Angelo Mazzocco, Marc Laureys (éd.), A New Sense of the Past. The Scholarship of Biondo Flavio (1392-1463)
Angelo Mazzocco, Marc Laureys (éd.), A New Sense of the Past. The Scholarship of Biondo Flavio (1392-1463), Leuven University Press, Leuven, 2016, 288 p., 59,50 euros / isbn 978 94 6270 048 2
Texte intégral
1L’importance de ce recueil d’essais pour les études néo-latines peut être appréciée à la lumière de l’introduction d’A. Mazzocco (Mount Holyoke College) sur la vie et l’œuvre de Biondo Flavio (1392-1463). Né à Forlì (Romagne), il fut notaire et secrétaire à la cour papale de 1433 jusqu’à sa mort, sauf pour une interruption entre 1449 et 1453. Proche du pape Eugène IV (1431-1447), qu’il suivit au concile de Florence, il participa au débat humaniste sur les origines de la langue vulgaire en Italie, d’où naquit le traité De verbis Romanae locutionis (1435). Suivirent un ouvrage historiographique de longue haleine (Historiarum ab inclinatione Romani imperii decades), qu’il acheva en 1453, une description des architectures de Rome ancienne (Roma instaurata, 1446), et une description des régions d’Italie sur une base géographique et historique (Italia illustrata), composée entre 1448 et 1453, puis remaniée. Il se consacra enfin à une description des institutions de Rome ancienne avec une ambition de totalité : Roma triumphans (1459). Ses ouvrages connurent des éditions imprimées dont la dernière fut pendant longtemps l’édition bâloise de 1559 (chez Froben). Apparemment marginalisée par la suite, la production littéraire de Biondo a connu un regain d’intérêt au xixe siècle et surtout au fil du xxe, grâce à des travaux tels ceux de Nogara, Dionisotti et Fubini. À partir des années 2000, la nouvelle vague d’intérêt a pris la forme tant de véritables éditions critiques, principalement par les soins de l’Istituto Storico Italiano per il Medioevo, que d’éditions équipées de traductions en langue française ou anglaise : dans ces entreprises sont impliqués les auteurs des contributions. Celles-ci se situent donc au niveau de la constitution du texte et/ou de l’interprétation.
2F. della Schiava (Université de Bonn) rend compte de la recension effectuée sur tous les témoins disponibles de la Roma instaurata, à partir d’un travail préliminaire avec M. Laureys (professeur de la même université), en vue de sa prochaine édition ISIME, alors que J. White (St. Bonaventure University) dresse un bilan sur les phases rédactionnelles de l’Italia illustrata, en tenant compte des résultats des recherches de P. Pontari (Italia Illustrata, I, ISIME, 2011). Les deux contributions convergent sur un point : l’évidence mène à identifier, dans les variantes des premières éditions de la Roma instaurata et de l’Italia illustrata, procurées par Gaspare, fils de Biondo Flavio, respectivement en 1471 et en 1474, les traces d’une extrême révision rédactionnelle non du père mais du fils.
3En ce qui concerne le niveau de l’interprétation, deux essais de Mazzocco (Some Philological Aspects of Biondo Flavio’s Roma Triumphans, 1979 ; Biondo Flavio and the Antiquarian Tradition, 1985) avaient déjà souligné les relations étroites entre la Roma instaurata et la Roma triumphans en tant qu’œuvres pionnières dans la reconstruction des antiquités romaines, par l’exploitation conjointe des sources littéraires et archéologiques. À l’intérieur du recueil, Laureys explore les forces et les limites de la Roma instaurata à travers les notes de lecture du prince-évêque de Trente Johannes Hinderbach (1418-1486), alors que F. Muecke (University of Sydney) suit la fortune changeante, souvent souterraine, de la Roma triumphans dans la tradition des commentaires érudits produits entre le xvie et le xviiie siècle.
4Un acquis particulier du recueil réside dans la mise en évidence du lien qui court entre la Roma instaurata, la Roma triumphans et les autres ouvrages de Biondo. La question critique soulevée par A. Momigliano, concernant le statut des traités d’antiquités dans l’histoire de la culture (cf. R. Di Donato, Prefazione a A.M., Decimo contributo alla storia degli studi classici e del mondo antico, 2012, p. X), est évoquée par C. Castner (University of South Carolina) à propos de l’Italia illustrata : il s’agirait d’évaluer le rapport, plus ou moins achevé, qui s’y établit entre l’étude des sources et leur agencement dans une grille temporelle, afin d’en déterminer le poids pour la construction d’une méthode historiographique moderne (p. 192). Or, un tel questionnement s’avère sous-jacent à la plupart des essais et justifie le titre du recueil, résumant l’apport culturel de Biondo et de ses œuvres dans l’élaboration d’un nouveau sentiment du passé.
5G. Marcellino (SNS, Pise) souligne l’importance de la notion de décadence (declinatio/inclinatio) dans le cadre d’une enquête sur les sources littéraires du De Verbis. Bien qu’elle soit thématisée seulement plus tard dans les Decades à propos de la chute de l’empire romain, celle-ci permet de mieux comprendre la connotation négative du mélange linguistique (mixta loquela) que Biondo présente comme le résultat de la transformation du latin induite par les invasions barbares (p. 47-48). F. Delle Donne (Università della Basilicata) observe, d’ailleurs, que la formulation explicite de la notion d’inclinatio Romani imperii correspond à un changement plus général du plan des Decades qui aurait eu lieu, d’après la correspondance de Biondo, entre 1443 et 1446, c’est-à-dire pendant l’époque de composition de la Roma instaurata. Le passage d’un projet d’histoire contemporaine à un projet plus vaste (couvrant les dix siècles compris entre la chute de l’empire et son époque), uni à un élargissement de la perspective, de l’Italie du nord à l’Italie entière, auraient donc été sollicités par l’effort de compréhension des vestiges romains et par l’exigence de jeter un pont entre ceux-ci et le présent (p. 69, 78-79, 84-85). Le schéma historiographique des Decades est reconnu par Pontari (Université de Pise) comme un arrière-plan indispensable à l’intelligence de l’Italia illustrata et de sa nouveauté : l’introduction d’une notion d’Italie comme réalité culturelle (l’Italia nova des communes), issue de la transformation irréversible de l’héritage romain à travers l’apport barbare (p. 161-164). Pontari (p. 151-158) met aussi en évidence les limites d’un tel point de vue : d’une part, le schéma décadence-renaissance est aujourd’hui mis en discussion par certains historiens ; d’autre part, Biondo voyait dans la papauté l’héritière directe de l’empire romain, dans le cadre d’une opposition binaire entre les Chrétiens et les Turcs qui venaient de s’emparer de Constantinople (cf. Mazzocco, p. 14-15 ; Delle Donne, p. 81-84). Au niveau de la méthode, la non-conformité au modèle rhétorique cicéronien, relevant d’une attention prioritaire aux sources, fait en revanche des Decades une œuvre pionnière, en rupture avec l’historiographie de son époque (Mazzocco, p. 102-103). Plus généralement, à travers la mise en évidence d’un réseau de correspondances internes à la production littéraire de Biondo, les différents essais permettent d’y détecter une cohérence essentielle : il s’agit d’une réflexion précoce sur le passé de l’Italie à partir d’une méditation sur les antiquités romaines et leurs ruines.
Pour citer cet article
Référence papier
Carlamaria Lucci, « Angelo Mazzocco, Marc Laureys (éd.), A New Sense of the Past. The Scholarship of Biondo Flavio (1392-1463) », Anabases, 27 | 2018, 234-236.
Référence électronique
Carlamaria Lucci, « Angelo Mazzocco, Marc Laureys (éd.), A New Sense of the Past. The Scholarship of Biondo Flavio (1392-1463) », Anabases [En ligne], 27 | 2018, mis en ligne le 01 avril 2018, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/7294 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.7294
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