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Comptes rendus

Alexandre Vincent, Jouer pour la cité. Une histoire sociale et politique des musiciens professionnels de l’Occident romain

Arnaud Saura-Ziegelmeyer
p. 396-398
Référence(s) :

Alexandre Vincent, Jouer pour la cité. Une histoire sociale et politique des musiciens professionnels de l’Occident romain, befar 371, Rome, École Française de Rome, 2016. 27 euros / isbn 978-2-7283-1163-7.

Texte intégral

1L’ouvrage est issu de la thèse soutenue par l’auteur en 2011 sous la direction de Catherine Virlouvet. En deux parties, il présente tout d’abord les occurrences militaires et civiles ainsi que les contextes d’apparition des musiciens professionnels au sein de la société romaine. La seconde partie présente la question de ces mêmes individus au regard de l’histoire sociale, d’abord par l’organisation statutaire du service de ces derniers, puis par l’évaluation de leur place au sein de la plèbe et enfin par le suivi des évolutions historiques de leur condition. Le tout est encadré d’une introduction et d’une conclusion concises mais claires et accompagné d’une table des concordances, d’une bibliographie exhaustive de 45 pages et d’un index des sources et thématiques particulièrement utile bien que succinct.

2Le volume papier « allégé » de cette publication est complété par deux bases de données exclusivement épigraphiques en ligne (Corpus des Musiciens Militaires = CMM et Corpus des Musiciens Civils = CMC) réalisées sous FileMaker et accessibles en ligne via le site de l’École Française de Rome. Les deux bases sont construites sur le même modèle et comportent des indications classiques : nom du musicien mentionné, profession, sources et bibliographie, contexte, description du document physique, conservation, transcription de l’inscription, description biographique du musicien, datation. Les champs sont largement complétés, parfois de façon laconique du fait de l’aspect lacunaire des sources et seuls quelques vides subsistent. Un bouton propose au lecteur un classement par gentilice. En revanche, aucun cliché documentaire n’est proposé.

3Pour l’auteur, l’étude de la musique romaine reste en marge de celle de la musique grecque, voire chrétienne au sein de l’historiographie. D’un point de vue méthodologique, A. Vincent souhaite produire une histoire sociale des musiciens afin de parer aux effets de sources et notamment au prisme déformant des données littéraires. Pour ce faire, la priorité est donnée aux individus et non à leur production artistique, en faisant varier les méthodes d’approche. Les musiciens sont avant tout des « hommes et femmes de métier, dont ils tirent subsistance ». La thèse s’appuie sur un total de 568 fiches (respectivement 311 pour le CMM et 257 pour le CMC) mentionnant uniquement des individus musiciens « en titre », mais aussi ponctuellement sur des sources narratives et iconographiques. Le corollaire de l’origine et de l’appartenance sociale de ces individus est traité dans la deuxième partie qui ambitionne de saisir les évolutions des statuts sociaux entre le iie s. av. et le iiie s. ap. J.-C.

4Le chapitre 1 « Les musiciens de l’armée romaine » présente de façon éclairée musiciens et instruments présents dans les corps militaires ainsi que leur ordre hiérarchique : tubicines, cornicines et bucinatores. Le discours organologique, s’il s’appuie sur l’étude de sources variées et fiables, souffre quelque peu de l’absence de visuel offert au lecteur. Néanmoins toute la complexité et la réalité historique renfermées dans ces dénominations parfois fluctuantes sont brillamment exposées par l’auteur. Il clarifie également la signification des aenatores et le cas particulier des bucinatores qui sont les seuls à ne pas jouer d’instrument en métal. Le lecteur trouve également de précieux renseignements sur la valeur des emplois de liticen et tibicines parfois présents dans l’épigraphie et la littérature. Se posant la question des actions et des rôles spécifiques de ces instrumentistes, A. Vincent propose une contextualisation subtile et met en lumière les paradoxes de la carrière du musicien militaire : formé au sein de l’armée, le caligulus peut devenir rapidement musicien mais le demeure tout au long de sa carrière sans évoluer. L’avancement par la solde et l’ancienneté viennent compenser ce phénomène, tout comme la proximité des musiciens avec le détenteur de l’imperium dont ils ont la charge de transmettre les ordres. Exception faite des bucinatores, les musiciens militaires sont d’ailleurs principes ou immunes. L’auteur démontre les différences hiérarchiques et de nombre pouvant subsister entre la légion et la cavalerie d’un côté, la flotte, les troupes auxiliaires, urbaines, prétoriennes de l’autre, mais aussi l’utilité concrète de chaque instrumentiste. Les tubicines sont polyvalents et fréquemment cités dans la littérature en conséquence, les cornicines liés aux signiferi et servant de relais pour l’ordre visuel. Enfin les bucinatores sont surtout mobilisés à l’intérieur du camp et possèdent un rôle tactique limité.

5Le chapitre 2 « Les musiciens des rituels civiques » propose de dresser un bilan des contextes d’intervention des musiciens romains dans la vie collective, notamment la mise en scène des dispositifs institutionnels, codifiés, qu’ils soient politiques, administratifs ou religieux. La plus grande partie de l’analyse se concentre sur les aérophones présents lors des actes liés à l’autorité politique ou judiciaire. Le problème des qualificatifs, organologiques ou fonctionnels, attribués par les auteurs anciens aux instruments est évoqué mais peu approfondi. Comme pour le chapitre précédent, A.Vincent opère un tri dans les occurrences littéraires, priorisant les sources descriptives, vues comme plus fiables, face aux données poétiques. Le discours est donc homogène. Il identifie l’intervention des musiciens dans la cité d’abord lors des appels au rassemblement. Puis viennent naturellement les sacrifices et en toute logique les tibicines, emblèmes phares de la praefatio. Beaucoup plus novatrice est l’étude des autres instruments apparaissant lors des différentes étapes du sacrifice (tubicines, cornicines, symphoniarii, fidicines), même si la présence des tibicines semble rester obligatoire et intemporelle, par effet de source. La place des musiciens dans les triomphes, les jeux, les arènes et les funérailles est également présentée, montrant toujours la prédominance des aérophones, de la tuba et de la tibia. La fin du chapitre aborde rapidement les enjeux de mémoire à travers la relation des musiciens aux dieux, démontrant aussi l’importance du classicum sur le temps long au sein de la société romaine.

6Le troisième chapitre débutant la seconde partie de l’ouvrage et intitulé « Servir en musicien » pose la question de la signification de cette activité pour les Anciens. Pour A.Vincent, elle transparaît en miroir par l’étude des sources épigraphiques. Le rapport du musicien de sexe masculin à la communauté publique diffère en effet selon sa pratique mais aussi selon les conditions de prestation : association de musiciens, location d’esclaves ou engagement par contrat d’hommes libres, apparitores au service d’un magistrat. En conséquence, même si chacun de ces actes relève d’une pratique professionnelle de la part de musiciens de métier, la maîtrise technique et les instruments joués restent hiérarchisés. L’auteur démontre le paradoxe social du musicien. D’une part sa pratique peut être dévalorisante – selon l’instrument – en particulier lors des divertissements. Au contraire elle peut être synonyme d’honneurs, de reconnaissance et de visibilité sociales lorsqu’elle participe à l’expression de l’autorité.

7Le chapitre 4 « Les musiciens au sein de la plèbe des cités » est sans doute l’apport le plus significatif de l’ouvrage face au vide historiographique. Replaçant l’individu dans la communauté de la plèbe urbaine, A.Vincent identifie à l’aide du statut légal et de l’onomastique la part d’affranchis, d’esclaves et d’ingénus au sein des musiciens. L’analyse du niveau de richesse est en revanche plus problématique. La production épigraphique en elle-même prouve un certain niveau d’aisance, tout comme l’appartenance aux collèges professionnels même si beaucoup de musiciens restent dans l’anonymat faute de pouvoir produire des traces historiques. L’auteur en conclut l’appartenance des musiciens professionnels à la plèbe moyenne, située en-dessous de la plebs media de P.Veyne et dotée d’une hiérarchisation interne mettant en avant sa partie haute dans les sources, phénomène de plus en plus important au fil du temps.

8Le cinquième et dernier chapitre « Le temps des musiciens » aborde de façon inédite la question de la relation entre pouvoir et sons. Les évolutions sociales produites par le Principat d’Auguste sur les musiciens professionnels sont présentées : augmentation du nombre de jeux et donc des musiciens, gains honorifiques et frumentaires, développement de la part d’ingénus au recrutement, etc. Les causalités sont également envisagées afin de replacer ces phénomènes dans le contexte politique. Dans les expressions et apparats du pouvoir impérial, la musique tient une place primordiale. Le loyalisme exprimé par les musiciens envers le régime montre leur adhésion et leur participation au système. Les liens ténus entre musiciens et pouvoir impérial, initiés sous Auguste, se renforcent au fil du temps, notamment via la participation des musiciens au culte impérial ou le développement des collèges et des scholae.

9In fine, s’il est parfois difficile de naviguer dans le volume, A.Vincent fournit ici une somme foncièrement utile aux spécialistes de la musique romaine comme aux lecteurs néophytes désireux de se renseigner ponctuellement sur le statut des musiciens professionnels, artifices comme les autres, au sein des cités romaines occidentales, qu’ils soient militaires ou civils. Son étude offre un éclairage nouveau sur les musiciens dans l’Antiquité à travers l’analyse de leur histoire sociale et de leur rapport au pouvoir impérial.

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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Saura-Ziegelmeyer, « Alexandre Vincent, Jouer pour la cité. Une histoire sociale et politique des musiciens professionnels de l’Occident romain »Anabases, 28 | 2018, 396-398.

Référence électronique

Arnaud Saura-Ziegelmeyer, « Alexandre Vincent, Jouer pour la cité. Une histoire sociale et politique des musiciens professionnels de l’Occident romain »Anabases [En ligne], 28 | 2018, mis en ligne le 09 novembre 2018, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/8297 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.8297

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