Arbogast Schmitt, Wie aufgeklärt ist die Vernunft der Auklärung ? Eine Kritik aus aristotelischer Sicht
Arbogast Schmitt, Wie aufgeklärt ist die Vernunft der Auklärung ? Eine Kritik aus aristotelischer Sicht, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2016, 472 p., 42 euros, isbn 978-3-8253-6461-8
Texte intégral
1On n’en a jamais fini avec les Lumières – en allemand Aufklärung. En dehors du xviiie siècle, surtout des années 1740 à la veille d’une Révolution qu’elles semblent avoir engendrée – dans des représentations familières aux Français, depuis le transfert au Panthéon des restes de Voltaire et de Rousseau en 1791 et 1794, mais aussi, chez Hegel et les hégéliens, Robespierre comme « main de Rousseau » –, chaque époque semble revendiquer ses propres Lumières, sa face « éclairée » et « progressiste », sa force intellectuelle de contestation de l’ordre établi, proposant sa réforme ou son bouleversement dans le sens supposé de la liberté et de la justice.
2Il y aurait ainsi des Lumières dès la Renaissance, puis au xviie siècle (Descartes, les cartésiens, les Libertins, Spinoza), et, au-delà du xviiie siècle et du « splendide lever de soleil » (Hegel) de 1789, celles du premier xixe siècle : le libéralisme européen de 1830 et au-delà, le saint-simonisme, l’hégélianisme « de gauche » ou critique, après la mort du maître Hegel en 1831, et le mouvement ouvrier et socialiste à ses débuts en Grande-Bretagne et en France, et ainsi de suite jusqu’à nos jours ou presque.
3C’est dans ce « presque » que – comme le dit une expression allemande plus rare en français – « gît le lièvre ». On sait en effet que, à partir de la « guerre civile européenne » que fut la Première Guerre mondiale, puis après l’indépassable – du moins l’espère-t-on – sortie de l’humanité (a-humanité, et non pas simplement inhumanité, d’où l’on peut toujours revenir, Krouchtchev, puis Gorbatchev « revenant » du stalinisme) représentée par le nazisme exterminateur, il devint de plus en plus difficile de maintenir en bon ordre de marche des Lumières sans cesse renaissantes.
4On sait aussi qu’une critique de fond de ces Lumières peut-être illusoires fut formulée au milieu des années 1940 par deux des théoriciens d’une École de Francfort imprégnée d’hégélianisme et de marxisme, alors en exil aux États-Unis, Adorno et Horkheimer, dans une Dialectique de la Raison (Dialektik der Aufklärung – « raison » traduisant ici Aufklärung) qui s’efforçait de montrer comment la raison critique avait, paradoxalement, ouvert la voie à un retour de « mythes » supposés irrationnels et aux plus atroces régressions et transgressions. Depuis, on a tenté de différentes façons de prouver, entreprise à la fois aisée et inaboutie, que les divers « totalitarismes » du xxe siècle étaient embryonnairement présents dans la « volonté générale » de Rousseau comme dans le radicalisme « jacobin » des années 1790, parfois à tort identifié à un lénino-stalinisme avant la lettre.
5C’est peut-être de tout cela qu’il s’agit, de façon un peu contournée, dans ce travail érudit de l’helléniste allemand Arbogast Schmitt. Il s’agit de montrer, à partir d’une connaissance précise du grand Aristote, que la raison (Vernunft, et non pas le modeste entendement quotidien, Verstand) occidentale de l’ère moderne – au sens large – ne saurait rendre compte adéquatement des phénomènes sociaux ou idéologiques (les religions en particulier) propres à d’autres « cultures » ou civilisations. L’assurance factice que procure la maîtrise de la raison conduirait à des difficultés accrues dans les rapports entre sphères culturelles ou civilisations différentes. La question n’est pas nouvelle et demeure perpétuellement en débat, y compris à propos de lourdes questions internationales qui sont l’actualité des médias.
6La raison occidentale ne sort pas toute armée, telle Athéna, de la tête des Descartes, Kant, Hegel et Comte, voire Marx. Elle a, elle aussi, une genèse complexe, et d’autres sphères culturelles que la nôtre ont bien le droit de la considérer, en retour, comme un exotique objet d’étonnement et d’étude. Aristote avait, en son temps, insisté – il faut le rappeler, ce que l’auteur ne semble pas faire, du moins si le recenseur y a vu suffisamment clair dans les références accumulées – sur l’étonnement comme point de départ de la recherche de la connaissance en tous domaines, c’est-à-dire de la philosophie.
7Aristote, avec la longue durée de sa « réception » en Occident comme en Orient, avec des médiations complexes, apparaît ainsi comme l’instrument privilégié d’une rencontre vivante, aujourd’hui encore, à partir d’un point de vue en quelque sorte excentré, entre des « cultures » et civilisations différentes comme entre des époques différentes.
8On saluera, pour conclure, la grande ambition intellectuelle de l’auteur et l’ampleur des perspectives qu’il dégage, mais on regrettera l’ensevelissement de l’essentiel, parfois, sous l’avalanche des détails, ensevelissement perceptible, dès le sommaire, dans les nombreuses subdivisions des nombreux (vingt-deux) chapitres. Marque d’un aristotélisme imitatif ?
Pour citer cet article
Référence papier
Lucien Calvié, « Arbogast Schmitt, Wie aufgeklärt ist die Vernunft der Auklärung ? Eine Kritik aus aristotelischer Sicht », Anabases, 27 | 2018, 238-239.
Référence électronique
Lucien Calvié, « Arbogast Schmitt, Wie aufgeklärt ist die Vernunft der Auklärung ? Eine Kritik aus aristotelischer Sicht », Anabases [En ligne], 27 | 2018, mis en ligne le 01 avril 2018, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/7323 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.7323
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