. 25 Le bloc ET.54
139Comme le lecteur l’aura sans doute compris, les opérations de cette année ont permis un grand pas en avant dans la compréhension du complexe ouest, de son organisation et de sa chronologie. À supposer que l’ensemble des blocs d’architecture en marbre et en gneiss mis au jour dans ce secteur depuis 2018 appartiennent à cet ensemble, le bâtiment semble bien être très similaire à la stoa est de Labraunda. Il s’agirait donc d’un ensemble d’andrônes précédé d’une stoa composée d’une colonnade dorique. À ce point de nos investigations, nous ignorons encore la longueur totale de cette colonnade. En revanche, il nous est d’ores et déjà permis d’en déterminer l’entrecolonnement standard (1,71 m) et de proposer une hauteur de colonne (3,91 m sous le chapiteau). Quant à sa chronologie, il semble plus que probable que le complexe ouest a été érigé dans le 2e quart du 4e s. av. J.-C., avant de subir une deuxième phase de construction dans le courant du 1er s. ap. J.-C. Pour l’instant, un rapide examen du matériel céramique ne semble pas indiquer d’occupation postérieure au 3e s. de notre ère, date à laquelle le bâtiment pourrait avoir été abandonné. Si la datation mausoléenne de cet ensemble devait être confirmée, elle nous permettrait de réenvisager la chronologie et l’ambition du projet hékatomnide dans son ensemble. À ce jour, seuls trois bâtiments de Labraunda peuvent être datés avec certitude du règne de Mausole : la stoa nord, à l’extrémité septentrionale du site ; le complexe ouest et sa stoa, à l’extrémité méridionale du site ; et l’andrôn B au centre du dispositif formé par les deux stoai précédentes.
Fig. 26 Les fouilles de 2022, dans une zone de 9 x 12,70 m de la nécropole du Tetraconque
O. Henry
- 10 L’équipe dirigée par A. Sitz comprend notamment des anthropologues de l’université de Hacettepe, do (...)
140Une nécropole byzantine a été découverte en 2018 à côté du bâtiment tétraconque dans le secteur sud-ouest de Labraunda10. Les fouilles menées depuis dans cette nécropole ont révélé les restes de squelettes d’hommes, de femmes et d’enfants, datés au C14 du 10e et du début du 11e siècle de notre ère. L’objectif de ce projet est de comprendre la population de Labraunda à l’époque médiéval, ses traditions funéraires et la réutilisation du site antique aux périodes chrétiennes. En 2022, nous avons achevé la tranchée rectangulaire de 9 x 12,70 m entamée au cours des saisons précédentes (Fig. 26). Vingt-huit tombes y ont été ouvertes et quatre tombes supplémentaires sont partiellement visibles dans les parois de la tranchée. Nous avons également ouvert un petit sondage plus près de l’église occidentale (datée du 5e s. de notre ère avec une phase à la période byzantine moyenne) afin de déterminer si la nécropole était liée à cette zone sacrée.
Fig. 27 Tombe 21
141Les tombes se trouvent à environ 1,5 m sous la terre végétale et ont été marquées au niveau de la surface de circulation par des enclos en pierre et des pierres tombales en brique ou en pierre (certaines avec des croix mais sans inscriptions). En dessous, les tombes elles-mêmes ont été creusées dans le socle rocheux. Cette saison, nous avons ouvert huit tombes intactes contenant les restes de neuf personnes. Quatre étaient des adultes, deux des enfants et trois des nourrissons. L’état de conservation des squelettes allait de mauvais à moyen. La tombe 21 (Fig. 27) contenait l’un des squelettes les mieux conservés de cette nécropole (un homme adulte couché sur le dos mais avec les jambes croisées, contrairement à la pratique habituelle qui consiste à étendre les jambes droites dans ces tombes). La tombe 26 contenait un adulte et un enfant.
142Les tombes sont conformes aux tombes rurales byzantines pauvres/paysannes : elles sont dépourvues de décoration et d’objets funéraires, bien qu’une tombe de nourrisson (tombe 29) comprît un anneau en or (n° de métal 1587). D’autres tombes d’enfants ou de nourrissons de cette nécropole ont également fait l’objet de dépôts, comme les trois perles trouvées dans la tombe 11 ou la pièce de monnaie trouvée dans la tombe 4.
143Dans un second temps, un sondage de 2 x 3 m a été ouvert sur une terrasse proche de l’église occidentale, dans une zone que l’on pense être l’atrium de l’église. Cette dernière est installée sur une stoa plus ancienne. Le sondage a révélé un mur aligné sur le stylobate de l’ancienne stoa (réutilisé comme mur méridional de l’église occidentale). Le sondage a également révélé un toit effondré reposant directement sur un sol en pierre. La date et la fonction de ce mur, ainsi que sa relation avec le complexe de l’église occidentale, doivent faire l’objet de recherches plus approfondies.
144Les travaux menés dans le cadre de la saison 2022 à Labraunda ont, comme souvent, été riches en surprises et en rebondissements. L’ensemble des objectifs que nous nous étions fixés ont été tenus, parfois au-delà de nos attentes.
145La prospection a permis de révéler que le territoire de Labraunda s’étend bien plus au nord que nous ne le pensions, avec de nombreux établissements ruraux qu’il reste à analyser. Les opérations de documentation, du stade à la terrasse du temple, ont démontré la richesse des vestiges et l’importance des découvertes qu’il reste encore à faire à Labraunda sans avoir même à creuser la terre. Les fouilles des deux stoai majeures du site, à l’est et sur la terrasse 2, prouvent encore, si besoin en était, que nous sommes loin de maîtriser l’étendu des phases de l’âge classique sur le site et que Labraunda s’apparente davantage à un site multiforme dont l’aspect se précise ou se transforme d’année en année, plutôt qu’à une image figée par les décennies d’études et les dizaines d’analyses publiées à son propos. La fouille menée autour du bâtiment tétraconque confirme l’importance de l’occupation du site sur la très longue durée, et l’impact qu’elle eut sur le devenir du site aux périodes chrétiennes médiévales. Les travaux dans le bassin romain ou dans les bains est permettent de renouveler notre vision de l’activité architecturale romaine ainsi que de l’importance de l’eau dans son fonctionnement. Ces avancées décisives n’existeraient pas sans l’équipe solide, nombreuse, plurielle, tout entière dévouée, qui travaille chaque année d’arrache-pied pendant les plus chauds mois de l’été au cœur des montagnes cariennes.