Sophie Lefay, L’Éloquence des pierres. Usages littéraires de l’inscription au XVIIIe siècle
Sophie Lefay, L’Éloquence des pierres. Usages littéraires de l’inscription au XVIIIe siècle, L’Europe des Lumières 38, Paris, Classiques Garnier, 2015, 362 p. + 6 pl.
39 euros / isbn 978-2-8124-4619-1
Texte intégral
1Le présent ouvrage est issu d’une thèse d’habilitation et présente une très riche synthèse sur les usages littéraires, mais aussi artistiques de l’inscription en France. Chronologiquement, l’enquête est menée de la création de l’Académie des Inscriptions au déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion. Ces deux termini indiquent le contexte du fait culturel étudié : entre les débuts de la science épigraphique portant sur les textes latins et grecs, dont les langues sont encore connues, jusqu’à la révélation de la langue et de l’écriture de l’Égypte antique. L’inscription est un procédé scripturaire et littéraire qui a suscité des débats nombreux, que cet ouvrage présente en détail. Pour autant, la science épigraphique n’est pas traitée pour elle-même, elle est un référent auquel sont empruntés des termes descriptifs. On pourrait regretter que cette approche livresque fasse l’économie des corpus d’inscriptions, dont l’existence est certes mentionnée, mais sans en retracer même brièvement la diffusion et les apports à l’histoire comme science.
2Il s’agit donc de rendre compte des usages de l’inscription, qu’elle soit à visée historique, comme en atteste la « Querelle des Inscriptions » au sujet des légendes sur les arcs de triomphe dans les bonnes villes du royaume ou sur les peintures de la voûte de la galerie des Glaces célébrant les hauts faits de Louis XIV, ou mémorielle devant un haut lieu incitant à la méditation tel le cirque de Gavarnie découvert en 1788 et objet d’inscriptions, voire amoureuse comme le pratiqua Rétif de la Bretonne. Le tout dans une période où le livre devient un élément commun de la culture et l’histoire émerge en tant que discipline, en s’intéressant à l’étude de l’origine des langues.
3De plus, la connaissance de la mythologie grecque et romaine semble décliner, ce qui rend malaisée la compréhension des tableaux du grand genre ou peinture d’histoire. Cette dernière est encore nourrie par les civilisations de la rive nord de la Méditerranée, la Grèce et Rome. Puisque les images n’évoquent plus spontanément chez le spectateur les passages célèbres de Tacite, Tite-Live, voire Polybe, il devient nécessaire d’en expliciter le sens par des inscriptions. Réapparaît alors la question récurrente de l’allégorie et de l’usage qui en est fait.
4Le XVIIIe siècle est celui des Lumières, de la Révolution, des aspirations de la bourgeoisie à participer au gouvernement et du renouveau de la question de la langue des inscriptions en France, latin ou français. Or qui dit inscriptions dit déchiffrement, que la langue ainsi écrite soit connue ou non. L’idée que les hiéroglyphes sont une langue pour sourds et muets est répandue parmi les intellectuels, tel Diderot. Quand l’inscription recourt au français, elle use des abréviations comme dans les textes en latin et sa compréhension peut alors relever du rébus.
5Ce siècle est aussi celui des débuts des sciences naturelles dont les fossiles sont les inscriptions de la nature que l’homme doit élucider. Cet attrait pour la nature est aussi révélé par l’intérêt pour les jardins, l’opposition entre les deux styles – à la française, ou à l’anglaise – ce dernier justifiant l’emploi des inscriptions comme le fit Girardin à Ermenonville en gravant sur les rochers les citations de Pétrarque ou du Tasse.
6Les inscriptions sont aussi vues comme des ornements architecturaux et le contrôle des arts depuis Louis XIV entraîne celui des inscriptions. La question de la langue n’est toujours pas tranchée, puisque même après l’expulsion des Jésuites en 1762 et le développement d’un enseignement en langue française, le choix du latin prévaut sur le socle de la statue de Louis XV aux Tuileries, malgré le solécisme relevé par les contemporains. On aurait aimé avoir quelques données chiffrées sur la diffusion de l’alphabétisation. Avec la Révolution, le débat devient politique, puisque le français est mis en avant dans un souci d’éducation du citoyen, pour qui les discours devaient être compréhensibles aisément, quand le latin devint la langue de la religion, de l’Ancien Régime et donc de l’obscurantisme.
7Enfin, l’auteure étudie les caractéristiques de l’inscription qui donnent naissance au style qualifié de lapidaire. Cette manière d’élocution renvoie au laconisme et à l’idéal spartiate défendu par les Révolutionnaires. On revient alors au propos initial : le texte gravé sur la pierre doit répondre à certains critères la brièveté, l’austérité, la sévérité. Cela évoque davantage le latin que le grec, alors que l’époque est bavarde : Voltaire lui-même conçoit une inscription brève en latin et prolifique en français, pour les écoles de chirurgie en 1773.
8Les différents usages de l’inscription, comprise comme un texte porté par un matériau différent du papier qui constitue le livre, sont analysés et mettent en évidence le jeu intellectuel et littéraire auxquels s’adonnèrent la plupart des esprits brillants du XVIIIe s.
Pour citer cet article
Référence papier
Axelle Davadie, « Sophie Lefay, L’Éloquence des pierres. Usages littéraires de l’inscription au XVIIIe siècle », Anabases, 24 | 2016, 356-357.
Référence électronique
Axelle Davadie, « Sophie Lefay, L’Éloquence des pierres. Usages littéraires de l’inscription au XVIIIe siècle », Anabases [En ligne], 24 | 2016, mis en ligne le 15 novembre 2016, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/5776 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.5776
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