Philippe Blaudeau et Peter Van Nuffelen (éd.), L’historiographie tardo-antique et la transmission des savoirs
Philippe Blaudeau et Peter Van Nuffelen (éd.), L’historiographie tardo-antique et la transmission des savoirs, Berlin et Boston, De Gruyter, 2015, 380 p., 109
95 euros / isbn 9783110406931
Texte intégral
1L’ouvrage dirigé par P. Blaudeau et P. Van Nuffelen vise à comprendre l’historiographie tardo-antique dans son contexte culturel et à « interroger la catégorie de transmission culturelle dans son acception la plus large » (p. 5), en réunissant des contributions issues de disciplines variées. Comme le souligne P. Blaudeau, la constitution en objet de l’Antiquité tardive comme période historique autonome est récente, tout comme l’examen de sources narratives à titre de productions intellectuelles. En effet, les récits des historiens tardo-antiques peuvent témoigner de changements culturels, voire y contribuer : Van Nuffelen propose ainsi en introduction une riche réflexion sur les pratiques culturelles qui conditionnent l’historiographie, et les relations que celle-ci entretient avec d’autres formes de savoirs.
2Dans une première partie consacrée aux sources, D. Moreau étudie les techniques de citation utilisées dans les ouvrages historiques des ive-vie siècles : la provenance des actes pontificaux cités et les buts recherchés par ceux qui les citent indiquent que les actes pontificaux ne deviennent des autorités qu’après 425. A. Hilkens, en identifiant les références qui remontent à Andronicus dans les ouvrages de ses successeurs, déploie la diversité des sources, tant chrétiennes que païennes, qu’Andronicus cherche à harmoniser.
3Le second thème abordé est celui des logiques d’appartenance. A. Camplani étudie la corrélation entre la documentation citée par les historiens et la dimension géo-ecclésiologique de l’historiographie alexandrine. Il met en lumière le parti pris idéologique qui détermine la sélection des sources transmises, soit une reconfiguration de la représentation d’Alexandrie comme ville chrétienne et de l’origine apostolique de son siège épiscopal. G. Greatrex, à partir du cas de Théodore et de son épitomateur du viie siècle, montre qu’au fil de la narration, l’histoire profane tend à prendre une place de plus en plus grande, en raison de la tendance des historiens à traiter davantage de l’histoire politique lorsqu’ils se rapprochent de leur époque. Il souligne avec justesse l’importance, jusqu’ici sous-estimée, des interventions de l’épitomateur, qui supprime ou commente les citations afin d’offrir au lecteur un ouvrage utile.
4Dans une troisième partie sur les différents genres historiographiques, R. Teja rend compte du débat sur l’authenticité de la Vie de Porphyre de Gaza. Est-il possible d’utiliser ce texte comme source, et si oui, pour quelle période ? Si l’auteur du texte est un faussaire du vie siècle, conclut-il, il possède néanmoins une excellente connaissance historique des siècles qui précèdent. G. Traina se penche quant à lui sur l’historiographie arménienne, qui s’appuie sur des modèles grecs en raison de la formation des intellectuels arméniens, et qui présente une tentative de conciliation de traditions diverses (biblique, tradition arménienne populaire et écrite, emprunts littéraires au Roman d’Alexandre) à des fins idéologiques. T. Deswarte nous invite à lire l’Historia Wambae comme un projet littéraire original, un genre nouveau dans lequel l’histoire a pour finalité la fidélité des nobles au roi.
5La quatrième partie porte sur la manière dont les historiens tardo-antiques font usage des connaissances issues de savoirs anciens. D. Meyer montre comment diverses épistémologies peuvent être sollicitées dans les débats théologiques du Ve siècle : explications philosophiques et médicales, citations bibliques et références littéraires classiques côtoient l’argumentation théologique chez Philostorge. L’étude remarquable de U. Roberto explore le glissement d’une chronique chrétienne en synchronie avec la datation païenne – celle de Sextus Julius Africanus – à des chroniques chrétiennes en symphonie avec les savoirs grecs – celle de Jean Malalas introduit des éléments théosophiques païens et celle de Jean d’Antioche récupère des éléments étrusques et traite l’histoire de la République romaine dans une perspective eschatologique où l’avènement du Christ correspond à une déchéance de l’humanité. B. Bleckmann montre que, quoique dans la Bibliothèque comme dans l’Epitomé Philostorge soit décrit comme un athée aux écrits mensongers, les détails rapportés par Photius permettent de connaître la position doctrinale de Philostorge, et que la rédaction de l’Epitomé témoigne d’un véritable intérêt, stylistique, scientifique et historique, pour cet auteur.
6La dernière partie de l’ouvrage porte sur les figures et contre-figures d’autorité. E. Parmentier et F. P. Barone montrent que le thème de la rétribution des fautes, thème essentiel de l’historiographie chrétienne dans le récit de la mort d’Hésiode, se transforme entre Flavius Josèphe et le Pseudo-Athanase. P. Gaillard-Seux trace des parallèles entre des portraits d’empereurs de l’Histoire Auguste et des traits d’animaux – abondamment documentés à l’aide de textes zoologiques – ce qui permet, grâce à une comparaison entre la figure fictive de Firmus dans l’Histoire Auguste et celle de Typhos évoquée par Synésius, de conjecturer une datation du texte postérieure à 400. O. Huck signe une contribution remarquable sur la construction de l’image de Constantin comme législateur chrétien : Sozomène, qui est juriste, attribue à Constantin des lois qui lui sont postérieures, construisant ainsi l’image d’un Constantin législateur qui répond à une volonté de réfuter des polémistes païens et d’harmoniser son argumentation avec l’historiographie officielle qui fait de Constantin le prédécesseur de Théodose II et le premier grand législateur de l’empire. E. Wirbelauer examine la surprenante construction de la légende de Silvestre : l’absence de sources documentaires contemporaines de Silvestre n’empêche pas la production d’une littérature riche à une époque postérieure. T. Stickler, à partir des fragments d’Olympiodore de Thèbes transmis par Photius, montre que ceux-ci transmettent également le discours politique officiel de la domination de l’empire d’Orient sur celui d’Occident. A. Laniado enfin établit qu’aucune source n’atteste du statut de magister militum de Vitalien avant sa révolte ; or si ce titre lui a été octroyé après la révolte, Vitalien n’est pas un général devenu rebelle.
7L’intérêt de l’ensemble réside dans la richesse du corpus étudié, ainsi que dans la fécondité des approches et concepts sollicités : en particulier, ceux de synchronie et de symphonie (Roberto), de géo-ecclésiologie (Camplani), semblent tout à fait prometteurs pour l’étude de l’historiographie tardo-antique. La variété des sources interrogées, lues à titre de projets intellectuels légitimes et autonomes, permet au lecteur d’entrevoir la richesse des textes qu’il reste encore à étudier.
Pour citer cet article
Référence papier
Mathilde Cambron-Goulet, « Philippe Blaudeau et Peter Van Nuffelen (éd.), L’historiographie tardo-antique et la transmission des savoirs », Anabases, 24 | 2016, 334-336.
Référence électronique
Mathilde Cambron-Goulet, « Philippe Blaudeau et Peter Van Nuffelen (éd.), L’historiographie tardo-antique et la transmission des savoirs », Anabases [En ligne], 24 | 2016, mis en ligne le 15 novembre 2016, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/5741 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.5741
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