L’utilisation des données archivistiques dans l’enquête archéologique : nouvelles découvertes sur la casa d’Argo d’Herculanum
Résumés
La Casa d’Argo est la première demeure d’Herculanum que Carlo Bonucci découvrit au cours des fouilles à ciel ouvert commencées en 1828. En recoupant les documents provenant des archives de la Soprintendenza archeologica della Campania et les illustrations, descriptions et plans contenues dans les ouvrages publiés en même temps que les fouilles ou par la suite, on parvient à mieux connaître l’apparat décoratif des pièces de la maison, aujourd’hui presqu’entièrement perdu, ainsi que celui de l’étage supérieur, qui s’est malheureusement écroulé avant les nouvelles fouilles d’Amedeo Maiuri.
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1La casa d’Argo a été la première maison fouillée en 1828 par Carlo Bonucci, architecte en chef des nouvelles fouilles archéologiques, encouragées sous le règne de François ier de Bourbon et conduites finalement à ciel ouvert. Les excavations durèrent jusqu’en 1855, avec d’incessantes interruptions et découvertes de nouveaux bâtiments à proximité. Durant ces fouilles, plusieurs parties de la casa d’Argo furent mises au jour : l’étage supérieur, dégagé dès la fin de 1828, de nombreuses pièces de l’étage inférieur, ainsi que le jardin entouré d’un portique. En revanche, le reste de la maison demeure encore enfoui, comme une grande partie de l’Insula II, à laquelle elle appartient. C’est le cas notamment de l’entrée principale, qui donnait sur le IIe cardo. Le visiteur actuel doit donc emprunter l’entrée ouvrant sur le IIIe cardo, qui, à travers un vestibule de forme irrégulière, mène au jardin et au péristyle.
- 1 A. Maiuri, Ercolano. I nuovi scavi (1927-1958), Roma, 1958, p. 368.
2La maison a pris son nom d’un décor peint découvert le 23 décembre 1828 dans la plus importante des pièces situées sur le côté court du péristyle, qui était sans doute le triclinium (fig. 1, n° 4). Il s’agit d’une grande fresque représentant le dieu Hermès tentant d’endormir le géant Argos pour enlever Io. Une autre peinture de la maison a fait parler d’elle au moment de sa découverte : un tableau figurant Persée tuant Méduse, avec l’aide de Minerve, qui ornait la paroi nord de la grande pièce n° 23 (fig. 1) – pièce qui, d’après Maiuri1, était un deuxième triclinium.
Fig. 1. Plan de l’état actuel de la maison.
- 2 E. R. Barker, Buried Herculaneum, London, 1908, plan 8.
- 3 A. Dardenay, A. Allroggen-Bedel, H. Eristov, A. Grand-Clément, M-L. Maraval, C. Marotta, N. Monteix (...)
3L’état actuel de la maison a été affecté par l’absence de mise en sécurité après sa découverte, ce qui a provoqué l’effondrement du premier étage. Aujourd’hui, le visiteur ne réalise pas qu’il s’agissait d’une demeure de grande importance – tant par la qualité de son décor et la quantité du mobilier trouvé que par son étendue. On ignore malheureusement l’identité de son propriétaire. La majeure partie du décor peint a disparu, soit parce qu’il s’est rapidement endommagé, soit parce qu’il a été enlevé. Par exemple, dans les deux pièces (fig. 1 : 2-3) qui donnent sur le vestibule d’entrée, il ne subsiste aujourd’hui que quelques traces de la décoration des parois au fond monochrome rouge ; on voit encore le sol en mosaïque blanc de la pièce qui s’ouvrait avec une fenêtre sur le jardin. L’importance de la maison se mesure au nombre de pièces et à son étendue. Du côté de l’entrée, donnant sur la rue, étaient aménagées plusieurs petites pièces (fig. 1, n° 8-12). La maison comportait deux péristyles. Le premier, le plus grand, est actuellement visible : il comporte 20 colonnes en briques recouvertes de stuc, 8 sur chaque côté long et 4 sur celui plus court, et 6 piliers. La colonnade est répartie sur trois côtés, le quatrième séparant la casa d’Argo de la casa di Aristide. Une ouverture pratiquée dans le côté occidental du péristyle permet d’accéder à l’autre partie de la maison, encore presque entièrement couverte de matériau éruptif. On ne peut en distinguer que trois colonnes. C’est le plan des fouilles réalisé par Barker2 (fig. 2) qui nous renseigne sur l’existence d’un deuxième péristyle, beaucoup plus petit que l’autre, ainsi que d’un tablinum et d’un atrium, les deux non dégagés à ce jour. La fonction des nombreuses pièces (fig. 1, n° 17-20) de dimensions modestes qui se développaient autour de l’atrium est en cours d’étude ; des premiers résultats ont été présentés dans la dernière publication de l’équipe VESUVIA3.
Fig. 2. Plan de la maison. E. R. Barker, Buried Herculaneum, Plan 8.
- 4 C. Montella, La Casa d’Argo ad Ercolano, Università degli studi di Bari, Tesi di specializzazione i (...)
- 5 Maiuri, Ercolano, p. 367-369.
4Cette maison offre un domaine de recherche extrêmement stimulant, pour comprendre l’habitat d’Herculanum. Elle a fait l’objet d’un mémoire de master à l’Université de Bari, par Ciro Montella : son travail envisage l’édifice dans une approche superficielle, aussi bien du point de vue archéologique que documentaire4. L’auteur s’est limité à retracer le contexte historique de la découverte de l’habitation et à reprendre substantiellement la description fournie par Amedeo Maiuri5 pendant les fouilles du xxe siècle.
- 6 Sur l’apport des documents d’archive pour la reconstitution des étages, voir J. Andrews, « Revisiti (...)
- 7 M. Ruggiero, Storia degli Scavi di Ercolano, Napoli, 1885.
- 8 N. Monteix,« Les archives des fouilles d’Herculanum au xxe siècle : analyse critique et pistes d’ex (...)
- 9 M. Pagano & R. Prisciandaro, Studio sulle provenienze degli oggetti rinvenuti negli scavi borbonici (...)
- 10 Pagano & Prisciandaro, Studio sulle provenienze, p. 224-225.
5Il faut se tourner vers la documentation archivistique pour reconstituer l’état d’origine de l’habitation. Ce type d’enquête s’avère d’importance fondamentale surtout dans le cas de la casa d’Argo qui a subi d’importantes dégradations et qui ne conserve que des traces de son apparat décoratif d’origine6. Plusieurs sources sont susceptibles de nous éclairer. L’ouvrage de Michele Ruggiero, Storia degli Scavi di Ercolano, daté de 18857, fournit des informations essentielles, parce qu’il rassemble la documentation disponible à propos de l’histoire des fouilles des années 1828-1829. Nicolas Monteix a cependant montré les limites de ce travail de compilation8. Plus récemment, en 2006, a été publiée par Mario Pagano et Raffaele Prisciandaro une étude sur la provenance des objets mis au jour en Campanie sous les Bourbons9. Toutefois, à peine une page et demie est consacrée à celle qu’ils désignent comme Casa di Argo e Io10, ce qui laisse supposer que seule une partie du matériel trouvé a été recensée et identifiée avec une référence au numéro de catalogue actuel du Musée de Naples.
- 11 W. Zahn, Les plus beaux ornements et les tableaux les plus remarquables de Pompéi, Herculanum et de (...)
- 12 Barker, Buried Herculaneum, préface.
6Les témoignages des visiteurs du site au xixe siècle fournissent également des renseignements précieux. Deux savants, en particulier, ont contribué à la reconstruction de la structure du bâtiment et du décor peint qui ornait les pièces de l’habitation et des objets qui s’y trouvaient. Le premier est Wilhelm Zahn, qui a composé Les plus beaux ornements et les tableaux les plus remarquables de Pompéi, d’Herculanum et de Stabiae, paru en 184211. Le second est Ethel Ross Barker qui, en 1908, a publié Buried Herculaneum, en affichant l’intention suivante : « to describe, as they once were, those buildings that have been stripped of their treasures12 ». Il mena l’enquête afin de retrouver l’emplacement originel des bronzes et des marbres qui se trouvaient au Musée de Naples.
- 13 « La Casa d’Argo dans le contexte de l’Insula II d’Herculanum », thèse de doctorat en Sciences de l (...)
7C’est dans le cadre d’un travail de doctorat consacré à cette demeure13 que j’ai entrepris une consultation autoptique des archives conservées à la Soprintendenza archeologica della Campania – sede di Napoli relatives à la casa d’Argo. Les sources, de nature différente (journaux de fouilles, correspondance scientifique, dessins etc.), proviennent de plusieurs fonds : l’Archivio disegni, l’Archivio fotografico et l’Archivio storico. Les résultats les plus intéressants de mon enquête concernent à ce jour la peinture murale figurant « Io et Argos », celle représentant « Persée tuant Méduse à l’aide de Minerve », ainsi que les décors de l’étage supérieur de la maison et enfin les chapiteaux du péristyle.
La peinture d’Io et Argos
- 14 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 559.
8L’habitation a reçu son nom de cette peinture, aujourd’hui malheureusement effacée à cause des effondrements et de l’action érosive des agents atmosphériques qui ont compromis l’état du triclinium dans lequel elle se trouvait. L’analyse des documents conservés dans les archives a, dans ce cas, fourni des résultats assez maigres. On apprend des rapports de fouilles que, le 23 décembre 1828, cette peinture a été découverte dans « una grande e bella exedra o sala di ricevimento14 ». Les rapports ne sont pas accompagnés d’un dessin exécuté à la main, comme ce fut le cas, nous le verrons, pour la fresque de Persée et Méduse. Seule une gravure, publiée en 1832 dans la table XXV réalisée par l’imprimerie royale pour le catalogue du Real Museo Borbonico (fig. 3), nous vient en aide. Malheureusement ni la gravure, ni la description qui l’accompagne ne fournissent d’informations sur les couleurs :
- 15 Real Museo Borbonico, Stamperia reale, Napoli, VIII, Tav. XXV.
Pittura d’Ercolano. Dopo che Giove ebbe perdutamente amata la bella Io, la cangiò in vacca per sottrala alla vendetta di Giunone, la quale a lui chiestala in dono, la ottenne e la custodia ne affidò all’accortissimo Argo chiamato perciò panoptes, polioftalmos, mirioftalmos, cioè l’uomo tutto veggente, o da molti occhi, l’uomo da mille occhi. Costui la condusse in una valle poco lungi da Micene, dove assiso in cima ad un’altura, spiava tutti i luoghi circostanti. Ma Giove che ciacquistar volea la sua bella, impose al nume de’ladri di rubare ad Argo la vacca. Il perché Mercurio venuto a lui pastore che viaggiava, lo addormentò col dolcissimo suono della siringa. E già gli avea involata la vacca, quando Argo si destò, e volendogliela togliere, Mercurio con una pietra gli diè morte, e si acquistò il nome di argifonte ossia uccisor di Argo. Ecco la narrazione che tra le tante ha seguito il pittore di questo intonaco. Qui vediamo la vaga Io seduta sull’alta rocca, che serviva di vedetta al suo guardiano. In fronte ha le corna, che indicano la sua metamorfosi, ed è mestamente atteggiata per la condizione cui la ridusse il Re dell’Olimpo. Innanzi ad Io nel piano sottoposto siede sopra un sasso Argo. Incolta e lunga è la sua chioma, fornita di maniche la tunica, graziosamente affibiato sul destro omero il suo mantello. Nudo gli sta a fronte Mercurio, appoggiandosi colla sinistra al caduceo di una forma tutta nuova, per quanto ne apparisce; giacché la parte superiore riman coperta dalla clamide che pendegli dal manco polso. Par che egli dopo che diede fiato alla siringa la porga al pastore, perchè (sic) più facilmente possa ucciderlo mentre suona. Ma sembra che Argo ciò ricusi quasi disperando di uguagliare la dolcezza di colui da chi gli viene l’invito. A terra veggonsi molti sassi, e non essendo Mercurio armato dell’arpe, è chiaro che quelli pingesse l’artista ad indicar l’istrumento sotto i cui colpi Argo finì i suoi giorni. Checchè ne sia, la pittura è condotta con molto spirito e non poca espressione; ed è rarissima pel subbietto che ci rappresenta15.
Fig. 3 : Real Museo Borbonico, Stamperia reale, Napoli, VIII, Tav. XXV.
- 16 Zahn, Les plus beaux ornements, tableau 83.
- 17 Pour les deux extraits mentionnés ci-dessus voir Zahn, Les plus beaux ornements, IX. Cahier, tablea (...)
- 18 Maiuri, Ercolano, p. 367.
9Longtemps on a considéré cette gravure comme le seul témoignage disponible concernant ce décor. Or il existe une autre reproduction, beaucoup plus détaillée, de la fresque et de la paroi où elle était située, dans l’œuvre précitée de W. Zahn16 (pl. I.1). Le dessin effectué par l’auteur nous offre un témoignage plus détaillé du décor de cette pièce, ainsi que de précieuses informations sur la couleur et l’état de conservation des peintures. On apprend que « le fond de la paroi est noir ; le fond de la partie supérieure seulement est blanc ; le lambris au-dessous est peint en marbre de différentes couleurs » et encore que « ce tableau principal, ainsi que les deux Victoires aériennes, dans les deux panneaux latéraux, et toute la paroi, sont très endommagés et à peine reconnaissables 17». Donc, si le décor peint était déjà très altéré dans les années 1830, quand Zahn le voyait in situ, on comprend mieux pourquoi Amedeo Maiuri, en 1958, constate que rien ne subsiste du tableau d’Argos et Io18.
Persée tuant Méduse avec l’aide de Minerve
10De cette fresque, découverte en 1828, Bonucci, dans son rapport de fouilles, est le premier à fournir une description :
- 19 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 560.
Nella stanza numero 14 si scorse un bel quadro rappresentante Perseo che uccide Medusa, guardandosi nello scudo di Minerva che gli era vicina e che brandisce contro della vinta la sua terribile lancia. Nel fondo di questa dipintura si osserva da un lato una porta, alcune torri e delle fortificazioni, e dall’altro una campagna, degli alberi e qualche armento19.
11Il nous décrit la scène : Persée est en train de tuer Méduse, avec l’aide d’Athéna/Minerve. Au fond, on aperçoit à gauche une porte, des tours et des fortifications ; à droite, un berger endormi, des troupeaux et des arbres.
- 20 Dans le volumen, une mention fautive signale que la peinture vient de la Casa di Apollo e Diana ; v (...)
12Les informations trouvées aussi bien à l’Archivio disegni qu’à l’Archivio storico de la Surintendance de Naples se sont avérées décisives pour la restitution de l’iconographie originale et de l’histoire de cette fresque. Même si une bonne part des dessins d’archive du fonds documentaire a été transférée aux archives de la Soprintendenza archeologica di Pompei, on a toutefois retrouvé à l’intérieur du maigre dossier Ercolano RA/10 deux reproductions graphiques du tableau. La première (pl. II.1), une aquarelle datée du 11 septembre 1828, porte la signature de C. Bonucci ; la seconde (pl. III.1), un dessin au crayon exécuté en 1829, est de la main du peintre Giuseppe Marsigli. Ce dessin est en outre comparable à la gravure publiée dans le tableau XLVIII réalisée par l’imprimerie royale du Real Museo Borbonico (fig. 4)20. De ces différents témoignages iconographiques, l’aquarelle est la seule à fournir quelques indications sur les couleurs utilisées, alors que le fouilleur et le dessinateur les passent totalement sous silence : on apprend notamment que Persée portait un manteau bleu.
Fig. 4. Real Museo Borbonico, Stamperia reale, Napoli, XII, Tav. XLVIII.
- 21 Contenue au milieu du fascicule VII C9, 3.
13L’Archivio storico et la correspondance concernant les années suivant la découverte de la peinture livrent des indications précieuses quant à son destin. Une lettre21 envoyée à Michele Arditi, directeur du Musée et Surintendant des fouilles par le marquis Ruffo, ministre de la Maison royale, le 15 juin 1829, indique la volonté du roi, qui avait visité en personne le chantier peu de temps avant, que le tableau fût transféré au Musée royal :
Sua maestà ha ordinato che si tagli subito e si trasporti al Museo Reale Borbonico la pittura esistente in una delle pareti di Ercolano rappresentante Perseo che tronca la testa di Medusa.
14En m’appuyant sur cette lettre, j’ai cherché à retracer l’entrée de cette peinture au Musée de Naples, opération qui s’est avérée infructueuse. Toutefois, la découverte, un peu par hasard, d’une correspondance entre le marquis Arditi et l’architecte Carlo Bonucci, déplacée dans le fascicule VII C9, 3 plutôt que dans le VII C9, 4, a été précieuse : la lettre indique la décision finale, prise le 8 juillet 1830, de ne pas envoyer la peinture au Museo Reale Borbonico. La raison de cette décision est due au mauvais état de conservation de l’œuvre et à la peur qu’elle ne se cassât pendant le transport.
15Le mauvais état dans lequel se trouvait le tableau est, de plus, confirmé par une correspondance entre le Ministre de la Maison royale (dont la signature n’est pas lisible) et Carlo Bonucci. Les lettres, datées d’octobre 1853, témoignent que Pietro Paolo Trapani, soprastante onorario, avait reçu le mandat de nettoyer les deux peintures qui se trouvaient dans la même pièce de la maison, représentant, l’une le supplice de Dircé, l’autre Persée tuant Méduse. À cause d’une maladie, Trapani ne put se rendre à Herculanum et les autres lettres nous laissent dans le doute concernant le nettoyage. De cette procédure, on ne connaît d’ailleurs pas les détails. On est toutefois informé par un rapport d’activité de 1853 que les fouilleurs, bien que préoccupés de l’état des peintures, jetaient de l’eau sur les tableaux pour les nettoyer des salissures qui les recouvraient :
- 22 Rapport 3293 : Naples 7 Octobre 1853 ; fascicule VII C4, 4.
Le interessanti dipinture a fresco della Casa di Argo in Ercolano indicanti il Supplizio di Dirce e la morte di Medusa uccisa da Perseo furon cosìffattamente coverte di terra vulcanica […] che non si possano riconoscere senza gettarvi sopra dell’acqua, ciò che le andrà a distruggere in breve altro tempo. Sarei quindi d’avviso che il soprastante onorario Pietro Paolo Trapani sia destinato a nettare le siddette dipinture ercolanesi, e qualche altra che ne sia di bisogno nel corso di un’intera settimana, invece di lavorare in Pompei come sarebbe suo abbisogno.22
16On apprend donc que les deux peintures avaient besoin d’un nettoyage à cause des poussières volcaniques qui les couvraient et que la fresque se trouvait toujours in situ en 1853, ce qui nous laisse penser que sa surface s’est progressivement altérée et la couche picturale effacée au cours des années. Cet exemple, ajouté à celui du tableau XXV représentant le tableau de Io et Argos, montre ainsi que les gravures figurant dans le Real Museo Borbonico ne figurent pas uniquement des tableaux transportés au musée.
Le décor de l’étage supérieur
17Les journaux de fouilles nous apprennent que l’étage supérieur a été la première partie de la maison d’Argos dégagée en janvier 1828. Parmi les petites pièces alors dégagées, l’attention de l’architecte Bonucci a été attirée par una stanza quadrilunga ornée de frises très simples animées de figures zoomorphes :
- 23 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 540.
una stanza quadrilunga il cui pavimento di mattone pesto è tuttavia sostenuto da travi molto grandi e ben conservati ; le mura son decorate da fregi semplicissimi e da quadri e riquadri a color rosso, ravvivati da figurine di leoni, di caprj...23
- 24 Zahn, Les plus beaux ornements, tableau 65.
18Or, on retrouve entre les pages des rapports des fouilles un dessin (pl. III.2), réalisé à la main et non signé, qui correspond exactement à la description de l’architecte en chef. Ce petit dessin en couleurs, accompagné seulement de l’indication « parete sinistra della stanza antecedente », sans aucune contextualisation, n’a rien en soi de significatif. Toutefois, si on le compare avec les dessins (pl. IV.1) d’une coupe de l’étage supérieur, contenus dans Zahn 184224, on arrive à le contextualiser et comprendre la paroi sur laquelle il était peint. L’auteur précise qu’immédiatement après la découverte de l’étage supérieur, il ne restait que quelques murs avec leurs peintures. Dans ce tableau on entrevoit les colonnes du péristyle.
- 25 Zahn, Les plus beaux ornements, tableau 69.
19Le même Zahn25 nous montre en détail les chapiteaux corinthiens dans un autre dessin, révélant que ceux-ci étaient peints en rouge et bleu et que les couleurs étaient encore visibles aux yeux de l’auteur ; il nous fournit ainsi le seul dessin utile à la reconstruction de leur ornementation polychrome.
- 26 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 546 : un braccialetto di metallo indorato con teste di serpenti ag (...)
- 27 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 558 : Due mezzi busti rappresentanti l’uno Apollo e l’altro Diana, (...)
20En définitive, la documentation provenant des archives de dessins et de l’Archivio storico peut nous aider à restituer le programme décoratif et le contexte historique du dégagement de la casa d’Argo. Il faut toutefois souligner que l’enquête personnelle menée dans l’archive photographique n’a pas été concluante. En effet, l’organisation des dossiers rend difficile l’identification des fresques et des objets photographiés, tandis que l’indication de la provenance de la majorité d’entre eux reste inconnue ou imprécise. Nous n’avons ainsi trouvé aucune photographie pouvant correspondre à l’une des fresques qui décoraient la maison. Malgré tout, le croisement des rapports de fouilles de C. Bonucci avec certaines photographies d’archives a permis de rattacher à la casa d’Argo trois objets dont la provenance était jusqu’ici inconnue : un bracelet serpentiforme en or trouvé le 10 mars 182826 (MANN, inv. N 25622) et deux appliques en argent trouvées en octobre 1828 dans une des pièces qui se développent autour de l’atrium, l’une ornée du buste de Diane (MANN, inv. N 25495) et l’autre du buste d’Apollon27 (MANN, inv. N 25492). L’opération de croisement des sources pour rattacher à la maison ces trois objets doit donc être effectuée à chaque fois. Pour parvenir à restituer une image de cette habitation la plus proche possible de la réalité, il est nécessaire de soumettre à un examen critique chaque document utile à la reconstruction d’un décor, d’une paroi, du mobilier, du destin d’une fresque…
21Beaucoup de travail reste à accomplir pour mener l’étude de la casa d’Argo, aussi bien sur les archives qu’in situ. Certaines peintures murales, notamment, restent à examiner, comme par exemple celle du Supplice de Dircé, ou encore des décors sans images, c’est-à-dire des enduits peints dont on conserve la description de Carlo Bonucci, mais pour lesquelles aucun document iconographique n’a été jusqu’ici identifié. L’espoir subsiste donc qu’un jour, grâce à la poursuite de l’enquête et, peut-être, au support des nouvelles technologies, la mise en œuvre d’une reconstruction 3D de la casa d’Argo lui permette de retrouver un peu de son lustre d’antan.
Notes
1 A. Maiuri, Ercolano. I nuovi scavi (1927-1958), Roma, 1958, p. 368.
2 E. R. Barker, Buried Herculaneum, London, 1908, plan 8.
3 A. Dardenay, A. Allroggen-Bedel, H. Eristov, A. Grand-Clément, M-L. Maraval, C. Marotta, N. Monteix, E. Rosso, « Herculanum. Des archives aux restitutions architecturales et décoratives », Chronique des activités archéologiques de l’École française de Rome [En ligne], Les cités vésuviennes, mis en ligne le 30 juin 2016, consulté le 11 septembre 2017. URL : http://cefr.revues.org/1588 ; DOI : 10.4000/cefr.1588.
4 C. Montella, La Casa d’Argo ad Ercolano, Università degli studi di Bari, Tesi di specializzazione in archeologia e storia dell’arte romana, 2008.
5 Maiuri, Ercolano, p. 367-369.
6 Sur l’apport des documents d’archive pour la reconstitution des étages, voir J. Andrews, « Revisiting the upper floors of the casa d’Argo at Herculaneum », Anabases 26 (2017), p. 117-141.
7 M. Ruggiero, Storia degli Scavi di Ercolano, Napoli, 1885.
8 N. Monteix,« Les archives des fouilles d’Herculanum au xxe siècle : analyse critique et pistes d’exploitation », Anabases 26 (2017), p. 143-154.
9 M. Pagano & R. Prisciandaro, Studio sulle provenienze degli oggetti rinvenuti negli scavi borbonici del regno di Napoli, Napoli, 2006.
10 Pagano & Prisciandaro, Studio sulle provenienze, p. 224-225.
11 W. Zahn, Les plus beaux ornements et les tableaux les plus remarquables de Pompéi, Herculanum et de Stabiae, Berlin, 1842.
12 Barker, Buried Herculaneum, préface.
13 « La Casa d’Argo dans le contexte de l’Insula II d’Herculanum », thèse de doctorat en Sciences de l’Antiquité préparée sous la direction d’A. Dardenay et C. Bonnet, Université de Toulouse - Jean Jaurès.
14 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 559.
15 Real Museo Borbonico, Stamperia reale, Napoli, VIII, Tav. XXV.
16 Zahn, Les plus beaux ornements, tableau 83.
17 Pour les deux extraits mentionnés ci-dessus voir Zahn, Les plus beaux ornements, IX. Cahier, tableau 83.
18 Maiuri, Ercolano, p. 367.
19 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 560.
20 Dans le volumen, une mention fautive signale que la peinture vient de la Casa di Apollo e Diana ; voir Ruggiero 1885, p. 558.
21 Contenue au milieu du fascicule VII C9, 3.
22 Rapport 3293 : Naples 7 Octobre 1853 ; fascicule VII C4, 4.
23 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 540.
24 Zahn, Les plus beaux ornements, tableau 65.
25 Zahn, Les plus beaux ornements, tableau 69.
26 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 546 : un braccialetto di metallo indorato con teste di serpenti agli estremi ; Pagano & Prisciandaro, Studio sulle provenienze, p. 225.
27 Ruggiero, Storia degli Scavi, p. 558 : Due mezzi busti rappresentanti l’uno Apollo e l’altro Diana, attaccati a de’ quadretti di bronzo che hanno un anelletto per appendersi ; Pagano & Prisciandaro, Studio sulle provenienze, p. 225.
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Pour citer cet article
Référence papier
Carla Marotta, « L’utilisation des données archivistiques dans l’enquête archéologique : nouvelles découvertes sur la casa d’Argo d’Herculanum », Anabases, 27 | 2018, 55-65.
Référence électronique
Carla Marotta, « L’utilisation des données archivistiques dans l’enquête archéologique : nouvelles découvertes sur la casa d’Argo d’Herculanum », Anabases [En ligne], 27 | 2018, mis en ligne le 01 avril 2020, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/6804 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.6804
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