Edward J. Watts, Hypatia: the life and legend of an ancient philosopher
Edward J. Watts, Hypatia: the life and legend of an ancient philosopher, New York, Oxford University Press, 2017, 205 p., 22, 99 livres/ isbn 9780190210038.
Texte intégral
1Le récent ouvrage de Watts sur Hypatie est un véritable ouvrage scientifique, qui a pour particularité d’être en même temps une bonne introduction, conformément à la ligne directrice de la collection dans laquelle il est paru.
2Ainsi, la littérature récente à propos d’Hypatie et de son milieu, quoiqu’elle apparaisse dans les notes, est peu discutée dans le texte même, à l’exception des passages où l’auteur aborde des interprétations concurrentes d’un même événement ou d’une même source. Watts apporte en revanche un soin particulier à la présentation des sources et des personnages, y compris lorsqu’il s’agit de sources bien connues, comme Synésius, l’empereur Julien ou Lucien de Samosate. Il rend ainsi explicite la manière dont certaines sources peuvent être utilisées. Par exemple, dans le chapitre 1, des sources archéologiques sont sollicitées pour décrire la diversité de la population d’Alexandrie. Dans les chapitres 5 et 6, Watts s’appuie sur la relation épistolaire que Synésius entretient avec Hypatie pour mettre en évidence à la fois le positionnement stratégique d’Hypatie dans l’élite d’Alexandrie – lorsque Synésius envoie des lettres de recommandation – et le soutien intellectuel et émotionnel qu’elle peut apporter à son ancien élève – lorsqu’il lui écrit à propos du deuil de ses enfants ou lorsqu’il sollicite son approbation sur des textes littéraires et philosophiques. Le traitement des sources et de la littérature scientifique se fait sans qu’il y ait pour autant de ruptures dans le récit, ce qui témoigne du souci du lecteur non spécialiste.
3L’attention portée au contexte historique est une autre trace de l’attention portée au lecteur non initié. Sur le plan social, Watts décrit ainsi la manière dont les élites impériales romaines se maintiennent, et comment cet équilibre est mis en péril par le conflit entre Cyril et Oreste (introduction). Il dépeint la mégapole que constitue Alexandrie, ville alimentée par un flux d’immigration régulier dans laquelle les communautés sont surtout organisées autour du statut social et professionnel des individus, plutôt qu’autour de leur identité religieuse (chap. 1). Il explique les enjeux de l’éducation des femmes qui, parce qu’elles n’occupent pas de postes dans l’administration impériale, n’amène pas de retour sur investissement sur le plan financier mais répond à des nécessités démographiques, les femmes prenant en charge la transmission de la profession familiale au décès d’un époux plus âgé (chap. 2). Il montre le rôle important que joue la temporalité du meurtre d’Hypatie, l’émeute s’étant produite en mars, c’est-à-dire durant une période de l’année propice au chômage dans un port (chap. 8). En ce qui concerne la vie intellectuelle, l’étude des différents courants philosophiques de l’époque permet à l’auteur de mettre en lumière l’originalité de l’enseignement d’Hypatie, qui se distingue par la combinaison de la rigueur mathématique alexandrine et par l’adoption du système néoplatonicien de Plotin et de Porphyre. Ainsi, comme le note Watts, la théologie platonicienne d’Hypatie s’harmonise avec la théologie chrétienne, au sens où ce sont les agissements de l’individu et non son identité confessionnelle qui déterminent sa capacité à accéder au divin. Hypatie priorise la contemplation sur le rituel (chap. 3), aussi, quoique païenne, elle n’est pas menacée par les lois anti-paganisme et maintient de bonnes relations tant avec l’élite intellectuelle alexandrine qu’avec la majorité chrétienne (chap. 4). Le spécialiste plus au fait de telles considérations trouvera toutefois son compte en raison de la rigueur avec laquelle ces diverses informations sont traitées.
4L’angle choisi par Watts contribue certainement aux qualités scientifiques de l’ouvrage. Les monographies sur Hypatie sont loin d’être légion et les succès professionnels, personnels et intellectuels de la philosophe, qu’il place au cœur de sa biographie, sont souvent relégués au second rang derrière des considérations sur le paganisme victime de l’hostilité chrétienne ou les enjeux propres à l’indépendance des femmes dans un monde dominé par le patriarcat, comme il le fait remarquer (p. 5). En ce sens, le chapitre 6 est sans doute l’un des plus originaux sur le plan scientifique : Watts y montre que le dédain d’Hypatie pour les biens terrestres, ainsi que la possibilité qu’elle a en tant que femme d’échapper aux attentes de l’élite concernant la vie publique, ont certainement contribué à sa crédibilité à titre de conseillère politique et donc à sa capacité de s’engager dans la vie publique. La comparaison avec d’autres femmes philosophes et mathématiciennes à peu près contemporaines d’Hypatie, proposée dans le chapitre 7, est aussi très éclairante, puisqu’elle permet de bien voir les défis auxquels Hypatie faisait face comme femme (nécessité de faire la preuve de sa chasteté, embûches liées à un enseignement public et rare, indépendance vis-à-vis de collègues masculins) et donc d’apprécier le caractère exceptionnel de sa carrière publique.
5Watts ne néglige pas pour autant l’étude de la réception d’Hypatie, dont il souligne la variété. Le chapitre 9 est consacré à l’étude des sources antiques et byzantines. Alors que chez les historiens de l’Antiquité domine l’idée suivant laquelle Cyril est sinon coupable, du moins responsable du meurtre de la philosophe, celle-ci est évacuée de la relecture des événements chez certains auteurs byzantins en raison de la canonisation de Cyril ; quant à la chronique de Jean de Nikiou, elle opère un renversement, faisant de l’assassinat d’Hypatie un acte héroïque. Dans le chapitre 10, l’auteur se tourne vers les lectures modernes d’Hypatie, depuis l’ouvrage de Toland (1753), hostile aux institutions ecclésiastiques et défendant la capacité des femmes à agir comme intellectuelles de plein droit, jusqu’au film d’Amenábar, qui souligne son travail de mathématicienne et rend l’extrémisme responsable de la difficulté des femmes à mener une vie publique, en passant par l’analyse de Molinaro qui voit en elle une féministe, représentante de la liberté sexuelle. Watts note que la plupart des lectures modernes d’Hypatie sont centrées sur les thèmes de l’extrémisme religieux et du déclin de la société. Il observe que ces interprétations ne tiennent pas compte de la lenteur avec laquelle les institutions romaines se transforment dans les siècles suivant la mort d’Hypatie, et ont pour effet de dévaluer son travail comme intellectuelle et son action dans la vie publique, en minimisant les défis auxquels elle faisait face plutôt en tant que femme qu’à titre de païenne.
6Enfin, le style d’écriture de Watts est vivant et la langue précise. Au-delà de la valeur scientifique indéniable de l’ouvrage, ce sont sans doute ces qualités qui font d’Hypatia une excellente introduction qui donne envie de poursuivre la lecture.
Pour citer cet article
Référence papier
Mathilde Cambron-Goulet, « Edward J. Watts, Hypatia: the life and legend of an ancient philosopher », Anabases, 28 | 2018, 398-400.
Référence électronique
Mathilde Cambron-Goulet, « Edward J. Watts, Hypatia: the life and legend of an ancient philosopher », Anabases [En ligne], 28 | 2018, mis en ligne le 09 novembre 2018, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/8309 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.8309
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