Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, volume édité par Janine et Jean-Charles Balty, avec la collaboration de Charles Bossu, Academica Belgica, Institut historique belge de Rome
Franz Cumont,Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, volume édité par Janine et Jean-Charles Balty, avec la collaboration de Charles Bossu, Academica Belgica, Institut historique belge de Rome,Nino Aragno Editore, Rome, 2015, diffuseur Brepols, CLXV et 548 p.
90 € / ISBN 978-90-74461-78-8
Texte intégral
1La réédition des œuvres de Franz Cumont dans la magnifique « Bibliotheca Cumontiana », un projet collectif dont on sait tout ce qu’il doit à notre collègue Corinne Bonnet, s’enrichit d’un nouveau et splendide volume. Après Les religions orientales, Lux Perpetua et Les Mystères de Mithra, voici les Recherches sur le symbolisme funéraire. Conformément aux règles de la collection, le texte original de Cumont (paru en 1942), reproduit avec tout l’appareil qui permet de retrouver la pagination première et les illustrations d’origine, est enrichi d’une Introduction historiographique due à Janine et Jean-Charles Balty, et d’un riche index inédit des sources anciennes (M. Soler) de près de vingt pages. Une seule différence notable par rapport aux volumes précédents : les éditeurs n’ont pu exploiter, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs, les nombreuses additions manuscrites que Cumont avait l’habitude de porter sur les exemplaires personnels de ses livres, celui des Recherches ayant disparu.
2On ne fera pas ici la recension du maître-livre de Cumont, « une œuvre qui s’impose à l’attention par ses seules dimensions et, plus encore, par la somme d’information et d’érudition rassemblée et la richesse de la pensée ». C’est ainsi que H.-I. Marrou débutait sa puissante et très complète recension du livre dans Le Journal des Savants en 1944 et c’est aujourd’hui encore le sentiment personnel du recenseur en face de ce monument. Les Recherches se proposaient, on le sait, l’examen des décors mythologiques des sarcophages romains d’époque impériale en relation avec ce qu’ils nous apprenaient sur les croyances des Anciens au sujet de la vie après la mort. On sait aussi que Cumont avait organisé son sujet en cinq chapitres et en trois thèmes : les Dioscures, le symbolisme lunaire et les Muses. Dans les trois cas, Cumont, s’appuyant essentiellement, dans son exégèse, sur la littérature philosophique grecque, concluait à la portée religieuse profonde d’un symbolisme qui visait, par un choix délibéré et orienté des motifs retenus, à exprimer la croyance du défunt et de son entourage à l’existence d’une vie outre-tombe.
3Ce qui fait de cette réédition un véritable trésor historiographique, c’est naturellement la superbe Introduction de J. et J.-Ch. Balty, exceptionnelle d’intelligence, d’érudition, de pertinence et d’humilité. En une véritable monographie de plus de 150 pages, les auteurs abordent toutes les questions imposées par la spécificité de la collection. Mais ils ne contentent pas d’un Bericht sur la réception du livre. Ils citent, certes, et analysent tous les comptes rendus parus de l’ouvrage, mais replacent aussi toutes les conclusions de Cumont dans leur contexte immédiat et examinent leur influence sur la postérité proche, soulignant ainsi tout ce que H.-I. Marrou, J. Carcopino ou encore P. Boyancé doivent à celui qui a été, d’une manière ou d’une autre, leur inspirateur. À l’appui de leurs analyses, les auteurs citent très souvent des documents inédits ou difficiles d’accès, tels des lettres de Cumont ou de ses correspondants. L’enquête souligne avec pénétration l’influence profonde de Cumont sur cette génération remarquable de savants qui, souvent, se sont croisés à Rome. L’Introduction, sur tous les points scientifiques soulevés par le livre, ne cache jamais les réserves exprimées par certains, au lendemain de la guerre mais aussi dans les années qui ont suivi, sur les conclusions de l’auteur. Les critiques n’ont pas manqué, qu’elles soient de détail ou de méthodologie. C’est au point qu’aux yeux de certains de nos contemporains l’ouvrage de Cumont serait dépassé et vieilli.
4La bataille n’est pas sans enjeux historiographiques et idéologiques. Cumont aurait, en outre, été desservi par la vivacité et la force de conviction avec laquelle il défendait ses thèses. Son écriture même, dont l’élégance réelle peut paraître surannée, aurait joué contre lui. La position de J. et J.-Ch. Balty est celle d’une défense lucide et argumentée des conclusions du livre. Pour ce faire, ils ont entrepris de tout lire de ce qui a été publié sur le sujet depuis six décennies et demi et, avec une honnêteté et une érudition remarquables, de faire la part des choses. Il s’avère ainsi par exemple – impossible de tout dire en ce bref compte rendu – que les éditions et travaux récents sur les carmina epigraphica latina révèlent certes la faible part dans le corpus (environ 1350 références) de ceux qui expriment une croyance en l’immortalité ou une divinisation après la mort (4,6 % du total), une proportion dont Cumont avait conscience (mais cette proportion monte à près de 10% pour les épigrammes grecques selon A.-J. Festugière), mais soulignent également la part de sincérité qui inspire ces poèmes dont l’un proclamait, en grec cette fois, avec conviction : « Croyez les mythes d’antan ! ». De même les études récentes sur la présence du thème de l’enlèvement de Proserpine sur les sarcophages (près de 90 attestations) corroborent en grande partie les analyses de Cumont.
5En fait, les reproches que l’on peut faire aux conclusions des Recherches sont à la fois liées au corpus étudié dont les auteurs de l’Introduction donne une description mise à jour et extrêmement précise (sur 12 000 à 15 000 sarcophages d’époque impériale connus de 120 à 310, seule la moitié porte des décors mythologiques et, par exemple, 250 seulement représentent les Muses) et à l’évolution des méthodes. En ce qui concerne ces dernières, en effet, on n’accepte plus aujourd’hui de donner la primauté aux textes, et l’archéologie comme l’analyse de l’image se sont élevées en sciences autonomes. Mais est-ce une raison pour tomber dans une forme de relativisme qui donne la primauté aux rituels sur les croyances, ou encore à un « désolant scepticisme » (Marrou) qui ne voit dans les décors des sarcophages (comme dans les motifs monumentaux) que des images gratuites sans signification aucune, ni symbolique ni religieuse ? J. et J.-Ch. Balty ne le croient pas et défendent brillamment leur point de vue.
6Ajoutons, pour conclure ce trop bref aperçu de la richesse du livre et de l’importance de sa magistrale Introduction, que le débat qui opposait Cumont à l’un de ses premiers recenseurs sceptiques, devenu son contradicteur patenté (A. D. Nock), qui ne voyait sur les sarcophages que des décors choisis au hasard, trouve aujourd’hui encore un prolongement ponctuel dans l’opposition entre la vision du monde antique que livre un Alan Cameron et celle que propose le recenseur. Pour le premier nommé, les derniers païens avaient puisé au hasard dans des catalogues d’images tout faits les motifs qu’ils faisaient figurer sur les diptyques funéraires ; pour ma part, j’ai proposé, dans mon dernier ouvrage, de chercher à comprendre les images du Diptyque des Nicomaque et des Symmaque comme autant de protestations sincères en la croyance d’une vie après la mort. On est toujours le Nock d’un autre. Peut-être, enfin de compte, Cumont eut-il tort de privilégier une vision évolutionniste qui lui faisait affirmer que le paganisme conduisait à la fin de l’Antiquité « vers une foi qui ne comptait plus d’incrédules ». Mais, à l’inverse, comment ne pas entendre ce vers de l’Anthologie Palatine qui affirme que « tout cela, ce sont bien des symboles » ?
Pour citer cet article
Référence papier
Stéphane Ratti, « Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, volume édité par Janine et Jean-Charles Balty, avec la collaboration de Charles Bossu, Academica Belgica, Institut historique belge de Rome », Anabases, 24 | 2016, 329-331.
Référence électronique
Stéphane Ratti, « Franz Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire des Romains, volume édité par Janine et Jean-Charles Balty, avec la collaboration de Charles Bossu, Academica Belgica, Institut historique belge de Rome », Anabases [En ligne], 24 | 2016, mis en ligne le 15 novembre 2016, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/5733 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.5733
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