Helmuth Schneider, Antike zwischen Tradition und Moderne. Gesammelte Schriften zur Wirtschafts-, Technik- und Wissenschaftsgeschichte
Helmuth Schneider, Antike zwischen Tradition und Moderne. Gesammelte Schriften zur Wirtschafts-, Technik- und Wissenschaftsgeschichte. Herausgegeben von Kai Ruffing und Kerstin Droß-Krüpe. Philippika. Altertumswissenschaftliche Abhandlungen 95, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2016, 429 p. + xxiv, 88 euros / isbn 978-3-447-10648-1.
Texte intégral
1Helmuth Schneider, un disciple de Karl Christ (1923-2008), a été de 1991 à 2011 professeur d’histoire ancienne à l’université de Kassel. Édité à l’occasion de son 70e anniversaire, ce volume réunit vingt-trois études de ce grand connaisseur de l’histoire de l’économie et des techniques antiques. Le livre est divisé en trois parties : Histoire sociale et économique ; Histoire de la technique ; Histoire des sciences. Il est précédé par une brève préface des éditeurs et une réflexion de Schneider sur « L’historien et ses lectures ». Un index des personnes (antiques et modernes) et des sources citées clôt le volume qui contient également une liste des publications de H. Schneider depuis sa thèse de doctorat en 1986 jusqu’en 2015 ; le tout représentant 203 titres, comptes rendus compris.
2Ce qui frappe d’emblée à la lecture des travaux de cet historien relativement peu connu en France –on l’y connaît pourtant certainement comme un des directeurs de l’encyclopédie Der Neue Pauly – c’est l’étendue de ses intérêts et son souci permanent de mettre ses recherches sur l’Antiquité en perspective avec les sciences humaines des époques modernes depuis les Lumières. Dans le chapitre introductif –intitulé « En guise de préface : l’historien et ses lectures » (p. XIII-XXIV) – Schneider évoque ses lectures des historiens, philosophes et sociologues modernes parmi lesquels des auteurs français occupent une place privilégiée. L’étendue de ses intérêts apparaît tout particulièrement dans la troisième partie du volume, consacrée à l’historiographie (Wissenschaftsgeschichte). Le retour de Schneider sur ses lectures est intéressant également d’un tout autre point de vue : il témoigne de l’otium et de la liberté dont bénéficiaient les étudiants allemands des années 1960 et 1970 pour des lectures personnelles très variées et souvent loin de leurs cursus d’études. En France on serait tenté de dire : pour des lectures qui ne figuraient pas au programme, sauf que la notion même de programme n’existait pas dans l’université allemande de cette époque.
3La première partie du volume (« Histoire économique et sociale ») est entièrement consacrée à l’histoire romaine. Elle aborde des questions qui s’étendent sur un arc chronologique depuis la fin du iie siècle avant notre ère jusqu’à la fin de l’Antiquité. Le rôle de la plèbe, l’approvisionnement en blé, le rôle des sénateurs dans la vie économique : à chaque fois, la présentation articule analyses des sources et discussion des travaux d’auteurs modernes. Deux chapitres offrent une vision plus systématique des problèmes auxquels l’historien de l’économie antique est confronté : « Système politique et développement économique dans la République romaine tardive » (p. 89-95) et surtout celui consacré au complexe « Production pour la subsistance, redistribution et marché dans l’Empire romain » (p. 59-76). Cet article, publié d’abord en 1998, est une très utile synthèse des débats internationaux sur l’économie antique dans les décennies après la publication de The Ancient Economy de Moses I. Finley.
4Helmuth Schneider s’était habilité en 1986 à l’université libre de Berlin avec une thèse sur la conception grecque de la technique, publiée en 1989 sous le titre Das griechische Technikverständnis. Von den Epen Homers bis zu den Anfängen der technologischen Fachliteratur. Les six chapitres très documentés de la deuxième partie (Technikgeschichte) du livre débordent le domaine grec et traitent également des infrastructures et de l’approvisionnement en eau dans l’empire romain, à côté de questions comme le rapport entre guerre et technique à l’époque hellénistique ou celle de l’archéologie de la machine à vapeur. Dans un long article sur « Natur und technisches Handeln im antiken Griechenland » (Nature et activité technique dans la Grèce antique), publié d’abord en 1993, Schneider intervient dans un débat qui suite à la crise écologique avait mobilisé philosophes, sociologues, hommes politiques et les médias. Dans son analyse, Schneider s’emploie à déconstruire la thèse qui affirmait une opposition radicale entre les attitudes antiques et chrétiennes envers la nature.
5La troisième partie (Wissenschaftsgeschichte) est la plus volumineuse. Elle se termine par la présentation émouvante des souvenirs publiés en 1963 par Eva Ehrenberg, l’épouse de Victor Ehrenberg (1891-1976). Sous le titre « Erinnerungen an eine untergegangene Welt » (Souvenirs d’un monde disparu), Schneider montre que ce petit livre, peu connu, est un document important sur la culture juive dans l’Allemagne avant 1933. Les sept autres chapitres de cette partie contiennent une très utile mise au point de la controverse entre Karl Bücher et Eduard Meyer, discutée en France surtout sur la base de travaux anglais, italiens et français, un inventaire de la recherche sur l’économie antique entre la fin du xviiie siècle et la Deuxième Guerre mondiale, un autre sur la recherche sur l’histoire de la technique dans l’Antiquité entre 1874 et 1938, et également un article très informatif sur August Boeckh. Les morceaux de choix de cette troisième partie sont l’article, déjà mentionné, sur l’économie antique, puis une analyse très détaillée et documentée sur la contribution des Lumières écossaises à la connaissance de l’Antiquité (« Schottische Aufklärung und antike Gesellschaft»), et enfin celui consacré à la question de l’importance des sciences sociales pour la recherche en histoire ancienne : « Sozialwissenschaftliche Orientierung. Alte Geschichte und moderne Sozialwissenschaften ».
6On est ici au cœur de l’interrogation de Helmuth Schneider sur l’histoire sociale et économique de la Rome antique. Les deux responsables du volume rappellent dès le début de leur préface à ce volume les oppositions, résistances ou méfiances que Schneider avait dû affronter – ou dont il se croyait victime – après la publication en 1974 de sa thèse de doctorat sur Wirtschaft und Politik. Untersuchungen zur Geschichte der späten römischen Republik, puis d’un livre sur la « dictature militaire » de César (Die Entstehung der römischen Militärdiktatur – Krise und Niedergang einer Republik) (1977) et d’une étude sur les mouvements de protestation de la plèbe urbaine romaine (1979). Pour un lecteur français, la préface rédigée par les deux collaborateurs de Schneider est à la fois étonnante et éclairante. Elle commence par une longue citation de l’historien Wolfgang Will, datant de 1991, qui voit Schneider d’une part dans le rôle d’une victime de la réserve générale des historiens de l’Antiquité dans l’Allemagne des années 1970 à l’égard de l’histoire sociale et économique et d’une suspicion d’être marxiste qui se fondait en grande partie sur sa provenance de l’université de Marburg. Il est vrai que le climat intellectuel allemand à cette époque (dans le contexte générale de la division de l’Allemagne) dans une discipline comme l’histoire ancienne était peu propice au maniement de concepts considérés comme marxistes. D’autre part, Will présente Schneider comme une victime d’un monopole d’interprétation de la République romaine qu’aurait prétendu exercer Christian Meier (l’auteur notamment de Res publica amissa, 1966, non traduit, et d’une biographie de César, 1982, traduite en français en 1989, qui a été un grand succès de librairie). Cette entrée en matière par les deux responsables du volume est peu utile. Non seulement elle présente une vision totalement déformée des rapports de force au sein de l’histoire ancienne en Allemagne, mais elle passe également à côté des questions de fond que se pose Schneider dans ses travaux, à savoir, d’une part : comment penser le rapport entre le politique et l’économique (et le social), et d’autre part : quel peut être l’apport des sciences sociales modernes à la connaissance des sociétés antiques ? C’est sur ce terrain qu’il faudrait engager le débat avec l’historien Helmuth Schneider dont la curiosité intellectuelle va loin au-delà de l’histoire ancienne. Se pose alors la question de savoir ce que l’historien pille utilement chez des économistes ou sociologues contemporains.
7Deux exemples pour illustrer cet aspect. Parmi les représentants des sciences sociales modernes (si l’on laisse de côté Adam Smith qui occupe une place prépondérante dans le chapitre sur les Lumières écossaises), Max Weber est de loin le plus souvent non seulement cité mais discuté, loin devant Karl Polanyi ou Norbert Elias. C’est l’analyse de l’économie antique par Weber qui intéresse Schneider, notamment l’utilisation du concept de capitalisme antique. Le recours à l’œuvre du grand sociologue se heurte ici cependant à une sorte de mur d’incompréhension quand l’antiquisant constate – et le formule comme reproche critique – que le sociologue se voit contraint de « différencier constamment entre capitalisme antique et moderne » (p. 357), et quand il affirme que l’utilisation du terme « capitalisme antique » par Weber est en contradiction avec le constat de ce dernier que le capitalisme antique n’a pu se développer en raison des conditions économiques de l’Antiquité (p. 358). L’insistance de Weber sur la dimension politique dans cette problématique devrait être rappelée ici autant que l’inventaire des différences cher à Paul Veyne, sans parler de l’utilité des typologies pour l’historien.
8La force des travaux de Schneider sur l’économie antique rassemblés dans ce volume se situe avant tout dans la variété des dimensions abordées et dans la mobilisation autant de la documentation antique que de leurs interprétations par les auteurs modernes. À certains moments, on aurait souhaité que la réflexion de l’auteur aille plus loin, qu’il abandonne sa réserve et ose s’aventurer sur des terrains moins sécurisés. Ainsi, pour ne citer qu’un seul petit exemple, quand, dans le chapitre sur « Politisches System und wirtschaftliche Entwicklung », il résume les positions opposées des optimates et des populares au sujet de la question agraire à Rome et conclut que ni les uns ni les autres n’étaient cependant capables de motiver leurs politiques respectives « avec des arguments économiques », bien que les mesures prises par le Sénat aient eu des conséquences économiques évidentes (p. 92). Aller plus loin à partir d’une telle aporie (que Schneider ne ressent que comme un paradoxe), s’interroger sur cette « incapacité » aurait contribué à enrichir le débat sur la configuration particulière entre politique et économie dans l’Antiquité.
Pour citer cet article
Référence papier
Hinnerk Bruhns, « Helmuth Schneider, Antike zwischen Tradition und Moderne. Gesammelte Schriften zur Wirtschafts-, Technik- und Wissenschaftsgeschichte », Anabases, 28 | 2018, 390-392.
Référence électronique
Hinnerk Bruhns, « Helmuth Schneider, Antike zwischen Tradition und Moderne. Gesammelte Schriften zur Wirtschafts-, Technik- und Wissenschaftsgeschichte », Anabases [En ligne], 28 | 2018, mis en ligne le 09 novembre 2018, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/8274 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.8274
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