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AccueilNuméros29Archéologie des savoirsII. La réception d’Ovide à l’époq...Figures d’Orphée au cinéma

Archéologie des savoirs
II. La réception d’Ovide à l’époque moderne

Figures d’Orphée au cinéma

Sarah Rey
p. 277-287

Résumés

Les Métamorphoses d’Ovide se sont prêtées à de nombreuses adaptations ciné­matographiques et, de tous les héros ovidiens, c’est Orphée qui s’est retrouvé le plus souvent mis en scène. Qu’on songe à l’Orphée (1950) de Jean Cocteau, à Soudain l’été dernier (1959) de Joseph Mankiewicz, à l’Orfeu Negro (1959) de Marcel Camus, au Parking (1985) de Jacques Demy, à Métamorphoses (2014) de Christophe Honoré. À quoi tient ce succès ? Certainement à la simplicité apparente du mythe, à la présence de l’amour et de la mort, ainsi qu’à la possibilité d’en ôter le fantastique. Sans surprise, les diverses adaptations cinématographiques ont pris des libertés avec les dixième et onzième livres des Métamorphoses. Dans cet exercice de relecture et de mise au goût du jour, on trouve les cinéastes tentés par le genre musical et ceux qui ont proposé des redistributions de rôles (effacement précoce d’Eurydice, figuration de la Mort). La force subversive du héros a été soulignée çà et là. Enfin, le destin du poète thrace a permis de poser le problème du regard au cinéma : sa primauté (convention des scènes d’adieux) comme son impossibilité.

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Texte intégral

  • 1 Tout commence avec la pièce de théâtre Orphée (1926). Cocteau, en tant que réalisateur, revient e (...)
  • 2 V. de Moraes, Orfeu da Conceição : tragédia carioca, Rio de Janeiro, Impr. Nacional, 1959.

1Parmi tous les héros des Métamorphoses ovidiennes, Orphée est celui qui s’est retrouvé le plus souvent mis en scène au cinéma. Certainement car son mythe est le plus cinématographique qui soit. Depuis Virgile et Ovide, son essence est tragique : l’amour et la mort – de bons ingrédients – s’y rencontrent. Mais aussi le regard et le corps. Or, d’après son étymologie, le cinématographe consiste mot pour mot à décrire le mouvement : le cœur dramatique de la légende d’Orphée – le geste contrarié du héros – se prêtait donc parfaitement à sa mise en image mobile. Partant, les cinéastes qui ont puisé dans la mythologie orphique ont été nombreux. Il y a notamment Jean Cocteau, dont l’Orphée (1950) témoigne d’un long compagnonnage avec le poète de Thrace1 ; Marcel Camus, réalisateur d’Orfeu negro (1959), transposition à l’écran de la pièce éponyme de Vinicius de Moraes2 ; Joseph Mankiewicz (Soudain l’été dernier, 1959), adaptant Tennessee Williams, revenu sans cesse à Orphée depuis son Orpheus descending (1957) ; Jacques Demy et sa comédie musicale, Parking (1985) ; et, plus près de nous, Christophe Honoré et son film Métamorphoses (2014), vaste entreprise de lecture cinématographique globale du poème ovidien. Cette sélection fait apparaître une curieuse conjonction de pellicules orphiques dans les années 1950, à une époque où le cinéma balance entre les grandes fresques réalistes, les mélodrames et les films noirs : Orphée réussit à se glisser entre les genres.

  • 3 Voir J. Kontaxopoulos, « Orpheus Introspecting : Tennessee Williams and Jean Cocteau », The Tenne (...)

2De la trajectoire du poète, le cinéma retient sa descente aux Enfers et ses amours malheureuses, bien plus que sa participation à l’expédition des Argonautes. Et, sur les écrans, Orphée prend des visages que la peinture, la poésie et la musique avaient déjà, depuis le Moyen Âge et la Renaissance, commencé à remodeler. Au xxe siècle, le mythe est déjà palimpseste : les Orphées du septième art sont des produits hybrides, recueillant les transformations opérées durant les siècles antérieurs. Du reste, les films fondés sur une matière orphique présentent eux-mêmes un aspect hétérogène, alliant la comédie à la tragédie, le réalisme à l’onirisme, quand il ne s’agit pas d’unir le musical et le drame social. Pour compliquer le tout, ces Orphées de cinéma communiquent entre eux : Tennessee Williams fait écho à Cocteau3, dont Demy suit plus tard l’inspiration.

De l’actualisation à la parodie

  • 4 Le nom de ce personnage évoque le site archéologique de Ségeste/Aegesta en Sicile occidentale.
  • 5 Pour fuir son foyer, il s’enferme dans sa voiture, où il écoute à la radio des messages obscurs, (...)

3Dans l’Orphée de Cocteau, c’est Jean Marais qui joue le rôle-titre, celui d’un écrivain à succès, en pleine crise conjugale. Dès le début du film, une voix off dit que « ses chants le distrayaient de sa femme ». Non seulement Orphée n’arrive plus à trouver l’inspiration poétique, mais il se retrouve en butte à l’hostilité d’une jeune génération incarnée dans le film par des bandes de germanopratins, symbolisant l’avènement d’une nouvelle littérature existentialiste. Les voici réunis, en ouverture du film, au Café des poètes. Chacun discute avec passion sur fond d’air de jazz. L’un des leurs, le poète Cégeste4 (Edouard Dermit), âgé de dix-huit ans, provoque une bagarre générale. Puis, dans la confusion qui s’ensuit, il est renversé sur la terrasse par deux motards. Une étrange figure féminine, la Princesse (Maria Casarès), qui est en fait la Mort, entre alors en scène, pour ordonner que le corps du jeune poète soit transporté dans sa voiture. Orphée, présent lui aussi dans le café, les accompagne. Le chauffeur de la Princesse a pour nom Heurtebise (François Périer), figure d’Hermès psychopompe. Peu après, Cégeste meurt, non sans avoir traversé un miroir sous les yeux d’Orphée. Scène qui sera répétée plusieurs fois dans le film. Sorti des Enfers, Orphée se retrouve endormi dans un décor étrange (Cocteau filme ici la mer de sable d’Ermenonville), la tête contre une flaque d’eau, miroir naturel qui reflète son visage. Revenu chez lui, il rudoie Eurydice (Marie Déa), qui attend pourtant un enfant de lui. Il est désormais amoureux de la Princesse et ne recule devant aucune assertion misogyne, affirmant par exemple que les femmes ne savent que parler « layettes et impôt »5.

  • 6 Ovide, Métamorphoses, X, 5 : nec laetos uultus nec felix attulit omen. Nous utiliserons la traduc (...)
  • 7 Marcel Escoffier est le chef costumier. Il est assisté du jeune Pierre Cardin.

4Cette entrée en matière s’éloigne beaucoup, on l’aura compris, du mythe antique tel qu’il apparaît au dixième chant des Métamorphoses. Il s’agit plutôt d’une lecture qui fait fi de l’amour entre Orphée et Eurydice pour ne retenir que la malédiction qui pèse sur leur mariage, à la manière du dieu Hymenée, qui, chez Ovide, lorsque le couple s’unit, « ne porte ni visage serein, ni présages heureux6 ». Sous cet aspect, la version coctalienne devient un drame de la conjugalité. Comment le poète peut-il aimer une femme, Eurydice, qui l’attend à la maison en robe de chambre, cousant ou tricotant, et qui répète à longueur de journée que son mari est « très beau et très célèbre » ? Du reste, le personnage d’Eurydice ne fait son apparition que tardivement dans le film, vers la 20e minute. La Princesse, parée de sa robe noire7, de son aura vénéneuse et de ses accointances avec l’autre Monde, est nettement plus séduisante.

  • 8 Dans le film, les lampes sont des vases attiques transformés ad hoc. Cette importance accordée au (...)
  • 9 Le propre frère de Giorgio De Chirico, Alberto Savinio, note en 1937 : « la veine du peintre Jean (...)
  • 10 Dans le recueil Die Sonette an Orpheus (Sonnets à Orphée, 1922) de Rainer Maria Rilke, il s’agit (...)

5Dans ce film, l’atmosphère antique est distillée par touches successives, que ce soit dans les statues décorant les pourtours de la maison d’Orphée ou dans les décors intérieurs conçus par Jean d’Eaubonne8. Pour accentuer ce caractère d’intemporalité, Cocteau imagine une course-poursuite sous les arcades de la place des Vosges, ce qui peut faire penser aux perspectives d’un De Chirico, peintre qui a réinterprété le classicisme9. Mais c’est surtout l’usage des ruines de Saint-Cyr qui fait le plus songer à l’Antiquité. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des bombardements y ont provoqué la destruction des bâtiments de l’École militaire. Ces ruines impressionnantes deviennent dans le film un espace mal défini, situé entre le monde des vivants et le monde des morts, des sortes de limbes parcourus par un garçon vitrier, rappel de l’importance accordée par Cocteau au miroir comme lieu de contact avec la mort. Dans ce que les personnages du film appellent « la zone », tous les gestes sont démesurément ralentis par un vent incessant. Les ravages de la guerre sont tout proches, ils ont pu fournir un aperçu de l’Enfer. Heurtebise sait s’y repérer, lui qui revêt la fonction d’un nouvel Hermès, alors que le mythe fait intervenir Charon, le nocher du Styx. Cette préférence accordée au dieu voyageur, Cocteau la doit peut-être à sa lecture d’un poème de Rilke inspiré d’un relief du Musée de Naples, où se joint au couple mythique « le dieu du dernier pas, des lointaines dépêches » (den Gott des Ganges und der weiten Botschaft)10. Cocteau admire le poète autrichien depuis que Cendrars le lui a fait connaître. Plus tard, il fait savoir que, peu avant sa mort, Rilke était en train de traduire en allemand sa pièce Orphée. Cette figure d’Heurtebise/Hermès permet surtout de faire exister un personnage supplémentaire dans ce drame orphique qui pourrait vite se refermer sur le couple infortuné ; et la fonction qui lui est attribuée, celle de chauffeur, fournit un nouvel ingrédient d’actualisation.

6Malgré cette volonté de mettre le mythe au goût du jour, le film de Cocteau peut paraître d’une solennité un peu datée, portée par le jeu très emphatique de Jean Marais. Il réussit néanmoins ses percées en direction de la parodie. Depuis longtemps, les aventures d’Orphée ont fait l’objet de détournements, de Scarron et son Virgile travesti (1648-1653) à l’opéra-bouffe d’Offenbach, Orphée aux Enfers (1858). Cocteau s’inscrit dans cette veine ludique. Ainsi, Heurtebise prévient Orphée, convoqué par les policiers, qu’« on ne sait jamais si on revient de la préfecture de police », manière amusée de comparer les commissariats au séjour d’Hadès. La malice du réalisateur trouve également à s’exprimer dans la transfiguration des ménades, devenues dans le film un club de femmes, conduit par Aglaonice (Juliette Gréco). Ce sont des buveuses de champagne, folles de l’écrivain Orphée. La dernière partie du film achève d’opérer le travestissement burlesque du mythe. Alors qu’Eurydice est morte une première fois, victime de la jalousie de la Princesse, le tribunal des Enfers permet son retour à la vie, à condition qu’elle ne regarde jamais en face son mari. Cette interdiction devient le moteur de scènes de boulevard, où Eurydice cherche par tous les moyens à éviter que son époux ne la voie : elle se cache sous la table de la salle à manger ou lui tourne le dos. Cette façon d’ôter à l’histoire un peu de sa part maudite est plus ovidienne que virgilienne. Au jeu de l’intertextualité, Ovide se démarque de son prédécesseur, plus sombre que lui, et Cocteau tente d’imiter cette (relative) légèreté.

  • 11 Cf. E. Murillo, « Orfeu Carioca : Reassessing Orphic Mythology in Rio de Janeiro », Hispanet Jour (...)
  • 12 Ovide, Métamorphoses, X, 6-7 : « La torche même qu’il tient ne cesse de siffler en répandant une (...)
  • 13 Virgile, Géorgiques, IV, 457-459.

7Après Cocteau, l’Orfeu negro de Marcel Camus, tiré de la pièce Orfeu da Conceição (1954), sait lui aussi passer de l’actualisation à la parodie : Moraes et Camus ont modernisé le folklore orphique tout en s’en amusant parfois. L’histoire d’Orphée est transposée dans les favelas cariocas, au moment du carnaval, période de folie collective que Moraes aurait comparée aux Enfers. Orphée (Breno Mello) est désormais conducteur de tramways, au même titre que son collègue Hermès : on retrouve la place accordée à ce dieu, qui – dans les textes antiques – n’a pas avec Orphée cette proximité que les créations modernes semblent lui octroyer. Orfeu traverse les quartiers de la ville comme son modèle antique parcourait les mondes. Dans ce film où la musique prend presque toute la place, le héros est un homme du peuple, franc et joyeux, habile guitariste11, qui regagne son baraquement le soir venu. Il est déjà fiancé à une femme autoritaire, Mira, mais fait bientôt la rencontre d’une jeune fille modeste, venue de la campagne, Eurydice (Marpessa Dawn). Sur cette dernière plane une obscure menace en la personne d’un homme de son village dont on apprend qu’il veut sa mort. Cet individu effrayant, déguisé en squelette, est le symbole du destin tragique d’Eurydice, presque l’équivalent de la torche d’Hyménée qui s’éteint sans cesse chez Ovide12. Il présente des airs de parenté avec le berger Aristée, qui – dans les Géorgiques – a poursuivi de ses ardeurs l’héroïne : c’est en voulant lui échapper qu’elle a reçu la morsure de serpent qui lui a été fatale13. Cette annonce d’une vie promise au drame est un moyen d’évoquer les fractures économiques dont souffre la société brésilienne. Campagnarde débarquée dans les mauvais quartiers de Rio, Eurydice ne connaîtra aucun salut : elle est bientôt électrocutée dans un hangar à tramways après avoir voulu échapper au spectre qui la poursuivait. Malgré le voile dont on l’affuble pour le carnaval, elle ne sera jamais mariée.

  • 14 Ovide, Métamorphoses, XI, 1-2.

8La fresque sociale imaginée par Vinicius de Moraes cède le pas, dans sa version cinématographique, aux tableaux colorés, s’enchaînant sur des airs de samba ou de bossa nova. Et le mythe est aimablement tourné en dérision lorsqu’Orfeu joue de la musique au milieu des poules, des chiots, des chatons, des chèvres et des colombes. Le charmeur de bêtes sauvages (animosque ferarum… ducit, dit Ovide14) trouve dans ces animaux de favelas son premier auditoire. Cette tendance à la parodie se devine aussi dans le choix du costume de carnaval d’Orfeu : jupette et plastron doré, à mi-chemin du gladiateur et du dieu d’opérette.

9Tout se passe comme si, traversant les époques, le mythe était contraint de se regarder en face, de se moquer de sa mécanique usée pour mieux s’accommoder du prosaïque. Ce retour au réel implique des transpositions dérisoires, qui donnent lieu, dans l’Orfeu negro, à ce qui constitue peut-être la plus belle scène du film, scène où les gestes d’un modeste balayeur amènent à se remémorer ceux du passeur Charon, indiquant à Orphée le chemin jusqu’au monde des morts. La caméra les suit tous deux, en plongée, lorsqu’ils descendent un immense escalier en colimaçon, nouvelle traversée des cercles de l’Enfer. Une cérémonie de candomblé attend le héros, au cours de laquelle une vieille femme saisie par les esprits a la voix d’Eurydice : l’universel du mythe se fond dans les pratiques du Brésil contemporain.

  • 15 Dans le mythe, Orphée se détourne des femmes après avoir perdu sa bien-aimée.
  • 16 Avant même Suddenly last summer, Williams avait écrit son Orpheus descending, adapté au cinéma pa (...)

10Ce trajet modernisation/parodie (et retour) n’est cependant pas la règle. Chez Tennessee Williams et son adaptateur, Joseph Mankiewicz, la dimension comique n’apparaît plus du tout. Sebastian/Orphée est un personnage entièrement tragique. Il est physiquement absent de Soudain l’été dernier (1959), bien qu’étant au centre de l’intrigue. Ce jeune homme, apprend-on au fur et à mesure, était poète, versé dans tous les arts. Il était surtout homosexuel. Pour attirer à lui les garçons, il se servait de sa mère (Katharine Hepburn) puis de sa cousine Catherine (Elizabeth Taylor) comme appâts. On le voit : le personnage d’Eurydice disparaît ici complètement, à moins que Catherine n’en soit une réinterprétation puisqu’elle permet de dépasser l’amour hétérosexuel en piégeant les jeunes hommes promis à Sebastian15. Mais que l’objet du désir soit masculin ou féminin, l’amour et la mort doivent se rencontrer. À la faveur d’une anamnèse inattendue, provoquée par l’injection d’un sérum de vérité, l’épilogue révèle ce que fut la fin tragique de Sebastian : après avoir voulu séduire de jeunes Espagnols d’un petit village andalou nommé Cabeza de Lobo (« Tête de loup »), il provoqua leur fureur ; ils le poursuivirent dans les rues, avant de le dévorer. Orphée apparaît dès lors comme la victime d’une société qui ne tolère pas l’homosexualité16.

  • 17 Le film sera désavoué par son auteur car tourné trop vite et sans le budget prévu.

11Au contraire de Tennessee Williams, la comédie musicale Parking (1985) de Jacques Demy est irriguée d’humour17. Elle est dédiée à Jean Cocteau. Orphée (Francis Huster) prend, cette fois, le visage d’une rock star. Son manager s’appelle Aristée, son ingénieur du son Calaïs. Ce dernier est amoureux d’Orphée, qui ne cache pas sa bisexualité. Interprétée par une actrice japonaise, Eurydice ressemble, pour sa part, à Yoko Ono, muse de John Lennon, tandis que son mari emprunte de loin en loin les traits de David Bowie, pressenti pour le rôle. Dans la première partie du film, le héros prépare son grand concert au Palais de Bercy, mais, en répétant son tube « Le Styx », il s’électrocute, type de mort qui sert décidément de gage de modernité aux adaptations du mythe. Orphée est alors envoyé aux Enfers, c’est-à-dire dans un parking, où l’attend Hadès, joué par Jean Marais, choisi pour honorer la mémoire de Cocteau. À ses côtés, Perséphone (Marie-France Pisier) est vêtue d’une robe qui rappelle celle que portait Maria Casarès en 1949. Orphée est ramené à la vie. Sur terre, cette même Perséphone devient Claude Perséphone, des éditions Hadès, éditrice musicale, à laquelle résiste Orphée. Dans la dernière partie du film, Eurydice meurt d’overdose, autre mort de substitution à l’antique morsure de serpent. Orphée va la chercher sous la terre, en passant par les couloirs du métro parisien, mais se retourne, et il est trop tard.

12Chez Christophe Honoré, enfin, Orphée revient à son inactualité : il n’a plus de métier et ne chante plus. Dans le film Métamorphoses (2014), c’est un chef de secte, prédicateur itinérant, entouré de jeunes hommes. Dans son habit blanc, Orphée est à présent un marginal, porteur d’un message antisocial. Un acteur géorgien, Georges Babluani, a été choisi pour le rôle. Ce qu’il proclame dans les cours d’immeubles où il prêche ressemble à un vade-mecum orphico-pythagoricien, proche des adages répétés par Ovide au dernier chant des Métamorphoses. Son intervention dans une cité provoque un attroupement bientôt dispersé par la police. Le veuvage d’Orphée est, quant à lui, évoqué en flash-back, par une belle scène tournée sous l’eau. Les Enfers deviennent aquatiques, Eurydice s’y noie. Orphée n’arrive pas à la sauver des eaux. Plus tard, à la fin de sa course, il est fusillé par des bacchantes naturistes, épilogue qui – une nouvelle fois – fait alterner l’humour et l’horreur.

Orphée et ses doubles

  • 18 Ovide, Métamorphoses, XV, 879 : siquid habent ueri uatum praesagia, uiuam.

13Ce qui frappe dans ces diverses relectures et révisions du mythe d’Orphée, c’est la prégnance des duplications et des jeux de miroirs autobiographiques, en accord avec la place déjà dévolue à Orphée dans les Métamorphoses ovidiennes : qu’on se souvienne des rapports ambigus, faits d’admiration et de rivalité, qu’Ovide entretenait avec le modèle de tous les poètes. Orphée est le uates qui a provisoirement vaincu la mort, là où Ovide veut survivre coûte que coûte, comme les derniers vers de son poème en témoignent18. La plupart des cinéastes évoqués se sont reconnus dans Orphée et l’ont entouré de seconds rôles directement inspirés de leur propre vie. Tout en s’identifiant à Orphée, cette figure de poète majuscule, Cocteau a, dans ses réinventions orphiques, ressuscité la figure de Raymond Radiguet par une double incarnation : cet ancien amour (et double littéraire éphémère) est à la fois Cégeste et Heurtebise. Pour décupler l’enchâssement, Orphée est joué par le propre compagnon de Cocteau, Jean Marais. Et l’effet de dédoublement fonctionne encore à plein avec le personnage de la Princesse, qui est l’opposé même d’Eurydice. Le scénario multiplie donc les échos, les résonances. Ainsi la bagarre située au début du film annonce le lynchage final d’Orphée ; la description de la vie domestique par Cocteau semble un double de la mort et la cause véritable du tarissement de l’inspiration poétique ; dernière symétrie enfin, la tragédie mythologique rejoint, par le récit de l’ordinaire conjugal, son genre antinomique, la comédie.

14L’Orfeu negro de Marcel Camus n’échappe pas à ses glissements et repro­ductions à l’infini du mythe, lui-même offert à toutes les répétitions. La distri­bution des rôles fait ainsi exister une mauvaise copie d’Eurydice, ou plutôt son brouillon : il s’agit de Mira, cette fiancée d’Orfeu qui lui est mal assortie. C’est un personnage nocif, perclus de jalousie, là où la douce Eurydice semble étrangère à toute mauvaise pensée. Autre jumelage que le mythe ancien ignorait et qui permet une nouvelle mise en abîme : le couple formé par la cousine d’Eurydice, Serafina, et son fiancé représente, dans le petit monde de la favela, un double inversé, toujours souriant, d’Eurydice et d’Orphée. Ils illustrent une conjugalité satisfaite d’elle-même, sans demi-ton.

15Les renversements de perspective se rencontrent aussi chez Tennessee Williams et Joseph Mankiewicz : c’est d’abord une femme, Catherine, qui menace d’être mise en lambeaux par une horde d’aliénés dans l’asile où elle est internée pour subir une lobotomie. En voulant fuir son chirurgien, Catherine ouvre une porte qu’elle n’aurait pas dû franchir : elle se retrouve au-dessus d’une fosse, où sont parqués les pauvres reclus. Elle perçoit mieux ce que sera sa destinée si l’opération se produit. Elle se trouve sur une passerelle, en équilibre instable. La scène survient avant que le dénouement ne mette en scène une autre mise à mort sordide, bien réelle, celle de Sebastian. Or, Catherine est précisément calquée sur la sœur de Tennessee Williams, Rose, dont il était très proche. Cette jeune femme diagnostiquée schizophrène a été lobotomisée en 1943. Tout rappelle l’intimité de Williams, ses souffrances familiales comme ses choix sexuels.

  • 19 R. Banks, Lost Memory of Skin (2011), traduit en français : Lointain souvenir de la peau, Arles, (...)

16Jacques Demy et Christophe Honoré ont, pareillement, beaucoup mis d’eux-mêmes dans leur Orphée. Révélée au public plusieurs années après sa mort, la bisexualité de Demy a pu le conduire à s’intéresser au poète antique, ce qui est aussi le cas d’Honoré, qui lui ménage une belle place dans ses Métamorphoses. Au gré d’interviews, Honoré a déjà confié sa circulation d’une sexualité à l’autre. Autre point de convergence entre le poète antique et son émule moderne, la polyvalence artistique : Honoré alterne les activités d’écriture et les mises en scène, au théâtre comme au cinéma. Cependant, il n’est pas directement arrivé à Ovide par l’entrée orphique : c’est en lisant le prologue du poème, placé en épigraphe d’un roman de Russell Banks19, qu’il s’est décidé à adapter la somme ovidienne.

17Le mythe d’Orphée a donc suscité des appropriations très personnelles au risque d’apparaître autocentrées, voire même égotistes, comme le sont souvent les actes de création. Ces processus d’identification se sont eux-mêmes perdus en reflets multiples, au point de s’inscrire sur une toile de fond mythique plus large, où les légendes se superposent et se répondent.

Réseau mythologique

18D’un film à l’autre, l’inspiration antique suit plusieurs ramifications. Des aspects peu connus du mythe d’Orphée sont étonnamment mis au jour par les cinéastes. Le film de Jacques Demy fait ainsi une place au personnage de Calaïs, fils de Borée, devenu plus tard membre de l’expédition des Argonautes. Dans Parking, Calaïs est une figure effacée, qui suscite la passion d’Orphée. Un poète élégiaque hellénistique, Phanoclès, dans ses Erôtes ê kaloi conservés sous forme de fragments, est celui qui le mentionne comme amant d’Orphée, alors que cette fonction n’est pas spécifiée par Virgile, Ovide ou Hygin. Cet amour masculin a été probablement inventé par Phanoclès, se fondant selon toute vraisemblance sur le jeu de sonorités kalos  beau ») / Calaïs. Il permet d’associer dans tous les cas au duo malheureux Orphée-Eurydice un autre personnage, qui vient étoffer l’histoire, semblable en cela à Heurtebise chez Cocteau.

  • 20 Une phrase prononcée au début du film le montre bien : « Je somnolais sur mes lauriers. Il est ca (...)

19La mythologie se nourrit d’elle-même. D’autres fois, ce sont des figures parallèles, ressemblant à Orphée, qui sont convoquées. Comment ne pas penser à Narcisse lorsque l’Orphée de Cocteau gît près d’une flaque ou lorsqu’il semble étreindre un miroir ? Dans les Métamorphoses d’Ovide, Narcisse est ce jeune homme qui, trop épris de lui-même, néglige l’amour que lui portent les filles et les garçons. Narcissique par bien des côtés, Orphée-Cocteau pense beaucoup à lui, à sa notoriété et à son art20 : qu’on ne s’étonne pas que les miroirs, acteurs principaux du drame de Narcisse, deviennent des accessoires récurrents dans son œuvre. L’auteur et ses personnages y voient la mort à l’œuvre.

  • 21 Qu’on songe à l’une des répliques du film, déjà prononcée par Heurtebise dans l’Orphée de 1926 : (...)
  • 22 Ovide, Métamorphoses, XV, 232-233. « Elle pleure aussi, la fille de Tyndare, en apercevant, dans (...)

20Chemin faisant, Narcisse conduit à la pensée pythagoricienne, puisque l’observation amoureuse de soi fait réfléchir à l’impermanence de tout. Le film de Cocteau semble imprégné de l’enseignement de Pythagore21, auquel Ovide consacre une partie de son quinzième et dernier chant : y sont décrits les ravages du temps qui passe sur le corps d’individus fatigués22. Cette influence pythagoricienne est aussi à l’œuvre dans l’Orfeu negro lorsqu’Orphée et Mira se rendent à l’état civil. Le fonctionnaire qui les accueille s’amuse de l’inscription d’Orfeu dans les registres de mariage. Une réplique fait alors croire au principe de métempsychose : « Il y en a eu d’autres avant moi, après moi », dit le personnage principal, lui qui, plus tard, adresse cette déclaration à Eurydice : « Je t’aime depuis longtemps ». Le dénouement va dans le même sens : le petit garçon musicien que l’on aperçoit à la fin du film fait penser qu’Orphée s’est déjà réincarné en lui.

21Comme par contagion, le mythe d’Orphée en appelle d’autres. Des figures mythologiques – nous l’avons dit – font irruption dans les versions cinéma­tographiques alors qu’elles n’y avaient pas été précédemment invitées. L’un des personnages les plus toxiques du film de Camus n’est autre que Mira, qui peut faire songer au triste personnage de Myrrha dont l’histoire est racontée par Orphée lui-même au dixième chant des Métamorphoses d’Ovide. D’après le mythe, cette jeune femme séduit son père, attend un enfant de lui (ce sera Adonis) avant d’être métamorphosée en arbre à myrrhe. Sous son écorce, elle est alors occupée à pleurer indéfiniment son geste. La fiancée d’Orfeu est, il est vrai, une séductrice impénitente, qui semble n’avoir peur de rien. C’est une des responsables de la mort d’Orphée, n’hésitant pas à le lapider lorsqu’il remonte le cadavre d’Eurydice dans la favela, avant que d’autres femmes déchaînées ne provoquent sa chute. Elle est apparentée à une bacchante, ce qui l’éloigne de son archétype mythologique. Ne pourrait-on pas voir surtout dans le nom de cette Mira, figure porteuse de mort, l’impératif que, précisément, Orfeu voudrait suivre avec sa bien-aimée, alors que cela lui est interdit ? Mira (mirar, comme olhar, veut dire en portugais « regarder ») est celle qui ordonne qu’on la regarde.

22Il est encore une autre manière d’entrer en accord avec Ovide, c’est en évoquant la dangerosité de l’eau, miroir qu’il ne faut pas traverser. Munis de gants spéciaux, les personnages de Cocteau font vibrer une onde mystérieuse lorsqu’ils passent dans l’autre monde. Devenu liquide, le verre poli devient le chemin d’accès aux Enfers. Pour réaliser ce trucage, les acteurs ont dû tremper leurs mains dans du mercure. Avec Cocteau, les Enfers ont donc une composante liquide. De même, chez Honoré, Eurydice ne se perd pas dans l’obscurité de l’au-delà, mais dans un fleuve, manière – pour le très cinéphile Honoré – de se souvenir de L’Atalante (1934) de Jean Vigo et de La nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton. Or, dans les Métamorphoses d’Ovide, l’eau possède en propre un caractère inquiétant : des hommes ou des femmes se liquéfient, à force de pleurer ou dans un effort désespéré pour échapper à leurs poursuivants : c’est le cas d’Aréthuse, se fondant dans sa sueur, ou de Cyparisse, qui s’épuise en sanglots et devient cyprès. En insistant sur le caractère morbide de l’eau, Cocteau comme Honoré se montrent fidèles à Ovide.

23De la mythologie d’Orphée, le cinéma a donc retenu l’essentiel : la redoutable confrontation entre l’art, l’amour et la mort. L’histoire du poète présente en effet l’avantage d’être réductible à une épure, si bien qu’on a cru la reconnaître dans la trame de films aussi différents que Vertigo (1958) d’Alfred Hitchcock ou Le dernier tango à Paris (1972) de Bernardo Bertolucci. Reproductibles à l’envi, les aventures orphiques donnent également le prétexte à des retours sur soi, assortis de considérations sur le pouvoir de la création et son épanouissement. Ainsi les Orphées de cinéma deviennent-ils souvent les porte-paroles du droit à la liberté sexuelle ; ils font se côtoyer, comme bon leur semble, les amours féminines et masculines. Ces réinterprétations orphiques contribuent à former une lente stratification, qui finit par obscurcir la version latine du mythe. Peu de cinéastes semblent être véritablement revenus au texte d’Ovide, ou à celui de Virgile. En lieu et place d’une relecture pointilleuse, les réalisateurs ont tenté de revivifier le mythe tout en lui donnant une nouvelle actualité.

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Notes

1 Tout commence avec la pièce de théâtre Orphée (1926). Cocteau, en tant que réalisateur, revient encore à son héros avec Le testament d’Orphée (1960).

2 V. de Moraes, Orfeu da Conceição : tragédia carioca, Rio de Janeiro, Impr. Nacional, 1959.

3 Voir J. Kontaxopoulos, « Orpheus Introspecting : Tennessee Williams and Jean Cocteau », The Tennessee Williams Annual Review 4, 2001. URL : http://www.tennesseewilliamsstudies.org/journal/work.php?ID=36, (consulté le 16 juillet 2018).

4 Le nom de ce personnage évoque le site archéologique de Ségeste/Aegesta en Sicile occidentale.

5 Pour fuir son foyer, il s’enferme dans sa voiture, où il écoute à la radio des messages obscurs, inspirés de ceux que la Résistance émettait pendant la guerre depuis les ondes britanniques, du type « Un seul verre d’eau éclaire le monde » ou « L’oiseau chante avec ses doigts ».

6 Ovide, Métamorphoses, X, 5 : nec laetos uultus nec felix attulit omen. Nous utiliserons la traduction de Georges Lafaye dans la CUF.

7 Marcel Escoffier est le chef costumier. Il est assisté du jeune Pierre Cardin.

8 Dans le film, les lampes sont des vases attiques transformés ad hoc. Cette importance accordée au mobilier forme peut-être un souvenir de la collection d’objets antiques que possédait le grand-père de Cocteau.

9 Le propre frère de Giorgio De Chirico, Alberto Savinio, note en 1937 : « la veine du peintre Jean Cocteau a changé d’orientation, et, au lieu de puiser à la source de Picasso, elle puise à celle de Giorgio De Chirico », in A. Savinio, « Dans l’antre d’Orphée », Souvenirs, Paris, Fayard, 1986, p. 58.

10 Dans le recueil Die Sonette an Orpheus (Sonnets à Orphée, 1922) de Rainer Maria Rilke, il s’agit du poème Orpheus. Eurydike. Hermes.

11 Cf. E. Murillo, « Orfeu Carioca : Reassessing Orphic Mythology in Rio de Janeiro », Hispanet Journal 3. URL : http://www.hispanetjournal.com/Orfeu.pdf, (consulté le 16 juillet 2018).

12 Ovide, Métamorphoses, X, 6-7 : « La torche même qu’il tient ne cesse de siffler en répandant une fumée qui provoque les larmes ; il a beau l’agiter, il n’en peut faire jaillir la flamme » (fax quoque, quam tenuit, lacrimoso stridula fumo usque fuit nullosque inuenit motibus ignes).

13 Virgile, Géorgiques, IV, 457-459.

14 Ovide, Métamorphoses, XI, 1-2.

15 Dans le mythe, Orphée se détourne des femmes après avoir perdu sa bien-aimée.

16 Avant même Suddenly last summer, Williams avait écrit son Orpheus descending, adapté au cinéma par Sydney Lumet sous le titre L’homme à la peau de serpent (The Fugitive Kind, 1960). Orphée y inspire le personnage de Val Xavier (Marlon Brando), individu au passé trouble, qui veut se racheter une conduite. L’action se déroule dans une petite ville du sud du Mississippi, qui concentre toutes les tares de l’Amérique : racisme, virilisme, mesquineries. Val tient souvent sa guitare en main et les femmes du comté de Two Rivers succombent à son charme animal. Il va bientôt être employé dans le bazar de Lady (Anna Magnani), qui veut lui donner sa chance. Mais les hommes de la ville regardent avec suspicion ce nouveau venu, qui sera bientôt mis à mort. À son tour, Tennessee Williams joue avec la mythologie dans L’homme à la peau de serpent. Par son art de la narration et son charisme, Val Xavier hypnotise ceux qu’il rencontre, surtout les femmes. Ce charme est celui qu’on attribue au serpent. Pourtant, dans la mythologie, le reptile est l’agent de la mort d’Eurydice. Mais ici, Val est plutôt celui qui sauve provisoirement Lady de son enfer domestique. Et du serpent, le héros possède la capacité de muer : il veut faire table rase de son ancienne vie, immorale et désordonnée, à la Nouvelle Orléans.

17 Le film sera désavoué par son auteur car tourné trop vite et sans le budget prévu.

18 Ovide, Métamorphoses, XV, 879 : siquid habent ueri uatum praesagia, uiuam.

19 R. Banks, Lost Memory of Skin (2011), traduit en français : Lointain souvenir de la peau, Arles, Actes Sud, 2011.

20 Une phrase prononcée au début du film le montre bien : « Je somnolais sur mes lauriers. Il est capital que je me réveille », dit Jean Marais après avoir rencontré la Mort (c’est-à-dire la Princesse) une première fois.

21 Qu’on songe à l’une des répliques du film, déjà prononcée par Heurtebise dans l’Orphée de 1926 : « Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va ».

22 Ovide, Métamorphoses, XV, 232-233. « Elle pleure aussi, la fille de Tyndare, en apercevant, dans la glace fidèle, les rides de son visage ; et elle se demande comment elle a pu être deux fois enlevée », puis vient l’évocation de Milon de Crotone, cette incarnation déchue de la surpuissance physique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sarah Rey, « Figures d’Orphée au cinéma »Anabases, 29 | 2019, 277-287.

Référence électronique

Sarah Rey, « Figures d’Orphée au cinéma »Anabases [En ligne], 29 | 2019, mis en ligne le 14 avril 2021, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/9266 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.9266

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