Bruce Redford, Dilettanti : The Antic and the Antique in Eighteenth-Century England
Bruce Redford, Dilettanti : The Antic and the Antique in Eighteenth-Century England, Los Angeles, J. Paul Getty Museum / Getty Research Institute, 2008, xii + 220 p.
50 dollars / isbn 978-0-89236-924-9.
Texte intégral
1« En 1734, quelques gentlemen qui avaient voyagé en Italie, souhaitant encourager de retour au pays le goût pour ces objets qui avaient tant contribué à les divertir à l’étranger, se constituèrent en une société, sous le nom de Dilettanti, et s’accordèrent sur les règles qu’ils estimaient nécessaires pour préserver l’esprit de leur projet […]. Il ne serait pas sincère de laisser entendre qu’un plan sérieux de promotion des Arts était le seul motif pour former la Société : les contacts amicaux et sociaux étaient, indubitablement, le principal objectif fixé. » C’est ainsi que Robert Wood (c. 1717-1771), un de ses éminents membres, présentait la Société des Dilettanti dans la préface au vol. I des Ionian Antiquities (1769), première contribution d’importance offerte au public qui fût soutenue de bout en bout par ces érudits amateurs. Dans un courrier adressé à Horace Mann en avril 1743, Horace Walpole (1717-1797), qui n’en était pas, résumait cela ainsi : « les Dilettanti, un club pour lequel la prétendue qualification est d’avoir été en Italie, et la véritable d’être saoul ». Dans ce livre très richement illustré, qui tenait lieu de catalogue à une exposition accueillie par la Villa Getty d’août à octobre 2008, Bruce Redford (R.) nous propose une plongée dans ce milieu lettré où l’érudition la plus sérieuse est étroitement associée au plaisir et au divertissement, à une époque où être un dilettante n’est pas encore la marque d’un manque de sérieux, mais un idéal culturel de curiosité et de passion pour le savoir.
2L’objet du livre est avant tout la place de l’image, et le rapport à l’image, dans le premier siècle d’existence de la Société, qui est aussi son âge d’or. Image de soi pour soi, dans les portraits de Dilettanti exécutés par les peintres officiels de la Société, George Knapton (1698-1778 ; ch. 1) et Joshua Reynolds (1723-1792 ; ch. 4), image des vestiges antiques dans l’illustration des travaux soutenus ou promus par les membres de la Société (ch. 2, 3, 5 et 7), image des Dilettanti dans l’Angleterre de la fin du xviiie s., à travers les caricatures de James Gillray (1757-1815 ; ch. 6). Mais à travers ce parcours, qui se déploie de manière chronologique, le lecteur peut suivre une double évolution, qui conduit la Société des Dilettanti vers un engagement de plus en plus marqué en faveur de la promotion des arts et de la connaissance de la Grèce classique et, de manière corollaire, qui voit franchir une étape essentielle dans le développement d’une archéologie scientifique et dans la diffusion du savoir archéologique.
3L’étude s’appuie sur une large documentation iconographique, mais aussi sur les archives mêmes de la Société des Dilettanti, aujourd’hui déposées à la bibliothèque de la Society of Antiquaries de Londres, qui nous livrent un aperçu essentiel sur son mode de fonctionnement et sur les motivations de ses membres. L’analyse des portraits peints par Knapton et Reynolds (ch. 1 et 4), qui met en lumière de manière très fine la tradition iconographique dans laquelle ils se placent et décrypte les allusions nombreuses à la personnalité des membres, au fonctionnement de la Société et à ses centres d’intérêts, entre érudition et esprit libertin, donne ainsi un aperçu extrêmement vivant des deux premières générations de Dilettanti. Ces chapitres, parmi les plus convaincants de l’ensemble, permettent également de comprendre les différentes contributions des Dilettanti dans le domaine savant. Le goût de l’érudition sous-tend l’investissement des Dilettanti dans deux entreprises archéologiques menées au milieu du xviiie s., avec leur soutien pour l’une, et à leur initiative pour l’autre. La première est l’expédition en Grèce menée de 1751 à 1753 par les architectes James Stuart (1713-1788) et Nicholas Revett (1720-1804), encouragée notamment par les frères James et George Gray ( ? -1773), tous deux Dilettanti. Dans son analyse (ch. 2), R. montre comment Stuart et Revett, conformément au projet qu’ils firent paraître avant d’entreprendre leur voyage, ont défini un nouveau genre de discours scientifique. Dans l’esprit du temps, alors que se développe l’organisation systématique des savoirs, et dans le prolongement de l’œuvre pionnière d’Antoine Desgodetz (Les édifices antiques de Rome dessinés et mesurés très exactement, Paris, 1682), ils ne se sont pas limités à ramener des images des vestiges qu’ils ont vus, mais ils ont présenté, par le texte et le dessin, les résultats d’un travail de terrain de longue haleine où la précision et l’exactitude sont érigées en dogme. Cette voie avait déjà été ouverte par Robert Wood (1714 -1771) dans ses Ruins of Palmyra (1753), et sera systématiquement suivie dans la première expédition archéologique initiée par les Dilettanti que ce même Wood, devenu membre de la Société, contribua à mettre sur pied et qui conduisit Richard Chandler (1738-1810), Nicholas Revett et Wiliam Pars (1742-1782) en Ionie. L’analyse de R., où sont confrontées les données sur le voyage, les aquarelles exécutées sur place aux résultats publiés, descriptions et gravures, permet de voir comment se sont élaborées ces œuvres pionnières que sont The Antiquities of Athens de Stuart et Revett (1762-1794) et les Ionian Antiquities de Chandler, Revett et Pars (1769-1797).
4Richard Payne Knight (1751-1824), qui domine la troisième génération de Dilettanti, dans le dernier quart du xviiie et au début du xixe s., tient également une place essentielle dans l’ouvrage. Le ch. 3 est entièrement consacré à son expédition de Sicile, vaste entreprise qui devait lui ouvrir les portes de la Société en 1781, mais dont la publication, bien que déjà très élaborée, ne vit jamais le jour. à travers l’analyse de son journal, enrichi a posteriori de citations et d’observations, et des dessins effectués pour lui par les peintres Jakob Philipp Hackert (1737-1807) et Charles Gore (1729-1807), R. montre comment Knight s’est efforcé d’égaler, voire de dépasser William Hamilton (1730-1803), membre de la Royal Society, de la Society of Antiquaries et un des Dilettanti, qui incarnait alors la figure du connaisseur et de l’érudit, comme le montrent notamment les caricatures analysées au ch. 6. Ce faisant, R. retrace également « l’éducation d’un amateur » dont le travail contient déjà en germe l’esprit des deux contributions majeures des Dilettanti à la fin du xviiie s. : le Discourse on the Worship of Priapus (1786) et les Specimens of Antient sculpture (1809), publiés tous deux par Knight. Le Discourse, analysé au ch. 5, incarne le mieux l’esprit des Dilettanti, en mêlant le discours le plus sérieux à l’ironie, l’irrévérence et l’esprit libertaire. La publication d’une lettre décrivant une survivance supposée du culte de Priape dans un rituel observé à Isernia permet en effet de développer un discours anticlérical qui, associé au caractère jugé licencieux des illustrations, nourrira la polémique soulevée par un livre qui ne connut pourtant pas de diffusion publique. C’est en revanche dans la ligne de la plus pure érudition, illustrée par les Antiquities of Athens et les Ionian Antiquities, que s’inscrivent les Specimens of Antient Sculpture, ambitieux volume illustré de 78 gravures consacré à des œuvres sculptées remarquables, appartenant pour la plupart aux collections de Dilettanti (ch. 7). Knight, qui en est le principal maître d’œuvre, s’y montre extrêmement pointilleux, attentif notamment à l’état de conservation des sculptures présentées, à leurs conditions de découverte, corrigeant dans ses descriptions les représentations parfois trop flatteuses des graveurs.
5Le propos de l’auteur n’est pas de mettre l’exactitude des différentes contributions des Dilettanti à l’épreuve des connaissances actuelles, mais bien d’analyser le discours des Dilettanti, ses prétentions, ses principes, dont les origines ou les échos sont systématiquement retracés afin d’en percevoir la nouveauté, mais aussi les limites. On aurait aimé parfois un peu plus de détails dans l’examen des différents dossiers et des repères plus fermes. L’exposé est accompagné de notices biographiques, mais elles auraient pu être plus systématiques, particulièrement en ce qui concerne les Dilettanti. Par son approche avant tout esthétique, peut-être un peu trop allusive, le livre déconcerte parfois, mais ouvre toujours des perspectives en faisant revivre sous nos yeux un milieu fascinant où s’est jouée une étape essentielle du rapport de la société occidentale à son passé classique.
Pour citer cet article
Référence papier
Olivier Gengler, « Bruce Redford, Dilettanti : The Antic and the Antique in Eighteenth-Century England », Anabases, 11 | 2010, 281-283.
Référence électronique
Olivier Gengler, « Bruce Redford, Dilettanti : The Antic and the Antique in Eighteenth-Century England », Anabases [En ligne], 11 | 2010, mis en ligne le 01 septembre 2011, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/914 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.914
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