Tiffany Jenkins, Keeping their marbles. How the treasures of the past ended up in museums… and why they should stay there
Tiffany Jenkins, Keeping their marbles. How the treasures of the past ended up in museums… and why they should stay there, Oxford, Oxford University Press, 2016, 369 p., 25 livres – 34,95 dollars/ isbn 978-0-19-965759-9.
Texte intégral
1Les plus grands musées du monde, dont certains sont nés au xviiie siècle, exposent des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’humanité qui n’ont pas toujours été acquis dans des conditions légales. Depuis les années 1980, de plus en plus de voix s’élèvent ainsi pour exiger la restitution de ces objets, de ces artéfacts, à leur pays d’origine. L’exemple le plus emblématique de ce type de demandes est sans doute celui de la Grèce, qui réclame depuis trente ans la restitution par le British Museum des marbres du Parthénon emportés en Angleterre par Lord Elgin au début du xixe siècle.
2Comme l’auteure le laisse entendre à travers le jeu de mots qui forme le titre même de son ouvrage (« Conserver ses marbres », qui est aussi le contraire de l’expression anglaise «losing their marbles» qui signifie « perdre la tête », et que l’on pourrait donc traduire par « garder la tête froide »), ainsi qu’avec son sous-titre explicite (« Comment les trésors du passé se sont retrouvés dans les musées… et pourquoi ils devraient y rester »), elle appartient pour sa part au groupe de ceux qui se définissent comme des « sceptiques de la restitution ».
3Déplorant que l’on s’intéresse davantage aujourd’hui à la façon dont les musées ont acquis les pièces qu’ils exposent, plutôt qu’à ce que ces objets peuvent nous apprendre sur le passé de l’humanité, l’auteure annonce en introduction les trois objectifs qu’elle s’est fixés. De façon assez classique, elle envisage d’abord de faire l’historique des musées, et de la constitution de leurs collections ; il s’agira ensuite pour elle d’expliquer l’apparition et le développement de la controverse sur la restitution, qui devient particulièrement virulente à partir de la fin des années 1980 ; enfin l’auteure se propose de réévaluer le rôle des musées, en montrant que contrairement à ce qu’affirment les critiques qui les visent depuis plusieurs décennies, ce sont des institutions indispensables à la compréhension de l’histoire, de la spécificité et de l’interaction des différentes cultures humaines.
4Annoncés comme trois temps distincts de l’argumentation, ces trois aspects sont en réalité constamment mêlés dans les deux grandes parties qui constituent l’ouvrage, parfois d’ailleurs au prix de quelques répétitions. La première partie, censée traiter des explorations et expéditions ayant conduit au pillage des antiquités afin de constituer les grandes collections des musées occidentaux, développe déjà en réalité la thèse centrale de l’ouvrage, à savoir que si l’acte qui consiste à séparer les artéfacts de leur milieu d’origine enlève aux objets leur fonction originelle, c’est pour les placer, au sein des institutions muséales, dans un réseau de relations plus vaste et plus riche que dans leur milieu d’origine, permettant ainsi une meilleure connaissance du passé. Et l’auteure de citer entre autres l’exemple de la pierre de Rosette, qui a permis le déchiffrement des hiéroglyphes par des savants européens – notons au passage que, comme beaucoup d’auteurs anglo-saxons, T. Jenkins a tendance à minimiser sur ce point l’apport du Français Champollion au profit du Britannique Thomas Young.
5Dans la seconde partie, l’auteure cherche à savoir pourquoi les musées sont devenus, depuis quelques décennies, la cible de nombreuses requêtes de restitution. En se demandant si la culture a une patrie, et en répondant par la négative, elle revient en réalité sur l’idée de l’existence d’une culture universelle, d’un passé humain, qu’elle avait déjà développée en première partie. Certaines de ses interrogations sont néanmoins pertinentes, ainsi quand elle questionne le fait que des pays de fondation plus ou moins récente, comme la Grèce, l’Italie, la Turquie, le Pérou ou le Nigeria, soient fondés à réclamer le retour d’antiquités qui précèdent de plusieurs siècles, voire de plusieurs millénaires, la date de leur création en tant qu’États-nations : quelle est la légitimité de la Turquie contemporaine à réclamer au British Museum la restitution des statues qui ornaient le Mausolée d’Halicarnasse, hormis la localisation du tombeau de ce satrape achéménide à Bodrum, ville située aujourd’hui au sud-ouest de la Turquie ?
6On est moins convaincu en revanche par l’argument récurrent du livre selon lequel les pillages commis il y a plusieurs siècles ne doivent pas être jugés à l’aune de notre sensibilité contemporaine : ce qui apparaît aujourd’hui comme condamnable, nous dit l’auteure, était considéré comme normal, ou en tout cas acceptable, à l’époque où les artéfacts antiques ont été « prélevés » sur leur milieu d’origine. Peut-on se dédouaner aussi facilement des exactions du passé ? Enfin, l’auteure termine son ouvrage par l’évocation des restes humains exposés dans les musées ; en les mettant sur le même plan que les objets, elle semble volontairement ignorer la dimension très particulière qui s’attache à ce type d’artéfacts, surtout quand ces restes humains appartiennent à des cultures encore vivaces, comme par exemple celle des Aborigènes d’Australie : ils ne peuvent sans mauvaise foi être comparés à ceux émanant de civilisations disparues, comme les momies égyptiennes.
7En faisant entendre une voix dissonante sur la question de la restitution, le livre propose néanmoins une position originale, bien loin de la culpabilité post-coloniale qui imprègne aujourd’hui les sociétés occidentales.
Pour citer cet article
Référence papier
Catherine Valenti, « Tiffany Jenkins, Keeping their marbles. How the treasures of the past ended up in museums… and why they should stay there », Anabases, 26 | 2017, 238-239.
Référence électronique
Catherine Valenti, « Tiffany Jenkins, Keeping their marbles. How the treasures of the past ended up in museums… and why they should stay there », Anabases [En ligne], 26 | 2017, mis en ligne le 01 novembre 2017, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/6262 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.6262
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